Le Private Equity (ou capital investissement) Chapitre 1 Le Private Equity (ou capital investissement), en tant que source de financement des entreprises et terrain d intervention des investisseurs, a participé, de ses origines à nos jours, aux développements de notre économie et a accompagné les entreprises dans les différentes phases de leur cycle de vie. Les acteurs et les activités du Private Equity présentent un certain nombre de caractéristiques sur les plans de leur fonctionnement et de l évaluation de leurs performances. 1 Définition Le Private Equity consiste en l apport, par des investisseurs, à des entreprises non cotées (Private), de fonds propres (Equity) ou quasi fonds propres pour en financer le développement ou le rachat. Ces apports sont réalisés par des sociétés ou des fonds d investissement, des caisses de retraite (Pension funds), des banques, des sociétés d assurances, ou de grosses entreprises. Ils peuvent aussi être le fait de personnes physiques que sont les capital risqueurs ou Business Angels. Le Private Equity, ou capital investissement, est un ensemble incluant deux activités : le capital risque (ou Venture Capital) et le rachat d entreprise (ou buy out). L investissement à long terme dans le développement de jeunes entreprises relève du capital risque (Venture Capital) alors que les fonds investis pour le rachat de sociétés matures correspondent à des opérations de reprise (ou buy out) utilisant souvent le levier de l emprunt (Leverage buy out ou LBO).
12 L ESSENTIEL DU PRIVATE EQUITY ET DES LBO Les deux branches du Private Equity Les investissements réalisés selon les deux grandes modalités d intervention du Private Equity se font à long terme. Ils recherchent la création de valeur pour les actionnaires qu ils soient investisseurs ou entrepreneurs et contribuent à l animation, au renouvellement et à la fluidification du marché action. Le Private Equity fait partie des investissements alternatifs (Alternative Investments) complémentaires aux actions et obligations dans le portefeuille de valeurs géré par les investisseurs. 2 Historique Le Private Equity (ou capital investissement), ayant pour vocation de financer le développement ou le rachat d entreprises, a participé activement à la révolution industrielle et au développement des empires coloniaux français et britannique des XVIII e et XIX e siècles. Plutôt pratiqué jusqu au milieu du XVIII e siècle par des investisseurs individuels ou des banques d affaires, le Private Equity s institutionnalise et s affirme en tant qu activité financière spécifique avec la fondation à Paris d une première société de capital risque : la Société Générale de Crédit Mobilier. Elle participe avec un pool de financiers considérés aujourd hui comme affairistes au financement d une ligne de chemin de fer transaméricaine. La société fait faillite en 1870 et apporte un certain discrédit à cette nouvelle activité. En matière de rachat d entreprise, le Private Equity enregistre sa première grosse opération en 1901 aux États- Unis avec l acquisition de Carnegie Steel par J. P. Morgan. Dans la première moitié du XX e siècle, le Private Equity y reste toutefois une activité contrainte par la réglementation bancaire américaine et
CHAPITRE 1 Le Private Equity (ou capital investissement) 13 est principalement l apanage de familles fortunées comme les Vanderbilts, Whitneys, Rockefellers ou Warburgs. Le Private Equity en tant qu industrie structurée n apparaît qu après la seconde guerre mondiale. Il se développe d abord aux États-Unis où son activité est cyclique, étroitement corrélée avec l évolution de l économie et passe par des phases d expansion, de régression et de crises. On peut décrire son histoire récente à partir de trois grandes périodes couvrant chacune une à plusieurs décennies. Années 1950-1970 : financement des nouvelles technologies et effet structurant sur l économie américaine Le capital risque moderne apparaît en 1946 avec la création de l American Research & Development Association (ARDC) par Jacques Doriot (un français considéré aujourd hui comme un des inventeurs du capital risque) et la société spécialisée Withney & Company. Ces sociétés pionnières collectent des fonds et les investissent dans de jeunes sociétés innovantes comme Digital Equipment Corporation (DEC), Technicolor, Fairchild Semiconductor (circuits intégrés) ou Minute Maid (briques alimentaires). Le développement du capital risque est facilité à partir de 1958 par le législateur qui permet la création de sociétés d investissement ad hoc (SBIC Small Business Investment Companies). Cette évolution est motivée par la volonté d apporter une nouvelle source de financement aux jeunes entreprises en croissance, et en pleine période de guerre froide, de soutenir l effort d innovation des PME américaines. C est pourquoi les investissements en capital risque se concentrent principalement dans les années 1960 et 1970 sur les secteurs de l électronique et de l informatique, du médical et de la logistique. Des sociétés de capital risque, telle que Sequoia Capital (fondée en 1972), se spécialisent dans le financement et l accompagnement des sociétés de haute technologie de la Silicon Valey. Elles organisent les relations avec les investisseurs, apportent leur expertise et participent à la fondation d entreprises comme Apple (1978), Genetech (1978), Compaq (1982) ou Federal Express. Les premiers rachats d entreprises démarrent dans les années 1960 et sont principalement réalisés par des investisseurs individuels dont les plus connus sont Victor Posner avec DWG Corporation ou Warren Buffet à travers Berkshire Hathaway. Le premier s intéressait plutôt aux prises de participation hostiles à haut rendement et forte volatilité alors que le second procédait à des opérations amicales ou à des prises de participation minoritaires dans le secteur de l assurance ou dans des sociétés comme American Express, Coca-Cola, ou Fruit of the Loom. Des financiers d entreprise de la banque Bear Stearns, J. Kohlberg, H. Kravis ou G. Roberts (KKR) développent ensuite des opérations de rachat pour assurer la transmission d entreprises ou de groupes familiaux. Les
14 L ESSENTIEL DU PRIVATE EQUITY ET DES LBO évolutions favorables de la réglementation et de la fiscalité des entreprises à la fin des années 1970 créent un environnement propice à l apparition de nouvelles sociétés de capital risque comme Fortsmann Little & Company, Candover ou GTCR. Années 1980-1990 : prolifération des sociétés de capital risque aux États-Unis et émergence d un capital investissement à la française En une décennie, le nombre de sociétés de capital risque passe de quelques dizaines à plus de 650... mais les fonds investis augmentent peu (+ 11 %). Malgré l apparition de nouvelles activités avec les fonds secondaires (rachetant des participations dans des fonds de capital investissement existants en 1982) ou sectoriels (dans l énergie en 1984), le secteur présente une moindre attractivité. La concurrence y est féroce et pousse à des prises de risques parfois inconsidérées pour des rendements en diminution. Les opportunités de revente pour les investisseurs sont compromises par le krach boursier de 1987 qui retarde les introductions en bourse. De grosses entreprises telles General Electric, des banques telles Chemical Bank, voire des opérateurs historiques comme Warburg Pincus ou Withney & Company se désengagent du capital risque pour investir dans des entreprises matures. Des perspectives de rendements élevés, de même que l activisme de banques d affaires comme Goldman Sachs, Merrill Lynch ou Morgan Stanley expliquent sans doute l augmentation très sensible en nombre et en montant des rachats d entreprise dans les années 1980. Des sociétés gestionnaires de fonds de Private Equity aussi emblématiques que Blackstone Group, Bain Capital ou Carlyle Group voient le jour. Le rachat en 1989 grâce à un levier d emprunt exceptionnel par KKR de RJR Nabisco, pour 31,1 Mds$, atteint un record inégalé ensuite pendant plus de 17 ans. Les rachats d entreprise se font alors souvent sur la base de raids comme celui de Carl Icahn sur TWA en 1985. Ces prises de participation inamicales sont souvent suivies de restructurations aboutissant parfois au découpage d entreprises (stripping) comme par exemple dans le cas de Revlon revendue avec de grosses plus-values sous forme de trois entités sectorielles. Financées par un recours massif à l emprunt (LBO, cf. Chapitre 4), ces opérations sont bouclées avec le concours de gros investisseurs comme les fonds de retraite qui investissent sur le marché des junk bonds créés par Michael Milken. En France, différents facteurs expliquent, dans les années 1980 et 1990, l essor d un capital investissement dit à la française. On assiste au développement des fonds de capital risque français et américains dans l hexagone. La création du Nouveau Marché offre en outre aux investisseurs des opportunités de sortie à leurs placements et contribue à leur valorisation. L activisme des Business Angels anime et alimente le marché du capital risque en amont, l accompagnement institutionnel
CHAPITRE 1 Le Private Equity (ou capital investissement) 15 des pouvoirs publics est important et passe par la création des Fonds commun de placement dans l innovation (FCPI) dans les années 1990 (initié par les Fonds commun de placement (FCP) des années 1980 et suivi par les Fonds d investissement de proximité (FIP) dans les années 2000). Années 2000 : période des très gros rachats d entreprises, éclatement de la bulle internet et crise des subprimes En début de décennie, les conditions économiques autant que réglementaires sont favorables aux buy out avec la loi Sarbanne Oxley et la baisse des taux qui facilitent le financement des opérations par effet de levier. Les rachats de Dex Media en 2002, Hertz corp, Metro Goldwin Mayer et Sun Gard en 2004/2005 en sont des exemples. En 2006, les sociétés de capital risque achètent 654 entreprises américaines pour 375 Mds$ soit 18 fois les transactions de 2003. Parmi ce qui est souvent qualifié de «Mega buy out», on trouve notamment en 2006 et 2007 les opérations sur Equity Office Properties, HCA ou TXU. En montants investis, les investissements mondiaux représentent 686 Mds$ en 2007. Sa répartition géographique donne une forte concentration en Amérique du Nord qui draine 71 % des investissements et une répartition quasi équilibrée du solde (autour de 15 %) entre la zone Europe, l Asie-Pacifique et les pays émergents. On observe une prépondérance des rachats d entreprise et des grosses opérations (110 Mds$ concentrés sur une dizaine de fonds). En Europe continentale, le capital investissement français se situe à la première place avec près de 20 % de part de marché et la France constitue en 2007 le troisième marché mondial en montants investis. En juin 2007, le demi-succès de l introduction sur le marché de la société de capital risque Blackstone Group est sans doute annonciateur d un retournement de tendance. La crise des subprimes de 2008 et le resserrement du crédit (credit crunch) affectent l ensemble du secteur. Le capital investissement entre en mutation : des sociétés se spécialisent dans le refinancement de dettes risquées (debt venturing), de nouveaux opérateurs apparaissent ainsi que de nouvelles zones d influence avec notamment la montée en puissance de la Chine. Années 2010 : un début difficile suivi d un puissant rebond Avec la crise des subprimes et de la dette souveraine européenne, l activité économique est restée atone en début de décennie. Dans ce contexte, le Private Equity a vu une stagnation des fonds collectés et investis, peu de sorties et des retours sur investissement en faible croissance. Selon le rapport de l EVCA, l évolution du secteur a été pour l année 2012 particulièrement défavorable en Europe avec une régression par rapport à l année précédente de 43 % des fonds collectés, de 19 % des investissements et de 29 % des sorties.