Les Centres d appels : mode d emploi



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Transcription:

Benoît Tine Les Centres d appels : mode d emploi Publibook

Retrouvez notre catalogue sur le site des Éditions Publibook : http://www.publibook.com Ce texte publié par les Éditions Publibook est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d auteur. Éditions Publibook 14, rue des Volontaires 75015 PARIS France Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55 IDDN.FR.010.0119575.000.R.P.2014.030.31500 Cet ouvrage a fait l objet d une première publication aux Éditions Publibook en 2014

Retrouvez l auteur sur son site Internet : http://benoit-tine.publibook.com

À Lindsay Noémie Ngoné Tine Marie Solène Dior Tine

Avant-propos Vous avez entre vos mains le deuxième ouvrage issu d une recherche doctorale menée entre 2007 et 2010 sur les usages sociaux du travail de téléconseiller dans les centres d appels en France et au Sénégal. Nous avons mis à profit notre présence comme téléconseiller dans deux centres d appels, situés l un à Dakar (Sénégal) et l autre en région parisienne (France). L observation participante a duré 32 mois. Le centre d appels est un secteur en mutation qu on ne pourrait appréhender que par une méthode ethnographique. En effet, les responsables étant réticents voire hostiles à toute forme de présence extérieure, l observation in situ était la meilleure démarche. Ce premier matériau a été complété par des entretiens. Au total, 39 entretiens ont été effectués en France avec des téléopérateurs (en intérim, en CDD, en CDI, en alternance), les cadres intermédiaires (superviseurs, responsable qualité, responsable de site, responsable d unités opérationnelles), les syndicats présents (FO, CGT, SUD, CFTC, CFDT), des élus et membres d instances représentatives (CE, CHSCT, délégués du personnel). Enfin, nous avons administré un questionnaire à un échantillon non représentatif de 83 téléconseillers. Le choix des personnes rencontrées s est fait au hasard. Il était fonction de leur disponibilité et de la confiance qu elles nous témoignaient. Ces entretiens enregistrés étaient réalisés dans la mesure du possible chez l interviewé ou dans le centre d appels en dehors des heures de travail (dans la salle de formation, les bureaux, au 11

parking), dans les bureaux des cadres et des agences de travail temporaire, dans des fast-foods, dans des lieux publics (squares). La moyenne d âge des téléopérateurs rencontrés est de 26 ans. Les hommes représentaient 34,6 % et les femmes 65,4 %. En 2009, la France comptait 3 500 centres de relation client pour près de 260 000 agents, soit 0,8 % de la population active. 12

Introduction Les centres de gestion de la relation clientèle ou centres de contacts, «hotline», ou plus communément appelés centres d appels sont nés dans les années 1960 aux États- Unis d Amérique avant de s étendre à l Australie et à l ensemble des pays anglo-saxons. C est ainsi qu ils arrivent en Europe via le Royaume Uni dans la seconde moitié des années 1970 avant de conquérir par la suite l Irlande. Ils y connurent un développement sans cesse grandissant. Ils apparurent d abord dans les secteurs de la finance et des assurances répondant au développement de prestations de service de plus en plus dématérialisées. Ce n est que bien plus tard, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, qu ils font leur apparition en France, constituant ainsi, de nos jours, le troisième marché européen de la relation clientèle, derrière le Royaume Uni et l Allemagne. Il s agit de notre premier terrain. En Afrique, ils ne connurent leurs débuts que vers la fin des années 1990, d abord en Afrique du Sud, puis au Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie, Égypte) avant de s implanter en Afrique au début des années 2000. La naissance de ce secteur de la relation clientèle est en concomitance à la nécessaire prise en compte de la demande du client en termes de réponses aux besoins hic et nunc. Cet aspect est également important pour l entreprise afin de maîtriser davantage ce client «zappeur» à travers la constitution d une base de données et d outils permettant la remontée des informations : reporting, questionnaires, remarques, historisation. Le centre d appels devient ainsi tout un ensemble articulé de moyens 13

humains, technologiques, organisationnels dans une logique interactive avec un client, abonné ou usager d un service. D abord internalisés dans des secteurs comme la finance, les assurances, ces centres furent externalisés pour être ensuite délocalisés. Ils ont gagné aujourd hui tous les secteurs d activité. Cette démocratisation fait suite au nécessaire recentrage des entreprises sur leur cœur de métier en déléguant à des prestataires spécialistes, la tâche de s occuper de la gestion de leur relation clientèle (GRC). Ainsi, au bout du fil, le client ou usager français peut être en contact avec une personne ; cette voix sans visage qui n a peut-être jamais mis pied dans l entreprise dont il est l ambassadeur. De même, ce client peut avoir affaire à une personne se situant à des milliers de kilomètres de lui. C est une conséquence de la dématérialisation qui fait profiter aux entreprises, multinationales donneurs d ordre et aux prestataires, de bassins d emplois, d une maind œuvre qualifiée et bon marché, et d infrastructures aux normes standardisées. C est le deuxième grand mouvement ayant marqué le secteur des centres d appels. Le troisième et non moins important mouvement résulte du développement des technologies de l information et de la communication (TIC). Pendant longtemps d ailleurs, les tentatives de définition des centres d appels mettaient l accent sur ces technologies. Dès lors, le téléphone ne constitue plus le seul moyen de communication entre un client et un téléconseiller. Le centre d appels devient un centre de contact multimédia vu la panoplie de médiums qui y sont proposés : sms, mms, tchat, visio, fax, courrier, courrier électronique, serveur, internet, webcam Et aujourd hui la quasi-totalité des services des secteurs public et privé est accessible à distance via divers canaux de communications. Les centres d appels apparaissent ainsi comme des endroits où le téléconseiller est en contact avec toutes les catégories de la population. Dès lors, comment se construit 14

cette interaction? Comment entretenir une interaction à distance entre deux personnes qui s ignorent et dont les cultures diffèrent? Est-ce une transposition de la concurrence connue dans d autres secteurs, notamment l automobile? Le téléconseiller quelle que soit sa position géographique est tenu d adhérer à l organisation de l entreprise en acceptant d être phagocyté pour être au service du client final et de l entreprise. En somme, trois temps forts marquent le développement de la gestion de la relation clientèle (GRC) ou Customer Relationship Management (CRM) pour lequel le téléconseiller joue un rôle important. Il est en effet la clé de voûte de cette relation : entreprise prestataire de services, agence de travail temporaire, donneur d ordre, client final. Les centres d appels emploient des millions de personnes dans le monde et ils sont considérés comme la véritable interface entre le client, usager ou abonné, et l entreprise. Ils constituent de véritables industries d informations. Vu sous cet angle, les centres d appels apparaissent comme une structure basique ayant une organisation simple. Or, ce n est pas seulement une personne au bout du fil qui traite à un appel. C est évacuer rapidement la question quand on sait que même, dans la définition, le consensus a du mal à être trouvé. Ces centres de contacts sont devenus indispensables de nos jours à tel point que personne ne peut plus s en passer. Mais connaissons-nous réellement ces centres multimédias qui rythment notre quotidien? Qu est-ce qu un centre d appels? Comment l activité y est-elle organisée? Qui y travaille? Peut-on en parler comme de n importe quelle activité du tertiaire? Comment fabriquent-ils l information? Que cachent-ils? Quelles sont les problématiques qui les traversent? Quelles sont les évolutions possibles? L ambition est grande mais l exercice est important, voire nécessaire. 15

Nous verrons dans le premier chapitre, qu il n est pas aisé d avoir une définition unanime des centres d appels ; en effet, plusieurs paradigmes s affrontent et rendent toute définition difficile et prématurée. Nous montrerons en quoi il est important de continuer la réflexion pour une profession en manque de bonne visibilité. Par ailleurs, les centres d appels sont aussi divers que variés. Il y a autant de points qui les rassemblent et qui les divisent. Il est certain que les centres d appels sont un haut lieu des nouvelles technologies et un certain nombre de contraintes lui sont spécifiques. Au-delà de ces points communs, il apparaît, à la lecture de la littérature consacrée, une grande hétérogénéité tant dans leur organisation, leur situation géographique, le profil des appels traités que dans la division des tâches correspondant chacune à un profil spécifique de téléacteur. Une fois ce préalable posé, nous nous évertuerons dans un second chapitre à rendre compte des différentes questions qui ont animé et soutenu le débat tant public que scientifique. À travers une littérature scientifique riche et intéressante dans le contenu (en réinterrogeant et en faisant monter d un cran le débat public) et dans les méthodes de recueil de données (notamment celle de l observation participante), nous verrons que les centres d appels sont traversés par plusieurs problématiques encore d actualité. Avec un esprit méthodique et critique, nous essayerons de faire avancer le débat notamment sur les mauvaises conditions de travail et suicides qui défraient souvent la chronique (qui ne seraient pas une conséquence des technologies), le taylorisme (mais uniquement dans l esprit), l ambivalence entre autonomie et contrôle, le profil des téléconseillers (les jeunes, les femmes, les minorités visibles), les catégories socioprofessionnelles (CSP). 16