LE DIVORCE ET LA SÉPARATION DE CORPS EN DROIT CONGOLAIS
Hygin Didace Amboulou LE DIVORCE ET LA SÉPARATION DE CORPS EN DROIT CONGOLAIS
L Harmattan, 2010 5-7, rue de l Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-13640-3 EAN : 9782296136403
Si le droit est l éthique des personnes sobres, deux choses, cependant, nous pervertissent : le complexe et l orgueil. Hygin Didace Amboulou
Ce livre est un hommage à deux hommes : -Le regretté président de la Cour suprême, Charles Assemekang qui, dans le souci de l amélioration et de la vulgarisation du droit national, publiait l un de ses premiers ouvrages : «Le droit des personnes et de la famille». C était au lendemain de la promulgation de la loi n 073/84 du 17 octobre 1984, portant Code de la famille. Une loi qu il s était proposé de commenter. Le réalisme de ses analyses, la teneur de ses propositions ainsi que la pertinence des questions qu il pose et leurs réponses que dicte l assimilation d une nouvelle culture juridique confrontée à des coutumes rigoureuses et profondément enracinées, font de cet illustre juriste un véritable précurseur. -Mon ami et collègue, Fidèle Ikama, magistrat, arraché prématurément à la vie le 28 novembre 2007, alors qu il exerçait les fonctions de Directeur de Cabinet du Garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits humains, Aimé Emmanuel Yoka.
Nous remercions pour leurs précieux conseils : Didier Narcisse Iwandza, président du Tribunal de Commerce de Pointe-Noire, Henri Faustin Abia, magistrat au 2 e cabinet d instruction au tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, Constant Ongoundou, président du tribunal d instance de Tié- Tié. Roger Oko, avocat au barreau de Pointe-Noire, Aristide Okassa, auditeur de justice, Mathias Pourou, greffier en chef au TGI de Pointe-Noire, Brislaine Koutou, notaire à pointe-noire, Joseph Lolo, greffier en chef au T I de Tchinouka de Pointe- Noire.
Avant-propos Pourquoi, un livre sur le divorce et la séparation de corps? Les liens amoureux entre un homme et une femme prennent des formes sociales diverses. Certaines sont éphémères. D autres, plus stables, peuvent aboutir à la création d un couple. Mais la notion recouvre aujourd hui deux réalités : le couple marié, c'est-à-dire adhérant à un statut légal, et le couple vivant en concubinage. Mais, seule nous préoccupe, ici, la première réalité. En effet, le mariage est au cœur de la famille. C est l acte fondamental qui crée la cellule familiale et assure, dans les meilleures conditions, la perpétuation de l espèce, même si celle-ci peut être aussi réalisée en dehors de lui. Tout le droit de la famille est ordonné autour du mariage. Cependant, très vite, la mésentente conjugale peut conduire les époux à chercher un remède dans la séparation. Celle-ci peut revêtir deux formes. D un côté, les époux ou l un d eux peuvent choisir de vivre séparément sans y être autorisés par décision de justice. Il y a alors séparation de fait, c'est-àdire non organisée juridiquement. D un autre côté, un juge peut intervenir à la demande d un époux pour ordonner la dissolution ou le relâchement du lien conjugal : il prononce alors le divorce ou la séparation de corps. Ce livre aborde en profondeur ces questions et propose au lecteur, même le moins professionnel, des explications rigoureuses fondées sur la loi congolaise. Emboli, le 21 février 2010. 11
Titre I Le divorce 1. Le divorce peut être défini comme la dissolution du mariage, prononcée par un juge du vivant des époux pour certaines causes établies par la loi. Il se distingue, d une part, de l annulation du mariage, qui sanctionne un vice de formation du lien conjugal et fait disparaître celui-ci en principe rétroactivement 1. Il se rapproche, d autre part, de la séparation de corps, prononcée pour des causes identiques, mais qui relâche seulement, sans le rompre, le lien du mariage 2. Le divorce est au cœur d un débat séculaire dont il importe de retracer les grandes lignes (chapitre préliminaire) avant de procéder à l étude de l institution en droit positif. Celui-ci résulte essentiellement du Code de la famille au chapitre II, du Titre VI «Du divorce» qui traite successivement «Des causes du divorce» (Section I), de la procédure de divorce (Section II) et des effets du divorce (Section III). C est le plan même qui sera suivi. Avant le code de la famille de 1984, le divorce ne pouvait être prononcé au Congo qu à titre de sanction de faute commise par l un des époux en application des dépositions des coutumes, elles-mêmes disparates du Nord au Sud. Depuis, elles ont toutes été abrogées 3. 1 Art.156 et s. C- fam. 2 Art.196 et s. C- fam. 3 Cf. art. 808 C. fam. 13
Chapitre préliminaire La notion de divorce 2. Le divorce est l une des institutions civiles les plus discutées. Sans doute parce qu il n existe aucun remède parfait aux dissensions conjugales. D où la pluralité des conceptions possibles (Chapitre I) que le droit congolais a, peu ou prou, mises en œuvre à des heures différentes de son histoire (Chapitre II) et qui appelle une réflexion sur les dimensions du phénomène (Chapitre III). 15
Chapitre I Les différentes conceptions du divorce 3. Les conceptions qu ont les Congolais du divorce traduisent l objectivité des appréciations qu ils se font d une institution toujours empreinte de susceptibilités. Aucune décision n a semblé, en la matière parfaite, alors même qu elle a été rendue aux torts réciproques des époux, une décision fondée sur la foi de leurs propres prétentions. Etait-ce encore important d y consacrer des dispositions particulières? Dans son préambule, la loi n 073/84 du 17 octobre 1984 portant code de la famille, en ses points 9 et 10 dispose : «le mariage légal ne peut être contracté que devant les organes compétents de l État». Il résulte de ces considérations que le divorce n est jamais un but poursuivi par les époux, du moins, dès l instant qu ils s engagent dans le lien du mariage, c'est-à-dire, au commencement de leur aventure. Il est ainsi un accident de parcours de sorte que, s il était admis dans certaines circonstances, le divorce devrait être prononcé exceptionnellement pour des motifs qu on rechercherait en dehors de l intention et de la responsabilité des époux eux-mêmes, c'est-à-dire, des causes qui rendraient les époux impuissants et irrésistibles pour ne pouvoir ni les prévenir, ni les éviter, encore moins les empêcher. Ce qui donnerait à soumettre le juge dans une inconditionnalité rationnelle. Malheureusement, tel n est pas le cas. La permissibilité de certaines analyses, et dans certaines hypothèses, leur fragilité font que la réglementation du divorce ne cessera de susciter des interrogations, des discussions et d alimenter les débats. La conserver? Et jusqu à quand? L amender? Et pour quelles raisons? De quelle manière et sous quels aspects? Telles sont les questions que les Congolais se posent souvent dans leur quotidien. Mais on ne s interroge plus, aujourd hui, sur l opportunité de revenir au mariage indissoluble en droit positif : tant en raison de l évolution des esprits vers un individualisme croissant, que du fait des transformations radicales de la société contemporaine (urbanisation, familles éclatées, émancipation des femmes ) 4. De même, il n existe plus d États prohibant le divorce. De sorte que le débat est désormais de savoir quelle est, parmi toutes les formes qu est susceptible de revêtir le divorce, celle qu il convient de consacrer en législation moderne. Il s agit donc de s imprégner profondément du phénomène et de balayer, du coup, tout discours fragmenté. 4 Ekondi Akala, Le Congo-Brazzaville, essai d analyse et d explication sociologique selon la méthode pluraliste. Publications Universitaires, éd. Peter Lang. P. 77 et s. 17
4. La comparaison des droits étatiques 5 fait apparaître plusieurs types caractérisés de divorces, dont l admission révèle la plus ou moins grande facilité avec laquelle peut être prononcée la rupture du lien matrimonial. Et les Congolais par expérience, justifient plusieurs cas de divorce dont les analyses se résument principalement en trois : 5. Le divorce sanction : la dissolution du mariage est destinée avant tout à réprimer les fautes conjugales commises par un époux contre son conjoint, en violation des devoirs du mariage (adultère, injures, abandon du foyer conjugal ). Cette conception a prévalu au Congo avant le code de la famille, étant même la seule forme reconnue de divorce, elle subsiste toujours aujourd hui sous l appellation de «divorce pour faute» ou de «divorce pour rupture de la vie commune», à la suite d une infidélité puis d excès, sévices, injures imputables à l un ou l autre des époux 6. - La coutume congolaise reconnaissait comme cause de divorce la désobéissance de la femme à son mari, les injures faites à la femme par le mari qui se déshabille en public ou se livre à l ébriété, le fait pour la femme d aller apporter à manger ou faire la cuisine chez un étranger au clan, le fait pour le mari de ne pas offrir de cadeaux à son épouse. La coutume reconnaît aussi comme cause de rupture l adultère de la femme, le délaissement de l une des épouses par son mari, l abandon du domicile conjugal, la stérilité ou l impuissance, le non-paiement de la dot et la pratique de la sorcellerie 7. 6. Le divorce-faillite : la rupture du lien matrimonial repose alors sur le constat d un échec du mariage, attesté par des faits objectifs comme la séparation durable des époux ou l altération définitive du lieu conjugal qui rendent impossible la vie commune 8. 7. Le divorce-convention : la dissolution du lien conjugal est l effet de la volonté concordante des époux. Instituée par les tribunaux, cette forme de divorce n est pas expressément introduite dans le code de la famille. Sous l appellation de «divorce par consentement mutuel», elle est considérée avec faveur du fait de l apaisement qu elle révèle et encourage. Nous rapportons dans ce livre des décisions d une particulière portée. C est ce que nous appelons «le divorce jurisprudentiel» 9. 5 F. Mounguengué, Cours de droit international privé- ENAM- 2005. 6 C. fam. Art. 180. 7 C. Assemekang, Le droit des personnes et de la famille 8 J. G. Mondjo, Le mariage chez les MBochis, Brazzaville, Liaison, 170 35, mai 1953.PP. 31-32. 9 A. Iloki, Le droit du divorce au Congo, L Harmattan n 55. 18
Chapitre II L histoire du droit du divorce 8. Une bonne compréhension des dispositions du code de la famille suppose que l on analyse d abord le contexte et le parcours du droit du divorce au Congo (A), puis son contenu (B) et enfin son application (C). I. Le contexte et le parcours 9. Jusqu ici, les bouleversements de la législation issue de l époque précoloniale pouvaient s expliquer par des raisons d ordre politique. La loi française de 1975, au contraire, puise sa source aussi bien dans les imperfections du système établi par le code civil que dans les métamorphoses de la société française imposée comme loi de l État dans les colonies françaises d Afrique 10. II. La pratique judiciaire 10. La conception du divorce-sanction, seule admise par la coutume, s est révélée dans la pratique judiciaire par une double faiblesse. D un côté, elle conduisait à envenimer les rapports qu entretenaient les époux, puisque le gain du procès en divorce présentait des avantages indéniables : bénéfice d une pension alimentaire, l octroi de dommages-intérêts, maintien des donations et avantages matrimoniaux, attribution de la garde des enfants mineurs. Ainsi, les époux se livraient à une bataille acharnée au cours du procès. D un autre côté, les époux qui souhaitaient divorcer d un commun accord simulaient un procès en divorce pour faute en s adressant des lettres d injures rédigées pour les raisons de la cause, les juges se prêtant, bon gré mal gré, à cette comédie judiciaire qui ne pouvait que ternir l image de la magistrature et affaiblir l autorité de la loi. Le code de la famille est aussi le résultat de l évolution des données sociales. Un changement considérable des comportements et des mentalités s est fait jour dans les années soixante : une grande permissivité des mœurs est tolérée, le bonheur individuel devient la valeur suprême. Dans ce contexte, le mariage peut apparaître comme un frein à la liberté personnelle et un obstacle à l épanouissement de chacun. Parallèlement, le mouvement d émancipation des femmes a conduit celles-ci, poussées aussi par la société 10 Ekondi Akala, Le Congo-Brazzaville. Essai d analyse et d explication sociologique selon la méthode pluralise, Publications Universitaires, éd. Peter Lang. P. 77 et s. 19
de consommation, à exercer une activité professionnelle hors du foyer. La conception traditionnelle de la famille est ébranlée. Dans ces conditions, la coutume a semblé dépassée et l inadaptation du droit à la réalité sociologique a justifié la réforme. C est ce qu a révélé, notamment, une importante enquête d opinion réalisée en 1970. D accord pour admettre le principe du divorce, la grande majorité des personnes interrogées s est prononcée en faveur d une réforme à trois dimensions : libéralisation des causes de divorce, dédramatisation de la procédure, apaisement de l après-divorce. Mais l attachement au divorce pour faute restait profond. Les résultats de ces enquêtes, toujours contrariés par les coutumes, étaient dissimulés çà et là dans les rapports trouvés dans les tiroirs de l administration coloniale. 11. Dès 1982, un avant-projet de loi fut rédigé par une commission composée notamment de : Charles Assemekang, Placide Lenga, Dieudonné Kimbembé ( Garde des Sceaux), Aimé Emmanuel Yoka, Gaston Mambouana, Zacharie Samba, Jean Mongo Antchouin, Jean Ganga Zanzou, Agath Pembelo, Samuel Ngatabantou, Innocent Odiki, François Tchibinda Kouangou, Denis Ibara, Pierre Ngaka, Mathieu Ombandza, Yvonne Kimbembé, Martin Mbemba, Jacques Okoko, Marcel Roger Gomez, Jean Baptiste Bouboutou, Alphonse Nzoungou, Jean Marie Olandzobo, André Mouelé, à la demande du ministre de la justice. Le texte s inspirait des résultats de l enquête d opinion ainsi que des progrès réalisés au cours des années précédentes dans plusieurs régions du Congo, et qui tendaient à faciliter le divorce. Des consultations des praticiens du droit (magistrats, avocats, notaires, professeurs de droit) confirmèrent le bien fondé des orientations fixées. La Cour suprême et le gouvernement approuvèrent le projet qui allait être soumis au Parlement pour devenir la loi du 17 octobre 1984, dont le contenu restait proche pour l essentiel de l avant-projet. La même commission travaillait une année bien avant pour le projet ayant abouti à la loi n 51-83 du 21 avril 1983 portant Code de procédure civile, commerciale, financière et administrative, la loi n 10/83 du 27 janvier 1983 portant modification de certains articles de la loi n 01/63 du 13 janvier 1963 portant Code de procédure pénale, et la loi n 004/86 du 25 janvier 1986 instituant le code de la sécurité sociale en République populaire du Congo. Les débats parlementaires furent très animés, notamment quand fut discutée la qualification en droit positif d une forme de divorce-faillite appelée, «divorce pour rupture de la vie commune». Toutefois 11 le texte finalement voté traduit assez fidèlement les principes arrêtés dans l avantprojet. Promulguée le 17 octobre 1984, la loi n 073/84 portant Code de la 11 Cf, Rapport de présentation du projet du code de la famille d Avril 1983. 20