Coton : mieux exploiter les informations sur les prix Michel Fok A.C. Réf. Fok, A. C. M. (2000) Mieux exploiter les informations sur les prix, in Marchés Tropicaux, 23/06/2000 pp. 1180-1183. Dans le domaine du négoce, il est illusoire d'espérer une grande transparence et un étalage sur les prix concrétisant les transactions entre les vendeurs et les acheteurs. La dissymétrie de l'information reste de mise entre le vendeur et l'acheteur, toute démarche qu'un pays peut engager pour délivrer une information sur la commercialisation de son coton comporte le risque d'un effet pervers contre les intérêts de ce pays. De ce point de vue, les discours entendus aujourd'hui, tendant à encenser l'utilisation en Afrique des outils modernes de gestion du risque dans la commercialisation des produits agricoles à l'exportation tout en prônant la transparence dans cette gestion, nous paraissent être par essence contradictoires. Dans le cas du coton, on n'étale pas non plus les prix réels des transactions internationales mais on en a les indications qui sont fournies de manière hebdomadaire par Cotton Outlook depuis très longtemps. L'indice A de cet organisme est établi à partir de 1966 et il sert fréquemment de référence dans la détermination des prix aux producteurs dans les pays où une telle détermination est administrée. Cet Indice est la moyenne des prix proposés des 5 origines de coton aux prix les plus faibles à partir d'un ensemble de 15 origines de coton Middling de longueur 1" 3/32. Il convient de souligner que l'indice A est réalisé à partir des intentions de prix d'offre, on admet que les prix réels de transaction doivent être plus faibles après négociation avec les acheteurs, qui, naturellement cherchent à faire baisser les prix proposés par les offreurs. 1. Une exploitation trop pauvre de l'information disponible par le seul Indice A Il est très fréquent de se baser sur la seule évolution de l'indice A pour indiquer les tendances du marché. Il est vrai que cette évolution est en elle-même riche en information. Le Graphique 1 donnant l'évolution de la moyenne mensuelle de cet indice montre que, après avoir un sommet historique en mai 1995, l'indice A libellé en a amorcé une baisse régulière depuis mi-juillet 1997, pour atteindre, en janvier 2000, une valeur historiquement basse, inférieure même à ce qui avait été atteint lors des deux crises cotonnière de 1985-86 et 1991-92. Pour les pays de l'afrique zone Franc, la force du dollar américain face aux devises européennes a permis de limiter la chute de l'indice A libellé en FCFA/kg, mais insuffisamment pour cacher l'évolution défavorable du marché mondial du coton. Graphique 1 Moyenne mensuelle de l'indice A en ou en FCFA/kg 140 120 100 80 60 40 20 0 Indice A en Indice A en CFA/kg 1350 1300 1250 1200 1150 1100 1050 1000 950 900 850 800 750 700 650 600 550 500 450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 CFA/kg
Nous pensons cependant qu'on ne tire pas assez parti des informations disponibles, qu'il est important d'aller au-delà du suivi de l'évolution de l'indice A, et que cela est particulièrement important pour les pays de l'afrique zone Franc qui exportent l'essentiel de sa production. L'analyse des cotations hebdomadaires permet de se rendre compte que le coton des pays de l'afrique zone Franc est le coton non-américain le plus disponible dans l'année pour les embarquements rapprochés : hormis la période de rupture des cotations de mai à août 1995, ce coton a été coté toutes les semaines au cours des deux dernières dcennies, alors que le coton australien, et encore plus le coton grec, ont connu des périodes de non cotation. Cet élément de disponibilité mérite d'être évalué plus en profondeur pour en faire un véritable argument de vente. En prônant une exploitation plus approfondie des informations véhiculées par Cotton Outlook, il ne s'agit pas pour nous de nous engager dans des comparaisons de prix des cotons d'origines différentes ni de discuter de la performance de tel système de commercialisation du coton fibre par rapport à tel autre. La comparaison des prix entre deux origines de coton est un exercice délicat car il s'appuie sur l'hypothèse que ces origines sont en tout point comparable pour les divers critères d'appréciation de l'acheteur, ce qui est difficile à prouver. La relation entre un différentiel de prix observé et une différence de mode de commercialisation du coton fibre est encore plus difficile à établir aujourd'hui dans le cas du coton de l'afrique zone Franc pour lequel il n'y a plus de mode dominant. Néanmoins, ce qui n'est pas possible de réaliser en moyenne pour l'ensemble du coton de l'afrique zone Franc peut être recommandable à mener pour chaque pays, de manière individuelle et confidentielle : pour un pays cotonnier désirant évaluer l'évolution de la performance de la commercialisation de son coton, il n'y a pas d'autre moyen que de se repérer au coton des pays concurrents sur le marché mondial. Chaque pays dispose de toutes les informations nécessaires pour réaliser ce type d'évaluation de manière précise, c'est une simple question de traitement de l'information dans une démarche de recherche de gain de performance. Sans aborder ces comparaisons entre pays, nous pensons que le traitement de certaines informations fournit des indications utiles pour guider les pays de l'afrique zone dans la gestion à long terme de leur compétitivité sur le marché mondial. 2. Un signal dans la décroissance du différentiel entre les indices A et B? Le différentiel entre les niveaux de l'indice A et l'indice B (qui concerne les origines de coton avec une fibre moins longue) est engagé dans une tendance de réduction régulière depuis la deuxième moitié des années 1980. Alors que ce différentiel pouvait atteindre 14 cents/pound, il n'est plus que de 3-4 cents/pound en moyenne, voire à peine d'un cent/pound certains mois (Graphique 2). Certes, ce différentiel reste fluctuant, on peut même y voir une relation négative avec le niveau de l'indice A, mais relation pas aussi rigide qu'on pourrait croire (Graphique 3). La réduction de ce différentiel entre les deux indices peut être interprétée comme un risque, pour les origines de coton les moins bien cotées parmi les 15 du "panier" de l'indice A, de passer dans un futur proche dans le "panier" de l'indice B. Bien entendu, ce risque peut paraître minime parce que les deux paniers se réfèrent en particulier à des longueurs de fibre différentes, mais ce sont des références de longueur qui ont évolué dans le temps et qui peuvent continuer à évoluer : c'est à partir de 1972 que l'indice A se réfère au coton 1" 3/32 alors qu'il se rapportait auparavant à un coton plus court.
Graphique 2 Ecart prix, Indice A - Indice B, en moyenne mensuelle 16 14 12 10 8 6 4 2 0 Graphique 3 Ecart en % de l'indice A du différentiel indice A - indice B, en fonction du niveau de l'indice A 25% 20% % de l'indice A 15% 10% 5% 0% 40 50 60 70 80 90 100 110 120 Niveau de l'indice A, en 3. Savoir tirer leçon des évolutions de valorisation du coton de certains pays La crainte de passer dans le mauvais "panier" de coton coté n'est pas récente. Jusqu'à la fin des années 1980, cette crainte s'exprimait dans l'expression de "pakistanisation" du coton d'un pays, dans le sens de passer au rang du coton du Pakistan, symbolique du coton de l'indice B. Notre analyse nous pousse à mettre en garde contre l'attitude consistant à continuer à associer le coton du Pakistan à une moindre qualité, et à se sentir dans le confort d'être au-dessus.
Graphique 4 Ecart prix, Indice A - coton Pakistan 1 8,00 6,00 4,00 2,00-2,00-4,00-6,00 Le Pakistan offre du coton 1"3/32 depuis 1987 avec un différentiel de prix en comparaison de l'indice A qui n'est pas défavorable (Graphique 4). Cela indique qu'il n'est plus justifié de considérer le coton du Pakistan comme ancré seulement dans l'indice B, même si le coton 1" 3/32 du Pakistan est peu disponible depuis 1994, compte tenu de la forte demande intérieure de ce pays. La question demeure de savoir quel est le ou les cotons de la catégorie de l'indice A qui paraît être moins apprécié par les acheteurs, et il revient aux pays de l'afrique zone Franc de veiller à ne pas en être. Ce qui est certain, c'est que l'australie n'a pas de souci à se faire de ce côté, son coton bénéficie d'une prime confortable sur le marché mondial, prime qui s'est accentuée au cours des dernières années (Graphique 5). Depuis 4 ans, le différentiel positif avec l'indice A est de 5-15 cents/pound, alors qu'il était inférieur à 5 cents/pound pendant plus de 10 ans. La relation négative entre ce différentiel et le niveau de l'indice A est assez nette (Graphique 6), elle indique que le coton australien est moins pénalisé quand le marché mondial est baissier, ce qui confirme que l'image positive de qualité permet surtout de mieux vendre quand le marché est défavorable. Les raisons contribuant à cette situation favorable au coton australien peuvent être très diverses. Elles peuvent relever d'une politique commerciale efficace, des effets des facilités de crédit offerts aux acheteurs par les vendeurs australiens avec l'aide de leur pays. Elles peuvent aussi reposer sur les qualités intrinsèques du coton australien, ou simplement de la proximité géographique de l'asie qui est le plus gros marché d'importation du coton. Il revient aux pays de l'afrique zone Franc de faire la part de toutes ces raisons possibles pour en tirer les leçons utiles.
Graphique 5 Ecart prix, Indice A - coton Australie 1 5,00-5,00-1 -15,00-2 Graphique 6 Ecart en % de l'indice A du différentiel A - prix coton Australie, en fonction du niveau de l'indice A 15% 10% 5% 0% % de l'indice A -5% -10% -15% -20% -25% -30% -35% 40 50 60 70 80 90 100 110 120 Niveau de l'indice A, en Les cas évoqués du Pakistan et de l'australie témoignent avant tout qu'il y a des pays qui ont réussi à gagner dans l'appréciation des acheteurs de coton fibre, par des actions que les pays de l'afrique zone Franc doivent élucider car ce gain d'appréciation se fait obligatoirement, par un effet de vases communicants, au détriment des pays qui n'ont pas su mener des actions similaires.
4. Le marché attendrait-il du coton plus long? Il est enfin intéressant de constater que le coton des pays de l'afrique zone franc et de l'australie ont connu une cotation pour la longueur 1" 1/8 à la même période, à partir de septembre 1997 (Graphique 7). Graphique 7 Différentiel prix suivant longueur, 1"1/8-1"3/32, pour 2 origines 5,00 4,50 Coton Afrique zone Franc Coton Australie 4,00 3,50 s 3,00 2,50 2,00 1,50 1,00 0,50 sept-97 oct-97 nov-97 déc-97 févr-98 mars-98 avr-98 mai-98 juin-98 août-98 sept-98 oct-98 nov-98 déc-98 févr-99 mars-99 avr-99 mai-99 juin-99 août-99 sept-99 oct-99 nov-99 déc-99 févr-00 mars-00 avr-00 Il ressort clairement que le différentiel lié à la longueur de la fibre est beaucoup plus important pour le coton des pays de l'afrique zone Franc, avec même une tendance à l'augmentation de ce différentiel. Alors que ce différentiel se situe à 0,5-1,5 cents/pound pour le coton australien, il est de 2-4 cents/pound pour le coton de l'afrique zone Franc. Mieux encore, ce différentiel favorable à la longueur paraît d'autant plus fort que l'indice A (établi pour une longueur de 1" 3/32) est faible, alors que la relation serait plutôt inverse dans le cas du coton australien (Graphique 8) Ne faut-il pas comprendre que le marché appelle davantage de coton plus long de l'afrique zone Franc? Si tel est le cas, des ajustements peuvent s'avérer nécessaires. Bien entendu, la première réaction est de penser à un changement en faveur de variétés à fibre plus longues. Il faut aussi penser aux techniques culturales qui peuvent contribuer à assurer une plus grande longueur de fibre. Il ne faut pas négliger non plus une révision des modalités d'égrenage dont certaines peuvent pénaliser à la fois le rendement fibre à l'égrenage et la longueur.
Graphique 8. Différentiel de prix du coton suivant longueur, 1"1/8-1"3/32, pour 2 origines 5,00 Coton zone Franc Coton Australie 4,50 4,00 3,50 s 3,00 2,50 2,00 1,50 1,00 0,50 40 50 60 70 80 90 100 Niveau Indice A