Le chantier des fonds des Archives nationales de France

Le chantier des fonds des Archives nationales de France Évaluation de l état physique des fonds avant déménagement Anne Lama, chargée de conservation préventive. Présentation générale 1. La préfiguration du déménagement des archives a été l occasion de changements radicaux dans l organisation des Archives nationales de France (A.N.). La décision politique de la construction d un nouveau bâtiment survient alors que les A.N. sont confrontées à un problème de saturation des bâtiments anciens et à une répartition des fonds entre les différents centres d archives d Île-de-France selon une logique matérielle et non plus intellectuelle. On entendra désormais par Archives nationales le regroupement des trois sites de la région parisienne au sein d un établissement unique, dont le statut juridique est un service à compétence nationale. le site historique situé à Paris dans le quartier du marais conserve les documents du VIIe siècle à 1958, ainsi que les archives des présidents de la Ve République. Il ne conservera, après le déménagement, que les fonds antérieurs à 1789. le site des Archives contemporaines à Fontainebleau accueille les versements des archives après 1958. Il a été conçu à l origine comme un centre d archives intermédiaires et gardera cette attribution. le futur site de Pierrefitte-Sur-Seine, d une capacité de 320 kml, doit permettre aux A.N d accueillir les archives après 1958 et pour les 30 années à venir. Elles seront réparties entre Pierrefitte et Fontainebleau en fonction des «grands domaines», c est à dire les domaines de production de l État. Le transfert de ces fonds est complexe de par le volume à déménager mais aussi du rassemblement des fonds de provenances différentes : 130 kml du site de Fontainebleau, et 50 kml du site de Paris, avec ce que cela implique en terme d uniformisation et de mise en cohérence des traitements intellectuels et matériels. 1

2. Cette présentation s intéressera au chantier des fonds du site de Paris pour un déménagement prévu en 2012. Le département de la Conservation s est vu confier la mission de la mise en place de deux outils indispensables à la préparation du chantier des fonds : le récolement topographique et l évaluation sanitaire et physique des fonds. Le dernier récolement topographique des A.N. datait de 1997. Il nécessitait une mise à jour, ainsi que l uniformisation d utilisation et d exploitation des données concernant les fonds. Il a été réalisé sur le logiciel Access par le département des Nouvelles technologies et a permis de comptabiliser 90 kml d archives. L évaluation de l état physique des fonds a suivi le pas au récolement topographique et s en est inspiré. Son objectif : une évaluation quantitative et qualitative des besoins pour le déménagement en matière de désinfection, de conditionnement, de reliure et de traitements de conservation-restauration. Les fonds en partance concernés par l évaluation sanitaire sont ceux des sections des archives privées, du XIXe et du XXe siècles. Les problématiques que posent le transfert des grands formats de la section des Cartes et Plans et des photographies, ainsi que la particularité de la bibliothèque dans un centre d archives nous obligent à prévoir l évaluation et la préparation matérielle de ces fonds au déménagement dans un second temps. 3. Seront abordés dans la présentation, dans l ordre chronologique de notre travail : la mise en place du projet, l organisation générale de la collecte des données, le bilan quantitatif et qualitatif de ce chantier. 2

Mise en place du projet Notre principal référent, notamment pour les techniques d échantillonnage et le mode de tirage, est la norme AFNOR Z-40 011 parue en novembre 2005 et intitulée : «Évaluation de l état physique des fonds et des collections d archives et de bibliothèques». La méthodologie qui a été adoptée est calquée sur les spécificités des A.N., auxquelles il a fallu s adapter car elles correspondent le plus souvent à une logique de terrain. Je pense notamment au rangement des fonds en continu mais dans différents magasins, eux-mêmes situés dans des bâtiments de factures et d époques différentes ; mais aussi à l existence de cotes (dé)groupées dans une même boîte ; et à la caractéristique qui en découle : une Unité Matérielle de Conditionnement (U.M.C.) peut regrouper plusieurs articles, voire plusieurs typologies de documents, etc. La méthodologie 1. Le procédé d'évaluation fait appel aux statistiques par l'utilisation d'une méthode d'échantillonnage aléatoire. Le niveau de confiance choisi est de 95 %, pour une taille d échantillon variable selon les fonds considérés. L'unité statistique élémentaire est une U.M.C., laquelle peut être constituée d un volume relié, d un fichier, d une boîte, d une liasse, etc.. Ces choix ont été faits en fonction de notre objectif principal, le déménagement, mais ils découlent également du récolement topographique réalisé cote par cote. En effet, on simplifiera le système de cotation des Archives nationales en disant qu une cote équivaut à une unité matérielle. Nous sommes confrontés inévitablement à la présence de plusieurs documents dans une U.M.C (comme nous pouvons le voir sur ce schéma une boîte peut contenir ), nous avons donc établi un protocole pour une évaluation globale de l ensemble des documents de l unité statistique : le questionnaire n évalue que le document majoritaire, seul le matériau du document majoritaire est détaillé, la présence de documents secondaires est indiquée et leur nature est spécifiée. 3

2. Entre les archives publiques et les archives privées, il a fallu adopter des méthodologies différentes. L échantillonnage a été uniforme pour les sous-séries des sections du XIXe et XXe siècles : une UMC au moins s est trouvée sélectionnée dans chaque sous-série. La section des A.P. est représentée par quelque 754 fonds dont l une des caractéristiques matérielles fréquente (en plus d une grande hétérogénéité de traitement, d état et de composition) est de ne comporter que quelques boîtes (par exemple le fonds 5AS, association des amis des artistes de 1915 à 1925 ne comporte que 2 UMC). La méthode choisie pour les archives privées est une évaluation stratifiée La stratification a consisté en la sélection de fonds par le conservateur parmi les grands domaines des archives privées (personnes et famille privées (AP), fonds de presse (AR), fonds d entreprises (AQ), fonds d associations (AS), documents isolés (AB)). Les fonds sélectionnés en proportion relative des sous-séries de chaque domaine sont représentatifs de l ensemble des sous-séries au sein des A.P. 3. Le taux de sondage choisi est fonction du temps imparti pour la réalisation du projet. Il a été fixé en début de projet aux alentours de 5 % pour l ensemble des fonds, quel qu en soit leur linéaire. Cependant, pour maintenir un niveau de confiance de 95 % et faire en sorte que la marge d erreur soit au maximum de 5 %, l échantillon doit représenter au moins 400 unités statistiques. C est ainsi que certaines sous-séries au faible linéaire ont été regroupées selon une logique archivistique pour parvenir à un échantillon de 400 (par exemple pour le fonds AD, les archives imprimées de la section du XXe siècles nous avons regroupé les sous-séries de AD/II, législation civile, à AD/XX, journaux, affiches, gravures et faire parts). En ce sens, l analyse est prévue pour être soit transversale à l échelle des fonds, soit verticale pour des fonds dont le linéaire est important. Pour les fonds les plus problématiques, qu ils soient peu connus, très hétérogènes ou de faible linéaire, le choix d une analyse verticale a prédominé et des tirages complémentaires ont été effectués en cours de projet. Les taux de sondage qui en résultent dépassent parfois les 5 % fixés au départ. 4

La base de données La base informatique a été créée en interne, par le Département des nouvelles technologies sur le logiciel Access pour répondre au mieux aux besoins de l'opération. Elle offre quatre champs d action qui sont les suivants : 1) Le tirage des échantillons. Les UMC à examiner, sont sélectionnées de manière aléatoire grâce à un algorithme : les UMC sont identifiées dans la base de données issue du récolement topographique. 2) Le constat d état. La partie «constat» de l'application comporte trois onglets qui permettent de décrire l'umc en termes de typologie de conditionnement, de documents, et de dégradations. Pour chaque altération observée, le niveau de dégradation est classé de A à D : o A : pas d altération constatée; o B : altération mineure et stable, le document peu endommagé présente une usure normale et peut supporter le déménagement sans risque d altération additionnel; o C : altération moyenne, le document court un risque de dégradation supplémentaire lors du déménagement; o D : altération majeure, la manipulation du document ou son utilisation est rendue impossible. Une fois rempli, le questionnaire indique le degré d intervention sur le conditionnement (0 : correct, 1 : inadapté, 2 : à changer), ainsi que la priorité d intervention prévue sur les documents : o 0 : état de conservation bon, aucune intervention n est nécessaire en vue du déménagement ; o 1 : état de conservation moyen, le document présente des dégradations non problématiques dans la perspective du déménagement mais les traitements ne sont pas prioritaires ; o 2 : état de conservation mauvais, la dégradation est potentiellement évolutive, le document est en péril et doit être traité avant le déménagement, tout transport induisant un risque important d altération ; o 3 : urgence absolue, le document ne peut être déménagé sans traitement. 5

3) Les résultats sont directement visibles au fur et à mesure de la saisie des données sous forme d états ou d outils exploitables sous Excel. Ces derniers revêtent un intérêt supplémentaire non négligeable, car ils sont aussi des outils de médiation envers les conservateurs chargés des fonds. 4) L analyse des résultats est possible grâce à une application informatique qui extrapole les résultats à l ensemble de la population évaluée. Assortie d une marge d erreur, elle garantit la fiabilité des résultats à l échelle du corpus. L organisation générale de la collecte La collecte des données et l'analyse des résultats ont fait l'objet d'un appel d'offres. Le délai de réalisation du marché a été fixé à cinq mois et se base sur le temps moyen nécessaire pour l'évaluation d'une UMC, soit environ trois minutes, déplacement dans les magasins compris. L étude de l état physique des fonds est associée à un audit climatique pour le suivi des conditions climatiques des documents pendant les transferts. L'application rigoureuse des trois points suivants a été le garant du bon fonctionnement de l'opération : La formation du personnel. À toutes les étapes du projet et notamment dans la mise en place de la méthode et du plan de sondage, nous avons limité la part de subjectivité et de hasard susceptible de biaiser les résultats d un tel projet. La part humaine est cependant plus importante encore et plus difficilement maîtrisable. Six personnes, externes à l institution devaient se synchroniser pour l examen global et homogène de quelque 27 000 documents. C est pourquoi nous avons porté une attention particulière à la normalisation d un vocabulaire commun et à l uniformisation des saisies, dans la description des dégradations notamment, grâce à une formation pratique et des outils pédagogiques (charte de saisie, manuel d utilisateur) développés en collaboration avec le prestataire de service, l entreprise In Extenso. L'encadrement et la logistique. Muni d ordinateurs portables et du matériel adéquat, le personnel de l entreprise est formé de trois équipes de deux personnes chargées de collecter quotidiennement les données : une personne à la saisie informatique, la seconde à la manipulation des documents. Les échantillons ont été regroupés en sous-populations géographiques pour faciliter le déplacement des équipes sur le vaste site que sont les A.N. Les états de listes d échantillons de chaque sous-série à examiner ont été tirés en amont. Y 6

figuraient les informations de localisation permettant l orientation des équipes dans le dédale des magasins. L'établissement d'un protocole systématique pour la sauvegarde et la synchronisation des données. La base de données a été installée sur le serveur des A.N. sur lequel nous avons effectué les modifications apportées sur les UMC (création d échantillons, modification après vérifications de terrain d une UMC, suppression ou ajout d UMC pour modification d un échantillon, etc.). Chacun des trois ordinateurs portables avait une copie de cette base et évoluait indépendamment de la base mère, sans qu ils soient forcément à jour entre eux. Ainsi la rigueur à apporter dans les synchronisations hebdomadaires et la sauvegarde quotidienne des données de chaque portable a été primordiale pour éviter les pertes d informations. Bilan global et conclusion Quantitatif Échantillon d environ 26 663 unités matérielles de conditionnement (UMC). 401 sous séries évaluées. 28.5 km l. de la section XIXe et 15 km l. XXe, 5.2 km l. des archives privées 4 mois de collecte (soit 24 mois-personne) et 1 mois d exploitation de données, 3 équipes de 6 personnes pour la collecte, une personne pour l analyse, 2 à 3 personnes pour la préparation et le suivi de l opération. cadence de 120 UMC/jours/équipe, à raison de 3.3 minutes, temps unitaire moyen d examen. Qualitatif 1. Il en ressort en général que le soin à apporter au conditionnement est primordial pour éviter que les dégradations n évoluent. Sur ce plan, les résultats recoupent ceux du récolement topographique dont l évaluation ne concernait que l aspect extérieur du conditionnement (évalué à 10 kml.). Les critères d évaluation complémentaires apportés, des dimensions adaptées aux documents et les matériaux de constitution du conditionnement, ont permis d affiner les résultats dans la perspective du transport et d une conservation à long terme des documents. 2. Le constat sur l état des fonds est plutôt rassurant. Il ressort, sur le plan sanitaire, que les fonds ne posent pas de difficultés notoires car le taux de contamination biologique est faible. 7

Sur le plan physique la situation est plus contrastée. Les requêtes effectuées se sont portées sur des dégradations mécaniques de niveau C et D. La proportion de documents plats à traiter pour stabiliser leur dégradation est à l échelle de l ensemble des fonds minime (sauf exception). A noter une proportion qui semble négligeable d une dégradation chimique due à la corrosion des encres de niveau C et D. Mais ce type de dégradation n étant pas immédiatement perceptible sous la lumière du jour, la proportion des documents de niveau A seraient à reconsidérer. Pour les documents non conditionnés (principalement des registres) les chiffres sont à l évidence plus importants et laissent entrevoir des travaux de consolidation et de rattachement des plats. Cette première phase du chantier des fonds est un bilan préliminaire à une série d opérations matérielles réalisées en interne ou, dans le cas de travaux plus importants, par une entreprise privée. Cependant et avant toute chose, les résultats devront être affinés. Le concours des responsables de fonds et des techniciens de l institution sera indispensable pour définir précisément les cotes concernées et cibler les priorités de traitement parmi l ensemble des fonds. Des questions resteront momentanément en suspens : le déménagement par grands domaines et la répartition des fonds parmi eux, le mode d équipement pour le déménagement des volumes reliés, la politique de conditionnement des volumes reliés, etc. À l issue de l audit environnemental de nouvelles perspectives pourront alors être envisagées, en tenant compte notamment des conditions climatiques dans lesquelles sont conservés actuellement les documents. Le prochain chantier du département de la Conservation des A.N concernera l évaluation de la section des Cartes et plans et de photographies, la bibliothèque historique et bien entendu les fonds d archives contemporaines du site de Fontainebleau. La problématique y est double : 1. d un point de vue intellectuel, il faut adapter le récolement topographique du site de Paris (qui je vous le rappelle est à l article) à celui de Fontainebleau qui est un récolement au versement, 2. d un point de vue matériel, il faudra gérer le type de conditionnement de masse prévu à l origine pour être temporaire mais qui conditionne parfois plusieurs articles. 8