Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 237 La génération des baby-boomers interroge notre société actuelle en mettant fréquemment l accent sur l impact du vieillissement sur l évolution de notre société, particulièrement sur l équilibre des régimes des retraites, des systèmes de santé et d aide sociale mais aussi sur l évolution du lien familial, du travail, des mobilités et des loisirs. Ces questionnements s inscrivent généralement dans la mouvance de «l individualisme» de la société, qui s accompagne d un mode de vie moins centré sur les institutions (école, entreprise, église, etc.) et sur la famille, même si cette dernière constitue toujours un pôle important des relations sociales. Sources de nombreuses transformations dans les modes de vie urbains, culturels, professionnels et familiaux, c est davantage par cette entrée que avons souhaité décrire ces générations : les baby-boomers seront-ils porteurs de nouveaux comportements au moment de la vieillesse? La recherche proposée visait donc à analyser le logement, les pratiques spatiales, la perception de la retraite des baby-boomers. Les générations du baby-boom font parties des générations qui ont vécu les grandes transformations qui ont traversé les sociétés en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles ont bénéficié de l élévation continue du niveau de vie que ce soit en matière de revenus, de santé, d éducation et de conditions de travail. En matière d habitat, elles ont connu la révolution qui s est opérée en cinquante ans avec l urbanisation, l amélioration spectaculaire du confort des logements, la diffusion de la propriété. Si la période faste des Trente glorieuses est terminée, les premières générations du baby-boom en conservent les traces dans leurs parcours. Prime enfance imprégnée par la fin de la guerre et des conditions de logement souvent difficiles mais qui vont s améliorant, adolescence marquée par le début de la société de consommation avec l apparition de biens dans la sphère domestique (télévision, lave-linge ) et l émergence d une culture jeune avec ses propres ses signes de ralliement (vêtements, revues et musique), mais également des revendications spécifiques de liberté, notamment de liberté de mœurs, qui aboutissent aux événements de mai 68. Première partie de la vie adulte dans l euphorie du plein emploi et la détente des marchés du logement grâce à la diffusion de la propriété et l inflation qui facile le remboursement des emprunts. Néanmoins, une partie de ces générations ont été rattrapées par la crise avec le chômage à 50 ans, d autres ont cumulé les difficultés professionnelles et
238 familiales, suite à des ruptures conjugales. L histoire des baby-boomers n est pas si simple ni ces générations si «dorées». L analyse des entretiens a permis de dégager les logiques de choix résidentiels effectués au cours de la vie adulte : logiques économique, familiale ou sociale. La loi de l offre et de la demande à travers l augmentation des prix a conduit nombre de couples à s éloigner du centre de l agglomération pour acquérir un logement plus accessible et plus grand. Certains ont pu obtenir la résidence dans le quartier qui correspondait plus ou moins à leurs aspirations, mais en restreignant leur espace domestique ou en restant locataires (Paris onzième) ou encore en adoptant une stratégie de petits pas avec plusieurs accessions à la propriété (Londres). D autres ont dû se résigner à habiter dans une commune moins valorisée que Paris, comme Montrouge. En France, la propriété est l aboutissement de la carrière résidentielle, elle n est qu une étape en Angleterre où les ménages ne rencontrent pas les mêmes obstacles à la mobilité. Mais si la logique économique domine, il n en demeure pas moins qu un nombre non négligeable d enquêtés ont vécu un moment donné dans un logement dont les règles ne correspondaient pas à celles du marché. L intervention de l employeur, de la famille, de la commune et des associations s avère essentielle dans les trajectoires, notamment lorsque les individus rencontrent des difficultés professionnelles ou familiales. En France, contrairement à l Angleterre, elle a permis à des couples de rester en dehors du marché et de bénéficier de véritables rentes de situation. Les récits des quinquagénaires résidant dans des grandes villes, que ce soit à Londres ou à Paris, montrent à quel point les choix de localisation au cours de la vie sont liés aux origines géographiques et au choix de statut d occupation. Au total, il paraît difficile, même si nous l avons fait pour les besoins de l'exposé, de séparer l'analyse du parcours résidentiel du parcours géographique, car c'est la combinaison de ces différents éléments qui contribue à donner aux individus conjointement une position sociale et une position résidentielle. Le dilemme auquel ont été confrontés les baby-boomers était le suivant : soit accéder à un grand logement adapté à la taille de la famille, mais au prix d un éloignement de la capitale, soit renoncer à un logement plus confortable et parfois à la propriété, mais continuer à habiter dans le centre ou à proximité conformément au mode de vie recherché.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 239 Si de nouvelles formes de mobilités existent et que certains baby-boomers ne semblent pas avoir tissé des liens étroits avec leur environnement immédiat, pour d autres, l attachement à un lieu géographique revêt une importance majeure, à la fois symbolique et réelle. La décision de résider à Paris ou à Londres témoigne d'un engouement pour la capitale, ce dernier correspondant souvent à un style de vie "urbain" dont certains baby-boomers sont porteurs. Il ressort de la richesse, mais aussi de la complexité des parcours, un certain nombre de paradoxes. Parmi lesquels, le paradoxe entre l attachement aux lieux en raison des liens forts avec le quartier ou «neighbourhood» - processus qui nécessite plusieurs années d enracinement - et la dynamique propre du quartier lui-même dans la mesure où celui-ci se transforme avec les années à tel point que les habitants ne s y reconnaissent plus, ou encore la dynamique des trajectoires professionnelle et familiale qui inclut parfois des ruptures telles le chômage ou le divorce. Cette tension entre stabilité et changement, enracinement et mobilités atteint son paroxysme quand vient l heure des choix au moment du passage à la retraite. Dans ce rapport, nous avons privilégié l analyse du passage à la retraite non pas comme une étape en soi mais comme la résultante du parcours professionnel en essayant de mieux cerner l effet de l âge sur les trajectoires professionnelles et la sortie de la vie active. En même temps, les effets d âge ne peuvent être isolés directement des autres effets de génération et de période. Comme nous l avons constaté tout au long de ce rapport, l appartenance à la génération du baby-boom est primordiale pour comprendre les comportements des quinquagénaires actuels au seuil de la retraite. Par ailleurs, la dimension comparative l influence des contextes spécifiques de l Angleterre et de la France, de Londres et de Paris -, nous a permis de saisir à la fois les similitudes des générations du baby-boom des deux côtés de la Manche mais également leurs différences de comportements face au travail et à l avenir. Commençons d abord par les effets de période. Nos enquêtés, que ce soit à Paris ou à Londres, ont mené leurs carrières dans des conditions économiques assez proches. Dans les années 1960 jusqu au milieu des années 1970, ils ont bénéficié de conditions du marché du travail exceptionnelles par rapport aux générations suivantes, ce qui leur a permis d être en position favorable pour vivre les «Trente piteuses». Quarante plus tard, les conséquences de ces conditions très favorables apparaissent clairement. D un côté, cet effet de période a permis
240 à certains de s insérer dans le marché du travail très tôt dans le cycle de vie, sans diplôme et de connaître malgré tout une ascension sociale importante. Cette stabilité de l emploi, quand elle s est accompagnée d une vie conjugale sans rupture, favorise la création et la réalisation de projets au moment de la retraite. De l autre côté, l existence même des conditions de plein emploi avant 1975 a contribué à retarder leur entrée dans la vie active de sorte que certains n ont jamais pu réaliser une carrière stable et linéaire. Pour ces derniers, la combinaison des effets de génération (le rejet des parcours «traditionnels» par les baby-boomers) et des effets de période (conditions favorable du marché de l emploi dans leur jeunesse) n a pas été bénéfique car ils ont en quelque sorte raté le train de la croissance. A ces effets de génération, période et contexte qui ont joué sur le déroulement de la carrière professionnelle, viennent s ajouter d autres événements. En effet, nous avons pu constater que même lorsque les enquêtés avaient commencé à travailler très jeunes et dans de bonnes conditions, leur parcours pouvait être perturbé notamment par le chômage ou une rupture conjugale ou encore un problème de santé. Les générations du baby-boom, qui ont initié de nouveaux comportements matrimoniaux, ont été les premières à connaître plus fréquemment les séparations et les recompositions familiales. Au-delà de ces parcours perturbés par les ruptures professionnelles ou familiales, il convient de prendre en compte également les parcours des enquêtés qui n ont jamais réussi à se stabiliser. En ce qui concerne les projets de vie au moment de la retraite, on observe une diversité étonnante entre les quinquagénaires français et anglais. Répondre à la question posée en début de chapitre, à savoir si les générations du baby-boom étaient porteuses de nouveaux comportements à l égard du travail après la retraite, n est pas évident en raison de la multiplicité des cas. Pour certains, il semble que la retraite demeure un événement marquant : il y aura un avant et un après, la vie changera sur tous les fronts dès les premiers mois de la cessation de travail, notamment chez ceux qui privilégient les activités de loisirs. Mais émergent également d autres tendances où la retraite est quasiment refusée, voire ignorée, car associée à une peur de vieillir, au renoncement d un statut social, à la perte d autonomie. Pour d autres encore, et peut-être plus à Londres qu à Paris, la retraite tend à devenir une notion dépassée. L idée reçue du passage d une vie active à une vie paisible n est plus acceptée. On veut conserver une activité de type professionnel sans contraintes, et transmettre ses connaissances. Dans ce cas, la retraite ne signifie pas l arrêt de tout travail : c est une
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 241 nouvelle étape. Même si le travail n est plus prioritaire, la retraite permet de faire évoluer son projet de vie, de continuer à s épanouir dans de nouvelles activités. En même temps, ces perceptions positives n'empêchent pas certains de voir le passage à la retraite comme un moment potentiellement difficile. Pour ceux qui n envisagent pas la retraite à court terme, les décisions liées à ce moment de transition sont reportées à «quand il sera temps». Les choix résidentiels, sujet du chapitre suivant, sont souvent différés au moment de la retraite quand on «peut voir les choses plus claires». En conclusion, force est de constater la diversité des expériences et les incertitudes face à la retraite des baby-boomers à Paris et à Londres. En fait, la façon dont la retraite est appréhendée varie d'une personne à l autre en fonction de son histoire familiale et professionnelle. Le passage à la retraite peut s accompagner d une remise en question personnelle car il s agit parfois de trouver de nouvelles valeurs, un sens à la vie en dehors du monde du travail. Et cette démarche se produit souvent à l occasion des choix résidentiels opérés à l heure de la retraite. Au terme de cette analyse, il ressort clairement que les projets de retraite sont le résultat des trajectoires antérieures, qu elles soient familiales, professionnelles et résidentielles et s inscrivent dans la continuité du parcours de vie. Selon la logique développée par Y. Grafmeyer dans son ouvrage sur la sociologie urbaine (1994), les perspectives d avenir des générations du baby-boom doivent être appréhendées comme la suite logique d une série de positions sociales et résidentielles qui «n est pas le simple fait du hasard mais s enchaîne au contraire selon un ordre intelligible» (Grafmeyer, 1994 :66). Les trajectoires que nous avons étudiées à Paris ou à Londres comportent de nombreuses similitudes. Pour la plupart de nos enquêtés, être quinquagénaire en 2006 va de pair avec l entrée des enfants dans la vie adulte. Pour ceux qui ont toujours un enfant à charge phénomène assez courant, les questions concernant une relocation, une vente d appartement ou une maison, sont hypothétiques «tant que les enfants n ont pas pris leurs ailes, on ne peut pas bouger». En fait, la conjonction entre le départ des enfants du foyer parental et la fin de carrière des parents, influence de façon majeure les décisions de choix résidentiels. Si les enfants en quête d indépendance retardent parfois les décisions de migration, il en va de même pour les parents âgés. De nombreux enquêtés ont exprimé des projets de migration sous réserve de la santé de la mère, du père, ou encore de la belle-mère ou du beau-père. La génération des baby-boomers, cette génération «pivot», dont on a craint l individualisme forcené est en réalité très impliquée dans «les
242 affaires de famille», à tel point que les parents et les enfants semblent parfois prendre le dessus - au moins momentanément - quand arrive l heure des choix. Qu il s agisse de partir, de rester, de partir et rester, ils constituent un élément central dans les choix qui s opèrent au seuil de la retraite. Outre le rôle des enfants et des parents, un troisième facteur, - et c est peut être en cela que les baby-boomers innovent - apparaît dans les choix de retraite la vie affective, non seulement pour les personnes seules à la recherche d une âme sœur, mais également pour les couples à la recherche d un nouvel équilibre à la fin de la vie professionnelle (Caradec, 2006). Comme l ont fait remarquer plusieurs auteurs, la représentation des relations est devenue une affaire privée, secrète et intime, dans une société où prime «l invention de soi» 1. Pour plusieurs enquêtés ne vivant pas dans un couple «stable», il apparaît difficile de dissocier vie intime et choix résidentiels. Pour ces enquêtés, le passage à la retraite n a pas d influence directe sur les choix résidentiels. Ainsi les choix résidentiels au moment de la retraite sont-ils plus complexes que l on aurait pu le croire : la santé, que ce soit le début d une maladie, la conjonction du vieillissement avec un handicap, joue un rôle très important dans les décisions. Comme nous avons pu le constater à travers les récits de plusieurs enquêtés, Paris et Londres qui offrent des services très performants, comportent de nombreux avantages en cas de maladie ou de handicap. Entre 50 et 60 ans, ces situations de fragilité sont souvent liées à des conditions de ressources modestes et il est difficile dans ces circonstances d envisager un changement de localisation. Pour ceux dont les ressources sont plus importantes, le souhait de rester à proximité des équipements de santé se traduit par la double résidence : rester à Paris ou à Londres pour bénéficier de toutes les opportunités et partir en province pour profiter du calme et de la nature. A Paris, comme à Londres, la plupart des habitants de longue date ont connu toutes les transformations des quartiers sous toutes leurs différentes formes. La seconde ou troisième vague de «super gentrification» conduite par les cadres supérieurs de la cité de Londres, s est effectuée en plusieurs endroits et les «poches» de quartiers occupées par la classe ouvrière ont été peu à peu remplacées par de nouvelles générations d immigrants venant de pays étrangers. Ces tendances font partie d un processus plus large de mondialisation générant de nouvelles 1 Kaufmann Jean-Claude, L invention de soi. Une théorie de l identité, Paris, Armand Colin, 2004.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 243 formes de mobilité à un âge plus avancé qui se caractérisent par un accroissement d espaces mixtes, de communautés diverses et de cadres de vie différents. (Phillipson 2007 321). Néanmoins, les capitales comportent encore quelques opportunités comme celles que l on pouvait trouver quelques trente ans auparavant et permettent ainsi d offrir aux personnes âgées un environnement qui leur convienne. Si les similitudes entre les cas français et anglais sont nombreuses, il n en demeure pas moins vrai que de grandes différences existent. Comme nous l avons constaté au début de ce rapport, Paris et Londres sont deux villes très distinctes. Au delà des aspects urbains et architecturaux, le contexte des marchés immobiliers, les politiques et lois sur le logement, les dispositifs financiers disponibles diffèrent totalement. A Londres, il est évident que le marché du logement, les conditions de crédit et le taux plus élevé de propriétaires ont un impact majeur sur les choix résidentiels au moment de la retraite. Les prix très élevés des logements, les plusvalues immobilières que les enquêtés peuvent réaliser sont des éléments qui permettent d envisager plusieurs hypothèses au moment de la retraite, même pour ceux dont les ressources restent modérées. Les modèles traditionnels de migration de retraite tels que l Essex pour les habitants de l est de Londres ou du Kent pour les habitants du sud de Londres restent des endroits toujours prisés. Mais la migration à l étranger est souvent représentée comme une solution qui comble deux désirs un climat meilleur et la vie moins chère. Les destinations privilégiées sont la France et l Espagne. Si les Français migrent surtout à l Ouest et au Sud de la France, il reste possible que se développe au cours des prochaines années un courant migratoire de retraités vers le Maroc ou la Tunisie. A ce moment-là, les Parisiens rejoindraient les Londoniens dans leurs comportements résidentiels.
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