I. Chômage et marché du travail 1/ le schéma standard Economie découverte. Plan thème 2. L emploi - Définitions et graphiques : offre et demande de travail ; prix ou coût du travail. - Déterminants de l offre de travail : variables démographiques (y compris mouvements de population), sociales (travail des femmes, régimes de retraite, alternatives au travail marchand ou salarié, revenus sociaux, autoconsommation), juridiques (travail des enfants), économiques (salaire et goûts) Remarque : l offre de travail n est pas forcément une fonction croissante du salaire. Tout dépend des préférences des agents. Une hausse du salaire horaire peut permettre une hausse du pouvoir d achat et donc, à consommation inchangée, une baisse du temps travaillé. 2/ Causes du chômage - Chômage volontaire et mécanismes assurantiels. - Chômage frictionnel : coexistence d offres et de demandes insatisfaites. Défaut de coordination dû à une insuffisance de l information ou à une formation de la main d œuvre aux emplois inadéquate. - Chômage involontaire : excès d offre. Action sur l offre : démographie, revenus de substitution, baisse du salaire pour décourager l offre. Action sur la demande de travail : comment l augmenter? En baissant le coût du travail : salaire + charges sociales. Ou bien il faut plus de travail pour un même salaire, ce qui revient au même. Si refus, le chômage est collectivement volontaire. Insiders-outsiders : le refus de la baisse du salaire est ce qui explique la permanence du chômage. Une baisse du salaire permettrait-elle d augmenter l emploi? Gain de compétitivité mais jeu à somme nulle s il s agit de prendre les parts de marché des autres entreprises (ou pays). L idée libérale ne consiste pas à vendre plus qu on n achète, à attendre de l échange international un débouché. Engager les Etats à exporter pour réduire le chômage est un mot d ordre non pas libéral mais mercantiliste, qui suppose que les débouchés domestiques ne suffiraient pas. Une augmentation de la production est-elle toujours suivie d une augmentation des ventes, ou peut-on avoir une augmentation de la production sans augmentation des ventes du même montant? Dans ce dernier cas, le chômage serait dû à des perspectives pessimistes sur les débouchés. Le chômage n est alors pas seulement l affaire du marché du travail. II. Chômage et débouchés 1/ La conception classique et néoclassique : la loi de Say 1
Existence de débouchés insuffisants offre > demande. - possible pour un agent : échec de marché. L offre n est pas compétitive par rapport à la concurrence. Mais un concurrent en profite. - possible dans une branche mais il existe alors des secteurs dans lesquels la demande est supérieure à l offre. Déséquilibres sectoriels. - Il n existe pas de crise globale due aux débouchés insuffisants = crise globale de surproduction. Loi des débouchés = loi de Say = toute offre crée sa demande = les produits s échangent contre les produits. Car la production est offerte pour financer une demande. «Un produit créé offre, dès cet instant, un débouché à d autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre ( ). Mais il n est pas moins empressé de se défaire de l argent que lui procure sa vente ( ). Or, on ne peut se défaire de son argent qu en demandant à acheter un produit quelconque. Le fait seul de la formation d un produit ouvre, dès l instant même, un débouché à d autres produits» (J-B. Say, Traité d'économie politique, 1803). «M. Say a prouvé de la manière la plus satisfaisante ( ) que la demande des produits n est bornée que par la production. Personne ne produit que dans l intention de consommer ou de vendre la chose produite, et on ne vend jamais que pour acheter quelque autre produit qui puisse être d une utilité immédiate, ou contribuer à la production future. Le producteur devient donc consommateur de ses propres produits, ou acheteur et consommateur des produits de quelque autre personne». (Ricardo, Principes de l économie politique et de l impôt, 1817). Les déséquilibres individuels ou sectoriels ne peuvent être que temporaires. Si un agent échoue à vendre sa marchandise, ou ne la vend que pour un montant moindre que celui qu il a engagé dans la production, c est que la demande qui ne s est pas portée sur son bien s est portée vers un autre. Alors : «Il n est pas présumable qu il reste longtemps mal informé sur ce qu il lui est plus avantageux de produire ( ) pour acquérir d autres produits. Il n est donc pas vraisemblable qu il continue à produire des choses pour lesquelles il n y aurait pas de demande» (Ricardo, Principes, 1817). 2/ La monnaie dans la loi de Say Les échanges transitent pas la monnaie, qui sépare l achat et la vente, mais en dernier ressort : «On n achète des produits qu avec des produits, et le numéraire n est que l agent au moyen duquel l échange s effectue. Il peut être produit une trop grande quantité d une certaine denrée, et il peut en résulter une surabondance telle dans le marché, qu on ne puisse en retirer ce qu elle a coûté ; mais ce trop-plein ne saurait avoir lieu pour toutes les denrées» (Ricardo, Principes, 1817). 2
La satiété ne peut s observer pour tous les biens : «La demande de blé est bornée par le nombre de bouches qui doivent le manger ; celle des souliers et des habits, par le nombre des personnes qui doivent les porter ; mais quoique une société, ou partie d une société, puisse avoir autant de blé et autant de chapeaux et de souliers qu elle peut ou qu elle veut en consommer, on ne saurait en dire autant de tout produit de la nature ou de l art. Bien des personnes consommeraient plus de vin, si elles avaient le moyen de s en procurer. D autres, ayant assez de vin pour leur consommation, voudraient augmenter la quantité de leurs meubles, ou en avoir de plus beaux. D autres pourraient vouloir embellir leurs campagnes, ou donner plus de splendeur à leurs maisons. Le désir de ces jouissances est inné dans l homme ; il ne faut qu en avoir les moyens ; et un accroissement de production peut, seul, fournir ces moyens. Avec des subsistances et des denrées de première nécessité à ma disposition, je ne manquerai pas longtemps d ouvriers dont le travail puisse me procurer les objets qui pourront m être plus utiles ou plus désirables» (Ricardo, Principes, 1817). Les agents désirent-ils conserver leur monnaie plutôt que des biens? Non. L échange est monétaire mais tout se passe comme si l on pratiquait le troc. La monnaie n est jamais conservée. Car, à la différence des biens consommés, la monnaie ne procure pas d utilité. Et la monnaie n est pas un bon moyen de transférer de la valeur vers le futur car son taux d intérêt est nul, alors que les biens de production ou les actifs financiers ont un rendement strictement positif, même sans risque. Remarque : le désir d épargner n est pas forcément motivé par le taux d intérêt. L épargne, i.e. le transfert de richesse du présent vers le futur permet, même sans enrichissement, d ajuster sa richesse à sa consommation (systèmes de retraite). La conservation de la richesse sous forme monétaire n accroît pas la richesse. En valeur réelle, elle peut décroît s il y a inflation. L utilisation de la même richesse pour produire donne lieu à un revenu, qui dépend du montant épargné (et investi) et du taux d intérêt. La monnaie est une réserve de valeur dont le rendement nominal est nul (son rendement réel est diminué par l inflation, comme pour dans tout transfert de richesse). Plutôt que de conserver la monnaie, il faut l utiliser pour acheter des biens de production, ce qui crée une demande de biens de production, ou la prêter à un entrepreneur qui le fera et rémunèrera ce prêt. Le thésaurisateur meurt sur son tas d or sans l accroître. Pour cela, ; il doit faire circuler l or. 3/ L argument de Keynes Pour échapper à la loi de Say, Keynes élabore une théorie de la demande de monnaie, fondée sur trois motifs : - Motifs de transaction - Motif de précaution. - Motif de spéculation. C est la question du choix de la forme de l épargne, du choix du moyen de conserver la richesse : monnaie, achat de biens de production ou actifs financiers? Pourquoi l épargnant renoncerait-il à placer son épargne, qui dans tous les cas lui rapporte 3
un taux d intérêt positif même sans prime de risque? Parce que la valeur (nominale) de ces actifs est variable et peut baisser. On demande rationnellement de la monnaie si l on anticipe une baisse de la valeur nominale des titres. Remarque : il ne s agit pas d inflation, qui affecte indifféremment la valeur réelle (i.e. le pouvoir d achat) de la monnaie et des actifs financiers. Il s agit d une baisse de la valeur nominale des actifs financiers. Comment se détermine la valeur des actifs financiers? Sur les marchés financiers, à travers l offre et la demande sur ces marchés. En dernier ressort, disent les partisans de la loi de Say, cette valeur reflète la valeur réelle des capitaux détenus par les entreprises, égale à la valeur (actualisée) de tous les revenus futurs procurés par ces capitaux. Elle ne saurait baisser en deçà : si elle baisse, la demande de ces actifs augmente, et leur valeur sur le marché augmente. Keynes objecte que la demande de ces actifs obéit à des motifs qui peuvent éloigner la valeur de marché (observée) de la valeur réelle de l entreprise, entendue comme somme de ses revenus futurs : «La technique du placement peut être comparée à ces concours organisés par les journaux où les participants ont à choisir les six plus jolis visages parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à celui dont les préférences s'approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l'ensemble des concurrents. Chaque concurrent doit donc choisir non les visages qu'il juge lui-même les plus jolis, mais ceux qu'il estime les plus propres à obtenir le suffrage des autres concurrents, lesquels examinent tous le problème sous le même angle. Il ne s'agit pas pour chacun de choisir les visages qui, autant qu'il peut en juger, sont réellement les plus jolis ni même ceux que l'opinion moyenne considèrera réellement comme tels. Au troisième degré où nous sommes déjà rendus, on emploie ses facultés à découvrir l'idée que l'opinion moyenne se fera à l'avance de son propre jugement» (Keynes, Théorie générale de l emploi, de l intérêt et de la monnaie, chapitre 12). Les acteurs sur les marchés financiers agissent par mimétisme. Ce comportement n est pas irrationnel car ils agissent sur la base non pas des revenus qui leur seront versés, ou de la valeur réelle à long terme des firmes, mais sur la base de leurs anticipations sur la valeur future du titre. Conclusion : c est à cause de cela qu il peut y avoir une demande de monnaie trop importante, de sorte que la demande globale est insuffisante : il y a un excès d épargne sous forme monétaire, un investissement trop faible des sommes épargnées : «Un acte d épargne individuelle signifie pour ainsi dire une décision de ne pas dîner aujourd hui. Mais il n implique pas nécessairement une décision de commander un dîner ou une paire de chaussures une semaine ou une année plus tard, ou de consommer un article déterminé à une date déterminée. ( ) Il ne consiste pas dans la substitution d une demande pour la consommation future à une demande pour la consommation présente, mais seulement dans une diminution nette de cette dernière demande» (Keynes, 1936, Théorie générale de l emploi, de l intérêt et de la monnaie, chapitre 16). 4
Alors, la théorie keynésienne préconise pour relancer l emploi une politique budgétaire et/ou monétaire. - Politique monétaire agit sur le taux d intérêt en offrant de la monnaie pour racheter des titres. Un taux d intérêt faible stimule l investissement privé, qui est un élément de la demande privée. Pb : quand le taux d intérêt est déjà très faible, la demande de monnaie est infinie. Les agents ne veulent plus placer. Il n est plus possible de diminuer le taux d intérêt en augmentant l offre de monnaie. C est la trappe à liquidité. - Politiques budgétaires : dépenses de l Etat supérieures aux recettes pour rétablir des débouchés. Politiques contra-cycliques. Quand les cycles sont tous dans le même sens, accumulation de déficits et de dettes publiques. III. Chômage et capital : le rôle des salaires et des profits dans l explication du chômage 1. L évolution des salaires chez Keynes : Peut-on dire que, selon Keynes il suffirait d augmenter les salaires pour augmenter la demande et augmenter l emploi? Non. Selon ses raisonnements, une augmentation des salaires augmente la demande mais d un montant moindre. Tous les revenus distribués ne font pas retour sous forme de demande. Une épargne se crée, donc une insuffisance de débouchés. Il faut un accroissement d investissement pour compenser cet excès d épargne. Ajoutons qu une augmentation des salaires ne créerait pas d offre. La seule augmentation de la consommation ne peut suffire. A moins qu elle ne provienne d une augmentation de la proportion du revenu qui est consommée, par une redistribution vers les revenus faibles, dont la part consommée est plus élevée que celle des revenus élevés. Parallèlement, une baisse des salaires éloignerait du plein-emploi, parce qu elle déclencherait de mauvaises anticipations sur la demande future. Mais le raisonnement n est pas symétrique : une hausse des salaires ne suffirait pas à ramener au plein-emploi. Plus encore, selon Keynes, la hausse de l emploi s accompagnerait d une baisse du pouvoir d achat du salaire. Point d accord avec les néo-classiques et la courbe de demande de travail, décroissante du salaire (réel, i.e. du pouvoir d achat du salaire). Keynes raisonne à capital constant, et en supposant une homogénéité des travailleurs. Alors, accroître l emploi diminue la productivité du travail. Cela non parce que les qualités du travail diffèrent mais parce qu un nombre plus grand de travailleurs travaillent avec une même quantité globale de capital, donc une quantité par travailleur inférieure. Les mêmes travailleurs sont moins productifs quand le capital par tête est plus faible. Or le salaire, en dernier ressort, est égal à la productivité du travail. Le salaire est donc plus faible quand l emploi est plus important. Keynes diverge des néoclassiques non sur la relation entre salaire (réel) et emploi, mais sur la causalité : chez les néoclassiques, la cause du chômage est un salaire réel trop élevé, qu il 5
suffirait d abaisser pour augmenter l emploi. La demande de biens augmenterait alors nécessairement. Chez Keynes, la cause du chômage est une demande de biens insuffisante, qu il suffirait d accroître pour augmenter l emploi, et le salaire réel baisserait nécessairement. 2. Retour au raisonnement néoclassique : substitution capital-travail et productivité décroissante Une baisse du salaire réel augmenterait-elle l emploi? Substitution capital-travail. Dans un raisonnement à production constante, la production peut s effectuer de plusieurs manières, avec peu ou beaucoup de capital. Le choix dépend du prix du capital et du prix du travail. Un salaire trop élevé incite à substituer du capital au travail. Réciproquement, un salaire plus faible inviterait à substituer du travail au capital. Ou bien la productivité du travail diminue avec l emploi. Une hausse de l emploi n est donc possible que si les salaires diminuent pour être égaux à la nouvelle productivité du travail. Ce n est pas l insuffisance de la demande qui crée le chômage mais de mauvaises conditions de l offre : on ne produit pas davantage parce que le produit attendu de cet accroissement de l offre ne suffirait pas à payer les travailleurs. 3. Approches classique et marxiste : salaire de subsistance et fonds de salaire C est l état des techniques qui détermine la proportion entre capital et travail. Ce n est pas un choix économique. Mais la demande n est pas en cause : c est le montant du capital qui l est. Il y a insuffisance de la formation de capital accumulé pour employer toute la population active. C est pourquoi, selon les classiques, il faut encourager la formation de capital. Remarque : dans ces approches, le salaire n est plus égal à la productivité du travail. Il est fixé selon des normes sociales de consommation. Il n y a pas de relation de nécessité entre salaire et emploi. On peut augmenter l emploi en baissant le coût du capital (dividendes). 6