STRATEGIE ET INVESTISSEMENT Lettre Hebdomadaire du lundi 1 er février 2016 Hervé Goulletquer Stratégiste de la Direction de la Gestion Quelques thématiques à suivre de près Où en est la croissance économique, surtout aux Etats-Unis et en Chine? Quand l inflation pourrait-elle repartir durablement à la hausse? Les banques centrales sont-elles en train d entamer un nouveau cycle de détente monétaire? Autant de questions dont les réponses façonnent le diagnostic des investisseurs sur l environnement macro des marchés. Il n empêche la lisibilité de l environnement reste trop faible pour que le degré de conviction soit vraiment élevé. D où la sensibilité à ce qu on peut appeler des thèmes de marché, qui animent le débat et donc participent aux variations de prix d actif. Que sont-ils à l heure actuelle et que peut-on en dire? Où va le CNY? Il apparait que le taux de change du yuan est devenu aux yeux du marché un baromètre facile permettant de prendre la mesure de la situation économique du pays. Pourtant statistiquement, la relation ne va pas de soi, même pour la période récente. Et puis, l importance de l excédent courant (près de 3 points de PIB) et un écart de taux d intérêt (certes déclinant) avec les autres pays dont les devises composent le panier du DTS (la monnaie du FMI) devraient constituer des coussins à même de prévenir une «glissade» trop forte. Il faut reconnaître que les autorités chinoises y ont mis du leur pour semer le doute chez les investisseurs. Cela vaut tant du régime du change choisi pour le yuan que de son internationalisation. En août dernier, on s en souvient, avec l ambition de réformer le marché des changes, en rapprochant le fixing du cours spot, les autorités chinoises abaissent la valeur du CNY de près de 3% par rapport à l USD. Pour stabiliser le change entre les deux devises, les autorités chinoises auraient dépensé plus d USD200mds entre mi-août et début novembre. Autant d efforts pour annoncer le 11 décembre que la référence en matière de change n était plus uniquement l USD mais aussi le taux de change effectif vis-à-vis des devises des principaux 1
partenaires. Et les mêmes causes de produire les mêmes effets: doutes, pressions baissières et interventions. Que veulent les autorités de Pékin? A elles de le dire, plutôt qu au marché de le deviner. Prêtons-nous pourtant à l exercice, puisqu il le faut! Un taux de change flottant librement n est surement pas l objectif du moment. Il reste alors l hypothèse d une certaine stabilité du taux de change effectif, tout en évitant les variations trop fortes par rapport à l USD. Aujourd hui, pour des raisons de réglages monétaires relatifs entre les principales banques centrales, cela impliquerait une certaine faiblesse par rapport à l USD et davantage de fermeté vis-à-vis de l EUR. Cela peut se comprendre et donc s énoncer clairement! Comment s y prendre pour stabiliser le CNY? L objectif est en soi important, dans la mesure où il est considéré aujourd hui par les marchés comme le baromètre de la «santé» de l économie chinoise. Conceptuellement, les autorités chinoises essaient de trouver une sortie au dilemme très classique (le triangle d incompatibilité de Mundell et Fleming) entre une politique monétaire autonome (vis-à-vis des évolutions observées à l extérieur du pays), un taux de change sous contrôle et la libéralisation de la balance des capitaux. Le 1er objectif ne se discute pas ; reste alors à trouver le bon équilibre entre les 2 autres. Celui-ci n a aucune raison d être stable sur la durée. Il faut donc le gérer avec doigté. Si la stabilité du change est actuellement le révélateur d une dynamique économique satisfaisante en Chine, il ne reste aux officiels qu à rendre plus «visqueuses» les sorties nettes de capitaux. La victime collatérale de la réalisation de cet objectif serait alors le CNH (le yuan offshore). La Chine va-t-elle devoir revoir à la baisse son ambition en termes de «nouvelles routes de la soie» ; et ceci pour des raisons de financement, anticipations inflationnistes de moyen terme, qui tendent à devenir le baromètre de la confiance sur les marchés de capitaux. Où va le prix du pétrole? Le prix du pétrole est considéré aujourd hui par le marché comme le baromètre à la fois des pressions inflationnistes et du niveau de la demande ; les deux au niveau mondial. Le cours du Brent a oscillé d abord entre 30 et 32 $pb du vendredi 22 au mercredi 27, puis est sorti de la fourchette par le haut (il se situe à près de 35 $ depuis le 29 janvier) ; le tout à comparer à un point bas sous la barre des 28$ les 2 jours précédents. On est tenté, factuellement, de percevoir un plancher. Y aurait-il des raisons à cela? Oui, sans doute, et elles sont avant tout de nature politique ou de politique économique. On murmurait, il y a deux semaines de cela, que le Président chinois, en visite au Moyen- Orient, tentait d inciter l Iran et l Arabie saoudite à un échange de bons procédés. Le premier n augmenterait sa production que graduellement et ne se précipiterait pas pour «inonder» le marché avec les stocks constitués au cours des années d embargo ; le second «s arrangerait» pour réduire temporairement sa production (de la nécessité d assurer la maintenance des installations!). 2
On dit aussi que l Arabie saoudite et la Russie discuteraient d une initiative visant à réduire la production «d or noir». Est-ce crédible? Oui, si on accepte comme définition de la diplomatie le fait que tout le monde parle avec tout le monde et que parfois il se passe des choses! Cela parait à priori plus étonnant lorsqu on se réfère à la recherche d un terrain d entente entre l Arabie saoudite et l Iran. Ne craint-on pas que les fortes tensions actuelles débouchent sur une confrontation directe entre les deux pays? Pourtant, la tradition des deux protagonistes en matière de diplomatie pétrolière invite à davantage d optimisme. Ainsi, l Iran, même à des moments de grande radicalité dans l expression et la mise en œuvre de la politique du «Guide Suprême», est resté un partenaire plutôt fiable à l intérieur de l OPEP. Bien sûr, l Organisation n est plus le forum qu il a été par le passé ; l Arabie saoudite s y oppose. Cela n empêche pas une convergence tactique entre les vues de l un et de l autre (en politique, les «parallèles peuvent converger» ; cf. la Démocratie chrétienne et le Parti communiste dans l Italie des années 1970 ; l expression est d Aldo Moro D un point de vue plus économique, l Agence Internationale de l Energie (AIE) a revu à la baisse ses prévisions de demande mondiale pour 2016. Elle progresserait toutefois de 1,2 Mbj. Pour ce qui est de l offre, elle resterait excédentaire en moyenne de 1Mbj, avec des stocks à la limite des capacités. Où va le marché du crédit? La communauté financière s est émue à juste titre de la déception américaine en matière de croissance en fin d année. Le marché du High Yield (HY) américain déjà affecté par la crise du secteur pétrolier non conventionnel est en première ligne. Mais on se met à craindre un phénomène de contamination: aux Etats-Unis tant à l intérieur de la catégorie HY que vers d autres mieux notées et des Etats-Unis vers la Zone Euro. Comment le diagnostic conjoncturel permet-il de se positionner par rapport à cette question? Commençons par les Etats-Unis Hors du secteur de l énergie, les fondamentaux financiers du secteur des corporates ont dépassé le point haut et se dégradent un peu ; qu il s agisse du taux de marge, du retour sur capital et même de l effet de levier qui remonte un peu ; La dernière enquête de la Fed auprès des senior loan officers des banques commerciales montrent un resserrement des conditions de crédit faites aux entreprises. C est communément un signal d élargissement des spreads de crédit ; Si la croissance économique se poursuit aux Etats-Unis sur un rythme de 2% l an, ce phénomène d élargissement devrait être généralement limité. 3
Passons à la Zone Euro La croissance, dont le redémarrage a été plus tardif qu aux Etats-Unis, ne paraît pas faiblir ; Les fondamentaux financiers des corporates n envoient pas de signaux de faiblesse et le dernier Bank Lending Survey de la BCE fait état de conditions de crédit qui s améliorent ; Le QE de la BCE, déjà amplifié et qui pourrait l être à nouveau le mois prochain, doit participer d un intérêt non démenti pour la classe d actif. Où va l Union Européenne? Le marché regarde du côté du Moyen-Orient (le pétrole), de la Chine (la croissance et le RMB) et des Etats-Unis (la croissance et la Fed). Tout paraît plus lisible en Europe. Le tempo de la croissance économique ne réserve pas de surprise et la BCE reste proactive. Est-ce vraiment une raison pour faire preuve de moins de vigilance? N est-on pas souvent rattrapé par ce à quoi on fait moins attention? A ces deux questions, il faut répondre respectivement non et oui. Autant de raisons pour faire le point sur une situation politique vraiment challenging! Commençons par le débat sur Schengen. Il concerne en fait toute l Europe. L espace Schengen est important pour l économie européenne. Il intègre 26 pays (24 pays-membres de l UE, la Suisse et la Norvège). Il sous-tend le marché unique. L absence de contrôle aux frontières intérieures facilite le commerce et la circulation des personnes, favorise le tourisme et réduit les coûts de contrôle ; 6 pays en décembre dernier ont ré-institué des contrôles aux frontières (dont l Allemagne et la France). Cette procédure d urgence vaut pour 2 mois. Elle peut être prolongée de «manière planifiée» pour 6 mois, puis pour encore 2 ans, sur la base d une procédure collective nécessitant l accord de la Commission et du Conseil ; Si ce n est pour de simples raisons de saisonnalité, le nombre de réfugiés ne faiblit pas. Pour rappel, plus de 1 million de migrants sont arrivés en Europe l année dernière. Aucune réponse européenne n a encore été trouvée. Les pays que les réfugiés cherchent à atteindre (Allemagne, Suède, voire Autriche ou Pays-Bas) soupçonnent vite les pays d entrée dans l UE (la Grèce et l Italie) de ne pas faire les efforts nécessaires de contrôle. Quant aux autres, ils refusent fermement l accueil (les pays d Europe centrale) ou pratiquent quelque chose qui se rapproche de la «théorie de l autruche» ; Il devient urgent de retrouver la confiance et d aller vers davantage de solidarité. Cela veut dire:. L européanisation du contrôle aux frontières extérieures de l Union ;. L Union et ses pays-membres doivent disposer d outils mutualisables, qu il s agisse des domaines diplomatique, humanitaire et militaire, afin de répondre à la fois de façon précoce et rapide aux crises survenant à sa périphérie ; 4
. L Union doit mettre en place une politique commune d immigration et d asile. Ces objectifs ne paraissent pas atteignables rapidement. Ce n est pas que le soft power de l Europe qui est en jeu. Si l espace Schengen devait être remis en cause, c est toute la politique européenne qui finirait par être questionnée, y compris peutêtre les «navires amiraux» que sont le marché unique et l union économique et monétaire. Quantité de débats nationaux importants Le Brexit au Royaume-Uni, et le difficile travail de David Cameron auprès de ses partenaires de l UE, des membres de son parti et des citoyens britanniques ; L Espagne, avec la double question de la couleur du prochain gouvernement et de la politique qui sera suivie ; Le Portugal, avec un gouvernement qui veut répondre à la fois aux attentes de Bruxelles et de ses soutiens d extrême-gauche ; L Italie et un gouvernement Renzi progressivement plus guidé par une logique électorale que réformatrice ; L avenir d Angela Merkel. 5
Aperçu sur les marchés Marchés des taux 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 Eonia -0,24-0,00-0,01-0,11 Euribor 3 Mois -0,15-0,01-0,02-0,02 Libor USD 3 Mois +0,62-0,00 +0,02 +0,01 Schatz 2 ans (Titres d'etat Allemagne) -0,45-0,05-0,10-0,10 Bund 10 ans (Titres d'etat Allemagne) +0,48-0,06-0,12-0,15 Swap Inflation 5 ans dans 5 ans Zone Euro +1,57-0,02-0,09-0,12 T-Notes 2 ans (Titres d'etat Etats-Unis) +0,87 +0,02-0,10-0,18 T-Notes 10 ans (Titres d'etat Etats-Unis) +2,05 +0,02-0,18-0,22 Ecart de taux 10 ans vs Allemagne 22/01/2016 Il y a 1 semaine Il y a un mois le 31/12/2015 France +0,32 +0,33 +0,35 +0,36 Autriche +0,24 +0,24 +0,27 +0,27 Pays-Bas +0,11 +0,12 +0,16 +0,16 Finlande +0,26 +0,25 +0,29 +0,29 Belgique +0,45 +0,30 +0,33 +0,34 Irlande +0,58 +0,58 +0,53 +0,52 Portugal +2,55 +2,20 +1,92 +1,89 Espagne +1,25 +1,21 +1,19 +1,14 Italie +1,09 +1,03 +1,04 +0,97 Marché du crédit 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 Itraxx Main 93,25-1,41% 13,83% 20,68% Itraxx Crossover 371,31-2,33% 10,74% 18,02% Itraxx Financials Senior 88,85 3,31% 15,41% 15,68% Marché actions 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 S&P 500 1 906,90 1,41% -6,48% -6,70% Eurostoxx 50 3 023,21 2,40% -5,95% -7,48% CAC 40 4 336,69 3,01% -5,06% -6,48% Dax 30 9 764,88 2,30% -6,90% -9,10% Nikkei 225 16 958,53-1,10% -10,21% -10,90% MSCI Marchés Emergents (clôture -1J) 710,66 0,21% -10,56% -10,51% Matières premières 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 Pétrole (Brent, $/baril) 32,18 11,20% -12,00% -14,57% Or ($/once) 1 097,95 0,83% 2,38% 3,47% Marché des changes 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 EUR/USD 1,08-1,10% -1,47% -0,61% USD/JPY 118,78 1,54% -1,89% -1,20% EUR/GBP 0,76-1,11% 2,46% 2,72% EUR/CHF 1,10 0,38% 1,37% 0,77% Volatilité 22/01/2016 Sur 1 semaine Sur un mois Dep. 31/12/2015 VIX (S&P 500) 22,34-17,32% 34,58% 22,68% V2X (Euro Stoxx50) 28,34-18,07% 25,73% 27,78% MOVE (US Treasury) 77,35-0,91% 15,62% 14,00% 6
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