Montréal, le 10 janvier 2006 Chronique du syndic Les clauses de limitation de responsabilité au regard du Code de déontologie des comptables agréés du Québec Nous avons constaté qu un certain nombre de cabinets comptables ont récemment procédé à une modification du contenu des lettres de mission (lettres-mandats) qu ils soumettent à leurs clients, particulièrement au regard de leur responsabilité professionnelle. Il nous apparaît que les vérificateurs tentent ainsi de limiter leur responsabilité professionnelle et celle de leur société relativement aux mandats qui leur sont confiés et aux risques qui y sont associés, ce qui soulève un certain nombre de questions de nature déontologique. Ginette Lussier-Price, FCA Cette tendance, qui s est d abord manifestée chez nos voisins au sud de la frontière, a été vivement dénoncée par plusieurs organismes américains, dont l Office of Thrift Supervision, le Board of Governors du Federal Reserve System, la Federal Deposit Insurance Corporation, la National Credit Union Administration, et l Office of the Comptroller of the Currency, lesquels, par l entremise du Federal Financial Institution Examination Council (FFIEC), ont exprimé l avis que les clauses de limitation de responsabilité sont susceptibles de nuire à l objectivité, à l impartialité et à la performance du vérificateur externe. Tout récemment, le Conseil canadien sur la reddition de comptes (CCRC) écrivait dans son deuxième rapport public sur les inspections de la qualité des cabinets d expertscomptables, publié au mois d août 2005 : «Les cabinets de vérification rédigent habituellement une lettre de mission annuelle à l intention de leurs clients, dans laquelle ils définissent les rôles et les responsabilités des diverses parties concernées par la vérification. Il est d usage, pour la direction de l entité cliente, de signer ces lettres pour attester son accord avec le contenu. Les préoccupations des vérificateurs au sujet de l'étendue de leur responsabilité ont, ces dernières années, amené certains cabinets à intégrer de plus en plus souvent aux lettres de mission des clauses visant à limiter leur responsabilité dans certaines circonstances. De telles clauses peuvent établir un plafond quant à la responsabilité du vérificateur à l'égard de l'entité cliente et/ou prévoir l'indemnisation du vérificateur par le client en ce qui a trait aux règlements à l'amiable conclus par le vérificateur avec des tiers. - 1 -
Tous les cabinets n utilisent pas de telles clauses, mais ceux qui le font semblent les appliquer à tous les clients à qui ils fournissent des services de vérification, y compris les sociétés inscrites à la SEC. Ces cabinets ne savaient apparemment pas que la SEC considère que la limitation de la responsabilité du vérificateur constitue une entrave à son indépendance. Les cabinets de vérification se trouvant dans cette situation ont accepté de renoncer immédiatement à cette pratique et de consulter un conseiller juridique pour déterminer la façon de retirer ou de modifier la lettre de mission qui était erronée lors de la dernière vérification.» Bien que les clauses de limitation de responsabilité puissent varier, elles sont généralement incluses dans une lettre de mission signée par le client, lequel s engage à l une ou l autre des obligations suivantes : 1. indemniser le vérificateur externe à l égard de tout recours qui pourrait être exercé par une tierce partie; 2. ne pas faire valoir de réclamation et ne pas intenter de poursuite en responsabilité contre le vérificateur externe et le cabinet comptable; 3. limiter ses recours à l endroit du vérificateur externe et du cabinet comptable. Quelques exemples de clauses de limitation de responsabilité Nous reproduisons ci-après, à titre d exemple, une liste non exhaustive des clauses de limitation de responsabilité que l on retrouve le plus fréquemment dans les lettres de mission, accompagnées d une brève définition: 1- Clause dégageant le vérificateur et le cabinet de toute responsabilité en cas de négligence Le client convient de ne pas tenir le vérificateur, non plus que le cabinet comptable, responsable de dommages, à l exception de ceux résultant d un acte volontaire ou frauduleux commis par le vérificateur ou un membre du cabinet comptable. 2- Clause de non-responsabilité pour les dommages Le client convient de dégager le vérificateur et le cabinet comptable de toute responsabilité à l égard de tous dommages-intérêts, dommages punitifs ou dommages exemplaires. 3- Clause limitant la période pendant laquelle le client peut intenter une poursuite Le client convient qu il ne pourra, au-delà d un certain délai, intenter une action contre le vérificateur et le cabinet comptable. - 2 -
4- Clause concernant les pertes relatives à la période couverte par la vérification Le client accepte que la responsabilité du vérificateur et du cabinet soit limitée aux pertes relatives à la période couverte par la vérification, à l exclusion des dommages qui pourraient survenir au cours d une période subséquente. 5- Clause visant à interdire la cession ou le transfert des droits de poursuite ou de réclamation Le client convient qu il ne cédera ni ne transférera à une autre partie ses droits de poursuite ou de réclamation contre le vérificateur ou le cabinet comptable. 6- Clause concernant les fausses déclarations faites sciemment par la direction Le client convient que le vérificateur et le cabinet comptable n auront aucune responsabilité à l égard des réclamations et des coûts attribuables à des fausses déclarations faites sciemment par la direction. 7- Clause concernant le dédommagement du vérificateur en cas de négligence de la direction Le client accepte de dédommager le vérificateur pour toute poursuite qui pourrait être intentée par une tierce partie à la suite d un défaut des vérificateurs de détecter un acte de négligence de la part de la direction de l entreprise. 8- Clause prévoyant que les dommages-intérêts n excéderont pas les honoraires versés Le client accepte de limiter la responsabilité des vérificateurs externes au montant des honoraires versés au vérificateur et ce, quel que soit le montant des dommages réclamé. Puisqu il semble que nous assistions actuellement à une augmentation notable des tentatives de recourir à ce type de clauses, lesquelles ne sont pas sans susciter de vives réactions de la part de la clientèle, il nous semble opportun de rappeler à nos membres les dispositions pertinentes du Code de déontologie des comptables agréés à ce sujet. Le Code de déontologie des comptables agréés L article 21 du Code de déontologie des comptables agréés indique qu un CA ne peut limiter directement ou indirectement sa responsabilité professionnelle. En effet, cet article précise : «Un membre qui exécute, en tout ou en partie, un contrat dans le cadre de l exercice de sa profession, engage pleinement sa responsabilité civile personnelle, quel que soit son statut au sein de la société au sein de laquelle il exerce. - 3 -
Il lui est interdit d insérer dans un tel contrat une clause excluant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, cette responsabilité. Il ne peut non plus invoquer la responsabilité de la société pour exclure ou limiter sa responsabilité personnelle.» Au surplus, l article 1 du Code précise que le membre doit prendre les moyens raisonnables pour que la société au sein de laquelle il exerce sa profession respecte le Code, la loi et les règlements. «Tout membre doit respecter la Loi sur les comptables agréés (L.R.Q., c. C-48), le Code des professions (L.R.Q., c. C-26) et les règlements pris pour leur application. Il doit aussi prendre les moyens raisonnables pour que toute personne qui collabore avec lui dans l exercice de sa profession, ainsi que toute société au sein de laquelle il exerce cette profession, respecte ce code, cette loi et ces règlements.» Les lois professionnelles étant d ordre public, un professionnel ne saurait se soustraire à ses obligations déontologiques en constituant une société pour tenter de faire indirectement ce qu il lui est interdit de faire directement. Tel que mentionné précédemment, il s agit là de principes que se doivent de respecter en tout temps les comptables agréés pour tous les mandats qui leur sont confiés dans le cadre de leurs relations professionnelles avec leur clientèle. Certains cabinets œuvrant dans plus d une province et désireux de n utiliser qu un seul formulaire de lettre de mission applicable pour tout le Canada ont envisagé la possibilité d indiquer dans cette lettre que les clauses de limitation de responsabilité qui y étaient contenues ne s appliquaient que dans la mesure où celles-ci n étaient pas prohibées par les règles déontologiques provinciales applicables. Dans la mesure où la réglementation régissant les membres de l Ordre des comptables agréés du Québec interdit expressément l insertion de telles clauses dans un contrat, le bureau du syndic estime que le simple fait d ajouter une note additionnelle indiquant que les clauses ne sont pas applicables là où les règles déontologiques l interdisent ne saurait pour autant corriger la situation. En effet, en recourant à de telles clauses de limitation de responsabilité dans une lettre de mission, le professionnel et son cabinet désengagent alors leur responsabilité, ce qui est expressément prohibé par la première phrase de l article 21 du Code de déontologie des CA. De plus, l insertion de telles clauses dans une lettre de mission, laquelle constitue un contrat, est également prohibée par la deuxième phrase de l article 21 du Code de déontologie des CA. - 4 -
Outre le fait qu il s agit là d une mention prohibée, l ajout d une note à l effet qu une telle clause de limitation de responsabilité peut ne pas s appliquer dans certaines juridictions impose alors au lecteur le fardeau de s enquérir si une telle clause lui est ou non opposable alors qu il appartient au professionnel de bien informer son client. Une telle façon de faire ne respecte donc ni l esprit ni la lettre de l article 21 du Code de déontologie des comptables agréés, en plus de ne pas renseigner le client, clairement et de façon complète, sur sa situation. J espère que ce bref survol de la question des clauses de limitation de responsabilité professionnelle saura vous être utile et que vous en tiendrez compte dans l élaboration des différentes lettres de mission et autres ententes contractuelles que vous pourriez être appelés à soumettre à vos clients. Vous pouvez me faire parvenir tout commentaire sur ce sujet à l adresse chroniquedusyndic@ocaq.qc.ca. Ginette Lussier-Price, FCA Syndic de l Ordre Cette chronique a été rédigée à partir d informations contenus dans «Federal Financial Institutions Examination Council», Federal Register, vol. 70, n o 89 (10 mai 2005). Ordre des comptables agréés du Québec 680, rue Sherbrooke Ouest, 18 e étage, Montréal (Québec) CANADA H3A 2S3 Tél. : (514) 288-3256 / 1 800 363-4688 Téléc. : (514) 843-8375 Courriel : info@ocaq.qc.ca