Enfants sans contact avec la seule détentrice de l autorité parentale I. Situation Les jumeaux Elsa et Moritz (noms modifiés), nés en avril 2011, sont placés cinq mois après leur naissance dans une famille d accueil. La raison du placement: la maladie psychique de la mère et donc l incapacité éducative qui en découle. La mère semble accepter le placement pour rompre rapidement tout contact avec les services compétents et les enfants, son domicile n est d ailleurs pas connu jusqu en août 2012. Moritz est lourdement handicapé. A.B. du groupe de protection de l enfance Berne ne peut ni confirmer ni exclure qu il souffre du syndrome du bébé secoué. L AI peine à accepter une infirmité congénitale et prend dans l immédiat en charge les frais des moyens auxiliaires et des thérapies nécessaires. La paternité a été constatée, le père a dès lors honoré son droit de visite régulièrement et fiablement et développe une bonne relation avec ses enfants. Il leur rend visite une fois par semaine pour finalement accueillir chez lui de temps à autre sa fille qui se développe normalement. La grand-mère maternelle est également très impliquée, elle rend régulièrement visite aux enfants et entretient une bonne relation avec eux. Simultanément, elle se montre régulièrement possessive avec sa petitefille, aimerait s en occuper sur le long terme ou l emmener plusieurs mois dans son pays d origine, la Thaïlande. A mon avis, il n est actuellement pas dans l intérêt de la fillette d accepter les exigences de la grand-mère. La résidence du grand-père maternel n est pas connue. De par le passé, il a été condamné pénalement pour abus sexuel sur sa fille (la mère des jumeaux) et a purgé une assez longue peine en prison. Pour les jumeaux, une curatelle a été instaurée au sens de l art. 308 CC, le droit de garde a été retiré à la mère. Par ailleurs, l autorité parentale de la mère a été ensuite limitée sur la base du motif suivant: Partant du principe que l absence de la mère des enfants perdurera et qu elle ne sera pas à même de respecter ses engagements, l autorité parentale est à restreindre selon l art. 308 al. 3 CC, et des pouvoirs spécifiques à conférer à la curatrice compétente. La curatrice se voit assigner le pouvoir de représentation unique dans 1
les domaines du droit de visite, de la formation scolaire, des soins de santé (mesures médicales et thérapeutiques) et de l hébergement de E et M. Décision: Le service social X. approuve la restriction de l autorité parentale conform. à l art. 308 al. 3 CC et confère le pouvoir de représentation unique à la curatrice dans le cadre de la curatelle afin d agir dans le respect du bien de E. et M., nés xx. avril 2011. Depuis septembre 2011 et jusqu à ce jour, la mère n a jamais pris contact avec ses enfants. En août 2012, elle m adresse un Email pour m informer qu elle est à nouveau enceinte. Par sa requête, elle demande plutôt de l aide pour elle-même, elle est néanmoins ouverte à recevoir des informations sur l état de santé des enfants. Elle vit entre-temps en région zurichoise mais est sans domicile fixe, càd. qu elle déménage d amies en collègues etc. Début septembre, elle a mis au monde un 3ème enfant sans pour autant donner de nouvelles depuis. Selon mes informations, elle réside toujours dans la région de Zurich. De par la mère, les enfants ont la nationalité suédoise et de par le père, la thaïlandaise. Plus je m intéresse à la situation, plus la question de la nouvelle réglementation de l autorité parentale s impose à moi. D une part, parce que des décisions importantes doivent sans cesse être prises pour l enfant lourdement handicapé (consentement pour opérations). D autre part, parce que cela reflèterait la réalité actuelle: le père est le parent fiable qui entretient des contacts réguliers et une relation avec ses enfants malgré les circonstances difficiles. La mère est absente depuis longtemps et n a aucun contact avec ses enfants. Rien ne laisse présager que la situation puisse évoluer. A l avenir, il y aura lieu de clarifier le lieu de résidence de la fille si son frère devait être transféré dans une institution de pédagogie curative, càd. que le père devrait envisager la possibilité d accueillir sa fille chez lui sur le long terme. A mon sens, la curatelle selon art. 308 CC devrait absolument être maintenue pour surveiller le placement, faire valoir les droits de l enfant à l AI, etc. Le père n a que des notions d allemand rudimentaires et requiert donc de l assistance. 2
II. Question Pensez-vous qu une nouvelle règlementation de l autorité parentale soit judicieuse (si oui, comment) ou pensez-vous que la solution actuelle (la restriction) soit suffisante et judicieuse, auquel cas je me fais des soucis inutiles. Merci beaucoup de votre aide. III. Considérants 1. Compétence et droit applicable a) Les deux enfants sous curatelle sont de nationalité étrangère (suédoise et thaïlandaise). Il s agit donc d une situation à caractère international (Y. SCHWANDER, Das Haager Kindesschutzübereinkommen von 1996, RDT 2009, 1 ss., 6 f.; CHK-J. PRAGER, LDIP 85 N 26). b) En matière de protection des enfants conform. à l art. 85 LDIP, la compétence des autorités judiciaires ou administratives suisses, la loi applicable ainsi que la reconnaissance et l exécution des décisions ou mesures étrangères sont régies par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 (CLaH 96) entrée en vigueur en Suisse au 1er juillet 2009. c) En vertu de la CLaH 96, la loi applicable est celle du lieu de résidence habituel de l enfant, càd. la loi suisse puisque les enfants ont leur résidence habituelle en Suisse depuis leur naissance (avril 2011). Conform. à l art. 20 al. 2 LDIP, les dispositions du code civil suisse sur la résidence et le séjour ne s appliquent pas à un contexte à caractère international. Par conséquent, la résidence de l enfant ne découle pas de celui de la détentrice de l autorité parentale ou de l autorité compétente, mais de sa résidence habituelle (Schwander, RDT 2009, 13). La compétence locale pour ordonner des mesures de protection des enfants supplémentaire n incombe donc pas à la commune où est domiciliée la mère, mais à la commune dans laquelle les enfants ont leur résidence habituelle. d) En vertu des bases légales précitées, l ordonnance de mesures de protection des enfants supplémentaires se base sur le catalogue de l art. 307 ss. CC. Conférer des pouvoirs supplémentaires au curateur requiert une discussion (art. 308 al. 2 CC), si nécessaire afin de limiter encore davantage l autorité parentale de la mère (art. 308 al. 3 CC), et de retirer l autorité parentale à la mère (art. 311/312 CC) avec deux alternatives, à savoir soit de 3
nommer un tuteur/tutrice pour les enfants (nouvel art. 327a ss. CC) ou de transférer l autorité parentale au père (art. 298 al. 2 CC). La nouvelle loi sur la protection de l enfant offre la possibilité de transférer l autorité parentale de la mère au père sur demande commune des parents. 2. Informations sur les conditions de vie, les ressources et les risques a) La situation de la mère et du père n est pas assez connue pour pouvoir évaluer si des mesures de protection de l enfant supplémentaires doivent être prises et le cas échéant lesquelles. La situation de la mère doit être étudiée avec soin. Quelles raisons ont motivé la rupture des contacts? Quelles sont ses conditions de vie concrètes? De quoi vit cette mère (aide sociale? activité lucrative? AI?) Quelle est sa contribution à la prise en charge des frais d entretien des deux premiers enfants? Qui travaille avec la mère (évent. prestation de soutien personnelles/professionnelles), quelles sont les perspectives quant à sa compétence maternelle? Qui s occupe de son 3ème enfant et quelles sont ses conditions de vie et de santé? Existe-t-il des mesures de protection pour le 3ème enfant à son nouveau domicile? Les autorités en question n ont-elles jamais reçu un avis de danger? b) Quant au père, Il est également nécessaire de recueillir des informations pour déterminer s il est capable d assumer l autorité parentale sur la base de ses capacités et des opportunités resp. de quelle aide a-t-il besoin pour pouvoir honorer ses responsabilités parentales. c) Sur la base de la situation en question, la grand-mère maternelle ne peut pas être considérée comme responsable éducative prioritaire (tutrice, mère nourricière), car en général les parents priment. Par ailleurs, les circonstances qui n ont pas permis jadis d offrir la protection nécessaire (agressions du père) à sa propre fille (mère des deux jumeaux) doivent être analysées afin de s assurer qu elle soit capable de satisfaire au besoin de protection de ses petits-enfants. Au regard des faits exposés, il semble néanmoins important de l impliquer au processus de recherche d une solution adéquate. Dans son rôle actuel, elle devrait en effet représenter une des ressources intrafamiliales. 3. Mesures actuelles 4
La formulation de l autorité sociale (au lieu d une autorité tutélaire ou de protection de l enfant) est certes maladroite puisqu elle approuve une limitation de l autorité parentale conform. à l art. 308 al. 3 CC (au lieu de l ordonner) et assigne à la curatrice le pouvoir de représentation unique dans les domaines du droit de visite, de la formation scolaire, des soins de santé (mesures médicales et thérapeutiques) et de l hébergement (au lieu de la mandater) afin d agir dans le cadre de la curatelle en faveur du bien des enfants E. et M., nés le xx. avril 2011. Il pourrait en résulter une absence de représentation dans d autres domaines juridiques si la mère est inatteignable. Une extension supplémentaire des pouvoirs du curateur au sens d un pouvoir de représentation général annihilerait toutefois les possibilités de la curatelle conform. à l art. 308 al. 2 CC, puisque cette dernière ne peut satisfaire qu au transfert de pouvoirs spécifiques, mais non pas à une représentation générale de l enfant. Les pouvoirs exhaustifs du curateur combinés à un retrait du droit de garde selon art. 310 CC équivaudraient sur le principe au retrait de l autorité parentale, sans que les conditions qualifiantes n aient été vérifiées et présentées à titre justificatif et sans que l autorité compétente selon le droit encore récemment en vigueur (autorité de surveillance tutélaire, désormais APEA) n ait ordonné les mesures sur la base de l art. 311 CC. Par conséquent et comme vous le suggérez, seul le retrait de l autorité parentale serait à envisager s il n est pas possible d impliquer davantage la mère dans la représentation des enfants. 4. Conclusion La mère et le père doivent être entendus à la résidence habituelle des enfants par l APEA en sa qualité d autorité locale compétente. Leur situation respective doit être soigneusement étudiée. Avec la participation des deux parents, ainsi que d éventuelles personnes encadrant la mère (thérapeute? travailleur social de l aide sociale? conseillère AI? etc.), des options de prise en charge répondant aux besoins concrets des deux enfants doivent être identifiées. La situation du 3ème enfant doit d office être prise en compte dans les enquêtes effectuées. Si l implication de la mère dans la représentation et la prise en charge des jumeaux ne peut être envisagée à moyen ou long terme, alors le retrait de l autorité parentale doit être jugé comme une décision proportionnelle et efficace au regard des circonstances décrites. Il convient par ailleurs d évaluer 5
avec soin si le père pourrait devenir détenteur de l autorité parentale sur la base de ses propres possibilités. Cette solution devrait sans aucun doute être visée (avec ou sans l aide d un curateur éducatif). Pour autant que les deux parents l approuvent, l autorité parentale peut être transférée de la mère au père conformément à l art. 298 révisé al. 3 CC dès le 1.1.2013, sans que cela n implique un retrait de l autorité parentale selon l art. 311 ou 312 CC. 28 décembre 2012/Kurt Affolter, lic. iur., avocat et notaire, Ligerz 6