Monitorage de l électroencéphalogramme : techniques, indications, intérêt en réanimation



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MISE AU POINT Réanimation 2001 ; 10 : 368-75 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675601001323/SSU Monitorage de l électroencéphalogramme : techniques, indications, intérêt en réanimation W. Szurhaj*, H. Sediri, P. Derambure, J.D. Guieu Service de neurophysiologie clinique, hôpital Roger-Salengro, centre hospitalier universitaire régional de Lille, 59037 Lille cedex, France (Reçu le 8 mars 2001 ; accepté le 12 mars 2001) Résumé Le monitorage de la fonction cérébrale par l électroencéphalogramme (EEG) est relativement récent dans les services de réanimation. Cette technique, non invasive, a tiré bénéfice de la numérisation de l EEG et du développement des méthodes d analyse semi-automatique du signal. L interprétation du tracé nécessite une connaissance parfaite des conditions d enregistrement, qui doivent être aussi rigoureuses que possible. Cette interprétation faite par un expert doit rester prudente. La principale indication actuellement bien étayée du monitorage de l EEG en service de réanimation est l état de mal épileptique, convulsif ou non, dès lors que l examen neurologique ne se normalise pas rapidement. Le monitorage de l EEG est très utile à toutes les phases de la prise en charge de l état de mal. Il peut être utile au diagnostic, notamment des crises non convulsives ; il permet d optimiser les posologies des agents anesthésiques lors de l induction du coma thérapeutique dans les états de mal réfractaires ; il permet la surveillance de l absence de récidive des crises lors de la levée de l anesthésie. La durée du monitorage peut aller de 24 heures à plusieurs semaines. De nouvelles indications commencent à émerger, notamment la surveillance des traumatismes crâniens sévères, la détection précoce d ischémies cérébrales focales et la surveillance de comas. Cette technique qui améliore la prise en charge des patients neurologiques dans certaines indications semble promise à se développer dans les années à venir. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS EEG / état de mal épileptique / monitorage / soins intensifs Summary Continuous electroencephalogram monitoring: methods and applications in the intensive care unit. Continuous electroencephalography (EEG) monitoring has only recently begun to be developed in intensive care units. Digital EEG technology and the development of new methods of automatic EEG analysis have allowed this method to become a clinically relevant tool. Analysis of the continuous EEG requires a perfect knowledge of recording conditions, which must be as rigorous as possible. The interpretation made by an expert must remain cautious. The primary current indication of continuous EEG monitoring in intensive care units is status epilepticus. EEG monitoring is very useful to all the phases of the management of status epilepticus when the clinical neurological situation does not improve rapidly. The duration of the monitoring can go from 24 hours to several weeks. It can be useful for the diagnosis of nonconvulsive seizures; it allows a better management of anaesthetic drugs during refractory status epilepticus; and it *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : pderambure@chru-lille.fr (P. Derambure).

Monitorage de l EEG en réanimation 369 allows the detection of recurrent seizures after tapering of the treatment. New indications start to emerge: monitoring of severe acute head trauma, early detection of focal cerebral ischemia and monitoring of coma. This technique, which improves the management of neurological patients, promises to develop further in the future. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS continuous EEG monitoring / status epilepticus / intensive care unit Le diagnostic de souffrance d un organe doit être le plus précoce possible pour adapter la prise en charge thérapeutique afin d éviter le passage au stade de lésion irréversible. Ceci est d autant plus important pour le cerveau dont on connaît la sensibilité, que ce soit à l ischémie, à l anoxie ou aux désordres métaboliques. La surveillance du fonctionnement cérébral, jusqu à ces dernières années, ne reposait encore que sur l examen clinique, qui reste primordial. Cependant, l examen neurologique précis est souvent de réalisation difficile chez un patient sous sédation. L électroencéphalogramme (EEG) est alors intéressant : il permet d apprécier le niveau de vigilance des patients, de détecter des activités épileptiques sans traduction clinique, de déceler des signes de souffrance cérébrale en rapport notamment avec un trouble métabolique, une ischémie ou une anoxie [1]. Ces intérêts de l EEG ont poussé, il y a une vingtaine d années, quelques centres de réanimation à utiliser le monitorage de l EEG chez des patients comateux [2]. Mais l enregistrement continu de l EEG par des machines analogiques était difficile en routine. Le développement de l EEG numérisé depuis une dizaine d années a permis de pallier aux problèmes techniques et de rendre plus accessible le monitorage de l activité électrique cérébrale au lit du patient. ASPECTS TECHNIQUES DU MONITORAGE DE L ÉLECTROENCÉPHALOGRAMME Acquisition de l électroencéphalogramme Les électrodes habituellement utilisées sont des cupules en argent emplies de pâte conductrice. Elles sont collées avec du collodion après un décapage soigneux du cuir chevelu. La fixation des électrodes assure habituellement une bonne qualité de l enregistrement EEG durant 24 à 48 heures. L impédance des électrodes doit être mesurée chaque jour. Elle doit idéalement être inférieure à 5 000 X. L utilisation prolongée de ces électrodes peut engendrer des lésions cutanées irritatives. Des électrodes-aiguilles en platine-iridium peuvent également être utilisées [3] ; elles ont l avantage de ne pas induire d artefacts lors des scanners, mais représentent une porte d entrée aux agents infectieux. Le nombre et le positionnement des électrodes dépendent de la finalité du monitorage. Si le but du monitorage est de localiser un foyer, le nombre d électrodes doit être plus élevé afin d améliorer la résolution spatiale ; dans ce cas, le classique système 10 20 [4] doit être utilisé. Le plus souvent, un montage à huit électrodes de scalp suffit : les électrodes frontales, centrales, temporales, et occipitales bilatérales (figure 1). Dans tous les cas, l ECG doit être simultanément enregistré. Des voies supplémentaires d électromyographie peuvent parfois être utiles, notamment si l on suspecte une origine épileptique devant la survenue de mouvements anormaux. Les électrodes sont reliées à la boîte têtière au moyen de fils conducteurs de longueur suffisante pour permettre la mobilisation du patient nécessaire aux soins. L acquisition du signal EEG se fait avec une fréquence d échantillonnage d au moins 256 Hz, dans une bande de fréquence de 0,5 Hz 128 Hz, et un filtrage de la fréquence 50 Hz. Il est recommandé de disposer d un disque dur de grande capacité pour pouvoir stocker les données de plusieurs jours d enregistrement (24 heures d enregistrement EEG à 256 Hz en montage huit voies requièrent 250 Mo de mémoire). Sinon, il est important de toujours veiller à ce que la mémoire de l ordinateur soit suffisante pour permettre l acquisition des données jusqu à la relecture suivante du tracé.un caméscope S-VHS synchroniséàl EEG ou un enregistrement vidéo numérisé couplé àl EEG peuvent être utilisés si l on suspecte la présence de manifestations critiques cliniques. Pour la lecture du tracé, un écran de 17 pouces et d une résolution de 1 280 x 1 024 points est recommandé. Le personnel soignant doit connaître le matériel utilisé et pouvoir annoter le tracé en cours d acquisition, par exemple pour noter la réalisation de soins ou l administration de thérapeutique. Il doit être impérativement capable de repérer un dysfonctionnement du système.

370 W. Szurhaj et al. Figure 1. Disposition des électrodes composant le système 10 20. Les traits relient les électrodes composant le montage simplifié le plus utilisé pour les monitorages : deux frontales (FP1, FP2), deux centrales (C3, C4), deux temporales (T3, T4), deux occipitales (O1, O2). Lecture de l enregistrement La durée du monitorage est variable selon l indication et l évolution de l état de santé du patient. Elle s étale de 24 heures à plusieurs semaines (jusqu à six semaines dans notre expérience). Il n est pas envisageable qu un neurophysiologiste soit présent continuellement à côté de l appareil d acquisition durant toute cette période. D un autre côté, l intérêt même du monitorage repose sur des possibilités de lecture fréquente de l EEG. Le compromis dépend de l indication de ce monitorage : il est évident qu en cas d état de mal épileptique (EME), la lecture doit se faire de manière très fréquente jusqu à l arrêt des crises ou l induction du coma ; en revanche, dans le cadre de surveillance d un patient comateux, cette surveillance peut être moins rapprochée. La connaissance par le médecin réanimateur de certains patterns EEG faciles à reconnaître (voir ci-dessous) sera utile pour le suivi continu. L analyse du tracé EEG peut se faire de deux manières : par l analyse du tracé brut. Cette analyse est importante si l on recherche des anomalies focalisées ou discrètes. Elle peut s effectuer en cours d acquisition par un moyen de visualisation de la dernière heure d enregistrement. Ce procédé est très utile pour comparer l EEG à un moment donné mais a l inconvénient d être trèscoûteux en temps médecin ; pour cette raison, des logiciels d analyse semiautomatique de l EEG ont été développés : les plus utilisés reposent sur une analyse spectrale condensée. Cette méthode [5] consiste à calculer, par la transformée de Fourier, le contenu fréquentiel du signal brut à chaque instant. Ce contenu fréquentiel, pour une ou plusieurs voies d enregistrement, est ensuite représenté par une échelle colorimétrique (figure 2). Cette représentation permet de déceler rapidement les modifications de fréquence du rythme de base ou la survenue d activités paroxystiques qui se traduiront par une barre verticale correspondant en fait à un pic de fréquence EEG. Une évaluation rapide de l évolution du tracé sur 12 ou 24 heures peut ainsi être formulée au lit du patient en attendant une lecture plus approfondie de l enregistrement. De nombreux autres algorithmes d analyse semi-automatique de l EEG ont été développés, d utilisation plus ou moins répandue, et étudiant les modifications du rythme de fond [6] ou la détection de crises [7, 8]. Les pièges du monitorage Le monitorage diffère de l EEG standard par le milieu d enregistrement, par l absence de coopération du patient, et par sa durée. Ces particularités sont à l origine d artefacts différents [9]. L agitation du patient ou sa mobilisation lors des soins peuvent causer des arrachements d électrodes, des décollements ou des déconnections de la boîte têtière;le résultat en est une augmentation d impédance au niveau de l électrode en cause, responsable d artefacts pouvant se répercuter sur l ensemble des voies EEG s il s agit de l électrode de référence ou de la terre. Par ailleurs, le milieu de réanimation produit beaucoup d artefacts exogènes, dus à la proximité d autres appareils électroniques (cardioscope, oxymètre de pouls, etc.), du lit fluidisé, ou même dus au mouvement de l eau condensée dans les tuyaux d intu

Monitorage de l EEG en réanimation 371 Figure 2. À gauche, tracé électroencéphalogramme brut d une crise tonique généralisée. À droite, analyse spectrale condensée du tracé. Chaque barre verticale représente l apparition de rythmes de fréquence élevée correspondant à une décharge critique. bation. De simples déplacements dans la chambre du patient peuvent causer des activités lentes diffuses artefactielles. Reconnaître ces artefacts est primordial pour éviter une interprétation erronée. Cela exige d une part une vérification régulière des impédances des électrodes et d autre part une coopération du personnel soignant, notamment pour l annotation du tracé. De plus, outre les artefacts, l interprétation n est pas toujours aisée. En effet, il peut être difficile de différencier un foyer épileptique très actif d un état de mal électrique, ou des activités épileptiques d anomalies paroxystiques épileptiformes dues par exemple aux barbituriques à fortes doses. Ceci doit inciter le médecin interprétateur à la prudence étant donné les conséquences de son interprétation sur la prise en charge des patients. INDICATIONS DE L ÉLECTROENCÉPHALOGRAMME EN RÉANIMATION Le monitorage de l EEG reste une technique récente développée essentiellement depuis ces dix dernières années. Ses intérêts potentiels ne sont pas encore tous clairement définis. Si sa principale indication en réanimation reste l EME, convulsif ou non, de nouvelles indications commencent àémerger : la surveillance de comas [10], la surveillance post-traumatisme crânien

372 W. Szurhaj et al. [11], et même la détection de survenue d ischémie cérébrale focale dans le cadre d hémorragies méningées [12]. État de mal épileptique L EEG est intéressant à toutes les phases de la prise en charge de l EME : il est utile au diagnostic, à la prise en charge thérapeutique et à la surveillance. Si le diagnostic de l EME tonicoclonique est évident cliniquement, environ 12 % [13] de ces EME généralisés évoluent vers un stade d EME larvé caractérisé par la persistance de décharges critiques mais l absence de transmission aux muscles (dissociation électromécanique). La persistance d un état de mal électrique est associée à une mortalité double à celle de l EME généralisé clinique [14] et nécessite l augmentation du traitement. La possible évolution d un EME clinique vers un EME larvé justifie à elle seule le monitorage EEG systématique dans la prise en charge de l EME généralisé [15, 16]. Le monitorage EEG est également fondamental dans le diagnostic des crises non convulsives (CNC), notamment dans le cadre de l EME non convulsif (EMNC) (figure 3). Leur symptomatologie est trompeuse, et souvent rapportée à tort à des états post-critiques, des troubles psychiatriques, des accidents vasculaires cérébraux, ou des encéphalopathies métaboliques. Ceci explique probablement l importance de la sousestimation de ces CNC. Jordan [17] a observé que 34 % des 124 patients d un service de réanimation neurologique présentaient des CNC. Des résultats similaires (27 %) ont été obtenus par Privitera [18]. Drislane [19] a montré que chez 89 patients de réanimation en état de mal non convulsif (EMNC), ce diagnostic n avait étéévoqué dans 77 % des cas qu au moment de l EEG. La mortalité des EMNC reste élevée. Elle dépend de l étiologie, mais également de sa durée d évolution et du retard diagnostique [20]. Il est d autant plus difficile à traiter que sa duréed évolution a été longue et que le diagnostic a été porté tardivement. Ceci rend le monitorage EEG indispensable dans la prise en charge des EMNC en l absence de disparition rapide de la symptomatologie. Le monitorage EEG est également fondamental lors du traitement de l EME réfractaire, qui passe souvent par l induction d un coma thérapeutique par des barbituriques intraveineux à fortes doses. Le but est d obtenir la disparition des crises en induisant une dépression de l activité corticale pendant 12 à 24 heures, tout en évitant les risques de iatrogénicité (notamment sur le plan cardiovasculaire) liés à l utilisation prolongée de drogues anesthésiques à fortes doses. Les doses à utiliser pour atteindre ce but sont variables d un patient à l autre. Le monitorage EEG permet d utiliser la plus faible dose de ces drogues anesthésiques nécessaire à obtenir l effet désiré. Il permet de vérifier l efficacité du traitement par l absence de décharges critiques prolongées et la visualisation de la dépression de l électrogenèse corticale, tout en s assurant que l on n arrive pas à un stade de tracé nul prolongé. Le coma induit s accompagne en effet sur le plan EEG d activités paroxystiques épileptiformes à type de pointes, pointes-ondes, ou de tracés de burst suppression (alternance de périodes de dépression intense de l électrogenèse et de bouffées de paroxysmes amples) qui sont à différencier des activités paroxystiques d origine épileptique (figure 4). Les activités critiques épileptiques s expriment le plus souvent sous la forme de décharges rythmiques qui se démarquent de l activité de fond résiduelle alors que les activités «épileptiformes» induites par l anesthésie barbiturique se mélangent à l activité de fond et ont rarement une expression rythmique. Ces dernières activités ne doivent pas amener à une majoration du traitement. Toutefois, ces deux types d anomalies ne sont pas toujours faciles à différencier, même pour un œil expert. Gan et al. [21] ont montré que l utilisation du monitorage EEG permettait de réduire les doses de propofol et de diminuer le temps de réveil après arrêtde l anesthésie. Le monitorage EEG est également nécessaire dans la surveillance et notamment lors de la levée de l anesthésie. Il permet de s assurer de l absence de récidive de l état de mal, ou, le cas échéant, de la détecter précocement, ce qui justifie à nouveau une intensification du traitement. Le monitorage est donc devenu indispensable à la prise en charge de l EME, qu il soit convulsif ou non, dès lors que l examen neurologique du patient ne se normalise pas rapidement. Il doit être initié rapidement dès que les conditions le permettent, et prolongé jusqu à la levée de l anesthésie. Dans notre expérience, c est l EMNC qui nécessite les enregistrements les plus prolongés (jusqu à six semaines chez une patiente), notamment en raison de leur caractère souvent réfractaire au traitement [22]. Enfin, il faut souligner que le monitorage EEG permet parfois de mettre en évidence des pseudo-crises diagnostiquées initialement comme un authentique EME, et d éviter ainsi une anesthésie inutile.

Monitorage de l EEG en réanimation 373 Figure 3. État de mal non convulsif chez une patiente de 74 ans hospitalisée pour syndrome confusionnel évoluant depuis plusieurs jours. Le tracé électroencéphalographique est dominé par des anomalies delta angulaires, des ondes aiguës, et des pointes non rythmiques mais subcontinues. Autres indications Rose et al. [23] ont montré qu une souffrance cérébrale pouvait survenir secondairement en cours d hospitalisation, pour un motif différent du motif initial d admission, par exemple au cours de la survenue de phénomènes hypotensifs, d hyperthermie, ou d hypertension intracrânienne par œdème cérébral ; cette souffrance secondaire vient grever le pronostic des patients. Or, l EEG a l avantage de détecter précocement la survenue d une souffrance cérébrale à un stade de réversibilité. Cet intérêt a poussé quelques équipes à multiplier les indications du monitorage EEG. Vespa et al. [24] ont montré que 17 % des patients admis pour lésions cérébrales traumatiques modérées ou sévères développaient dans les dix premiers jours des crises épileptiques dont la moitié étaient des CNC, ce qui justifie pour les auteurs le monitorage EEG chez ces patients. Les modifications de l EEG sont corrélées aux baisses du débit sanguin cérébral [25, 26]. La même équipe [12] a monitoré 32 patients consécutifs présentant une hémorragie sous-arachnoïdienne : 59 % d entre eux ont développé un vasospasme ; dans tous les cas, l EEG s était modifié et avait même détecté l ischémie cérébrale focale secondaire au vasospasme avant le doppler transcrânien dans 70 % des cas. Chez les patients admis pour traumatisme crânien sévère, des études commencent à apparaître [11, 24] pour souligner l intérêt du monitorage EEG dans la détection des CNC, d un vasospasme, de l hypertension intracrânienne secondaire à l œdème cérébral, et

374 W. Szurhaj et al. Figure 4. Aspect de suppression burst dû aux barbituriques : bouffées d activités paroxystiques survenant sur une électrogenèse déprimée. pour guider l utilisation des barbituriques à hautes doses dans l induction du coma thérapeutique. Enfin, le monitorage EEG peut améliorer la valeur pronostique de l EEG dans les comas en recherchant une réactivité de l électrogenèse cérébrale qui n est pas toujours facile à analyser sur un tracé de 20 ou 30 minutes [10]. Ces diverses applications du monitorage de l EEG restent l apanage de quelques centres de réanimation neurologique aux États-Unis, et leur intérêt mérite d être confirmé par d autres études. CONCLUSION L étude de Jordan [22] a montré que le monitorage EEG utilisé largement dans un service de réanimation neurologique américain apportait dans la majorité des cas (86 %) une aide décisive ou contributive dans la prise en charge des patients. Aujourd hui, en France, le monitorage EEG continu reste sous-utilisé. Son indication principale actuelle est celle de l EME, convulsif ou non, dès lors que l examen neurologique ne se normalise pas rapidement. Il est utile à toutes les phases de la prise en charge de l état de mal. Il est probable que ses indications en service de réanimation ne cesseront de s étendre dans les années à venir. Ceci est d autant plus probable que le monitorage de l EEG est un examen non invasif et qu il permettrait de réduire sensiblement les coûts de séjour en service de réanimation [11]. RÉFÉRENCES 1 Jordan KG. Continuous EEG and evoked potential monitoring in the neuroscience intensive care unit. J Clin Neurophysiol 1993 ; 10 : 445-75. 2 Bricolo A, Turrazzi S, Faccioli F, Odorizzi F, Sciaretta G, Erculiani P. Clinical application of compressed spectral array in long-term EEG monitoring of comatose patients. Electroenceph Clin Neurophysiol 1978 ; 45 : 211-25. 3 Guerit JM. Medical technology assessment EEG and evoked potentials in the intensive care unit. Neurophysiol Clin 1999 ; 29 : 301-17. 4 Jasper HH. The ten-twenty electrode system of the International Federation. Electroenceph Clin Neurophysiol 1958 ; 10 : 371-5. 5 Bickford R, Fleming N, Billinger TW. Compression of EEG data. Trans Am Neurol Assoc 1971 ; 96 : 118. 6 Agarwal R, Gotman J, Flanagan D, Rosenblatt B. Automatic

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