L'Inox pour une Architecture Légère

L'Inox pour une Architecture Légère Dominique Perrault, Architecte Urbaniste, Paris, France Présentation faite lors du colloque L Inox pour une Architecture Visionnaire co-organisé par Euro Inox, Bruxelles, Belgique et I.D. Inox, Saint Herblain, France, le 15 mai 2001 à Paris

Merci de me donner aujourd'hui la possibilité de discuter de ce matériau qu'est l'inox. Je voudrais présenter un projet que nous avons réalisé près de Nantes, une usine, et vous proposer une variation sur l utilisation de l inox. Mais d'abord, puisque vous irez visiter demain la Grande Bibliothèque, je voudrais en quelques mots, vous raconter comment nous avons utilisé la maille métallique dans ce bâtiment. C'est donc à l'occasion de la construction de la Grande Bibliothèque, il y a maintenant dix ans, que nous avons commencé à travailler sur la maille métallique. Cette recherche était portée par un besoin précis, puisque nous voulions installer des faux plafonds. Nous cherchions alors un matériau tissé, avec des qualités structurelles particulières, sur lequel on peut tirer et agir, un matériau qui soit vivant et souple. Nous avons fait quelques essais avec des tissages de fils de verre, mais pour obtenir la rigidité nécessaire, il fallait insérer au tissage du Gelcoat, qui n'est pas classé MO. En parallèle, on cherchait à tisser du métal, pensant que cela devait être facile puisque de nombreuses usines produisent des fils de métal. Mais du fil au tissage, le chemin était long et il nous a fallu près de trois ans pour trouver les usines capables de fabriquer les matériaux avec les qualités que nous recherchions. Il a fallu dialoguer, collaborer pour mettre au point le produit, car les contraintes et les logiques de la production industrielle se sont pas celles de l architecte. 1

L'industrie du métal travaille avec une extrême précision, à l'échelle du micron mais cette précision intéresse peu l'architecture. Notre échelle est celle du centimètre ou du millimètre, ce qui apparaît fort imprécis, voire même artisanal. La qualité que nous recherchions était d'une autre nature, de l'ordre du visuel, qualité justement négligée par l industrie. Les industriels, qui tissent des tapis métalliques, se soucient peu de l'apparence. En effet, quelle importancesi le tapis métallique a des taches ou si l'inox n'est pas complètement nettoyé? Ces bandes transporteuses sont conçues pour des fours ou pour servir de filtre. La question du visible, pour ces matériaux souvent invisibles, ne se pose pas. Cette démarche est inhabituelle, dans la mesure où ce sont rarement les mêmes industriels qui fabriquent la toile et les moyens d'accroches. C'est intéressant à souligner, car généralement, il y a peu d'investissement des industriels dans la recherche sur ce qui est autour de leur matériau. Aujourd'hui, les entrepreneurs du bâtiment ont perdu une grande part de leur savoir faire. On est donc dans une situation paradoxale où l'industrie produit des matériauxformidables sans personne pour les mettre en œuvre proprement. Pour la Bibliothèque, il fallait donc penser le matériau et les moyens de son utilisation. L architecte, lui, demande à ce matériau des qualités visuelles et des effets d apparence en plus de ses qualités structurelles. Ainsi, il s intéresse à l'acier qui rouille, à l'acier irrégulier ou non brillant, au tissage métallique irrégulier, etc. Pour ce projet, la maille devait être visible, donc d'apparence homogène. Il était bien évidemment hors de question que sur des kilomètres carrés de tissage, il y ait des variations de couleur ou de texture du fil à certains endroits et pas à d'autres. Cette recherche sur l'apparence a été menée avec un industriel allemand. Des circonstances particulières ont favorisé cette collaboration. Cette société avait perdu de nombreux contrats avec l'europe de l Est à la suite de la chute du mur de Berlin ; il lui fallait trouver de nouveaux débouchés. C'est aussi le hasard d une rencontre entre les deux frères, qui dirigent aujourd'hui l'entreprise et moi-même, tous trois de la même génération et animés par l'envie de «trouver» ensemble. Nous avons travaillé plus de deux ans, non seulement sur le tissu métallique, mais également sur la conception et la réalisation des pièces d'accroches. Il fallait les tester et les faire valider pour pouvoir les installer dans la Bibliothèque. Ce fut donc le fruit d'une active collaboration et d'une entente profonde pour réussir à obtenir les performances que nous avons eues. 2

Le succès de cette collaboration avec l'équipe allemande repose à mes yeux sur cette démarche globale pour l'ensemble des éléments nécessaires à une utilisation performante du tissu de métal. Ce fut d'ailleurs un investissement intéressant pour l entrepriseeton peut voir aujourd'hui dans le monde entier du tissu métallique dans les constructions. Pour ceux que ces aspects intéressent, vous remarquerez que les détails d'installation du tissu métallique utilisés aujourd'hui sont ceux qui ont été mis au point pour la Bibliothèque. Dans la Bibliothèque, nous avons énormément utilisé l inox : pour les lampes celles-ci sont maintenant adaptées à des espaces publics plus petits et éditées par un fabricant italien pour les brisesoleil : avec de la maille métallique de triple épaisseur. Depuis ce projet, nous avons développé d autres produits en inox : nous travaillons avec les Danois sur des paravents en maille métallique tissée en double épaisseur ; nous développons une ligne de tapis en maille métallique tissée, qui est très performante pour les espaces publics si les supports sont adéquats. D autres objets encore, comme des petits plats pour la table, des dessous de verres. Vous le constatez, ce matériau est riche en potentialités. Je crois que la construction de la Bibliothèque a largement contribué au développement de l'inox mat pour la construction. Visuellement, l'inox brillant ne produit pas l'effet recherché pour une Bibliothèque Nationale. Nous avons utilisé des inox mats, qui ressemblent à de l'aluminium, si ce n'est que l'inox est plus solide, résiste mieux au vandalisme et présente de bonnes qualités structurelles. Nous avons choisi un état de surface satiné, très beau et très profond, plus doux que les présentations auxquelles nous sommes habitués. Bibliothèque Nationale de France à Paris (pages 1-3) Maître d ouvrage: L Etat de France, représenté par le secrétaire d Etat en charge des bâtiments publics Architecte: Dominique Perrault, Paris, France Photos: Georges Fessy, Paris, France 3

Je voudrais maintenant vous présenter un projet réalisé il y a un an environ, près de Nantes. C'est un bâtiment industriel pour un fabricant français d'auto-agrippants. Cette entreprise, au deuxième rang français, connaît une forte croissance et devait impérativement s agrandir pour honorer ses contrats. Le site est localisé dans une petite commune rurale et le terrain borde la nationale qui relie Nantes à Paris. En terme d'architecture, il s'agissait d'implanter un «monstre», près de 33 000 mètres carrés de surface et à terme, 60 000 mètres carrés. C est un acte d autorité fort et, pour qu il soit bien perçu, nous avons cherché à harmoniser l'architecture avec le paysage pour que ce dernier prime sur le bâtiment. Sur ce projet, les contraintes étaient nombreuses : des contraintes économiques puisqu'il fallait construire ce bâtiment au prix du marché local ce qui disqualifiait d'emblée l'utilisation de l'inox et un process un peu chaotique, puisqu'il fallait s'adapter en temps réel aux commandes de l'entreprise. Le plan que nous avons choisi repose sur le principe de la grille des mots croisés, les carrés peuvent aller dans toutes les directions, ce qui donne une impression de développement aléatoire. En fait, rien n'est laissé au hasard puisque les croisements doivent faire sens. C'est donc une grille, avec des cases de 20 mètres par 20 mètres qui peuvent se developper dans toutes les directions. Les cases noires sont ici des jardins intérieurs : 800 mètres carrés de jardins intérieurs qui permettent à la lumière de rentrer dans l'usine. 4

Les façades extérieures sont sans fenêtre et le pourtour de l'usine est un long ruban d acier inoxydable plissé. Le bâtiment, de 8 mètres de haut, est ceinturé de deux hauteurs métalliques de 3 mètres cinquante chacune. Il était important de n'avoir aucune perte car sur un tel projet tous les centimètres et lescentimes comptent. Une feuille de 1 mètre, avec le pli, forme l'élément de bardage qui se répète sur l'ensemble de la façade. L'idée était de créer un seul élément, répété de manière totalement identique et monotone sur le pourtour de l'usine. Nous avons choisi de l'inox brillant, car le reflet qu'il propose n'est pas un effet de miroir ce qui aurait peu d'émotivité ou peu d'émotion mais un reflet plus photographique ou artistique avec des effets de déformation, de transfiguration. De plus, le pli donne une inclinaison qui renforce ce trouble visuel puisque la façade ne reflète pas ce qui lui fait face, mais renvoie à ce qui est sur les côtés et démultiplie l image. Ce reflet provoque une surprise visuelle, semblable à celle de certaines toiles de Magritte : le reflet n'est pas ce que l'on attend. Cette confusion, cette transfiguration du réel donnent au bâtiment une vie propre, autonome par rapport au paysage qu il modifie et transforme. De plus, le paysage se prolonge sur le bâtiment et donne l'impression qu'il n'y a plus de matière à proprement parler, de physique. La couleur et l'effet de matière du bâtiment varient en fonction du temps, car le bâtiment épouse toutes les lumières. Au soleil couchant, la façade Nord devient rose. Cesvariations donnent un sentiment de vie et de fusion avec l'environnement, voire même la disparition même du bâtiment, puisque sous certains éclairages, celui-ci disparaît derrière les reflets. L'insertion de cet objet architectural dans un site rural m'apparaît réussie. 5

A l'intérieur, un travail sur les patios, avec deux façades différentes : des façades vitrées qui éclairent lesateliers et des façades mixtes, de vitres et de volets métalliques pour les espaces de bureaux. Lesmatériaux sont tous des matériaux industriels. Nous avons construit ce bâtiment à 2500 frs. le mètre carré, certaines parties sont climatisées, d autres sont accoustiquement isolées. Ce prix, très performant, est comparable aux espaces de stockage de certaines grandes surfaces. Pour faire ce type de projet, il faut un client poussé par une envie, qui va au-delà de la simple nécessité de construire. Ce client cherchait bien évidemment à faire face au développement industriel de la société, et il était également animé par l'envie de marquer une nouvelle étape, de symboliser cette nouvelle phase de développement. Ce client a l originalité d'être un amateur éclairé d'art contemporain. Il s'est rapproché de journalistes du monde de l'architecture pour l aider à sélectionner un architecte. Le processus de sélection a permis de donner une part humaine à cette collaboration et de bien comprendre les enjeux et la finalité du travail. 6

acceptées, l'inox brossé éblouit et qu il ne pouvait être utilisé pour un bâtiment situé le long d une nationale. Il n'offre pas la gamme de clarté ni la profondeur attendues, il réagit comme une tôle. Ce prototype en inox brossé nous a convaincus qu il fallait un aspect de surface plus sensible et plus doux. L inox poli miroir, lui, propose une clarté, une profondeur, il renvoie les nuances des lumières sans éblouir, avec subtilité. Si je me suis attardé sur ces exemples, c'est pour souligner que pour que l utilisation d un matériau soit réussie, il ne suffit pas que le matériau soit beau, il faut en plus un dialogue entre ceux qui le fabriquent et ceux qui l'utilisent. Cette collaboration s est fondée sur une relation de confiance ce qui est particulièrement important. Par exemple, le dessin de la façade n'est ni plus ni moins que des petites lignes verticales noires. Cette architecturerepose sur la relation de la lumière avec la matière et c'est impossible à représenter visuellement. Cette représentation «impossible» pose des problèmes à l'administration pour l'obtention du permis de construire, mais cela reste surmontable. Elle pose surtout des problèmes à l architecte qui doit figurer ce qui sera un effet visuel, né de la rencontre de la matière et de la lumière pour un client qui veut savoir ce qu'il va acheter. Nous avons fait des essais avec des échantillons, avec des prototypes de grandeur nature. La présentation du prototype fut intéressante, car pour diverses raisons liées à l'entreprise, le prototype a été réalisé en inox brossé et non avec l inox poli miroir choisi auparavant sur échantillon. Et l'on s'est aperçu que, contrairement aux idées couramment Bâtiment industriel près de Nantes (pages 4-7) Maître d ouvrage: APLIX S.A., Le Cellier Architecte: Dominique Perrault, Paris, France Photos: Georges Fessy, André Morin 7