Rapport final de projet Vs /2013/0379. Volker Telljohann



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Accords défensifs, clauses d ouverture : stratégies intégrées d implication des travailleurs et de négociation collective contre la fragmentation et la dégradation Rapport final de projet Vs /2013/0379 Volker Telljohann Introduction Dans un contexte de crise économique profonde, de plus en plus de pays européens vont vers un changement radical des mécanismes de négociation collective, caractérisé par une intervention de l État, qui pourrait entrainer une dévalorisation des structures de négociation en place depuis longtemps. Dans la plupart des cas, le moteur de cette évolution est ce que l on a appelé la «Troïka», composée par la Commission européenne (CE), la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). Les recommandations de la Commission européenne tendent clairement vers une décentralisation générale de la négociation collective, et l extension des possibilités de dérogation aux accords de secteur au niveau de l entreprise. Pour la Commission européenne, ce sont là des aspects-clés d une «réforme favorable à l emploi». Cette tendance s accompagne de la conviction que le pouvoir des syndicats en matière de fixation des salaires doit être réduit 1. En conséquence, les recommandations de la Commission européenne visant à obtenir une décentralisation radicale de la négociation collective contribuent à l érosion de la négociation nationale et sectorielle. Dans certains pays, il y a eu des expériences d accords dérogatoires avant même la crise. Dans ces cas, l intervention de gouvernements nationaux, et la pression découlant des processus de mondialisation, avaient entrainé la mise en place de clauses d ouverture, et la possibilité de déroger aux normes établies dans les conventions collectives du secteur. De façon générale, le recours accru aux clauses d ouverture et aux accords dérogatoires peut être attribué à une détérioration de l équilibre des pouvoirs entre les syndicats, d une part, et les employeurs et leurs associations, d autre part. L activité de recherche a abouti au présent rapport, qui vise donc à approfondir les connaissances relatives aux phénomènes liés aux accords dérogatoires et défensifs, et aux clauses d ouverture, afin de mieux comprendre et gérer leurs procédures de négociation, mise en œuvre et suivi. En outre, l étude a tenté de mettre l accent sur les risques liés aux processus de décentralisation, et de fournir 1 Voir documents précédents de la CES : «A different course for Europe: wages and collective bargaining as an engine for growth and stability» (Un cours différent pour l Europe : les salaires et la négociation collective en tant que moteur de croissance et de stabilité), avril 2014, http://collective.etuc.org/sites/default/files/csrathensmeeting_0.pdf ; «Statement of the ETUC Collective Bargaining Committee on Country Specific Recommendations 2014 concerning wages and collective bargaining systems» (Déclaration du Comité de négociation collective de la CES sur les recommandations spécifiques par pays de 2014 concernant les salaires et les systèmes de négociation collective), Juin 2014, http://collective.etuc.org/sites/default/files/140625%20cbcc%20statement%20and%20report%20nrp%20csr%2020 14%20EN.pdf

des pistes quant à la façon de renforcer avec succès le rôle des syndicats et des organes de représentation des salariés, pour leur permettre de défendre des conditions de travail durables. Un aspect particulièrement mis en exergue concerne la question de savoir comment les pratiques de participation interagissent avec la dynamique de la négociation collective par rapport aux accords dérogatoires et défensifs, et dans quelle mesure les droits d information, consultation et participation représentent une valeur ajoutée dans le cadre du développement de stratégies coordonnées de négociation collective. Méthodologie Dans le cadre du présent travail de recherche, dix études de cas ont été menées 2. Ces études portaient sur six États membres de l UE, soit : la France, l Italie, l Allemagne, l Espagne, la Suède et le Danemark. Ces pays ont été choisis pour plusieurs raisons. La plupart font partie du groupe d États membres 3 auxquels la Commission européenne a adressé des recommandations spécifiques par pays, notamment sur les salaires et la négociation collective depuis 2012, et plus récemment à la fin mai 2014. Cette sélection de pays, caractérisés par différents systèmes de négociation collective, nous a également permis d analyser des cas représentant différents niveaux de négociation collective, tels que : - La négociation collective intersectorielle (France) ; - La négociation collective sectorielle (Suède, Allemagne) ; - La négociation au niveau de l entreprise (Italie, France, Danemark, Espagne). À cet égard, les accords choisis pour l analyse couvrent également des types différents d accords dérogatoires et de clauses d ouverture, que l on appelle les accords défensifs. Il s agit d accords indiqués comme étant tripartites ou bipartites, permettant de déroger à des dispositions fixées au niveau législatif, ou dans des conventions collectives nationales, intersectorielles, sectorielles ou d entreprise. Ceci devrait se faire dans certaines limites et sous certaines conditions, telles que la contrainte de surmonter une crise, la sauvegarde de l emploi, la compétitivité accrue, le fait d attirer des investissements. Les six pays représentent également différentes traditions dans le domaine de la participation des travailleurs, qui impliquent différentes formes de relations entre les structures de représentation des salariés et les organisations syndicales. Parmi les pays concernés, nous trouvons des systèmes de représentation des intérêts à un niveau (Danemark, Suède, Italie) ainsi que des systèmes à deux niveaux (Allemagne, France, Espagne). Ainsi, les pays choisis peuvent être distingués par rapport aux caractéristiques de leurs systèmes respectifs de négociation collective et de représentation des travailleurs, et aux liens d interdépendance spécifiques entre ces deux systèmes. 2 Voir les annexes, y-compris les 10 études de cas nationaux et les textes des conventions collectives examinées. 3 BE, DE, ES, FI, FR, IT, LUX, SI entre autres.

En outre, il existe des différences significatives entre les pays choisis quant à leurs expériences concrètes dans le domaine des accords défensifs et dérogatoires. Dans certains cas, l objectif «défensif» est moins évident, et ces accords présentent plutôt une approche différente de certaines questions. Par ailleurs, certains pays ont une expérience approfondie et de longue date de ce type de mécanismes, et dans d autres pays, ce type d accords n a pas joué un rôle de premier plan dans le passé. Concernant le niveau intersectoriel, l Accord national interprofessionnel français du 11 janvier 2013, «pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l emploi et des parcours professionnels des salariés» a été examiné. Au niveau sectoriel, les expériences du secteur métallurgique allemand et suédois, ainsi que du secteur allemand de l industrie chimique ont fait l objet de recherches. Cependant, la plupart des cas concernaient la négociation d accords dérogatoires au niveau de l entreprise : Sanofi (ES), Bosch (ES), Renault (FR), la Coopérative de la céramique d Imola (IT), l Association des éleveurs de bovins (IT) et Danish Crown (DK) ont été examinés. Le rôle des gouvernements Dans la plupart des pays, l introduction des clauses d ouverture et des accords dérogatoires a été encouragée par les gouvernements nationaux. En Allemagne, la négociation de l accord qui a introduit la possibilité de déroger aux normes du niveau du secteur dans le secteur métallurgique, connu sous le nom d Accord Pforzheim, a été, dans une certaine mesure, une réaction à la pression politique que le gouvernement fédéral de l époque avait exercée, en menaçant d introduire des clauses «d ouverture» statutaires qui auraient mis fin à la priorité des accords sectoriels typiques pour la négociation collective dans la période de l aprèsguerre. En France aussi, l accord tripartite est issu de la Conférence sociale du gouvernement français, qui demandait aux partenaires sociaux de concevoir une feuille de route du programme social pour les années à venir. En Espagne, les gouvernements nationaux ont mis en œuvre une stratégie radicale de décentralisation par le biais d une législation permettant aux accords d entreprise d avoir la priorité absolue sur les modalités convenues à un niveau plus élevé. Ceci est arrivé en Italie aussi 4, où une législation relativement récente permet aux accords d entreprise de déroger non seulement aux accords sectoriels, mais également aux normes établies par la Loi. Conventions collectives intersectorielles et sectorielles Les accords sectoriels et intersectoriels intègrent de plus en plus souvent des clauses dérogatoires qui permettent aux entreprises de choisir de ne pas appliquer des normes spécifiques, y-compris relatives aux salaires, dans des conditions et circonstances spécifiques tels que des difficultés économiques. L accord intersectoriel français, qui est par la suite devenu une loi, est très vaste car il couvre l assurance santé complémentaire ; l assurance chômage ; le nombre d heure minimal pour les salariés à temps partiel ; les comptes personnels de formation ; les règles de mobilité ; les accords 4 L Article 8 du Décret-loi 138/2011 fournit une marge de manœuvre substantielle pour les dérogations, et il est prouvé que la négociation collective décentralisée utilise ces dispositions.

d entreprise pour protéger l emploi ; les droits d information et de consultation ; les représentants des travailleurs au conseil d administration ; etc. L accord ouvre la possibilité de mettre en place des mesures de flexibilité, dérogatoires par rapport au code du travail, pour les entreprises qui traversent des difficultés économiques sous réserve qu elles s engagent à éviter d effectuer des licenciements. Ces accords d entreprise doivent être conclus pour un maximum de deux ans, et pendant ce temps l employeur ne peut licencier aucun salarié. Au niveau sectoriel, les clauses d ouverture permettent, sous certaines conditions, de déroger aux normes spécifiées dans les conventions collectives sectorielles. En Allemagne et en Espagne, la convention collective du secteur de la chimie, ainsi que l Accord Pforzheim signé dans le secteur métallurgique, prévoient la possibilité de déroger contre une sauvegarde ou une augmentation des niveaux d emploi. La sauvegarde des emplois peut également être liée à des accords concernant des investissements et des processus d innovation. Dans le cas du secteur métallurgique suédois, en 2013, les partenaires sociaux sont convenus d un mécanisme permanent de chômage partiel, achevant ainsi un processus né sous l effet de la baisse de régime massive du secteur manufacturier suédois, due à la crise financière de 2008. L accord permet des réductions du temps de travail qui s accompagnent d une réduction des salaires si les parties locales en conviennent. Le gouvernement libéral suédois a répondu aux appels des partenaires sociaux pour proposer et voter une législation sur le chômage partiel subventionné. En conséquence, à l heure actuelle, deux systèmes coexistent pour le chômage partiel : l un bénéficiant de subventions publiques et l autre non. Dans tous ces cas, on peut observer l enracinement des processus de négociation des dérogations au niveau de l entreprise dans des règlementations de plus haut niveau définies par les accords sectoriels. Dérogations et compensations S agissant de l application concrète des clauses d ouverture établies par la Loi ou les conventions collectives sectorielles, les dérogations au niveau de l entreprise concernent principalement la composante salariale et les arrangements sur le temps de travail. Dans le contexte des six études de cas menées dans le cadre du projet, les dérogations portaient notamment sur : - l'augmentation de la flexibilité du temps de travail ; - l'augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire ; - la réduction du temps de travails et des salaires soutenue par des subventions de l État ; - le renoncement aux avantages supérieurs aux normes de la convention collective ; - la baisse de la rémunération variable ; - le renoncement aux congés payés ; - le renoncement aux augmentations de salaire dues à l ancienneté ; - la modification des augmentations de salaire fixées dans les conventions collectives sectorielles ; - le gel des salaires et la modération des salaires ; - le régime de participation financière des salariés pour sauver des emplois : la création d une société d investissement des salariés financée par des réductions de salaire ; - la mobilité interne.

Dans la plupart des cas, les dérogations incluent des concessions temporaires. Il existe cependant des cas dans lesquels les dérogations ont un caractère indéterminé. On en trouve des exemples dans les accords d entreprise signés à la Coopérative de la céramique d Imola (IT) et à l Association des éleveurs de bovins (IT). Concernant le champ d application, en général, les accords dérogatoires s appliquent à tout le personnel. Une exception concerne le cas de Sanofi (ES) où l accord dérogatoire ne s applique pas aux salariés de la production. Ceci peut être considéré comme une «clause de discrimination positive» dans la mesure où l accord exclut les travailleurs à faible salaire de l application des mesures de gel des salaires. Pour ce qui est des compensations, elles portent essentiellement sur la protection contre les licenciements, tandis que dans un nombre de cas inférieur, elles incluent également des garanties d investissement ou des garanties concernant les sites de production. Dans le cas de Bosch (ES), par exemple, la compensation consiste en l engagement de la part de l entreprise à réaliser, entre 2013 et 2015, les investissements nécessaires pour lancer la fabrication d un nouveau produit. Critères d application des syndicats Afin d éviter une décentralisation totalement incontrôlée de la négociation collective, les syndicats ont réalisé d importants efforts pour développer des critères clairement définis, devant être appliqués par les entreprises intéressées par l utilisation des clauses d ouverture figurant dans la convention collective sectorielle. Il convient de mentionner ici que l application de clauses d ouverture n est pas nécessairement limitée aux entreprises frappées par une crise. Comme le montrent les cas allemand et espagnol, les entreprises rentables peuvent, elles aussi, déroger aux avantages et règlementations collectivement convenus pour améliorer leur structure de coûts et leur compétitivité. En 2004, les accords signés chez Siemens et Daimler représentent deux des tous premiers cas d application du mécanisme adopté à l époque dans l accord Pforzheim. Ceci signifie que dans ces cas, les dérogations avaient déjà été négociées quelques années avant la crise et qu elles visaient à améliorer la compétitivité des entreprises. Il peut donc y avoir des accords motivés par la crise, visant à récupérer la compétitivité, ainsi que des accords motivés par la compétitivité, visant à améliorer les résultats de l entreprise, sa capacité d innovation et les conditions d investissement. Dans tous les cas, les accords dérogatoires ne peuvent être conclus que si les emplois sont sauvegardés ou crées. Il s agit en effet d une position dominante partagée dans le mouvement syndical européen que les concessions sont compensées par une contrepartie clairement définie, telle que des investissements, la protection de l emploi ou la création de nouveaux postes de travail. L Accord Pforzheim, s appliquant au secteur de la métallurgie allemand, contient un certain nombre de dispositions supplémentaires, et stipule par exemple que les mesures dérogatoires devraient être examinées et négociées par les parties à la négociation, tant au niveau du secteur que de l entreprise ; que les entreprises devraient mettre à disposition des informations exhaustives ; que ce sont les parties à la négociation au niveau du secteur, plutôt que la direction locale et les comités d entreprise, qui devraient être chargées de la conclusion des accords dérogatoires. Le Comité d entreprise et la direction des sociétés qui en font la demande sont, cependant, toujours directement impliqués dans le processus de négociation.

D autres contreparties peuvent inclure le droit à des formations ou des droits de participation supplémentaires. L expérience des syndicats allemands montre l importance d une condition additionnelle : les entreprises doivent être obligées de prouver qu elles ont besoin de dérogations. Ceci implique également qu elles doivent fournir des informations détaillées concernant leur situation économique. La partie qui représente les salariés devrait aussi avoir la possibilité de développer des propositions autonomes, et le droit de recourir à des experts externes proches du monde syndical devrait être garanti, afin de permettre une consultation significative et le soutien du processus de négociation collective au niveau de l entreprise. Un autre aspect important concerne le caractère temporaire des dérogations. Les accords d entreprise devraient donc clairement fixer le début et la fin de la durée de ces dérogations. Un retour aux normes de la négociation collective, après l expiration de la période d application des dérogations, devrait être garanti. Pour ce qui est de la mise en œuvre, certaines études de cas montrent que, d une part, les concessions de la part des travailleurs ont tendance à avoir un effet immédiat, tandis que, d autre part, la contrepartie convenue semble être moins sûre, aléatoire. Ces défaillances montrent qu il est nécessaire de rendre ces contreparties exécutoires. Il devrait donc être nécessaire d inclure, dans les accords, des sanctions en cas de non-respect de la contrepartie par l entreprise. En outre, il devrait être garanti que l accord dérogatoire couvre la totalité du personnel, et pas seulement une partie. Ceci signifie que les salariés ayant les qualifications les plus élevées devraient contribuer aux concessions convenues dans l accord dérogatoire 5. Enfin, il est nécessaire d examiner l impact des accords dérogatoires sur la concurrence au niveau de la branche et de la région. Le risque existe, en effet, que la demande d une des entreprises de négocier des dérogations ne pousse ses concurrents à faire des demandes similaires, ce qui causerait une dégradation de la négociation collective au niveau régional. Par conséquent, les demandes individuelles doivent être attentivement examinées, et il est important d appliquer des critères clairement définis afin d éviter des réactions en chaine. Aspects procéduraux et règles de coordination Afin d augmenter le contrôle sur les accords dérogatoires, les syndicats doivent développer une stratégie qui garantisse une coordination efficace entre les différents niveaux de négociation collective ainsi qu entre les différents acteurs impliqués dans le processus de négociation. Dans le cadre de l application de l accord Pforzheim, par exemple, une nouvelle approche pour contrôler les dérogations a été développée. Selon le syndicat des travailleurs de la métallurgie, un contrôle efficace exige des normes procédurales internes adéquates depuis le tout début. En conséquence, des lignes directrices de coordination ont été élaborées afin de spécifier les modalités procédurales concernant les obligations d informer et les compétences en matière de prise de 5 Voir page 4, référence à l accord Sanofi, et à sa «clause de discrimination positive».

décision, liées à la négociation des accords dérogatoires. Ces lignes directrices prévoient, entre autres, que les demandes de négociation d accords dérogatoires soient soumises au siège régional du syndicat et soient tranchées par des responsables à ce niveau-là, sur la base d informations approfondies concernant l entreprise en question. En outre, les responsables du siège régional peuvent donner aux structures syndicales locales le pouvoir de mener les négociations, devant être soutenues par les comités de négociation collective au niveau de l entreprise, dont le rôle consiste à s assurer que des membres du syndicat participent aux négociations. L issue des négociations doit être communiquée au dirigeant du syndicat au niveau fédéral, qui doit autoriser l accord et en assumer la responsabilité. Ces procédures de négociation clairement définies entrainent une standardisation des processus de négociation et, par conséquent, une transparence accrue en termes de chiffres et de contenus par rapport aux accords signés. La stratégie de coordination a abouti à une amélioration du contrôle des processus de décentralisation et à une qualité accrue des accords. Dans certains cas, ces formes de négociation collective décentralisée ont également déclenché une plus grande participation des salariés. Elles ont offert des opportunités aux syndicats pour prouver leur capacité de mobilisation et apporté une plus grande visibilité à leur valeur ajoutée, encourageant ainsi l adhésion syndicale. Ceci est également dû au fait que la stratégie du syndicat se concentrait sur l organisation de la participation de ces membres, ainsi que sur leur formation continue de ses membres, par le biais de l organisation d assemblées et de la publication de bulletins d informations. En effet, il semble important de garantir l implication des salariés dans toutes les phases, dès le tout début et jusqu à la phase de mise en œuvre. De cette façon, le syndicat a réussi à renforcer sa légitimité et ses niveaux d adhésion. Des stratégies de coordination entre les organisations syndicales et les organes de représentation des intérêts au niveau de l entreprise sont également signalées en Espagne, en Italie et dans les pays nordiques. Les études de cas ont mis en évidence le besoin de coordination entre les différents acteurs et les différents niveaux. Cependant, la coordination entre les syndicats et les structures de représentation des intérêts au niveau de l entreprise ne peut pas se limiter au contexte national ; elle doit être garantie au niveau local, national et européen. Comme le montre l exemple de Bosch (ES), surtout dans le cas d entreprises multinationales (EMN), il est nécessaire de mettre sur pied un processus de coordination transnationale afin d éviter une mise en compétition entre des sites de production situés dans différents pays, qui entraine nécessairement un nivellement par le bas des conditions de travail et salariales. Cette approche supposerait, entre autres, la création d un groupe de coordination au niveau européen, pour garantir la pleine transparence des informations. Elle supposerait également de ne pas signer d accords dérogatoires au niveau national tant qu un échange de vues et une coordination au plan européen n aie pas eu lieu. Parmi les EMN analysées, il n y a pas encore eu de tentative pour mettre en place une stratégie de coordination européenne. Information, consultation et participation Dans le cadre de la recherche, les aspects liés à la participation ont été examinés par rapport à leur capacité à mettre en place et influencer des procédures pour contrôler des déviations aux différents niveaux auxquels les accords et clauses mentionnés ci-dessus peuvent se conclure. En outre, les droits

d information, consultation et participation ont démontré leur utilité en phase de négociation ainsi qu en phase de mise en œuvre des accords dérogatoires. Dans le cas de Bosch (ES) le rôle et l intervention des représentants des salariés ont été soutenus par les droits règlementés par le Droit du travail : le Statut du travailleur définit les droits d information, consultation et participation des représentants des salariés lorsque les entreprises demandent une modification substantielle dans le domaine des conditions de travail, ou une dérogation par rapport à une convention collective. Les droits d information, consultation et participation ont ainsi soutenu les syndicats dans le processus de négociation. Des mécanismes similaires sont également signalés par les autres pays participant au projet. Dans tous les pays, les syndicats sont chargés de la négociation et ils sont, en général, soutenus par les structures de représentation des intérêts de l entreprise, qui fournissent les informations pertinentes. En Suède, par exemple, IF Metall compte sur des antennes locales du syndicat fortes sur les lieux de travail. C est également le cas en Allemagne, où les comités d entreprise ne sont pas autorisés à négocier la rémunération ni d autres conditions de travail qui ont été fixées par convention collective. Ils reçoivent, cependant, des informations approfondies sur la situation de l entreprise dans le cadre de leur participation au comité économique. En outre, les comités d entreprise ont le droit de recourir à des experts externes qui peuvent aussi être des cabinets de consultants proches du monde syndical. Ces droits qui sont établis dans la Loi allemande sur les comités d entreprise se sont révélés extrêmement utiles dans le contexte de la négociation des accords dérogatoires. Dans ces cas, les comités d entreprise soutiennent activement les syndicats dans le processus de négociation, en fournissant les informations détaillées nécessaires. L expertise des cabinets externes peut se révéler particulièrement importante lorsque la partie qui représente les salariés souhaite développer des propositions autonomes, en alternative aux stratégies de la direction. Bien que des droits similaires existent en France, dans le cas de Renault la partie qui représente les salariés n a pas eu la possibilité de commander une contre-expertise. En Italie, dans le cas de la Coopérative de la céramique d Imola, la direction n avait pas respecté les droits des salariés dans le contexte de l application de l accord dérogatoire, car elle avait pris des décisions unilatérales par rapport à la mobilité interne. Au contraire, en France, en Espagne et en Allemagne, les représentants des salariés ont joué un rôle actif dans le contexte des comités conjoints et des observatoires qui étaient chargés de suivre et contrôler le processus de mise en œuvre. Conclusions Les conséquences de la stratégie de décentralisation radicale sont déjà évidentes. Au cours des dix dernières années, et tout particulièrement après la crise, les syndicats dans de nombreux pays européens ont négocié des accords tripartites ou bipartites prévoyant des clauses d ouverture au niveau intersectoriel et sectoriel, ainsi que des accords dérogatoires au niveau de l entreprise, visant à sauvegarder l emploi ou à soutenir la compétitivité par le biais de la réduction des coûts du travail (gel des salaires). Dans la plupart des cas, les hausses de productivité sont le résultat de l allongement et de la flexibilisation du temps de travail. Les systèmes de négociation collective, surtout au niveau sectoriel, vont être systématiquement érodés. La convention collective elle-même, en tant qu instrument pour règlementer collectivement les salaires et d autres conditions de travail, se trouve

de plus en plus en danger. L évolution de la situation, surtout dans les pays du sud de l Europe, montre que la détermination des salaires et des conditions de travail dictée par le marché, va de pair avec le renforcement du pouvoir unilatéral des employeurs. Le risque pourrait être que des employeurs venant d autres parties de l Union européenne demandent à avoir la même liberté. Les clauses d ouverture et les accords dérogatoires peuvent produire des conséquences de dumping négatives si une série de conditions ne sont pas respectées. L une de ces conditions concerne la pleine participation des syndicats, au niveau qui leur revient, dans le processus de négociation, mise en œuvre et suivi des dispositions de ces accords. Étant donné la situation actuelle, il est aussi de plus en plus nécessaire pour les syndicats, tant au niveau national qu européen, de remanier les stratégies de coordination de la négociation collective et de les rendre plus efficaces. Il faut, par conséquent, construire des espaces afin de soutenir la coordination transfrontalière en matière de négociation collective. La méthodologie de la coordination devrait inclure un échange d informations plus structuré et continu, dans le but de développer des stratégies syndicales conjointes. Il pourrait donc être utile d appliquer, dans le cas des EMN, les dix principes de la restructuration transnationale qui ont été mis au point par la Fédération Européenne de la Métallurgie en 2005, avant de négocier les accords dérogatoires nationaux. Au niveau européen, il serait nécessaire, en outre, de suivre avec attention les tendances et d intervenir de façon cohérente et coordonnée pour ce qui est des pratiques dérogatoires et de leur impact. Il est notamment nécessaire d approfondir les connaissances concernant les pratiques et le fonctionnement de ces éléments de négociation collective, afin de gérer comme il se doit la flexibilité qu elles entrainent. Les études de cas analysées ont démontré que les structures de représentation des intérêts au niveau de l entreprise peuvent fournir un grand soutien aux syndicats pour ce qui est de la négociation d accords dérogatoires au niveau de l entreprise. Dans ce contexte, les droits d information, de consultation et de participation existants doivent être défendus, et, dans la mesure du possible, étendus. Les études de cas ont notamment démontré que les représentants des salariés : - dépendent d informations approfondies sur la situation économique de l entreprise ; - ont besoin de processus d information et de consultation en temps utile ; - devraient avoir la possibilité de développer des propositions autonomes alternatives à celles de la direction ; - ont besoin du droit de recourir à des experts externes afin de pouvoir développer des propositions alternatives ; - devaient avoir la possibilité de mettre en place des processus de suivi, afin de contrôler la mise en œuvre des processus dérogatoires ; - doivent se voir offrir les mesures de formation nécessaires afin de garantir leur participation effective aux processus de suivi. Dans le cas des EMN, ces droits doivent être également garantis au niveau européen. Les périodes de crise apportent avec elles le risque d une compression des droits et des conditions de travail, surtout depuis que la négociation collective se concentre de plus en plus sur la restructuration et l anticipation du changement. Les accords dérogatoires et défensifs, et les clauses d ouverture peuvent contribuer au nivellement par le bas. D autre part, ils peuvent aussi représenter des opportunités pour les syndicats, en termes de réorganisation des relations du travail, d introduction de l innovation, de prise en considération des nouveaux besoins de la population active et de la société dans son ensemble, qui peut constituer la racine de nouveaux droits. L angle de vue varie si on adopte le point de vue des négociateurs, dont les efforts tendent à souligner la valeur ajoutée des syndicats,

en termes de solidarité, par exemple. Par le biais du plein contrôle des procédures de négociation, les syndicats ont également pu mener la négociation collective dérogatoire. Ceci signifie également que les droits d information, de consultation et de participation sont d une importance stratégique pour soutenir les syndicats lors des processus de négociation. Par conséquent, toute tentative pour saper les droits existants d information, de consultation et de participation doit être contrée.