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Que désirent les habitants des villes et que peut-on leur offrir? Étude en prospective urbaine dans le cadre d une démarche de planification participative Claire Poitras et Sandra Breux

Que désirent les habitants des villes et que peut-on leur offrir? Étude en prospective urbaine dans le cadre d une démarche de planification participative Claire Poitras et Sandra Breux Rapport présenté à la Ville de Montréal Service de la mise en valeur du territoire Janvier 2013

Responsabilité scientifique : Claire Poitras claire.poitras@ucs.inrs.ca Institut national de la recherche scientifique Centre - Urbanisation Culture Société Comité de suivi à la Ville de Montréal : Nicolas Lavoie et Karim Charef Diffusion : Institut national de la recherche scientifique Centre - Urbanisation Culture Société 385, rue Sherbrooke Est Montréal (Québec) H2X 1E3 Téléphone : (514) 499-4000 Télécopieur : (514) 499-4065 www.ucs.inrs.ca Projet de recherche financé par la Ville de Montréal

TABLE DES MATIERES Rappel du mandat et présentation de la démarche... 1 Démarche méthodologique... 4 Quelques constats préliminaires et préceptes... 5 Des tendances sociodémographiques lourdes dans la région de Montréal... 9 Expériences et usages de l espace urbain... 11 Tendance 1 Vers un urbanisme sensible, temporel et flexible?... 11 Des archipels fonctionnels à la ville «réenchantée»... 11 Affirmer l expérience sensible de l espace urbain... 13 La ville flexible... 15 Regard critique: quelle ville pour demain?... 17 Habiter la ville de demain... 18 Tendance 2 Individuation des modes de vie et nouvelles temporalités... 18 Vers des «tiers-lieux» de travail?... 18 Des espaces d habitat écotonaux de transition au co-housing... 20 Regard critique : La rue, reflet de la ville?... 21 Se déplacer dans la ville de demain... 23 Tendance 3 - Les déplacements et la mobilité. La multi-activité en mouvement et le rôle du transport collectif... 23 Un rôle renouvelé pour les nœuds de transport... 23 Le transport actif... 27 Les nouvelles contraintes énergétiques et environnementales... 29 Tendance 4 - Une ville résiliente, saine, éco-efficace et favorable à la biodiversité... 29 Le changement climatique et ses effets. Mieux gérer les eaux de ruissellement... 30 Réinventer la présence de la nature en ville... 31 La demande sociale de nature en ville... 32 Pour conclure... 35 Annexe 1... 36 Liste de mots clés en français et en anglais ayant servi à constituer la bibliographie... 36 iv

RAPPEL DU MANDAT ET PRÉSENTATION DE LA DÉMARCHE Cet exercice de prospective urbaine s inscrit dans le cadre d une réflexion sur le réaménagement du site de l ancien hippodrome se trouvant au cœur de l île de Montréal. L objectif de cette réflexion est d explorer ce qui est souhaitable et possible, tout en tenant compte des aspirations exprimées par les ménages et les usagers de la ville. Soulignons aussi que, pour parvenir à anticiper les évolutions à venir, une démarche de prospective urbaine exige de tenir compte de la multiplicité des acteurs en présence : les instances fournissant les services publics et municipaux (transport, santé, éducation, loisir, etc.), les professionnels de l aménagement, les citoyens/habitants, les représentants des mouvements associatifs, les entreprises qui fournissent des emplois et qui souhaitent une bonne accessibilité et des environnements urbains de qualité, les promoteurs immobiliers qui construisent des logements, les multiples entrepreneurs commerciaux qui fabriquent le tissu marchand de la villes, etc. Le site de l ancien hippodrome est un vaste territoire de 43,5 hectares qui est accessible bien que relativement enclavé et qui se trouve à proximité d importants axes de transport et de zones d emplois. À titre de l un des derniers grands sites vacants de Montréal, il dispose de plusieurs opportunités en termes de réaménagement : en plus d être entouré de zones d emplois de différents secteurs (santé et enseignement, services à la consommation, services à la production), une station de métro et de nombreux commerces s y trouvent à proximité et les sols n ont pas été contaminés par la présence d activités industrielles. Mentionnons aussi que la Ville de Montréal en est actuellement l unique propriétaire, ce qui lui procure une marge de manœuvre importante pour définir les orientations et les objectifs en matière de planification et de développement. Le tableau 1 résumé les opportunités et les défis auxquels les aménagistes et les planificateurs devront répondre pour faire du site de l ancien hippodrome un nouveau milieu de vie pour les ménages. 1

Figure 1 - Vue aérienne du site de l'hippodrome et de son milieu environnant. Source : Ville de Montréal, Projet Hippodrome http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8977,100295844&_dad=portal&_schema=portal Bien que représentant des défis importants en termes de connectivité, d aménagement d infrastructures et de services collectifs, de même que de verdissement urbain, le site de l ancien hippodrome bénéficie de conditions contextuelles favorables à l élaboration d un projet de redéveloppement qui serait à prédominance résidentielle. Qui plus est, les orientations auxquelles le réaménagement du site devra répondre visent à assurer un tissu social diversifié, à concevoir un milieu urbain encourageant les déplacements à pied et le transport collectif et à fournir un environnement sain notamment grâce à une stratégie de verdissement urbain (parcs, arbres de rue, jardins, toits verts, etc.). 2

Tableau 1: Synthèse des opportunités et des défis du site de l'hippodrome et de ses abords Lieu possédant une histoire unique Opportunités Propriété publique permettant de doter le site d une vision d ensemble Site immense inhabité et contenant peu de bâtiments Site offrant une vue sur le mont Royal Terrain situé au centre de l île de Montréal et à proximité des grandes artères, du métro, de l aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau et de la ligne de trains de banlieue Situé à côté d un pôle d emplois industriel et scientifique et à proximité de quelques grands propriétaires, dont le Canadien Pacifique Site offrant une végétation arborescente en bordure du site et une végétation en prairie Défis Site quasi-enclavé par des voies ferrées très fréquentées, une autoroute et un secteur industriel Site bordé par d autres municipalités Bruit et pollution importants causés par les voies ferrées et l autoroute Faible desserte en infrastructures et en services publics et commerciaux Proximité d îlots de chaleur Faible capacité résiduelle du réseau d égout à proximité Source : Ville de Montréal, Mise en valeur du secteur de l hippodrome de Montréal - Document préparatoire au forum d experts - 9, 10 et 11 décembre 2012, Direction de l urbanisme et du développement économique du Service de la mise en valeur du territoire de la Ville de Montréal. http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/hippo_fr/media/documents/document_prep_forum_exper.pdf; Ville de Montréal, Mise en valeur du secteur de l hippodrome de Montréal - Document préparatoire au forum d experts - 9, 10 et 11 décembre 2012, Direction de l urbanisme et du développement économique du Service de la mise en valeur du territoire de la Ville de Montréal. http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/hippo_fr/media/documents/document_prep_forum_exper.pdf Les caractéristiques du quartier à construire Montréal planifie pour les générations futures en visant : un quartier inclusif, offrant tous les services de proximité, conçu pour répondre notamment aux besoins des familles avec enfants; un quartier imprégné d une forte présence de la nature (parcs, jardins communautaires, toits verts, etc.); un quartier qui mise sur le transport actif et collectif Source : Ville de Montréal, 2012, p. 5. 3

Démarche méthodologique Pour alimenter la réflexion quant à la manière d imaginer un nouveau quartier urbain et d anticiper les aspirations socioculturelles et les besoins auxquels il devra répondre, nous avons réalisé une recension des écrits scientifiques publiés depuis 2005. Nous avons repéré et documenté les principales tendances sociales et culturelles qui seront importantes pour l aménagement et la planification des villes. Il nous est aussi apparu pertinent de prendre un peu de recul pour réfléchir plus globalement à l avenir des villes. Notre objectif n est pas de proposer un concept d aménagement. Il s agit plutôt, d une part, de fournir des pistes de réflexion sur la manière dont les ménages voudront et pourront vivre dans le futur et, d autre part, de dégager les tendances émergentes quant à la ville en devenir. Après avoir réalisé un premier examen des orientations que prendront la vie en ville et les pratiques sociales des citadins, nous les avons regroupées en grandes tendances qui seront déterminantes pour la planification et l aménagement des milieux urbains de demain. Elles sont liées : 1) à l expérience et aux usages de l espace 2) à l individuation des modes de vie et aux nouvelles temporalités 3) aux déplacements et à la mobilité 4) aux nouvelles contraintes énergétiques et environnementales. L exploration des futurs possibles d un territoire urbain appelle une analyse à différentes échelles : logement, îlot, quartier, arrondissement, ville et région métropolitaine. À cet égard, l articulation des dimensions sociales et environnementales du développement et de l aménagement du territoire fait appel à la notion de justice environnementale. Cette dernière nous amène à réfléchir aux polarisations sociales non pas à l échelle du quartier ou d un secteur mais plutôt à l échelle de la ville-centre, voire de la région métropolitaine. Les enjeux de durabilité urbaine et de justice environnementale doivent donc être traités à l échelle de l aire métropolitaine 1. Notre approche s appuie à la fois sur les tendances observées par le passé mais surtout sur les éléments ou les facteurs de discontinuité ou de rupture. Par exemple, on peut faire l hypothèse que la question environnementale c est-à-dire la nécessité de tenir 1 Haas, T. (2012). «Sustainable Urbanism and Beyond», in T. Haas (dir.), Sustainable Urbanism and Beyond. Rethinking Cities for the Future, New York, Rizzoli, p. 9. 4

compte de la nouvelle donne climatique, d assurer un air de qualité en minimisant les émissions polluantes, de mieux gérer les eaux usées et de ruissellement ainsi que les matières résiduelles, etc. deviendra capitale et forcera les différents acteurs de l aménagement à revoir leurs pratiques. De plus, la montée en puissance des réseaux numériques offre la possibilité de créer de nouvelles sociabilités et contribue à redéfinir l organisation de la vie quotidienne, y inclus les manières dont on travaille, accède aux services, communique, se divertit, etc. Il s agit là d une nouvelle réalité dont les effets sur les usages des espaces publics et privés dans la ville se feront de plus en plus ressentir. D une manière générale, la prospective urbaine vise à fournir des balises pour réfléchir à l avenir d un territoire qui connaîtra une nouvelle vocation au cours des années à venir. Il apparaît donc impératif de concevoir d une manière plus globale le futur des milieux urbains à partir des tendances sociales qui les façonneront. La prospective est un instrument permettant de guider l élaboration d un projet d aménagement ou de réaménagement urbain. À cet égard, une tendance forte se dégage : elle concerne l inclusion des habitants dans la démarche de planification et surtout la prise en considération de leurs besoins et de leurs pratiques. Autrement dit, il faut aménager la ville d abord et avant tout pour les gens 2. Quelques constats préliminaires et préceptes Comment expérimentera-t-on la ville et l espace urbain dans le futur? À quelle demande sociale en termes de services urbains et collectifs, de logement et de transport devra-ton répondre? De quelle manière les tendances sociales émergentes dans la ville à plusieurs temps ou poly chronique vont-elles changer la vie urbaine? Comme le rappelle François Ascher dans son ouvrage paru en 2005, la prospective «est en quelque sorte l art du plausible» 3. Cette définition vise à distinguer ce type de réflexion de l utopie ou de la prévision, cette dernière constituant une démarche scientifique. Ascher 4 soutient que le contexte de la modernité avancée ou de l hyper modernité est caractérisée par un certain nombre de conditions qui influencent les pratiques sociales. Par exemple, 2 Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press. 3 Ascher, F. (2005). La société hypermoderne. Ou les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs, Paris, Éditions de L Aube. 4 Ascher, F. (2005). La société hypermoderne. Ou les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs, Paris, Éditions de L Aube. 5

l individu hypermoderne fait face à de nombreux choix, il est de plus en plus autonome et bénéficie de relations sociales choisies. La fluidité de la condition contemporaine que le sociologue Zygmunt Bauman appelle la «modernité liquide» 5 fait en sorte qu un individu est désormais libre de se définir en toutes circonstances. Cet individu individualisé a aussi développé des nouveaux rapports à l espace et au temps grâce à une mobilité accrue et une meilleure maîtrise du temps que peuvent fournir les nouvelles technologies de l information et de la communication (NTIC) 6. Ainsi, les avancées dans le domaine des technologies de l information et de la communication contribuent à rendre la vie urbaine plus performante de différentes façons : accès en temps réel à des informations contextuelles (temps d attente des transports collectifs, disponibilité des vélos en libre-service, cartes des voies de circulation saturées, restaurants ou services à proximité, cartes géocentrées, etc.). Les NTIC sont dès lors fortement utilisées pour résoudre des aléas de la vie quotidienne dans les régions urbaines. Mais en dépit de cet accès accru à l information instantanée, nos sociétés contemporaines demeurent placées sous le signe de l incertitude et du risque. En outre, cette incertitude se répercute sur l aménagement et le développement urbain des territoires. Dès lors, «les doctrines ne sont pas définitivement fixées ( ) et les stratégies sont durablement conduites à arbitrer entre des contradictions, des tensions et des conflits.» 7 Nonobstant l incertitude qui caractérise notre société urbaine contemporaine, comme nous l avons déjà souligné, d après Jan Gehl 8, certains principes de base doivent être pris en considération dans toute démarche de planification urbaine ou d aménagement. D abord, il faut mettre l accent sur la dimension humaine. Le rôle premier des professionnels de l aménagement est d accompagner les futurs habitants d un nouveau secteur dans l élaboration de leurs pratiques quotidiennes. Ensuite, un autre principe à rappeler est que l aménagement des villes est un exercice complexe qui exige de la patience et du temps 9. Enfin, en aménagement et en planification urbaine, quatre objectifs interreliés doivent être poursuivis et ils visent à assurer une ville vivante, sûre, 5 Bauman, Z. (2000). Liquid Modernity, Londres, Polity Press. 6 Maoti, P. (2012). «Modes et lieux de consommation», Territoires 2040, Des facteurs de changements, Revue d études et de prospective no 6, Paris, DATAR, La Documentation française, p. 31. 7 Berthier, E. (2010). «Introduction», Territoires 2040. Des facteurs de changement, Revue d études et de prospective no 2, Paris, DATAR, La Documentation française, p. 8. 8 Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press. 9 Greenberg, K. (2011). Walking Home. The Life and Lessons of a City Builder, Toronto, Random House, p. 347. 6

durable et en santé 10. Par conséquent, les acteurs de l aménagement urbain accordent de l importance d abord à la vie urbaine, ensuite à l espace et enfin aux bâtiments. Selon cette vision, le piéton est une figure particulièrement importante et la rue ne peut plus être perçue et conçue strictement comme un espace de circulation pour les véhicules. À partir de ces constats préliminaires sur la société urbaine contemporaine et les principes de base devant guider l aménagement de son espace habité, nous pouvons avancer quelques hypothèses sur les changements à venir, ainsi que sur les contradictions qu ils seront à même de générer : les technologies numériques (c est-à-dire les applications et les services offerts notamment par les ordinateurs et les téléphones intelligents dont les livres numériques, les films, etc.) vont continuer de transformer notre condition urbaine contemporaine et future. En outre, grâce aux pratiques interactives qu elles peuvent générer, les technologies numériques permettent de créer les territoires d une nouvelle géographie électronique. Dans cette ville évanescente 11, les rapports sociaux seront de plus en plus intermédiés 12. De plus, les commerces et les équipements publics traditionnels (bibliothèques, cinémas, libraires, etc.) sont appelées à revoir leur vocation initiale et à modifier leur offre. Ces transformations auront aussi des répercussions sur «l inscription spatio-temporelle du commerce, remettant en cause la suprématie du schéma des achats dans les pôles commerciaux de périphérie le samedi après-midi au profit d une plus grande diversité des pratiques». 13 malgré le fort potentiel de déterritorialisation que permettent les TIC, les qualités matérielles des lieux et des espaces urbain (équipements collectifs, espaces publics et cadre bâti, paysages) demeureront plus que jamais essentielles 10 Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press. 11 Altarelli, L. (2009). «Paysages de la ville électronique», Intermédialités : histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques / Intermediality: History and Theory of the Arts, Literature and Technologies, n 14, p. 82. 12 Robin, R. (2009). «La prolifération des signes. Tokyo : quelques propos introductifs à l oeuvre d Éric Sadin, artiste multimédia», Intermédialités : histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques / Intermediality: History and Theory of the Arts, Literature and Technologies, n 14, p. 41. 13 Maoti, P. (2012). «Modes et lieux de consommation», dans Des facteurs de changements. Territoires 2040, Revue d études et de prospective no 6, DATAR, La Documentation française, p. 31. 7

dans nos sociétés contemporaines, le désir de nature et le désir d urbanité ne sont pas antinomiques et des arbitrages seront nécessaires pour les réconcilier une démarche de planification et de réaménagement doit permettre de construire une ville à la fois «exemplaire et ordinaire» 14 la flexibilité en matière d aménagement urbain et d urbanisme c est-à-dire la capacité d un espace et d un environnement bâti de s adapter à l évolution des modes de vie des citadins, de favoriser l ajout de nouvelles activités, de valoriser la diversité fonctionnelle et formelle, ou encore de permettre la spontanéité et le joyeux désordre constitue dorénavant une caractéristique incontournable 15. Cette particularité permet d éviter le sur-aménagement ou la sur-programmation des espaces urbains et d assurer leur évolution. En d autres mots, un projet d urbanisme souple ou flexible rend réalisables des modifications qui tiennent compte des évolutions socioculturelles et économiques. pour construire une ville durable accessible à tous, il importe de mettre en œuvre une approche urbanistique principalement sociale visant à travailler avec les usagers de la ville. Cela signifie d incorporer entre autres choses différents types d initiatives que le courant de l urbanisme tactique ou le Do it yourself (DIY) urbanism permet en expérimentant de nouveaux besoins et en adaptant l espace public de la ville pour encourager des interventions temporaires proposées par les gens d un quartier ou des groupes communautaires. Finalement, l urbaniste torontois Ken Greenberg 16 soutient que la ville du futur ne sera pas radicalement différente de celle d aujourd hui car on ne fait pas table rase du passé. Dès lors, la ville à venir combinera des éléments anciens et nouveaux: «Much would be familiar, much would be recycled and hybridized, but this new, twenty-first-century city would not be a facsimile of any other time or place.» 17 14 Barthel, P. A. (2009). «Faire la preuve de l urbanisme durable. Les enjeux de la régénération de l Ile de Nantes», VertigO La revue électronique en sciences de l environnement, vol. 9, no 2, p. 3. 15 Greenberg, K. (2011). Walking Home, Toronto, Random House. 16 Ibid., p. 345. 17 Ibid. 8

Des tendances sociodémographiques lourdes dans la région de Montréal Quant aux tendances sociodémographiques qui vont influencer la ville de demain et en particulier Montréal, on peut souligner la poursuite de l immigration internationale, le vieillissement de la population, la diversification des modèles familiaux (familles recomposées, monoparentales, multi-générations), l accroissement de ménages solos et les répercussions de la mobilité intra et interrégionale des ménages. Qui plus est, par rapport au secteur spécifique qui nous concerne l ancien site de l hippodrome, il faut noter l importance de zones d emploi (éducation, santé) s y trouvant à proximité. Il s agit là d un potentiel à explorer et à valoriser. Finalement, deux tendances marquantes déjà à l œuvre dans les régions métropolitaines nord-américaines vont sans doute se poursuivre et orienteront le développement urbain futur. La première a trait à un changement de comportements en termes de localisation résidentielle. Depuis les années 1980, la thèse du retour en ville notamment des classes moyennes 18 alimente les débats urbanistiques et urbains. Or, bien qu après des années de décroissance les quartiers centraux des villes aient connu un regain démographique au cours des dernières décennies, le mouvement migratoire de la ville-centre vers les secteurs plus éloignés ne s est pas essoufflé. Il reste que le réinvestissement symbolique et culturel dont la ville-centre a fait l objet au cours des dernières décennies a donné lieu à des nouveaux comportements en termes de déplacements, de choix de consommation, ou encore d habitudes et de pratiques quotidiennes. La deuxième tendance ayant fortement touché les régions métropolitaines concerne le développement de centres secondaires dans les zones suburbaines et périurbaines 19. À cet égard, des recherches ont clairement démontré comment, grâce au potentiel de proximité aux zones résidentielles dont ils disposent, les sous-centres ou les suburban nodes peuvent devenir des milieux de vie complets 20. L importance accrue des centres 18 Ulusoy, Z. (2010). "Back-to-the-City-Movement", in R. Hutchison (dir.), Encyclopedia of Urban Studies, Londres, Sage. 19 Sur la région de Montréal voir : Sénécal, G. (dir.) (2011). L espace-temps métropolitain, Québec, Presses de l Université Laval, 348 p. 20 Searle, G. et P. Filion (2011). "Planning Context and Urban Intensification Outcomes: Sydney versus Toronto", Urban Studies, vol. 48, mai, p. 1419-1438; Filion, P. (2010). "Intensification and Sprawl. 9

secondaires n est pas sans effet sur le dynamisme de la ville-centre et sur le caractère distinctif d activités qu elle accueillait jusqu à tout récemment (enseignement supérieur, sièges sociaux d entreprises, lieux de diffusion culturelle, etc.). Bref, des secteurs suburbains disposent désormais de certains atouts de la vie urbaine. Residential Density Trajectories in Canada s Largest Metropolitan Regions", Urban Geography, vol. 31, no 4, p. 541-569. 10

EXPÉRIENCES ET USAGES DE L ESPACE URBAIN Tendance 1 Vers un urbanisme sensible, temporel et flexible? Dans le domaine de l urbanisme et de l aménagement, plusieurs tendances invitent aujourd hui à repenser la façon dont l espace urbain est conçu. Pour certains, l étalement urbain, la densification et la fonctionnalisation de l espace, l utilisation des technologies de l information, etc. sont autant d éléments qui agissent négativement tant sur l espace urbain que sur la définition de la citadinité et sur la façon dont celle-ci est vécue. Des archipels fonctionnels à la ville «réenchantée» Les critiques de l urbanisme contemporain reprochent aux pratiques actuelles de nier le pouvoir créateur de la ville 21. L étalement urbain transformerait la ville en une série «d archipels» de zones fonctionnelles entre lesquelles le citadin naviguerait 22. Le citadin serait donc un consommateur d espaces, consommation qui varierait au gré de ses besoins. Pour d autres, la densification des espaces urbains va à l encontre de la capacité d innovation et de création intrinsèque à la ville : «l option qui consiste à rassembler de nombreuses réalités sur une faible étendue se traduit néanmoins par une compacité qui nuit non seulement à la visibilité de ses potentialités mais aussi à sa fluidité» 23. Nombreux sont en effet ceux qui conçoivent la ville comme l espace qui «ouvre plus de possibles que les autres formes d établissements humains» 24 ou «la ville, par l intensité des échanges qui peuvent s y déployer, est un remarquable catalyseur de l innovation» 25 ou bien encore : «[la ville] est indissociablement un être vivant, se 21 Hammett, J. et K. Hammett (dir.) (2007). The Suburbanization of New York: Is the World s Greatest City Becoming Just Another Town?, Princeton, NJ, Architectural Press. 22 Gwiazdzinski, L. (2007). «Redistribution des cartes dans la ville malléable». Espace populations sociétés, 2-3, p. 398. 23 Beaude, B. (2010). «Espace de la carte, espace de la ville. Des analogies à la coexistence», dans Hyperurbain 2, K. Zreik (dir.), Paris, p.1. 24 Ascher, F. (2010). «La ville, c est les autres. Le grand nombre entre nécessité et hasard», dans A. Masboungi et François Ascher. Grand Prix de l urbanisme 2009, Paris, Parenthèses, p. 121. 25 B. Beaude. (2010). Ibid., p.1. 11

bâtissant, se transformant, évoluant au gré des initiatives de tous ceux citoyens, services publics, entreprises, etc. qui en sont les habitants, les usagers, les promoteurs et les acteurs» 26. Le morcellement de l espace urbain en zones fonctionnelles nuirait donc à cette capacité d innovation de l espace urbain en créant de la ségrégation notamment en ce qui a trait à la voirie 27 et en ouvrant la porte à la stigmatisation. Plus encore, les pratiques aménagistes actuelles seraient créatrices de «non-lieux» 28, une forme d homogénéisation des territoires qui empêcherait de «faire société» 29. Un tel espace urbain ne permettrait plus l inattendu et empêcherait toute forme de sérendipité de s exprimer. Sérendipité Pour certains, la sérendipité se définit comme la «capacité de la ville à produire des rencontres et des découvertes inattendues et vertueuses» 30 pour d autres, c est «la capacité de trouver ce que l on ne cherche pas.» 31 L expression de cette sérendipité peut se réaliser de différentes manières. Il peut s agir d une part d affirmer l expérience sensible du citadin ou d associer l évènement et l éphémère au quotidien de l espace urbain d autre part. Figure 2 32. Park (ing) 33 26 Sueur, J.-P. (2011). Rapport d information : Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde? (Enjeux), En ligne http://www.senat.fr/rap/r10-594-1/r10-594-10.html#toc3 27 Un exemple de cette ségrégation concerne la voierie : «trottoir pour piéton, rue pour véhicule automobile, site propre pour tramway, voie pour bus et taxis, pistes cyclables et bientôt peut-être : voies pour rollers, voies pour planches à roulettes». Gwiazdzinski, L. (2007). Ibid., p. 400. 28 Bédard M. et Breux S. (2011). «Grand projets urbains et non-lieux : une inéluctable équation? Perspectives théoriques et propositions analytiques», Annales de géographie 2011/2, no 678, pp. 135-156. Notons que d autres comme Ascher (non-daté, non paginé) considère que cette notion de «non-lieux» est une vision pessimiste de la réalité et la conteste : «Il nous semble à l inverse que les lieux ne se dissolvent pas dans des non-lieux mais que de nouveaux lieux urbains se constituent et que précisément, les espaces de la mobilité, du transit, du passage, sont particulièrement propices à la constitution de ces nouveaux lieux». 29 Bourdin, A. (2010). L urbanisme d après crise. Paris, Éditions de l Aube. 30 Beaude, B. (2010). Ibid., p. 13. 31 Ascher, F. (2010). «La ville hypermoderne» dans A. Masboungi (dir.), Organiser la ville hypermoderne, Paris, Parenthèses, p. 123. 32 Pour respecter les droits d auteur, les images ont été retirées de cette version du rapport. 33 Explications données sur le site web de Park(ing) : One of the more critical issues facing outdoor urban human habitat is the dearth of space for humans to rest, relax, or just do nothing. For example, more than 70% of San Francisco s downtown outdoor space is dedicated to the private vehicle, while only a fraction of that space is allocated to the public realm. Paying the meter of a parking space enables one to rent precious downtown real estate. What is the range of possible occupancy activities for this short-term lease? PARK(ing) is an investigation into reprogramming a typical unit of private vehicular space by leasing a metered parking spot for public recreational activity. On November 16, 2005 we identified a site in an area of downtown San Francisco that is underserved by public outdoor space and is in an ideal, sunny location between the hours of noon and 2 p.m. There we installed a small, temporary public park that provided 12

Affirmer l expérience sensible de l espace urbain Concevoir l espace urbain comme le lieu d expériences sensibles permettant de créer l imprévisible, c est indirectement redéfinir les espaces publics en «lieux de sociabilité et de créativité, accélérateurs de sérendipité» 34. Cette redéfinition peut se réaliser de différentes façons. Pour certains, il s agit d aller à l encontre des pratiques de planification et de régulation contemporaines : «à la ville dense et étalée, nous opposons les friches, les tiers paysages, espaces d aventure non aménagés, capables d ancrer les imaginaires fertiles» 35. Plus encore, il s agit par l aménagement de créer volontairement la désorientation et l errance : «la désorientation peut devenir un état créatif, l errance un protocole d innovation ouverte et la ville un formidable plateau de créativité avec la sérendipité comme principe de base» (voir la figure 3). Plus concrètement, certaines pratiques tendent aujourd hui à aller dans ce sens. Il s agit par exemple de transformer le regard que le citadin ou le touriste porte sur la ville à travers la réalisation de visites guidées à pied, où le guide, tout en rappelant les mythes et légendes de la ville incorpore l inattendu dans sa visite 36. Il est également possible de développer un «urbanisme sensible», créateur de chronotopie : l hospitalité des espaces publics, des moyens de transport et du mobilier urbain ; l information face à un territoire mal appréhendé ; la qualité face à un environnement difficile ; l égalité face aux trop grandes disparités entre centre et périphérie, individus ou groupes sociaux ; la sensibilité, la variété face aux risques de banalisation, l inattendu par l invention ; l alternance ombre et lumière face aux risques d homogénéisation ; la sécurité par nature, seating, and shade. Our goal was to transform a parking spot into a PARK(ing) space, thereby temporarily expanding the public realm and improving the quality of urban human habitat, at least until the meter ran out. By our calculations, we provided an additional 24,000 square-foot-minutes of public open space that afternoon. This simple two hours intervention has blossomed into an international event called Park(ing) Day where people around the globe reclaim the streets for people, for fun, and for play. Date: November 16, 2005, Location: 1st and Mission Streets, San Francisco, CA. Source : http://rebargroup.org/parking/, consulté le 11 janvier 2013. 34 Moriset, B. (2011). Tiers lieux de travail et nouvelles territorialités de l économie numérique : les espaces de coworking. En ligne : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/72/45/40/pdf/b-moriset_colloque- SET_Coworking-Version3.pdf 35 Gwiazdzinski, L. (2012). «Un possible manifeste. Éloge de l errance et de la désorientation». Proposition catalogue de l exposition «ERRE». http://halshs.archivesouvertes.fr/docs/00/69/77/23/pdf/proposition_de_texte_l_espace-le_temps_29_avril_2011.pdf 36 Wynn, J. R. (2010). "City Tour Guides: Urban Alchemists at Work", City & Community, 9-2, p. 145-163. 13

l accroissement du spectacle urbain et de la présence humaine plutôt que par les technologies sécuritaires et l enchantement par l invention. 37 Chronotopie Selon Thierry Paquot 38, la chronotopie c est «l articulation entre des temps et du lieu», c est le «savant dosage entre le temps, pas si flexible que cela, et l espace, pas si modelable non plus» Articuler le temps et les lieux, c est indirectement repenser notre façon de faire de l urbanisme. Cette chronotopie urbaine peut s exprimer ainsi, il s agit non pas de faire du «planning» mais davantage du «place-making». 39 Figure 3 : Showplace Triangle 40 Source : http://rebargroup.org/showplace-triangle/,consulté le 11 janvier 2013 Figure 4 : Une illustration de la chronotopie Source : Bishop & Williams, 2012, p. 189. 37 Gwiazdzinski, L. (2009). «Chronotopies. L évènementiel et l éphémère dans la ville des 24 heures». BAGF, Géographies, 2009-3, p. 353. 38 Paquot, T. (2009). «Pour un urbanisme chronotopique». Urbanisme, mars-avril 2009, no 365. 39 Barrie cité par P. Bishop et L. Williams. (2012). The Temporary City. London and New York, Routledge, p. 188. 40 Explications données sur le site web de Showplace Triangle : San Francisco s streets and public rightsof-way make up fully 25% of the city s land area, more space even than is found in all of the city s parks. Many of our streets are excessively wide and contain large zones of wasted space, especially at intersections. San Francisco s new Pavement to Parks program seeks to temporarily reclaim these unused swathes and quickly and inexpensively turn them into new public plazas and parks. Rebar designed Showplace Triangle to be a neighborhood gathering space. Built entirely of reused or repurposed materials Recology debris boxes as tree planters, PUC sewer pipe as bollards, DPW granite curb as planting beds, and Italian black granite once used on Market street for public seating the project demonstrates that ingenuous reuse can also be high style! Showplace Triangle was created in collaboration with the SF Planning Department, SF PUC, Recology, Flora Grubb Nursery, California College of Arts, Wolfe s Lunch and Axis Cafe, Artist Ramad, and the skilled and talented workers at the San Francisco Department of Public works. Date: Fall, 2009 ; Location: Potrero Hill neighborhood, San Francisco, CA ;Related: New York Times coverage Babelgum video, New Urbanism ep 12: Pavement to Parks. Source : http://rebargroup.org/showplace-triangle/, consulté le 11 janvier 2013. 14

La ville flexible La ville sensible c est aussi la ville éphémère et évènementielle, c est-à-dire l ensemble des éléments qui font de la ville un univers transformé : L évènement transforme la ville et la rue, enchante le quotidien, transfigure le réel et humanise l espace public : c est la même ville et pourtant une autre grâce à de sublimes artifices. Cette capacité d enchantements et de mise en désir donne des idées à l élu et des envies à l artiste citoyen associé. 41 L évènement, intégré à la ville, engendre une redéfinition de l espace public (figure 5). La définition de l espace public, support de ces transformations doit évoluer pour passer à la notion d espaces collectifs, espaces publics ou espaces extérieurs, constitués par l ensemble des lieux ouverts à tous. Ils sont généralement sous la responsabilité de collectivités publiques ou parfois de droit privé. Ils sont le plus souvent en plein air, mais peuvent être partiellement ou totalement couverts. Ce sont à la fois des espaces formels, espaces en creux, définis par les bâtiments qui les bordent et des espaces de vie et de socialisation où se déroulent les activités propres à la vie collective d une ville. L espace collectif est le lieu organique essentiel de la cité, son âme. Il comporte aussi bien des espaces minéraux (rues, places, boulevards, passages couverts) que des espaces verts (parcs, jardins publics, squares, cimetières ). Il s agit de lieux de circulation et de stationnement, équipements collectifs, transports publics, abords d équipements, espaces verts, espaces culturels, espaces commerciaux, espaces résiduels, espaces semi-publics, espaces électroniques, espaces verticaux. 42 41 Gwiazdzinski, L. (2009). «Chronotopies. L évènementiel et l éphémère dans la ville des 24 heures». BAGF, Géographies, 2009-3, p. 353. 42 Ibid. 15