L OBLIGATION D AMÉNAGEMENTS RAISONNABLES DANS LE CADRE DE LA RÉINSERTION PROFESSIONNELLE DES TRAVAILLEURS EN SITUATION DE HANDICAP



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Nos réf : 2015 87 Novembre 2015 RECOMMANDATION L OBLIGATION D AMÉNAGEMENTS RAISONNABLES DANS LE CADRE DE LA RÉINSERTION PROFESSIONNELLE DES TRAVAILLEURS EN SITUATION DE HANDICAP 1. CONSTATS 1.1. Augmentation du nombre de travailleurs en incapacité de travail de longue durée Le nombre de travailleurs en incapacité de longue durée (de plus d un an) a augmenté considérablement ces dernières années. L INAMI a constaté une augmentation de près de 25% entre fin 2010 et fin 2014. En Belgique, fin 2014, 321 573 travailleurs bénéficiaient d une indemnité d invalidité 1. Or, des milliers de travailleurs en incapacité de longue durée pourraient peut-être reprendre une activité professionnelle si le pays menait des politiques cohérentes de maintien au travail et de réinsertion professionnelle. On citera dans ce sens un rapport de l OCDE 2 qui révèle qu un travailleur sur cinq souffre de troubles mentaux, comme la dépression ou l anxiété, et que bon nombre d entre eux peinent à s en sortir. Sur quatre travailleurs présentant un trouble mental, trois font état d une baisse de productivité au travail, la proportion n étant que de un sur quatre pour les travailleurs en bonne santé. Les absences sont également beaucoup plus fréquentes chez les personnes atteintes d une maladie mentale. Désormais, 30 à 50 % des nouvelles demandes de pension d invalidité dans les pays de l OCDE sont motivées par une mauvaise santé mentale. Dans le cadre de ses compétences et en vertu de la législation antidiscrimination 3, le Centre est régulièrement saisi de signalements de travailleurs licenciés suite à une incapacité de travail alors que, conformément à la définition du handicap 4, certaines de ces personnes auraient pu être considérées comme ayant un handicap. Par conséquent, elles auraient pu être reclassées dans leur entreprise moyennant des aménagements raisonnables, (adaptation de la fonction, adaptation du poste de travail, octroi d un autre travail, ) avant que la possibilité de licenciement ne soit envisagée. 1 http://www.riziv.fgov.be/fr/publications/ra2014/chiffres-cles/chiffres-indemnites/pages/default.aspx 2 http://www.oecd.org/fr/els/mal-etre-au-travail-mythes-et-realites-sur-la-sante-mentale-et-l-emploi- 9789264124561-fr.htm 3 Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. 4 La définition du handicap au sens de la réglementation antidiscrimination est beaucoup plus large que celle communément utilisée en matière de sécurité sociale. Ainsi, il ne faut pas être atteint d une limitation ou d une incapacité d un certain pourcentage pour être en situation de handicap au sens de la réglementation antidiscrimination. Novembre 2015 1

1.2. Tensions entre la législation antidiscrimination et la législation issue du droit du travail La législation en matière de droit du travail ainsi que l application et l interprétation de certaines de ces dispositions ne permettent pas de protéger les personnes avec un handicap selon les termes de la législation antidiscrimination en vigueur. Bien que la législation en matière de droit du travail ait évolué positivement en matière de réinsertion professionnelle 5, il demeure un problème essentiel de conformité entre le droit commun du travail et le droit communautaire tel qu interprété par la Cour de Justice de l Union Européenne. En effet, la notion de handicap reprise dans la directive 2000/78 6 telle qu interprétée par la Cour de Justice de l Union Européenne (ci-après CJUE) n a pas été correctement intégrée. Dans son arrêt Jette Ring du 11 avril 2013 7, la CJUE a défini la notion de handicap au sens de la directive 2000/78 comme étant toute limitation susceptible d être de longue durée, résultant notamment d atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle. Cette interprétation est conforme à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (ratifiée par la Belgique en 2009) qui définit les personnes handicapées comme étant «des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l égalité avec les autres». Selon la CJUE, la notion d handicap ne peut être réduite à une incapacité de travail définitive, pas plus qu à une incapacité totale de travail. Par ailleurs, La CJUE avait déjà dans un arrêt antérieur, estimé que «l interdiction de la discrimination fondée sur le handicap s oppose à un licenciement fondé sur le handicap qui, compte tenu de l obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, n est pas justifié par le fait que la personne concernée n est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles de son poste». 8 En d autres termes, l employeur ne peut pas licencier un travailleur au motif qu il se trouve en état d incapacité susceptible d être de longue durée si la possibilité des aménagements raisonnables n a pas été envisagée au préalable. Cette jurisprudence de la Cour a été confirmée dans l arrêt Ring 9. Dans cette arrêt, la CJUE stipule que «la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu elle s oppose à une disposition nationale qui prévoit qu un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé concerné a été absent pour cause de maladie [ ] lorsque ces absences sont la 5 Insertion d un nouvel article 34 dans la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ainsi que l article 72 de l arrêté royal du 28 mai 2003 relative à la surveillance de la santé des travailleurs qui prévoient tous deux la réinsertion professionnelle des travailleurs déclarés définitivement inaptes, et enfin la loi du 13 juillet 2006 portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d'accidents du travail et en matière de réinsertion professionnelle. 6 Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d un cadre général en faveur de l égalité de traitement en matière d emploi et de travail. 7 Affaires conjointes HK Danmark agissant pour Jette Ring contre Dansk almennutigt Boligselskab (C-335/11) et HK Danmark, agissant pour Lone Skouboe Werge contre Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S (C-337/11), 38-39. 8 Affaire Sonia Chacón Navas contre Eurest Colectividades SA, arrêt de la Cour de Justice de l Union Européenne du 11 juillet 2006 (C-13/05), 49. 9 Affaires conjointes HK Danmark agissant pour Jette Ring contre Dansk almennutigt Boligselskab (C-335/11) et HK Danmark, agissant pour Lone Skouboe Werge contre Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S (C-337/11) 68. Novembre 2015 2

conséquence de l omission, par l employeur, de prendre les mesures appropriées conformément à l obligation de prévoir des aménagements raisonnables prévue à l article 5 de cette directive». Le Centre peut citer à titre d exemples deux 10 types de dispositions issues du droit commun du travail qui sont en tension avec la notion de handicap telle que définie par la CJUE. 1.2.1. Dissolution du contrat de travail pour force majeure L article 32 de la loi relative aux contrats de travail stipule qu un contrat de travail peut être rompu pour force majeure. Selon la jurisprudence de la Cour de Cassation, une incapacité permanente empêchant un travailleur de reprendre le travail convenu constitue un événement de force majeure entraînant la dissolution du contrat. Lorsqu un travailleur est déclaré définitivement inapte à exercer sa fonction, le contrat de travail peut donc être rompu pour force majeure 11. L application de cette jurisprudence implique, par exemple, que l employeur puisse licencier le travailleur pour force majeure sans vérifier au préalable les possibilités d une reprise à temps partiel si une reprise de travail selon l horaire initial est impossible. Or, les travailleurs déclarés définitivement inaptes peuvent être considérés comme ayant un handicap au sens de la directive 2000/78, telle qu interprétée par la CJUE, puisqu ils souffrent à tout le moins d une limitation susceptible d être de longue durée et entravant leur participation à la vie professionnelle. La jurisprudence de la Cour de Cassation ne tient donc pas suffisamment compte du droit de ces travailleurs aux aménagements raisonnables. Ce problème a été partiellement remédié par le nouvel article 34 de la loi sur les contrats de travail prévoyant qu un employeur ne peut mettre fin au contrat pour cause de force majeure, que s il est impossible de maintenir le travailleur en emploi moyennant une adaptation des conditions de travail ou l octroi d un autre travail correspondant à ses possibilités. Toutefois, cette disposition n est pas encore entrée en vigueur car elle nécessite un arrêté d exécution qui n a pas encore été adopté à ce jour. De plus, elle ne sera également applicable que pour les cas d incapacité de travail définitive. Toutefois, il convient de remarquer que différents tribunaux interprètent déjà le droit du travail en accord avec la directive 2000/78, cette directive primant en effet sur le droit du travail belge. Quelques exemples : La Cour du travail d Anvers a considéré, dans son arrêt du 23 avril 2010, qu en vertu de la législation antidiscrimination et conformément à l arrêt Chacón Navas, «les limitations physiques, même définitives, d une nettoyeuse ne peuvent être considérées comme une force majeure mettant fin de plein droit au contrat de travail, lorsque l employeur a parfaitement la possibilité de maintenir la travailleuse au travail moyennant une légère modification de la répartition des tâches entre les nettoyeuses ou la mise à la disposition d un instrument de travail adapté» 12. Par ailleurs, le président de la Cour du travail de Liège a cité cet arrêt de la Cour de travail d Anvers et a considéré dans son arrêt du 25 octobre 2011 13 qu est «incomplète la décision qui constate une inaptitude médicale par rapport à la fonction sans indiquer qu aucun aménagement n est possible ou encore sans examiner préalablement la possibilité de reclassement (et donc de changement de fonction)» (p. 9, 3). Ainsi, dans cet arrêt, le juge a interprété la réglementation du travail en considérant que dès que la question de l inaptitude définitive est évaluée que ce soit par le biais d une consultation spontanée ou par le biais de la procédure obligatoire de soumission du travailleur 10 Une troisième disposition était contraire à la législation antidiscrimination mais a été abrogée depuis le 1 er janvier 2014. Il s agit des articles 58 et 78 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail qui autorisaient un employeur à licencier un travailleur pour maladie de longue durée après 6 mois d incapacité de travail. Ces articles ont été supprimés lors de l harmonisation des préavis ouvrier/employé. 11 Article 3 de la loi relative aux contrats de travail. 12 Cour du travail d Anvers, 23 avril 2010, Chron. D. S., 2011, p. 79. 13 R.G. 2011/AN/14 Novembre 2015 3

à un examen de santé (arrêté royal du 28 mai 2003), «dans tous ces cas, la décision prise doit enclencher la procédure d aménagement du poste de travail ou de reclassement» (p. 10, 2). La Cour du travail de Bruxelles a, dans son arrêt du 9 janvier 2013 14, rappelé le contenu de l arrêt Chacón Navas et a considéré que «cette décision de la CJUE paraît aller dans le sens de la thèse de l intimée selon laquelle l employeur, dans sa situation, ne pouvait pas licencier sans avoir au préalable examiné les aménagements raisonnables de son poste de travail». Le Tribunal du travail de Louvain a rappelé dans son arrêt du 22 janvier 2015 qu une réduction du temps de travail pouvait être une mesure adéquate pour une travailleuse souffrant de sclérose en plaques qui devait faire face à une fatigue invalidante et un épuisement. Le juge a estimé que ce refus constituait un refus d aménagement raisonnable. Cette jurisprudence est totalement dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE. Un charpentier a été licencié pour force majeure médicale après que le médecin du travail l ait déclaré définitivement inapte au travail. Suite à l introduction d un recours, la décision du médecin du travail a été revue et l incapacité définitive a été transformée en une mutation vers un travail moins lourd. Le Tribunal du Travail de Bruxelles a considéré dans son arrêt du 6 mai 2015 ce licenciement comme une discrimination directe sur base du handicap et comme un refus d aménagements raisonnables. 1.2.2. L Arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs Par ailleurs, le régime de réinsertion professionnelle prévu par l arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs (article 72) crée une tension avec la notion de handicap, telle que définie par la CJUE. En effet, la réinsertion ne doit être envisagée de manière obligatoire par l employeur que dans l hypothèse où l inaptitude du travailleur a été déclarée définitive. Or, la définition du terme handicap donnée par la CJUE n exige pas que la personne ait été déclarée inapte de manière définitive pour qu elle puisse bénéficier d aménagements raisonnables. Selon la CJUE, il suffit que le travailleur soit victime d une limitation susceptible d être de longue durée pour qu il soit considéré comme ayant un handicap et qu il puisse bénéficier d aménagements raisonnables dans le cadre d une réinsertion professionnelle. 2. RECOMMANDATIONS Il découle de ces constations que certaines tensions subsistent entre le droit commun du travail et la législation antidiscrimination en vigueur. Par conséquent, il conviendrait de revoir la législation et de l adapter au droit de l Union Européenne. De plus, la Belgique a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cela signifie que la législation belge, y compris celle relative au droit du travail, doit se conformer à cette Convention. 2.1. Recommandations au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif 2.1.1. Intégrer explicitement les notions de handicap et d aménagements raisonnables dans la réglementation du droit du travail La loi sur les contrats de travail devrait contenir une disposition explicite qui reprendrait la définition du handicap et celle des aménagements raisonnables en accord avec la directive 2000/78 (telle qu interprétée par la CJUE) et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. 14 Cour du travail de Bruxelles, 9 janvier 2013, J.T.T., 2013, p. 137. Novembre 2015 4

Cette loi devrait préciser qu un travailleur en état d incapacité peut, à certaines conditions et conformément au cadre de la directive 2000/78 (transposée au niveau fédéral par la loi antidiscrimination du 10 mai 2007) et de la Convention des Nations Unies, être considéré comme ayant un handicap et par conséquent bénéficier d aménagements raisonnables. Par ailleurs, cette loi devrait également prévoir qu un employeur ne peut pas licencier un travailleur en raison de son incapacité de longue durée avant d avoir évalué la question des aménagements raisonnables. 2.1.2. Entrée en vigueur de l article 34 de la loi sur les contrats de travail Il conviendrait d adopter l arrêté royal d exécution nécessaire à l entrée en vigueur de l article 34 de la loi sur les contrats de travail. En effet, tant que cette disposition n entre pas en vigueur, c est l interprétation par la Cour de Cassation de l article 32 de la même loi qui prévaudra alors que qu elle ne tient pas compte du droit aux aménagements raisonnables. De plus, il est nécessaire d étendre sa protection aux personnes en incapacité de longue durée (mais pas définitive) puisqu elles doivent également être considérées comme des personnes avec un handicap et ont donc le droit aux aménagements raisonnables. 2.1.3. Prendre, des mesures afin d éviter le risque de décrochage professionnel Différentes études 15 ont permis de mettre en avant le fait qu il existe un risque que les travailleurs qui se retrouvent en incapacité de travail finissent par décrocher de la sphère professionnelle. Afin d éviter ce scénario, différentes mesures peuvent être mises en place. Dans le cadre des négociations avec les partenaires sociaux, il conviendrait dans un souci d une reprise optimale d envisager des modèles plus flexibles de reprise du travail dont les modalités devraient être discutées avec les différents intervenants/instances concernés, y compris le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées. 3. CADRE JURIDIQUE ET/OU JURISPRUDENTIEL 3.1. Droit commun du travail Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail Loi du 13 juillet 2006 portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d'accidents du travail et en matière de réinsertion professionnelle Arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs 3.2. Législation antidiscrimination Droit international o Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 o Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 15 Par exemple, les travaux réalisés par la SSST (Société scientifique de santé au travail) et l ASMA (Association scientifique de médecine d assurance) dont les conclusions ont été présentées en octobre 2010. Leur approche est le résultat d'une pensée qui est partie de trois constatations: l'augmentation significative du nombre de personnes invalides, la hausse des coûts de la sécurité sociale (allocations et soins de santé) et le facteur de risque pour l'emploi: l'absentéisme. Ces observations les ont fait décider qu'il est nécessaire de promouvoir une politique plus active pour la réinsertion des malades de longue durée. Novembre 2015 5

Droit de l Union Européenne o Directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d un cadre général en faveur de l égalité de traitement en matière d emploi et de travail o Arrêt Sonia Chacón Navas contre Eurest Colectividades SA du 11 juillet 2006 de la Cour de Justice de l Union Européenne, C-13/05 o Arrêt de la Cour de Justice de l Union Européenne du 11 avril 2013 dans les affaires conjointes HK Danmark agissant pour Jette Ring contre Dansk almennutigt Boligselskab (C-335/11) et HK Danmark, agissant pour Lone Skouboe Werge contre Dansk Arbejdsgiverforening agissant pour Pro Display A/S (C-337/11) Droit belge o Constitution belge o Loi 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination o Protocole relatif au concept d'aménagement raisonnable du 19 juillet 2007 Novembre 2015 6