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UNIVERSITE DE LA MANOUBA INSTITUT SUPERIEUR DE COMPTABILITE ET D ADMINISTRATION DES ETABLISSEMENTS APPORT INFORMATIONNEL DES NORMES COMPTABLES BANCAIRES TUNISIENNES A L APPRECIATION DES RISQUES BANCAIRES ET LEUR EFFET SUR LA DISCIPLINE DU MARCHE DES GRANDS DEPOSANTS NON ASSURES THESE Pour l obtention du Doctorat en Sciences Comptables ÉLABORÉE PAR : IMENE GUERMAZI GHARBI ET DIRIGÉE PAR : PROFESSEUR HAMADI MATOUSSI 2009/2010 16

SOMMAIRE INTRODUCTION GENERALE.. 6 CHAPITRE 1 : THEORIES DE L INTERMEDIATION...17 DES RISQUES BANCAIRES ET DE LA DISCIPLINE DE MARCHÉ INTRODUCTION......17 SECTION 1 : THEORIES SUR L EXISTENCE DES BANQUES.....18 1.1 Réduction des coûts de transaction et de l asymétrie d information 19 1.2 Gestion des risques 24 SECTION 2 : RISQUES BANCAIRES..25 2.1 Définition des problèmes d agence...25 2.2 Risque de crédit généré par les problèmes d agence de la relation. 26 Banque/Emprunteur 2.3 Risque de liquidité généré par le problème d agence de la relation..28 Banque/Déposant 2.4 Autres risques.......29 SECTION 3 : ROLE DE LA REGLEMENTATION.....33 DANS LA REDUCTION ET LE CONTROLE DES RISQUES BANCAIRES 3.1 Les arguments en faveur de la réglementation bancaire..........33 3.2 Les mécanismes de réglementation bancaire...34 3.3 Théories de la réglementation du capital de la banque.37 3.4 Evolution de la réglementation prudentielle des banques. 43 SECTION 4 : ROLE DE LA DISCIPLINE DE MARCHE...44 DANS LA REDUCTION ET LE CONTROLE DES RISQUES BANCAIRES 4.1 Arguments en faveur de la discipline de marché. 44 4.2Définition et fondements théoriques de la discipline de marché 46 4.3 Phases de la discipline de marché.. 47 4.4Conditions à l implémentation de la discipline de marché. 48 4.5 Structure théorique de la discipline de marché.. 49 1

4.6 Sources de la discipline de marché... 51 4.7 Discipline de marché des grands déposants. 54 SECTION 5 : REGLEMENTATION PRUDENTIELLE.. 58 ET DISCIPLINE DE MARCHE 5.1 La réglementation Bâle I. 59 5.2 La réglementation Bâle II.... 59 5.3 L évaluation des risques bancaires.. 60 5.4 Pilier 3 La discipline de marché......62 CONCLUSION DU CHAPITRE 63 CHAPITRE 2 : INFORMATION COMPTABLE 66 RISQUES BANCAIRES ET DISCIPLINE DE MARCHE INTRODUCTION...66 SECTION 1 : ROLE DE LA REGLEMENTATION COMPTABLE........68 DANS LA RESOLUTION DES PROBLEMES D AGENCE 1.1 Insuffisances de la théorie du marché libre... 69 1.2 Insuffisances de la théorie contractuelle.71 1.3 Théories de la réglementation comptable..72 SECTION 2 : REGLEMENTATION COMPTABLE INTERNATIONALE.. 75 ET EVALUATION DES RISQUES BANCAIRES 2.1 Apports de l IAS 32 et de l IAS 39....75 2.2 Apports principaux de l IFRS 7...........77 SECTION 3 : SYNERGIE ENTRE REGLEMENTATION COMPTABLE...80 INTERNATIONALE ET PILIER 3 DISCIPLINE DE MARCHE 3.1 Divulgations recommandées par le pilier 3 Discipline de marché.. 80 3.2 Convergences et divergences entre les deux réglementations. 81 SECTION 4 : REGLEMENTATION COMPTABLE 82 DISCIPLINE DE MARCHE ET CRISE FINANCIERE DE 2008 SECTION 5 : LITTERATURE EMPIRIQUE SUR L ETUDE... 85 DE L IMPACT DE L ADOPTION DE LA REGLEMENTATION COMPTABLE SUR L INFORMATION COMPTABLE ET LA DISCIPLINE DE MARCHE 5.1 Littérature empirique sur l étude de l impact de l adoption. 85 2

de nouvelles normes comptables sur l information comptable 5.2 Littérature empirique sur l étude de l impact de l adoption. 88 de nouvelles normes comptables pour les utilisateurs de l information comptable 5.3 Information comptable des banques et discipline de marché.92 SECTION 6 : MODELE CONCEPTUEL DE LA THESE. 104 ET DEVELOPPEMENT DES HYPOTHESES 6.1. Modèle conceptuel 104 6.2. Développement des hypothèses 107 CONCLUSION DU CHAPITRE.... 109 CHAPITRE 3 : CONTEXTE DE L ETUDE ET... 113 METHODOLOGIE RETENUE DANS LA VALIDATION EMPIRIQUE INTRODUCTION 113 SECTION 1 : EVALUATION DE LA REGLEMENTATION...114 PRUDENTIELE TUNISIENNE 1.1 Description du système bancaire tunisien...115 1.2 Apports des lois et circulaires.. 115 1.3 Principaux résultats de la mission du FMI en 2006. 119 1.4 Principaux résultats de la mission du FMI en 2007.... 120 1.5 Principaux résultats de la mission du FMI en 2008.....122 et de la mission du FMI en 2009 1.6 Evaluation par Fitch rating.. 122 1.7 Intérêts de la discipline de marché en Tunisie. 123 SECTION 2 : APPORT DES NORMES COMPTABLES TUNISIENNES... 124 DANS L APPRECIATION DES RISQUES BANCAIRES 2.1 Règles relatives au contrôle interne...125 2.2 Règles relatives à l'organisation comptable.... 126 2.3 Règles relatives à l appréciation du risque de crédit..127 2.4 Règles relatives à l appréciation du risque de change 133 2.5 Règles relatives à l appréciation du risque boursier... 137 2.6 Règles relatives à l appréciation du risque de liquidité.. 137 2.7 Règles relatives à l appréciation de la rentabilité de la banque.. 140 3

SECTION 3 : POSITIONNEMENT DES NORMES COMPTABLES...146 TUNISIENNES PAR RAPPORTAUX NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES 3.1 Positionnement des NCT par rapport à l IAS 32 et l IAS 39..... 146 3.2 Positionnement des NCT par rapport à l IFRS 7.... 147 SECTION 4 : DEVELOPPEMENT DU CADRE OPERATOIRE 149 4.1. Rappel des hypothèses...149 4.2. Opérationnalisation des variables de l étude. 149 SECTION 5 : STRATEGIE DE VERIFICATION...154 5.1. Test des hypothèses....... 154 5.2. Données de l étude....155 5.3 Variables de l étude 158 5.4. Modèles et outils statistiques....182 SECTION 6 : RESULTATS ATTENDUS.....189 CONCLUSION DU CHAPITRE 193 CHAPITRE 4 : RESULTATS DE LA........197 VALIDATION EMPIRIQUE INTRODUCTION.... 197 SECTION 1 : CHANGEMENTS APPORTES A L APPRECIATION.....199 DES RISQUES BANCAIRES 1.1 Changements apportés aux variables Camel.... 199 1.2 Changements apportés par les normes comptables aux rubriques du bilan...205 1.3 perception des déposants de la pertinence des changements.. 213 apportés par les normes comptables à l appréciation des risques bancaires SECTION 2 : EFFET DE L AMELIORATION DE L APPRECIATION...239 DES RISQUES BANCAIRES SUR LA DISCIPLINE DE MARCHE 2.1 Effet de la réforme comptable sur la décision de dépôt..239 2.2 Contrôle des déposants...... 249 2.3 Réponse des banques au contrôle des déposants.....263 4

CONCLUSION DU CHAPITRE 265 CONCLUSION GENERALE. 268 ANNEXES 280 BIBLIOGRAPHIE... 313 TABLE DES MATIERES... 331 5

INTRODUCTION GENERALE Les banques et les autres intermédiaires financiers jouent un rôle central dans le système économique, en orientant les capitaux disponibles vers les emplois les plus productifs. Schématiquement, la banque commerciale utilise les dépôts collectés pour octroyer des crédits. Il en ressort que la banque joue le rôle d intermédiaire entre déposants et emprunteurs. Ce rôle trouve sa raison d être dans la théorie d intermédiation financière. La Théorie d intermédiation financière confère à la banque le rôle d intermédiaire réduisant l asymétrie d information sur les marchés imparfaits et incomplets entre déposants et emprunteurs. La banque a ainsi pour fonctions principales l offre de liquidité aux déposants et la délégation par les déposants du contrôle des projets financés pour le compte des emprunteurs. Ces deux fonctions entraînent deux problèmes d agence. Le premier problème généré par la relation entre banque et emprunteur est matérialisé par l asymétrie d information sur la qualité des emprunteurs et leurs incitations à rembourser les fonds des déposants. Le deuxième problème existant entre les déposants et la banque est matérialisé par l asymétrie d information sur le remboursement des fonds des déposants et le comportement de prise de risque de la banque. Une mauvaise perception de ce comportement peut entraîner une ruée bancaire suite à la précipitation des déposants pour des retraits simultanés des dépôts. Ces deux problèmes sont responsables des principaux risques bancaires, à savoir le risque de crédit et le risque de liquidité. La littérature sur la réglementation prudentielle a avancé plusieurs solutions pour prévenir, ou du moins limiter, les risques bancaires. L assurance crédible des dépôts et les prêts en dernier ressort octroyés par la banque centrale représentent les premiers moyens efficaces pour prévenir les courses à la liquidité. Néanmoins, ces interventions sont susceptibles de créer à leur tour de nouveaux problèmes. En particulier, l assurance-dépôts peut s analyser comme une option de vente qui incite la banque à accroître le risque de l actif et son levier financier. Aussi, en présence d un prêteur de dernier ressort, la banque se permet d augmenter son risque en vue de réaliser des gains supérieurs. Ce comportement d aléa moral a nécessité l établissement de normes prudentielles telles que l imposition des réserves de liquidité et d un ratio minimum de capital, la restriction de certaines activités risquées, l établissement de normes de crédits, la surveillance sur place et sur pièces, etc. 6

Toutefois, les crises bancaires et financières survenues depuis la fin des années soixante-dix ont remis en doute la pertinence des principes fondant la réglementation prudentielle. Les prises de risques excessives, à la fois conscientes et légales, de la part des banques surprotégées par les filets de sécurité officiels ainsi que les politiques indulgentes envers les banques en difficulté, se sont traduites par des coûts considérables. Demigüçkunt et Detragiache (2005) 1 ont identifié 64 pays ayant connu des épisodes de crises bancaires. Ainsi, les crises bancaires ont touché l Amérique latine, l Asie et même les pays développés notamment la Finlande (1991-1994), l Italie (1990-1995), les Etats Unis (1980-1992) et la Suède (1990-1993). Plus récemment, en 2008, les pays européens et les pays du Golf ont été contaminés par la crise bancaire des Etats-Unis. Face aux coûts fiscaux considérables des crises bancaires, les régulateurs à travers le monde ont alors pensé à déléguer une partie de leur contrôle aux acteurs de marché. Contrairement aux régulateurs, ces acteurs sont exempts de contraintes politiques et de la rigidité des procédures d intervention qui ralentissent le déclenchement d actions correctrices. Ils poursuivent leurs propres intérêts, non politisés, et imposent des sanctions avant que la situation ne se dégrade d une manière irrémédiable. Ces sanctions incitent les banques à réviser leur prise de risque à la baisse et à améliorer leurs conditions financières. Les sanctions imposées par les acteurs de marché et la réaction conséquente des banques constituent la discipline de marché. Selon le comité de Bâle (2005) 2, il n est possible d assurer la sécurité et la santé du système financier que par la combinaison d une gestion effective au niveau de la banque, de la discipline de marché et de la supervision. Ainsi, le nouveau ratio de capital ou ratio Bâle II repose sur trois piliers : exigence des fonds propres, surveillance prudentielle et discipline de marché. Concernant la Tunisie, selon les travaux de Demigüç-kunt et Detragiache (2005) basés sur des statistiques de la banque mondiale, ce pays a connu une crise bancaire de 1991 à 1995. Aussi, d après les travaux de deux équipes du FMI et de la banque mondiale envoyées en Tunisie et publiant leurs rapports en 2006, 2007, 2008 et 2009, la récession du secteur de tourisme en 2002 a entravé la croissance économique importante de la Tunisie. 1 Demigüç-kunt et Detragiache «Cross-Country Empirical Studies of Systemic Bank Distress: A Survey», papier de recherche, IMF, 2005 2 The New Basel Capital Accord : Bank for international settlements, Janvier 2005. 7

En effet, cette récession a affecté négativement la qualité des actifs du système bancaire et a fait augmenter les créances non performantes. Aussi, la confiance des banques en l indulgence de la banque centrale et leur protection par des filets de sécurité a donné lieu à l aléa moral. La mission a félicité l objectif de provisionnement à 70% des créances douteuses et l atteinte en 2008 du taux de 58,6%. Toutefois, pour atteindre cet objectif, il serait impératif de limiter les créances douteuses pour diminuer le coût de provisionnement. Autrement, il serait nécessaire surtout pour les banques publiques de procéder à des injections coûteuses de capital. Ikbel Bedoui 3, directeur général de Fitch North Africa, explique que dans un scénario catastrophe (où toutes les créances classées des banques s avéreraient irrécouvrables et où toutes les garanties en leur possession seraient inopérantes comme il en a été le cas récent des banques américaines), le montant des provisions complémentaires à constituer par le système bancaire tunisien pour couvrir totalement le risque de ses crédits non performants s élèverait à environ 10% du PIB de la Tunisie. Il ajoute également que c est souvent à l occasion d événements majeurs (privatisation, fusions ) qu apparaissent brutalement des problèmes (insuffisance de provision, mauvaise évaluation de la qualité des actifs ). Une solution moins coûteuse serait de diminuer l aléa moral associé aux filets de sécurité officiels, en renforçant la discipline de marché. Bedoui affirme de son côté que la solidité du système bancaire ne peut pas reposer indéfiniment sur le soutien de l Etat. Il propose de renforcer la discipline de marché qui amène à favoriser les banques pratiquant une gestion saine et rigoureuse de leurs risques et pénaliser celles où cette gestion est inadéquate. Ainsi les banques sont incitées à s améliorer pour satisfaire les acteurs du marché. Cette participation volontaire des banques à l augmentation de l efficience du système bancaire aurait pour résultat bénéfique d accélérer l atteinte des objectifs de réduction des créances douteuses et d augmentation du pourcentage de provisionnement. L amélioration de l efficience des banques renforcerait leur solidité et leur capacité à faire face aux aléas économiques nationaux et internationaux. Ceci donnera lieu à une réglementation mixte par la surveillance prudentielle et par les acteurs du marché. 3 L économiste maghrébin n 406 du 7.12 au 21.12.2005 8

Par ailleurs, la promotion de la discipline de marché, troisième pilier du ratio prudentiel Bâle II aura pour mérite d augmenter l adéquation de la réglementation tunisienne aux normes prudentielles internationales. Sur le plan théorique, la discipline de marché signifie que les marchés fournissent aux emprunteurs des signaux qui les conduisent à se comporter en fonction de leur solvabilité (Lane 1993) 4. M.De Ceuster et N.Masschelein (2003) 5 ont développé cette définition de la discipline de marché. Il s agit d «un mécanisme de réglementation qui délègue le contrôle et la discipline non seulement aux régulateurs nationaux et internationaux mais aussi aux participants au marché dont la richesse est affectée par la conduite de la banque. Par conséquent, les mesures de discipline prises par les participants au marché créent des incitations fortes au management de la banque de gérer la banque de manière saine et prudente.» Il existe plusieurs acteurs de marché. Llewellyn (2005) 6 a développé le concept de contrôleurs détenteurs de parts. Ces derniers ont des parts relatives au succès ou à la faillite de la banque. Tous les détenteurs de parts dans la banque peuvent exercer leur contrôle. Le comité de Bâle n a pas désigné d acteurs privilégiés. Dans la littérature sur la discipline de marché, les acteurs les plus cités sont les actionnaires, les créanciers subordonnés et les grands déposants non assurés. La sanction imposée par les actionnaires consiste à vendre les actions de la banque sur le marché secondaire, ce qui entraîne la baisse du cours boursier. Toutefois, dans le cas particulier des banques, la responsabilité limitée des actionnaires, ainsi que l existence d assurance des dépôts explicite ou implicite peut les inciter à privilégier des stratégies extrêmement risquées. Aussi, l effet de l option associée à l assurance des dépôts peut entraîner une augmentation des prix des actions suite à une prise de risque excessive. Contrairement aux actionnaires, les créanciers subordonnés ne bénéficient pas de gains plus importants associés à des prises de risque excessif. En cas de prise de risque excessif par la banque, les créanciers subordonnés peuvent rationner les fonds prêtables et 4 Lane, T. (1993) `Market discipline', IMF Staff Papers, March, p. 55. 5 De Ceuster, Marc J.K. et Nancy Masschelein (2003) : Regulating Banks Through Market Discipline: A Survey of the Issues, Journal of Economic Surveys, vol. 17, no. 5, décembre ; 6 D.Llewellyn, Inside the black box of market discipline, Economic affairs, mars 2005 9

refuser de financer des activités bancaires aventureuses. Ils peuvent aussi exiger un coût d émission élevé ou insérer des clauses restrictives dans le contrat d emprunt obligataire. Toutefois, la discipline exercée par ces acteurs nécessite d obliger les banques à émettre des dettes subordonnées. Or cette obligation peut être perçue par les banques comme taxe sur la structure de capital. Aussi, il existe d autres facteurs susceptibles d influencer le coût d émission de ces dettes, notamment la liquidité du marché, la disponibilité d autres investissements, et l échéance de la dette. Selon Garten (1986) 7, les déposants et plus spécifiquement les grands déposants non assurés apparaissent particulièrement bien positionnés pour imposer la discipline de marché aux gestionnaires de la banque. Leur réaction consiste à retirer leurs fonds ou exiger un taux de rémunération supérieur. Par rapport aux autres acteurs, l importance de l action des grands déposants non assurés est le fait que les dépôts constituent une source continue de financement, ce qui suggère que la discipline de marché peut être constamment imposée. Aussi, la contrainte premier arrivé, premier servi, constitue une menace d entraîner une ruée de retraits de fonds de la banque risquée. Par ailleurs, contrairement aux actionnaires, les déposants sont averses au risque car ils ne bénéficient pas de gains supplémentaires pour une prise de risque supérieur. Par rapport aux créanciers subordonnés, la discipline des déposants n impose pas à la banque le coût d émission de dettes subordonnées. Pour le cas de la Tunisie, les banques tunisiennes n émettent pas de dettes subordonnées. Les grands déposants non assurés apparaissent de meilleurs acteurs que les actionnaires car ils ne bénéficient pas de gains supplémentaires entraînés par des risques supplémentaires. Par ailleurs, leur réaction matérialisée par le retrait de dépôts constitue une menace sérieuse de la pénurie de l outil de travail de la banque. Nous allons donc nous intéresser dans cette thèse aux grands déposants tunisiens non assurés en tant qu acteurs de la discipline de marché. Hamalainen, Hall et Howcroft (2005) 8 ont établi la structure théorique de la discipline de marché constituée par deux phases (phase de reconnaissance et phase de contrôle) et quatre conditions. La phase de reconnaissance se compose de la 7 Garten, H.A. (1986), Banking on the Market: Relying on Depositors to Control Bank Risks, The Yale Journal of Regulation, Vol.4, Pages 129 72. 8 P.Hamalainen, M.Hall et B.Howcroft, «A framework for market discipline in bank regulatory design», Journal of business finance and accounting, volume 32, janvier-mars 2005. 10

reconnaissance des acteurs de marché qu ils font face à un risque et de la reconnaissance du changement de risque de la banque. La phase de contrôle est constituée par la réaction des participants au marché conséquente à la prise de risque par la banque et la réaction de la banque suite à ces mesures disciplinaires. Lane (1993) a identifié quatre conditions nécessaires à l implémentation effective de la discipline de marché : l efficience des marchés, la disponibilité d une information pertinente et fiable sur la structure des actifs de la banque pour agir efficacement et à temps, l inexistence de sauvetage de la banque garanti par le gouvernement et la réponse de la banque aux signaux du marché. La condition relative à la disponibilité d une information pertinente et fiable sur la structure des actifs de la banque implique que les déposants doivent disposer d une information utile leur permettant d apprécier les risques bancaires. Cette condition vise à remédier aux entraves à la bonne allocation des ressources : la sélection adverse et l aléa moral. La littérature a fourni plusieurs solutions à ces entraves dont notamment les contrats optimaux soutenus par la théorie contractuelle, la divulgation volontaire appuyée par la théorie du marché libre et la réglementation défendue par les théories de la normalisation. Les insuffisances de la théorie du marché libre et de la théorie contractuelle ont engendré la prédominance de la réglementation. Les théories traitant de la normalisation sont la théorie de l intérêt public, la théorie de la capture de la réglementation et la théorie des groupes d intérêt. D après Scott (2003) 9, la raison théorique principale en faveur de la normalisation est le problème d unanimité. Dans une économie où il y a des imperfections du marché, les décisions de production d information par les managers ne sont pas nécessairement en conformité avec les besoins particuliers et différents des investisseurs. Ces derniers peuvent alors réagir en sollicitant une autorité compétente d établir des normes pour la production d information. Cet argument est issu de la théorie de l intérêt public qui suggère que la normalisation soit le résultat d une demande publique pour la correction des défaillances du marché. Le normalisateur est supposé prendre parti pour les meilleurs intérêts de la société. La normalisation est un acte d équilibre entre les coûts sociaux de normalisation et ses bénéfices sociaux. 9 W.R.Scott, "Financial accounting theory", Prentice-Hall, 3ème edition, 2003 11

Des opposants à cette théorie affirment que le régulateur agit dans l intérêt privé de l entreprise leader du secteur réglementé plutôt que dans l intérêt public. Cet argument constitue le fondement de la théorie de la capture de la réglementation selon laquelle les régulateurs sont contrôlés par les entreprises réglementées. L argument de la capture du régulateur par un groupe leader du secteur est remplacé dans la théorie des groupes d intérêts par le lobby exercé sur le normalisateur par les différents groupes d intérêt quant aux quantités et types de normalisation. Le normalisateur tend à équilibrer les demandes de normalisation des différents groupes. La normalisation est considérée comme une commodité pour laquelle il y a une offre et une demande. La commodité sera allouée aux groupes qui sont les plus efficaces politiquement pour convaincre le normalisateur de leur accorder des faveurs dans la normalisation. La détermination rigoureuse du montant optimal de normalisation est une question complexe de choix social. Jusqu à présent, on ne sait pas laquelle des deux solutions au problème de détermination d une information pertinente et fiable est la meilleure. Par ailleurs, la question de savoir si les bénéfices de la réglementation excèdent les coûts n a pas de réponse connue. Comme on voit un développement des normes comptables, il peut sembler que la société ait résolu la question de l étendue de la normalisation. Pour favoriser la condition de disponibilité d information pertinente et fiable sur les risques bancaires, nécessaire pour l exercice de la discipline de marché, la réglementation comptable internationale assurée par l organisme de normalisation comptable internationale l IASB, a collaboré avec le comité de Bâle pour la définition de l information comptable publiée par les banque. En Tunisie, le développement des normes comptables en vue d améliorer l appréciation de la santé financière des entreprises en général et des banques en particulier a conduit à l élaboration d un ensemble de normes comptables générales à toutes les entreprises et des normes comptables spécifiques aux banques inspirées des normes internationales de l IASB. Dans la présente thèse, nous considérons l apport informationnel des normes comptables bancaires aux grands déposants dans leur appréciation des risques bancaires et leur prise de décision de discipline des banques. Nous nous demandons si les normes comptables bancaires ont apporté des améliorations à l information comptable des banques pour les grands déposants non assurés et ont par conséquent favorisé la condition de 12

disponibilité d information pertinente et fiable sur les risques bancaires, nécessaire pour l exercice de la discipline de marché. Les grands déposants non assurés ont besoin d une information comptable utile sur les risques bancaires pour prendre des décisions et contrôler leurs banques. Park et Peristiani (1998) 10 ont montré que les grands déposants américains non assurés utilisent l information comptable pour apprécier les risques bancaires et discipliner leurs banques. Barjas et Steiner (2000) 11 ont prouvé que les grands déposants colombiens utilisent l information comptable des banques pour apprécier les risques bancaires et discipliner leurs banques. Péria et Schmukler (2001) 12 ont trouvé que les déposants du Mexique, du Chili et de l Argentine contrôlent leurs banques par le retrait de leurs dépôts et par l exigence de taux d intérêts élevés via l appréciation de l information comptable sur les risques bancaires. Birchler et Maechler (2002) 13 ont montré que les déposants suisses sont sensibles aux variables comptables dans leur contrôle des banques. A.El-Shazly (2001) 14 n a pas réussi à montrer l existence de discipline de marché exercée par les déposants égyptiens. Maechler et McDill (2006) 15 ont montré que les grands déposants américains non assurés se basent sur l information comptable pour discipliner leurs banques. Demirgüç-Kunt et Huizinga (2004) 16 ont régressé la variation des dépôts et le taux d intérêt sur les dépôts sur les variables comptables des banques de 92 pays dont la Tunisie. Ils ont trouvé que la discipline des déposants est réduite en présence d un système d assurance dépôt. Toutefois, très peu d études ont examiné l effet de réforme comptable sur l utilité de l information comptable sur les risques bancaires à la prise de décision de discipline de marché. En Tunisie, une réforme comptable en 1999 a donné lieu à des normes comptables bancaires visant à améliorer l appréciation des risques bancaires à partir de l information 10 S.Park et S.Peristiani, "Market discipline by thrift depositors", Journal of Money, Credit and Banking, vol30, n 3, 1998, 11 A.Barjas et R.Steiner,"Depositor behavior and market discipline in Columbia", papier de recherche, IMF 2000. 12 M.S.Peria et S.L.Schmukler, "Do dpositors punish banks for bad behavior? Market discipline, Deposit insurance, and Banking crises", The journal of finance, volume 56, n 3, 2001 13 U.W.Birchler et A.M.Maechler, "Do depositors discipline swiss banks?", papier de recherche, Novembre 2001 14 A. El-Shazly, "Incentive-based regulations and bank restructuring in Egypt", Annual conference of the Middle East Economic Association, 2001. 15 A.M.Maechler et K.M.McDill, Dynamic depositor discipline in U.S. Banks, Journal of Banking & Finance, volume 30, 2006. 16 A.Demirgüç-Kunt et H.Huizinga, «Market discipline and deposit insurance», Journal of Monetary Economics, volume 51, 2004. 13

comptable publiée par les banques tunisiennes. Cependant, très peu d études ont examiné l effet de cette réforme sur l utilité de l information comptable à l appréciation des risques bancaires et la discipline de marché des grands déposants tunisiens non assurés. Cette recherche pourrait contribuer à l évaluation de l apport conceptuel et de l apport réel des nouvelles normes comptables bancaires par rapport à la pratique bancaire antérieure. Les résultats de la recherche constitueraient une base pour le développement des normes comptables bancaires. L évaluation de l apport des normes se fait via l examen de leur impact sur l information comptable et sur son utilisation par les déposants dans l appréciation des risques bancaires et l exercice de la discipline de marché. L étude de la discipline de marché est en elle-même intéressante car comme l affirme Péria et Schmukler (2001) elle peut améliorer l efficience des banques en exerçant des pressions sur les banques relativement inefficientes pour devenir plus efficientes ou quitter l industrie. Ainsi, le système financier tunisien sera renforcé pour absorber les chocs potentiels pouvant affecter la Tunisie au fur et à mesure qu elle s intègre à l économie mondiale. Par ailleurs, la discipline de marché constitue l un des trois piliers du nouveau ratio prudentiel Bâle II. L examen de la discipline de marché pourrait ainsi aider à promouvoir ce moyen de renforcement du secteur bancaire et à améliorer l adéquation de la réglementation prudentielle tunisienne avec la nouvelle réglementation prudentielle internationale. En effet, à travers un comité stratégique créé, la banque centrale tunisienne se prépare à l adoption de ce ratio en 2010. Ce comité se compose de comités techniques relatifs aux trois piliers prudentiels dont notamment le comité relatif au pilier 3 «Discipline du marché» et dont l objectif est de développer la discipline du marché. Aussi, nous constatons actuellement la synergie des travaux de l IASB et du Comité de Bâle dans le cadre de la définition des informations à divulguer par les banques. Cette collaboration a donné lieu à la norme IFRS 7 qui recommande de publier des informations directement reliées à l appréciation des risques bancaires. Cette appréciation des risques est le moyen de contrôle des déposants. L objectif de cette étude consiste à mettre en évidence l apport informationnel des normes comptables bancaires tunisiennes à l appréciation des risques bancaires et par 14

conséquent leur effet sur la prise de décision des déposants en matière de discipline de marché. La validation empirique de cet objectif nécessite l opérationnalisation des phénomènes qu il contient. Le développement des hypothèses permet de vérifier les relations théoriques entre ces phénomènes par le biais de stratégies de vérification. La relation entre les phénomènes «adoption des normes comptables» et «apport informationnel des normes comptables» est mise en évidence par l étude de l importance des changements apportés par la réforme comptable sur l information comptable sur les risques bancaires et par l analyse de la perception des déposants de la pertinence de ces changements à leur appréciation des risques bancaires. L importance des changements apportés à l information comptable sur les risques bancaires est établie par la comparaison de l information comptable préparée avant la normalisation comptable et la même information préparée en référence aux nouvelles normes comptables. L analyse de la perception des déposants de la pertinence de ces changements à leur appréciation des risques bancaires est effectuée à travers un questionnaire adressé aux principaux grands déposants tunisiens. La relation entre les phénomènes «apport informationnel des normes comptables» et «Prise de décision des déposants dans le cadre de la discipline de marché» est mise en évidence par la vérification de la relation entre la variation des dépôts de la banque et les variables comptables mesurant les risques bancaires. L effet de la réforme comptable sur la discipline de marché est mis en évidence par l étude de cette relation pour une période précédant la réforme puis pour une période suivant la réforme. Cette approche est établie par le biais de la régression de la variation des dépôts sur les variables comptables appréciant les risques bancaires. Notre thèse est organisée en quatre chapitres. Les fondements théoriques mettant en évidence le rôle de la discipline de marché dans le renforcement des efforts de la réglementation prudentielle pour la réduction et le contrôle des risques bancaires sont présentés dans le premier chapitre. Le deuxième chapitre traite des arguments théoriques démontrant le rôle de la réglementation comptable et plus spécifiquement celui de la réglementation comptable internationale dans la disponibilité d information comptable pertinente et fiable sur les risques bancaires, nécessaire à l exercice de la discipline de marché. Ce chapitre revoit aussi la littérature empirique sur l impact de la normalisation 15

comptable sur l information comptable et sur la prise de décision des utilisateurs ainsi que la littérature empirique sur l utilisation de l information comptable par les grands déposants non assurés en matière de discipline de marché. Les apports de la réglementation prudentielle tunisienne et de la réglementation comptable tunisienne ainsi que l intérêt de la discipline de marché pour le système bancaire tunisien sont dégagés dans le troisième chapitre. Ce chapitre traite aussi de l opérationnalisation des phénomènes d étude, du développement des hypothèses et de leurs stratégies de vérification. Les résultats de la validation empirique de ces hypothèses sont présentés dans le chapitre 4. 16

CHAPITRE 1 : THEORIES DE L INTERMEDIATION, DES RISQUES BANCAIRES ET DE LA DISCIPLINE DE MARCHE INTRODUCTION La banque joue le rôle d intermédiaire entre déposants et emprunteurs. Ce rôle trouve sa raison d être dans la théorie d intermédiation financière. Les chercheurs de cette théorie ont mis en évidence deux paradigmes dominants justifiant l existence des banques. Le premier paradigme relatif à l actif de la banque, cherche à résoudre les problèmes d asymétrie et d aléa moral liés à l aptitude des banques à faire face aux besoins potentiels inopinés de liquidité de leurs déposants. Le deuxième paradigme, relatif au passif de la banque vise à montrer la capacité des banques à résoudre les problèmes d asymétrie d information entre les prêteurs et les emprunteurs par leur fonction de délégué au contrôle de leurs débiteurs. Ces deux paradigmes reflètent les deux fonctions de la banque : l offre de liquidité aux déposants et la délégation par les déposants du contrôle des projets financés pour le compte des emprunteurs. Ces deux fonctions entraînent deux problèmes d agence relatifs successivement à la relation entre banque et emprunteurs et celle entre banque et déposants. Le premier problème généré par la relation entre banque et emprunteur est matérialisé par l asymétrie d information sur la qualité des emprunteurs admis par la banque et leurs incitations à rembourser les fonds des déposants. Le deuxième problème concerne l asymétrie d information sur le remboursement des fonds des déposants et le comportement de prise de risque des banques. Ces deux problèmes sont responsables des principaux risques bancaires, à savoir le risque de crédit et le risque de liquidité. La littérature sur la réglementation prudentielle a avancé plusieurs solutions pour prévenir, ou du moins limiter, les risques bancaires. Les mécanismes proposés sont l assurance crédible des dépôts, les prêts en dernier ressort octroyés par la banque centrale, l imposition des réserves de liquidité et d un ratio minimum de capital, la restriction de certaines activités risquées, l établissement de normes de crédits, la surveillance sur place et sur pièces, etc. Les crises bancaires et financières survenues depuis la fin des années soixante-dix ont remis en doute l efficacité de la réglementation prudentielle. Les régulateurs à travers le monde, ont alors pensé à déléguer une partie de leur contrôle aux acteurs de marché. 17

Contrairement aux régulateurs, ces acteurs poursuivent leurs propres intérêts, non politisés, et imposent des sanctions avant que la situation ne se dégrade d une manière irrémédiable. Ces sanctions incitent les banques à réviser leur prise de risque à la baisse et à améliorer leurs conditions financières. Les sanctions imposées par les acteurs de marché et la réaction conséquente des banques constituent la discipline de marché. La réglementation prudentielle a manifesté sa reconnaissance de l importance de la discipline de marché dans le contrôle des risques bancaires par l intégration de ce mécanisme en tant que troisième pilier de la réglementation Bâle II. La théorie d intermédiation justifiant l existence des banques fait l objet de la première section. Les risques bancaires induits par ce rôle d intermédiation sont traités dans la deuxième section. L efficacité et les insuffisances de la réglementation prudentielle dans la réduction et le contrôle de ces risques sont étudiées dans la troisième section. La quatrième section met en évidence le rôle de la discipline de marché dans la réduction et le contrôle des risques bancaires alors que la cinquième section traite de l intégration de la discipline de marché dans la réglementation prudentielle internationale. SECTION 1. THEORIES SUR L EXISTENCE DES BANQUES La banque commerciale utilise les dépôts collectés pour octroyer des crédits. Il en ressort que la banque joue le rôle d intermédiaire entre déposants et emprunteurs. Ce rôle trouve sa raison d être dans la théorie d intermédiation financière. La théorie d intermédiation financière confère à la banque le rôle d intermédiaire entre déposants et emprunteurs réduisant l asymétrie d information sur les marchés imparfaits et incomplets en plus de la réduction des coûts de transaction. Cette théorie présente deux paradigmes des fonctions principales de la banque à savoir l offre de liquidité aux déposants et la protection des fonds des déposants qui lui délèguent le contrôle des projets financés pour le compte des emprunteurs. Récemment, un rôle nouveau a été attribué à la banque, celui de délégué à la gestion de risques. 18

1.1 Réduction des coûts de transaction et de l asymétrie d information Dans le monde de Arrow-Debreu (1954) 17, les marchés sont complets, il n y a pas d asymétrie d information et il n y a pas de frictions. Dans ce monde, il n y a pas de place pour l intermédiaire financier, car les investisseurs et les emprunteurs peuvent réaliser une allocation de leurs ressources à un risque efficient. Ce modèle a été le point de départ des premières théories de l intermédiation financière qui se sont écartées de ce modèle idéal suite à l introduction de différents types d imperfections caractérisant le monde financier réel. Dans les premières théories d intermédiation financière, notamment celles de Gurley et Shaw (1960) 18, l activité principale de l intermédiaire financier consiste à transformer les titres émis par les entreprises (actions et obligations) en titres demandés par les investisseurs (dépôts). L intermédiaire fournit des services de diversification et de transformation de risque que les emprunteurs ne peuvent obtenir seuls à cause des coûts de transaction. Les intermédiaires financiers réduisent les coûts de transaction en opérant une transformation qualitative des actifs et une gestion efficace des stocks de réserve de trésorerie (Benston et Smith,1976) 19. Cependant, si les coûts de transaction peuvent expliquer l intermédiation, leur ampleur ne semble pas suffisante pour en être la seule cause. Leland et Pyle (1977) 20 ont été les premiers à identifier la cause d asymétrie d information ex-ante portant sur la qualité des projets. Ils ont prouvé que le financement externe des entreprises est soumis à la contrainte du problème de sélection adverse dû à l asymétrie d information sur la qualité des projets. Ce problème peut être surmonté si les bons emprunteurs décident de signaler leur qualité en prenant eux-mêmes des participations dans l entreprise. Néanmoins, si ces derniers sont averses au risque, cette solution sera trop coûteuse. En se spécialisant dans l évaluation des signaux, l intermédiaire financier peut diminuer le coût de ce mécanisme de révélation. Leur recherche a relancé les théories modernes d intermédiation. Dans les théories modernes d intermédiation, l intermédiaire financier assume deux fonctions : fournir la liquidité aux déposants et assurer le contrôle des emprunteurs. Les 17 Arrow, Kenneth J. et Gerard Debreu Existence of an Equilibrium for a Competitive Economy, Econometrica, vol. 22, no. 3, juillet 1954. 18 Gurley, J.G., Shaw, E.S.,. Money in a Theory of Finance. Brookings Institution, Washington, 1960 19 Benston, George J. et Clifford W. Smith, Jr. : A Transactions Cost Approach to the Theory of Financial Intermediation, Journal of Finance, vol. XXXI, no. 2, Pages 215-231, mai(1976) 20 Leland, Hayne E. et David H. Pyle : Informational Asymmetries, Financial Structure, and Financial Intermediation, Journal of Finance, vol. 17, no. 2, septembre ; (1977) 19