Intérêt d une bonne analyse du terrain dans la prise en charge des cervicalgies. Philippe Campignion Kinésithérapeute, conférencier, consultant et directeur du centre de formation Philippe Campignion en France et à l étranger : les chaînes musculaires et articulaires GDS. Mots clefs : colonne cervicale, terrain prédisposant, posture, globalité en physiothérapie, méthode Mézières, méthode G.D.S. Les méthodes de Françoise Mézières et des chaînes musculaires et articulaires de madame Godelieve Denys-Struyf ont introduit la notion d unité corporelle dans le domaine de la physiothérapie, se rapprochant des principes de la médecine traditionnelle chinoise ou encore de l ostéopathie. La physiothérapie traditionnelle se base sur le fait que la douleur appelle la main et s attaque directement au symptôme, alors que, dans une vision globaliste du corps et de sa mécanique, la douleur est considérée comme un signal d alarme se déclenchant le plus souvent à distance du problème initial. Mademoiselle Mézières disait : «le mal n est jamais là où la douleur se manifeste». Un médecin homéopathe a dit un jour : «le patient nous crie son mal-être au travers de ses symptômes, prenons le temps de les écouter avant de tenter de les supprimer.» Un problème de pied peut entrainer un déséquilibre du bassin que le corps tentera de compenser plus haut, induisant une souffrance au niveau cervical, pour ne prendre qu un exemple. Les relations entre les différentes parties du corps ne sont plus à démontrer et négliger cette unité corporelle ne peut que favoriser la récidive. La méthode G.D.S. met l accent sur la nécessaire compréhension du terrain prédisposant et permet, par une lecture précise des messages corporels, de définir des stratégies adaptées au cas par cas. Les muscles sont les outils de l expression psycho-corporelle. Dans un schéma physiologique, ils s organisent en familles et participent au langage corporel, chacun de nos gestes étant influencé par notre psychisme. Ce langage corporel que nous qualifions de langage parlé participe à la diversité du genre humain. Lorsque, dans l excès, ces familles de muscles deviennent chaînes de tension myo-fasciales, elles emprisonnent le corps et le marquent d empreintes spécifiques. Cela détermine, de façon progressive, un ensemble de dysfonctions articulaires à l origine d un terrain fragilisé. A partir d un exemple précis, cet article reprend chacune de ses notions pour les préciser et les intégrer dans le but d adapter le traitement au patient. Notion de chaîne musculaire Pour Françoise Mézières, une chaîne musculaire est constituée d un ensemble de muscles reliés les uns aux autres par leurs aponévroses. Tout muscle qui augmente son tonus communique une tension à son voisin qui augmente à son tour son tonus, par le biais du réflexe myotatique de Sherrington. Pour G.D.S., toutes les parties du corps sont dépendantes les unes des autres, ce sont les muscles et leurs enveloppes, organisés en chaînes, qui les relient entre elles. Elle a défini 6 familles de muscles
qui peuvent devenir chaînes de tension myo-fasciale et enchaîner le corps dans une typologie (fig. 1). Fig. 1 Notions de base concernant la physiotlogie de la colonne cervico-thoracique : Le contrôle du port de tête est sous dépendance d un partage de territoire entre différents groupes musculaires (fig. 2). Les muscles profonds qui tapissent la face antérieure des vertèbres cervicales et des premières thoraciques assurent l érection verticale de cette région. G.D.S. les associe aux chaînes dites postéro-antérieures, impliquées dans l érection vertébrale et l inspiration et qualifiées d antigravitaires, par le fait qu elles s opposent au tassement que celle-ci induit. Les muscles semi-épineux et longissimus de la tête sont chargés de contrer la chute en avant naturelle de la masse céphalique. Godelieve Denys-Struyf les associe aux chaînes postéro-médianes très impliquées dans la station debout.
!" Le contrôle du port de tête Fig. 2 PA érige le cou PM tient la tête La respiration diaphragmatique se répercute au niveau cervico-dorsal (fig. 3) Dans un schéma physiologique idéal, la colonne cervico-dorsale modifie sa position, de façon rythmique et en phase avec la respiration diaphragmatique. Les muscles responsables de la phase d inspiration ont besoin d un point fixe supérieur que leur procurent les muscles des chaînes Postéro-Antérieures, en érigeant la colonne vertébrale et en orientant le sommet du crâne vers le zénith. Durant cette phase, la lordose s efface, la colonne cervicale s érigeant au dessus de C7. La colonne thoracique tend, elle aussi, vers la ligne droite. Les muscles longs du cou et prévertébraux en sont les principaux acteurs. Les scalènes sont alors étirés vers le haut. A l expir, les muscles précités devraient relâcher leur action et laisser les scalènes réinstaller la lordose dont le sommet redevient C4-C5. Prévertébraux Long du cou Scalènes PC PC La «respiration» cervicale Fig 3 Peu de personnes jouissent de cette rythmicité cervicale que nous qualifions volontiers de «respiration cervicale». La mobilité du segment proclive supérieur de la colonne vertébrale est indispensable à la bonne physiologie cervicale (fig. 4). La colonne vertébrale présente deux arcs de part et d autre de T8 que l on qualifie de pivot interarcs et dont la position en sommet de cyphose est garante d une bonne physiologie vertébrale. Chacun de ces arcs est constitué de deux segments, l un orienté vers le haut et l avant est qualifié de proclive, l autre orienté vers le haut et l arrière l est de déclive.
Le segment proclive qui va de T7 à C5 à l expir ou T7 à l inspir (Cf. paragraphe précédent), s articule avec T8. La liberté de ce segment, dans le sens du redressement comme dans celui de la flexion antérieure, est primordiale. Tout enraîdissement de ce segment favorisera une hypersollicitation au niveau cervical soit en C5-C6 ou encore C3 conduisant au blocage en défense. Mobilité du segment proclive supérieur dans le plan sagittal C4 C5 C7 Fig 4 T7/T8 Les rotations de la tête se répercutent dans la colonne cervico-thoracique jusqu en T4 (fig. 5). Mademoiselle Mézières illustrait cette affirmation par l image d une masse céphalique posée sur un entonnoir dont l extrémité serait posée en T4. Elle ajoutait que toute vertèbre s opposant à cette rotation devait être ramenée dans le «droit chemin» par crochetage. T4 est au croisement des lignes proposées par Littlejohn en ostéopathie comme précisé sur le schéma de droite de la figure 5. Ces lignes étant des lignes de force que le corps utilise pour ses rééquilibrations, cela permet d entrevoir les rapports entre le bassin et cette colonne cervicale. Fig 5 T4 T4 Rotation de la tête dans le plan frontal Le triangles de Littlejohn Exemple d influence de la posture sur le terrain prédisposant à une certaine forme de cervicalgies : Rigidité cervicale sur un terrain ou prédominent les chaînes de tensions postéro-antérieures et antéro-postérieures (Fig 6 et 7). Lorsque les chaînes postéro-antérieures et antéro-postérieures se rigidifient, elles enferment le corps dans des typologies à l image de celles représentées à la figure 6. Ces deux enchaînements qui physiologiquement joue le jeu subtil d un couple de tension réciproque dans la respiration, sont ici en escalade de tension. Chacun se retranche dans une région du corps pour mieux résister à l autre. Les chaînes postéro-antérieures, vraisemblablement initiatrices du conflit, se figent au niveau cervico-dorsal et thoracique en position d inspir. Les chaînes antéro-postérieures lésées se figent en
défense au niveau dorso-lombaire et du bassin, installant une hyperlordose (diaphragme et psoas) et une antébascule du pelvis (ilio-psoas). Les genoux sont maintenus en récurvatum par les quadriceps. Fig 6 Hyper-rectitude cervicale + Lordose inter-scapulaire + Hyperlordose Anté-bascule du pelvis PC Recurvatum des genoux Attitude en PA-AP Les empreintes caractéristiques au niveau cervico-thoracique, sont une rectitude, voire une inversion de courbure cervicale, ainsi qu une lordose inter-scapulaire (Fig 7). La rythmicité cervicale évoquée précédemment est bien sûr fortement contrariée. Ces colonnes sont particulièrement instables paradoxalement.
!" Fig 7 PA Inversion de courbure cervicale par éxcès de tension sdans les chaînes postéro-antérieures Analyse de l influence du terrain sur la physiologie de la colonne cervicale : Le problème réside dans la compétition qui s est installée entre les érecteurs de la colonne cervicothoracique et le diaphragme qui bloque le thorax en inspir. Physiologiquement, dés le début de la phase d inspiration, tandis qu en se contractant, le diaphragme abaisse son centre phrénique, les érecteurs du rachis s activent au niveau cervico-dorsal (fig 8). Le fascia viscéral est ainsi étiré vers le haut et vers le bas et fini par stopper la descente du centre phrénique. Le diaphragme continuant à se raccourcir, inverse en quelque sorte son point fixe, et, profitant de ce point fixe sur son centre phrénique, peut soulever la cage thoracique. Fig 8 1 temps 2 temps La colonne s érige La colonne est érigée C7 Le fascia viscéral endo-thoracique est étiré Le fascia viscéral endo-thoracique devient point fixe pour le diaphragme Le centre Phrénique descend Le diaphragme descend son centre phrénique Le diaphragme soulève la cage thoracique T8 L3 PC Les deux temps de la contraction diaphragmatique durant la phase inspiratrice Durant la phase d expiration, les érecteurs du rachis de PA se relâchent, la cage thoracique s affaisse et le centre phrénique remonte certainement attiré vers le haut par le fascia viscéral qui ne demande qu à reprendre sa longueur ainsi que le parenchyme pleural (fig 9). Les lordoses se réinstallent.
Fig 9 Phase expiratrice C4 C5 T8 L3 En cas d excés d activité dans les chaînes postéro-antérieures et antéro-postérieures, la partie supérieure du tronc demeure bloquée en inspiration, la colonne cervicale supportant en permanence le poids du thorax et la traction vers le bas du diaphragme (fig 10). Fig 10 Thorax bloqué en inspir + + Proposition de traitement :
Modelage de la colonne cervico-dorsale vers la lordose : Celui-ci devra viser à accentuer la lordose au niveau cervical (fig 11). L opérateur applique le plus largement possible la pulpe de ses doigts sur les lames des vertèbres cervicales moyennes, de chaque coté des épineuses. Il repousse les vertèbres vers l avant lors de l expiration active du sujet et s oppose à leur recul lors de l inspir. Modelage de la colonne crevicale en lordose Mais il ne faudra pas oublier d y associer une recherche de flexion dans le segment proclive (fig 12) : Le thérapeute crochète les épineuses des premières vertèbres thoraciques par en dessous et les entrainent successivement en flexion antérieure les unes par rapport aux autres. Modelage du segment proclive supérieur en flexion La levée de tension des muscles fixateurs de la scapula, ainsi que des petits pectoraux constitue un préalable indispensable à la détente du diaphragme : Levée de tension de l élévateur de la scapula ou angulaire de la scapula (fig13) :
L opérateur crochète les premières vertèbres cervicales en les tractant en légère translation controlatérale tandis que de l autre main, il repousse l angle supérieur de la scapula qu il entraîne dans dans un mouvement de sonnette externe. Fig 13 Levée de tension de l angulaire de la scapula Levée de tension dans les muscles rhomboïdes (fig 14) : Les bras élevés légèrement en dessous de la verticale, le patient saisit ses coudes et exerce, durant une longue expiration, une poussée dans l axe de ses bras, vers le haut et légèrement vers ses pieds. Le thérapeute dirige d une main cette poussée active du sujet. Il est très important d adopter une expiration libre de toute entrave, les lèvres suffisamment ouvertes sans racler la gorge, de façon à faire descendre le thorax et favoriser la flexion antérieure du segment proclive supérieur. De l autre main, le thérapeute peut, soit faciliter la flexion des vertèbres du segment proclive les unes par rapport aux autres, soit encourager la descente du sternum en plaçant un doigt sur celui-ci pour donner la bonne direction au patient. Celui-ci doit prendre conscience de l espace qui s agrandit entre les bords spinaux des omoplates et les épineuses thoraciques. A l inspiration on lui demande simplement de reposer les omoplates sur la table. Fig 14 Normalisation de la tension dans les rhomboïdes Mobilisation de la scapula (fig 15) : le patient est installé confortablement en décubitus latéral, le bras du dessous replié pour que la main puisse accueillir la tête la tête. un coussin est le bienvenu comme sur les photos. Le membre
inférieur supérieur est fléchi, le genou posé en avant de l autre sur la table pour conserver l équilibre Le thérapeute saisit la scapula à deux mains, un avant-bras passant sous le bras du patient. L avant bras est laissé fléchi. La scapula est entrainée dans des mouvements circulaires, le thérapeute cherchant à faire passer ses doigts sous l omoplate. Fig 15 Mobilisation de la scapula Levée de tension dans le petit pectoral (fig 16) : Le petit pectoral est souvent impliqué dans les blocages costaux de 3 à 5. Le troisième arc costal est lors très proéminant en avant à peu près au-dessus du mamelon. Le cinquième l est latéralement en dessous du creux axillaire. D une main, le thérapeute saisit le rebord supérieur du troisième arc costal et si possible des quatrième et cinquième et, pendant que le sujet expire, les accompagne dans leur descente pour les y fixer. De l autre main, il repousse l épaule de manière à entrainer l apophyse coracoïde en arrière. A l inspiration, il s oppose à la remontée des arcs costaux.
Fig 16 Levée de tension dans le petit pectoral Détente des fibres antérieures du diaphragme (fig 17) : Celle-ci peut s effectuer de deux façons selon la sensibilité de la région. Si la prsie de main n est pas trop douloureuse, le thérapeute étant placé à la tête du patient introduit ses doigts sous le grill costal tandis qu il dépose ses talons de mains sur les basses côtes de chaque coté de l angle de Charpy. A l expiration, qui doit se faire sans entrave sous peine de contracter les muscles transverses et de bloquer le diaphragme, le thérapeute abaisse le grill costal par une pression de ses talons de main en faisant rentrer ses doigts en direction de centre phrénique. L expiration ne doit pas être trop ample dès le début, sous peine de voir les doigts repoussés. A l inspiration il s oppose à la repoussée de ses doigts par la contraction du diaphragme. En cas de douleur, on procédera d un coté à la fois. Une main repousse le grill costal vers l expir, tandis que l autre placée de façon à épouser la moitié de l angle de Charpy tente de passer sous le gril costal. Etirement des piliers du diaphragme (fig 18) : Le sujet est assis à califourchon sur la table devant le thérapeute et croise les bras devant lui pour attraper ses omoplates et dégager la zone inter-scapulaire. Le thérapeute est assis derrière lui et le prend dans ses bras pour l amener en cyphose et en arrière. La manoeuvre est plus facilement réalisable par un homme qui peut plaquer la région de T12-L1 sur son sternum et ainsi s assurer de sa bonne mise en cyphose. A l inspir, il s oppose au redressement de la colonne qui ne demande qu a ré-installer sa lordose diaphragmatique. A l expir, il accentue encore la cyphose de la région des piliers du diaphragme.
Etirement des piliers du diaphragme Fig 17 Mobilisation du grill costal (fig 18) : Le thérapeute est toujours assis derrière son patient. il passe une main sous le bras de celui-ci pour placer sa main à la partie antéro-supérieure de son thorax. Le patient laisse retomber son membre supérieur. L autre main est placée de façon à venir épouser la forme d un arc costal, l espace entre le pouce et l index largement ouvert. Le thérapeute va bercer latéralement son patient en effectuant des poussées rythmiques latérales successivement sur chaque arc costal. On répète plusieurs fois l opération en favorisant la fluidité. Fig 18 Mobilisation du grill costal
Il sera souvent nécessaire de revenir à la colonne cervicale après ces manœuvres de déblocage thoracique, l un découlant de l autre. Dans certains cas il faudra détendre les posas et reprogrammer le déverrouillage des genoux par des exercices appropriés. Conclusion : Nous avons choisi de traiter un exemple d influence de la typologie sur la physiologie cervicale et illustrer l importance de la compréhension du terrain prédisposant et des processus de déstructuration pour y adapter le traitement. Un cas de dominance des chaînes postéro-médianes, qui se caractérise par une propulsion antérieure du tronc et une bascule postérieure de la masse céphalique favorisant le tassement cervical, aurait motivé un travail sur les membres inférieurs et plus particulièrement les chevilles dont le positionnement est le point de départ.