LE HARCÈLEMENT MORAL EN DROIT PUBLIC
I - LA JURISPRUDENCE ET LA LOI
Il convient tout d'abord de rappeler que l'article 178 de la loi n 2002-73 du 17 Janvier 2002 dite «de modernisation sociale» a inséré un article 6 quinquiès àla loi n 83-634 du 13 Juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, article donnant une définition du harcèlement moral.
Cet article est ainsi rédigé : «Aucun fonctionnaire ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1 ) le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2 ) le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements 3 ) ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public».
Dès avant la promulgation de cette loi, les juridictions administratives considéraient que des faits de harcèlement moral exercés à l'encontre d'un fonctionnaire constituaient une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Les demandeurs soutenaient le plus souvent que des manœuvres avaient été mises en place de la part de leur hiérarchie afin d'obtenir le départ de leur poste : CAA Marseille, 21 juillet 2000, Commune d'entraigues- SUR-LA-SORGUE, requête n 97MA05482 ; CAA Paris, 15 Février 2001, Madame CAZAL, requête n 00PA01471.
De tels recours étaient pour la plupart rejetés, motif pris notamment de ce que l'existence du harcèlement ne ressortait pas des pièces du dossier et n'était pas établie par le requérant. CAA Paris, 15 Février 2001, précité. Depuis l'entrée en vigueur de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 Juillet 1983 précité, les juridictions administratives n'ont pas admis plus largement les recours formés à l'encontre de l'administration sur le fondement du harcèlement moral. CE 5 Décembre 2002, DEBEAURAIN, requête n 252.231 ; CE 25 Juin 2003 BERNARD, requête n 227.135 ; CAA Nantes, 14 mars 2003, SEVESTRE, requête n 01NT01218 ; CAA Marseille, 10 juin 2003, CHALIER, requête n 01MAO0791.
II - LA QUESTION DE LA PREUVE
Il apparaît en effet que la principale difficulté de ce type de dossier porte sur l'administration de la preuve, la jurisprudence paraissant sur ce point extrêmement exigeante. Le requérant doit non seulement établir la réalité des difficultés rencontrées avec sa hiérarchie et du préjudice subi de ce fait, mais il doit également apporter la preuve du fait que les obstacles qu'il a rencontrés avaient réellement pour cause une volonté de le harceler moralement pour aboutir, par exemple, au départ de son poste, et non pas des problèmes strictement professionnels.
Ainsi, à titre d'exemple, il a été jugé que, dès lors que certaines mesures dont l'agent a fait l'objet étaient justifiées par l'intérêt du service, cet agent ne pouvait prétendre qu'elles révéleraient une pratique de harcèlement moral. CAA Nantes 14 Mars 2003, SEVESTRE précité De même, le fait qu'un agent ait fait l'objet d'une mutation et n'ait pas obtenu une promotion, alors que celle-ci ne constituait pas un droit mais résultait d'un choix de l'administration, ne saurait permettre de caractériser des agissements de harcèlement moral. CE 25 Juin 2003, BERNARD précité
Tout récemment, le juge administratif a également considéré que l'engagement d'une procédure disciplinaire, dont il n'était pas établi qu'elle aurait été engagée dans le souci de nuire à l'agent, n'était pas de nature à caractériser des agissements de harcèlement moral. CAA Nancy, 7 Avril 2005, Monsieur X, requête n 00NC01489 Dans un arrêt du 26 Avril 2005, la Cour administrative d'appel de Douai a rappelé que le harcèlement moral est subordonné à la preuve de ce que les mesures prises à l'encontre d'un agent «ont été prises dans le but de lui nuire». CAA Douai, 26 Avril 2005, Mme HASSAM, requête n 02DAO0284
III L IMPORTANCE DES ELEMENTS MEDICAUX
L'existence d'une animosité personnelle ou la volonté de nuire doit donc être démontrée. A cette fin, il importe que le dossier comprenne des pièces émanant de tiers (car nul ne peut se constituer une preuve à lui-même) établissant clairement que l agent est victime d'agissements ayant pour but de dégrader ses conditions de travail en portant atteinte à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Les certificats ou pièces médicales émanant de psychiatres, les visites auprès du médecin du travail, les expertises du comité médical sont dès lors capitales. Il ressort souvent des dossiers que si un agent rencontre de réelles difficultés avec son encadrement, les documents produits en justice doivent mettre en évidence des rapports conflictuels avec la direction de nature à démontrer la réalité d'un harcèlement moral exercé à son encontre, au sens où l'entend la jurisprudence.