ÉTUDE DES CELLULES PRODUCTRICES D INTERFÉRON DE TYPE I DANS LA LYMPHE DRAINANT LES MUQUEUSES ORO-NASALES OU LA PEAU CHEZ LE MOUTON



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ÉTUDE DES CELLULES PRODUCTRICES D INTERFÉRON DE TYPE I DANS LA LYMPHE DRAINANT LES MUQUEUSES ORO-NASALES OU LA PEAU CHEZ LE MOUTON STUDY OF TYPE I INTERFERON PRODUCING CELLS IN SHEEP LYMPH DRAINING ORO-NASAL MUCOSAE OR SKIN TISSUES Par Bernard CHARLEY (1), Florentina PASCALE (1), Michel BONNEAU (2) et Isabelle SCHWARTZ-CORNIL (1) (Communication présentée le 6 mai 2010) RÉSUMÉ Les interférons (IFN) constituent une famille de molécules naturelles antivirales dont la fabrication par les cellules est déclenchée dès les premières phases d une agression virale. Afin d étudier cette production précoce au plus près des sites primaires d infection virale (muqueuses ou peau), nous avons utilisé un modèle original de cathétérisme lymphatique chez le mouton, qui permet d accéder en temps réel à la lymphe et aux cellules lymphatiques drainant un territoire muqueux ou cutané. Après injection oro-nasale ou cutanée d un oligonucléotide inducteur d IFN, nous détectons la présence précoce d IFN dans la lymphe drainant le site d injection, ainsi que la présence de cellules lymphatiques productrices d IFN, en migration du site d induction vers le ganglion drainant. Ces cellules rares (<1%) ont les caractéristiques de cellules dendritiques plasmacytoïdes (faible densité, B neg CD11c neg CD45RB pos, exprimant les transcrits des TLR 7 et 9 et de l IRF7). Ces cellules, déterminantes dans l activation de l immunité adaptative, pourraient être ciblées avantageusement par des stratégies vaccinales novatrices. Mots-clés : Interféron, cellules dendritiques plasmacytoïdes, lymphe, cathétérisme, mouton. SUMMARY Interferons (IFN) are natural antiviral molecules produced by cells as an early response to a viral aggression. To study the early production of IFN at primary sites of viral infections (i.e. mucosal or skin tissues), we used a novel lymphatic cannulation model in sheep, providing real-time access to lymph and lymph cells draining a mucosal or skin area. Following oronasal or cutaneous injection of an IFNinducing oligonucleotide, we were able to detect IFN early on in the lymph draining the injection site, as well as IFN-producing lymph cells migrating from the injection site to the draining lymph node. These rare cells (<1%) share the same features as plasmacytoid dendritic cells (low density, B neg CD11c neg CD45RB pos, expressing TLR7 and 9, and IRF7 transcripts). They play an important role in the activation of adaptive immunity, and could provide interesting targets for innovative vaccine strategies. Key words : interferon, plasmacytoid dendritic cells, lymph, cannulation, sheep. (1) INRA, Virologie et immunologie moléculaires, 78350 Jouy-en-Josas. (2) INRA, Centre de recherche en imagerie interventionnelle, 78350 Jouy-en-Josas. Bull. Acad. Vét. France 2010 - Tome 163 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 125

LES INTERFÉRONS Plus de 50 ans après leur découverte, et malgré la somme importante de connaissances accumulées (plus de 100 000 publications!), les interférons (IFN) restent l objet de recherches actives, tant sur les aspects moléculaire et cellulaire de leurs mécanismes de production et d action, que sur leur utilisation clinique. Les IFNs, regroupés en trois grandes catégories (types I, II et III) en fonction de leur structure moléculaire et des récepteurs cellulaires sur lesquels ils agissent spécifiquement, ont en commun d être des protéines secrétées, induisant après liaison au récepteur correspondant, un état de résistance cellulaire aux infections virales. Ils exercent également d importants effets immunorégulateurs et modulent la survie, la prolifération ou la mort de cellules normales ou tumorales (Borden et al. 2007). Dans le cadre des infections virales, ce sont principalement les IFNs de type I (IFN-, IFN- ), produits très rapidement, dans les heures qui suivent le début de l infection, qui contribuent fortement aux défenses innées antivirales. De fait, des défauts génétiques affectant soit la production, soit l action des IFNs, chez la souris ou chez l homme, occasionnent une sensibilité exacerbée aux infections virales. De même, le fait que les virus aient développé des stratégies variées d échappement aux effets antiviraux des IFNs montre à quel point ceux-ci peuvent nuire à la propagation virale. De ces puissants effets biologiques (antiviraux, antiprolifératifs, immunomodulateurs) découlent tout naturellement des utilisations thérapeutiques: depuis 20 ans, plusieurs préparations d IFN recombiné humain ont obtenu une autorisation de mise sur le marché et sont utilisées dans le traitement d hépatites virales, d infections herpétiques, de leucémies, et, de façon plus inattendue, de la sclérose en plaque (Borden et al. 2007). LA RÉPONSE INTERFÉRON AUX INFECTIONS VIRALES La production d IFN de type I par un organisme confronté à une infection virale est rapide et transitoire. Selon la nature des virus (enveloppé ou non, à ARN ou à ADN), des mécanismes variés sont mis en œuvre: des virus infectieux, des particules virales non infectieuses, voire des molécules d origine virale, sont en effet susceptibles d induire la synthèse d IFN. Nous avons, par exemple, montré le rôle essentiel joué par une glycoprotéine virale dans l induction d IFN par un coronavirus du porc (Baudoux et al. 1998). Les acides nucléiques viraux sont aussi de puissants inducteurs d IFN du fait soit de leur liaison à des récepteurs de la membrane des endosomes (les TLR ou Toll-like receptor, 3, 7, 8 et 9), soit de leur reconnaissance par des protéines cellulaires cytosoliques telles que les hélicases (Borden et al. 2007). La plupart des cellules, épithéliales, fibroblastiques ou autres, produisent de l IFN dès lors qu elles sont infectées par un virus, mais cette production est relativement faible, principalement constituée d IFN-, et ne peut rendre compte de la production massive d IFN, essentiellement IFN-, par un organisme infecté, production qui s avère le fait de plusieurs populations leucocytaires: macrophages, monocytes et cellules dendritiques. Parmi ces dernières, ce sont les cellules dendritiques plasmacytoïdes (PDC), bien caractérisées chez l homme et la souris à la fin des années 1990, qui sont de véritables usines à produire de grandes quantités d IFN de type I (jusqu à 10 pg par cellule en 24h, soit près de 1000 fois plus que d autres cellules), sans nécessairement être elles-mêmes infectées par les virus inducteurs (Gilliet et al. 2008). L étude de ces cellules chez l homme et la souris a permis de cerner leurs caractéristiques principales: ce sont des leucocytes, présents en faible nombre dans les organes lymphoïdes, le sang, les muqueuses, la peau. Les PDC expriment des marqueurs membranaires qui les différencient des monocytes/macrophages, des lymphocytes, des cellules NK (Natural Killer ou tueuses-naturelles), mais qui les classent dans la catégorie des cellules dendritiques, cellules qui expriment à leur surface des molécules du complexe majeur d histocompatibilité (CMH) de classe II, capables de présenter les antigènes aux lymphocytes T (Fitzgerald-Bocarsly et al. 2008; Robbins et al. 2008). Pour des raisons pratiques, la taille chez la souris, ou éthiques chez l homme, l étude des PDC dans ces deux espèces s est, pour l essentiel, limitée aux cellules de la rate chez la souris ou aux leucocytes sanguins chez l homme. Or, la plupart des infections virales ont pour cible première une muqueuse (aéro-digestive, uro-génitale, oculaire ) ou la peau (par morsure ou piqûre d un insecte vecteur), alors que la phase virémique éventuelle de l infection virale, susceptible de mettre en contact le virus avec les PDC du sang ou de la rate, ne survient que dans un second temps. Pour étudier de façon plus «physiologique» l origine cellulaire de l IFN produit très rapidement après le début de l infection virale, il semble donc pertinent de privilégier l analyse au niveau des sites d infection primaire, muqueuses ou peau. C est cette approche que nous avons privilégiée chez les animaux domestiques qui permettent des démarches expérimentales impossibles chez l homme ou la souris (Charley 2008). Avec un premier modèle expérimental, l infection du porcelet par le coronavirus de la gastroentérite transmissible, nous avions décrit la présence des cellules productrices d IFN- dans la muqueuse intestinale, lieu initial de la réplication du virus, dès six heures après le début de l infection, au moment où l IFN- est présent dans la lumière intestinale, mais pas encore dans la circulation sanguine (Riffault et al. 2001; Charley 2003). Ces cellules se retrouvent ultérieurement dans les tissus lymphoïdes associés au tube digestif, plaques de Peyer et ganglions mésentériques (Riffault et al. 2001). Les cellules productrices d IFN- en réponse à ce virus présentent chez le porc les caractéristiques principales de cellules dendritiques plasmacytoïdes (Summerfield et al. 2003). Cette approche ex vivo confortait notre hypothèse que la rencontre entre le virus inducteur d IFN et les cellules productrices d IFN se faisait au site primaire de réplication virale, en l occurrence la muqueuse intestinale. Cependant, cette étude post-mortem ne permettait pas de suivre la cinétique ni le devenir des PDC issues du site d induction. C est dans ce but que nous avons développé un modèle ovin de suivi in vivo des PDC. 126 Bull. Acad. Vét. France 2010 - Tome 163 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr

LE MODÈLE EXPÉRIMENTAL Le cathétérisme lymphatique cervical, mis au point chez le mouton par Isabelle Schwartz-Cornil et Michel Bonneau à Jouyen-Josas (Epardaud et al. 2004; Schwartz-Cornil et al. 2005; Epardaud et al. 2005), permet de collecter en temps réel les cellules en migration depuis les muqueuses oro-nasales vers les ganglions drainants. Cette méthodologie implique une exérèse chirurgicale délicate de tous les ganglions lymphatiques situés entre les canaux lymphatiques afférents drainant les territoires muqueux de la tête et le canal efférent cervical. Après ré-anastomose, ce canal cervical, dit «pseudo-afférent», est canulé afin de collecter les cellules en migration (environ 50 millions de cellules par heure), constituées d une large majorité de lymphocytes T et B (plus de 90 %) et de cellules dendritiques (1 à 3 %) (Schwartz-Cornil et al. 2005; Epardaud et al. 2005). De la même manière, le cathétérisme lymphatique pré-scapulaire permet de récolter les cellules lymphatiques en migration depuis le territoire cutané de l épaule. Afin de mimer l induction d IFN par un virus, un oligodésoxynucléotide (ODN) synthétique de type A (D32, BioSource International), d une longueur de 20 nucléotides et présentant un seul motif CpG non méthylé, inducteur d IFN chez plusieurs espèces animales (Guzylack-Piriou et al. 2004), a été injecté à la dose de 4 mg en plusieurs points aux moutons canulés. Pour mimer une infection virale par voie aéro-digestive, l ODN est injecté dans les muqueuses orale et nasale des brebis ayant un cathétérisme cervical. Pour mimer une infection virale par voie cutanée, l ODN est injecté dans le territoire cutané de l épaule des brebis équipées d un cathétérisme pré-scapulaire (Pascale et al. 2008). La lymphe (cervicale ou pré-scapulaire) est ensuite recueillie deux fois par jour pendant plusieurs jours. Après centrifugation, les surnageants sont congelés afin de réaliser le titrage biologique de l IFN, alors que les cellules lymphatiques sont mises en culture à une concentration de 10 7 cellules/ml pendant une nuit à 37 C, afin d évaluer leur capacité à secréter l IFN in vitro. Le titrage de l IFN dans la lymphe ou dans les surnageants de cellules lymphatiques se fait par mesure de l effet antiviral sur cellules de rein de bœuf MDBK (Madin-Darby Bovine Kidney) infectées par le virus de la stomatite vésiculaire (VSV), et les résultats sont exprimés en unités d IFN/ml. PRODUCTION D IFN APRÈS ADMINISTRATION MUQUEUSE OU CUTANÉE D ADN L injection d ODN dans les muqueuses oro-nasales de brebis canulées provoque une forte production d IFN dans la lymphe cervicale pseudo-afférente, très précocement après injection, avec un maximum en fin de première journée (figure 1 A et B). L IFN n est plus détectable dans la lymphe cervicale trois à quatre jours après l injection. Quand l ODN est injecté par voie cutanée, on observe également une production précoce Figure 1:Cinétique de production d IFN dans la lymphe pseudo-afférente cervicale (A, B) ou pré-scapulaire (C) après injection mucosale (A, B) ou cutanée (C) d ODN D32 (oligodésoxynucléotide synthétique de type A, D32, BioSource International). Résultats représentatifs de huit expériences. Bull. Acad. Vét. France 2010 - Tome 163 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 127

Figure 2 : Production d IFN par les cellules de lymphe cervicale (A, B) ou pré-scapulaire (C), collectées après injection mucosale (A, B) ou cutanée (C) d ODN D32 (oligodésoxynucléotide synthétique de type A, D32, BioSource International). Les cellules collectées sont maintenues une nuit en culture et leurs surnageants sont recueillis pour mesure de l IFN. d IFN, détectable dans la lymphe pré-scapulaire dès cinq heures après injection, qui persiste au moins 48h (figure 1 C). Ces résultats montrent donc que la synthèse précoce d IFN se situe à proximité immédiate des tissus où pénètre l inducteur d IFN, en l occurrence dans la lymphe drainant les muqueuses oronasales ou la peau. Il est par conséquent pertinent de rechercher la présence précoce des cellules productrices d IFN dans ces territoires ou dans la lymphe correspondante, plutôt que dans la rate ou dans la circulation sanguine périphérique. De fait, en isolant la fraction cellulaire de la lymphe, cervicale ou pré-scapulaire, collectée après injection d ODN et en cultivant ces cellules une nuit à 37 C, on observe que ces cellules produisent de l IFN en culture quand elles sont récoltées pendant les quatre premières heures après l injection d ODN par voie mucosale (figure 2 A et B) comme par voie cutanée (figure 2 C). Les cellules lymphatiques collectées avant l injection ne produisent pas d IFN. La durée de la production d IFN par les cellules lymphatiques varie selon les animaux et peut atteindre plusieurs jours après l injection d ODN (figure 2 C). Ces résultats valident l hypothèse que l induction d IFN a lieu au site de pénétration de l agent inducteur. De plus, ils montrent qu à la suite de cette phase initiale d induction, les cellules productrices d IFN quittent les tissus ciblés par voie lymphatique afférente. NATURE DES CELLULES LYMPHATIQUES PRODUCTRICES D IFN Afin de caractériser les cellules productrices d IFN présentes dans la lymphe afférente, plusieurs approches méthodologiques de séparation cellulaire ont été mises en œuvre, suivies d une induction in vitro des populations ainsi enrichies et de la mesure de leur capacité à secréter l IFN. Par séparation sur gradient de densité, nous avons d abord montré que les cellules productrices d IFN se trouvaient dans la fraction de faible densité. Puis, une série de tri immunomagnétiques, permettant d isoler les populations cellulaires marquées par des anticorps monoclonaux spécifiques des sous-populations leucocytaires ovines, ont montré que les cellules lymphatiques productrices d IFN n étaient pas reconnues par des anticorps spécifiques des lymphocytes B (DU2-104), des monocytes (CD14), des cellules dendritiques classiques (CD1b, CD11c, DEC205). À l inverse, on observe un enrichissement en cellules lymphatiques productrices d IFN par tri à l aide d anticorps anti CD45RB (tableau 1), le plus efficace pour isoler cette population. Finalement, des tris immunomagnétiques successifs par déplétion, puis par enrichissement ont permis d isoler une sous-population rare (<1%) de cellules lymphatiques de faible densité, B neg CD11c neg CD45RB pos, responsable de la production d IFN en réponse à plusieurs agents inducteurs. Cette population cellulaire, qui exprime les ARNm 128 Bull. Acad. Vét. France 2010 - Tome 163 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr

Faible densité Propriété des cellules Gradients de densité Optiprep Approche expérimentale Expression des antigènes de surface Tris immunomagnétiques CD11c neg DEC 205 neg CD14 neg CD45RB pos DU2-104 (lympho B) neg CD1b neg CD3 neg Présence de transcrits Tris immunomagnétiques successifs (B neg CD11c neg CD45RB pos ), TLR7 suivis de quantification des ARNm par qrt-pcr TLR9 IRF7 Tableau 1 : Caractérisation des cellules lymphatiques pré-scapulaires ovines, productrices d IFN (Pascale et al. 2008). Ces cellules ne sont pas reconnues par les anticorps spécifiques des lymphocytes B (DU2-104), des lymphocytes T (CD3), des monocytes (CD14), des cellules dendritiques classiques (CD1b, CD11c, DEC205). Elles sont reconnues par les anticorps CD45RB. Des tris immunomagnétiques successifs par déplétion, puis par enrichissement ont permis d isoler une sous-population rare de cellules lymphatiques de faible densité, B neg CD11c neg CD45RB pos. des TLR7 et 9 (molécules de reconnaissance d acides nucléiques) et de l interferon regulatory factor 7 (IRF7), un facteur de transcription des IFN, présente donc les caractéristiques de cellules dendritiques plasmacytoïdes (Pascale et al. 2008). CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Le modèle expérimental original de cathétérisme lymphatique chez le mouton nous a donc permis de mieux caractériser les phases précoces de production d IFN, aux sites primaires d infection virale que sont les muqueuses ou la peau. Nous avons montré que les cellules productrices d IFN, quittant ces sites initiaux d induction d IFN par la voie lymphatique afférente, ont une capacité migratoire vers les ganglions drainants: c est une donnée originale par rapport à ce qui était connu chez la souris, espèce chez laquelle les PDC semblent rejoindre les ganglions exclusivement par la voie sanguine, sans migrer depuis les tissus non lymphoïdes. Nous montrons de plus que ces cellules ont les caractéristiques de cellules dendritiques plasmacytoïdes, leur migration vers les ganglions lymphatiques facilitant leur interaction avec les acteurs des défenses immunes antivirales spécifiques (effets de l IFN produit sur l activation des lymphocytes T cytotoxiques, sur la balance Th1/Th2 des lymphocytes T auxiliaires, sur la nature isotypique des anticorps produits ). Ainsi, l activation des PDC est un élément clé du déclenchement des réponses immunes adaptatives et elle est particulièrement recherchée dans des développements de stratégies vaccinales nouvelles. Sur la base de ces résultats, notre équipe cherche à présent à analyser la contribution de ces cellules dendritiques plasmacytoïdes lymphatiques ovines dans la pathogénèse de la fièvre catarrhale ovine, une fièvre hémorragique virale vectorisée par un insecte piqueur, qui s est répandue en Europe depuis 2006 (Schwartz-Cornil et al. 2008). Après avoir montré que ce virus, introduit par voie transcutanée par la piqûre de l insecte vecteur, se multiplie dans les cellules dendritiques conventionnelles de la lymphe afférente, qui assurent sa dissémination dans l organisme (Hemati et al. 2009), nous analysons la contribution des PDC drainant le site d inoculation dans la production d IFN observée dans la lymphe des animaux infectés ainsi que les mécanismes par lesquels ce virus induit la synthèse d IFN par ces cellules (Ruscanu et al. 2010). REMERCIEMENTS Nous remercions pour leur contribution aux résultats présentés ci-dessus, les membres passés et actuels de l équipe «Immunobiologie des viroses respiratoires» (Unité VIM), notamment Catherine Dubuquoy et les co-auteurs de l article Pascale et al, 2008, ainsi que le personnel concerné du centre de recherche en imagerie interventionnelle et de l unité commune d expérimentation animale du centre INRA de Jouy-en-Josas. Bull. Acad. Vét. France 2010 - Tome 163 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 129

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