Masson, Paris, 2003 Ann. Med. Interne, 2003 154, n 2, pp. 91-95 Article original Réponse précoce au traitement oral par vitamine B chez des sujets âgés hypovitaminiques Georges KALTENBACH (1), Marie NOBLET-DICK (1), Emmanuel ANDRÈS (2), Geneviève BARNIER-FIGUE (1), Ester NOEL (2), Thomas VOGEL (1), Anne-Elisabeth PERRIN (3), Catherine MARTIN-HUNYADI (1), Marc BERTHEL (1), Francis KUNTZMANN (1) RÉSUMÉ : Réponse précoce au traitement oral par vitamine B chez des sujets âgés hypovitaminiques Propos : Le traitement classique des hypovitaminoses B repose sur l administration intra-musculaire de cobalamine. Le but de cette étude est de montrer que les hypovitaminoses B par carence d apport et surtout par non dissociation de la vitamine B de ses protéines porteuses peuvent être rapidement corrigées par un traitement oral chez les personnes âgées. Patients et méthodes : Il s agit d une étude prospective incluant 20 personnes âgées de plus de 0 ans ayant une hypovitaminose B par non dissociation de la vitamine B (n = 14) et par carence d apport (n = ). Tous les patients ont été traités par 1 000 µg de cyanocobalamine administrée quotidiennement par voie orale. Les dosages de la vitaminémie B et des paramètres hématologiques ont été effectués avant traitement, puis une semaine plus tard. Résultats : Après jours de traitement en moyenne, les valeurs de la vitaminémie B se sont normalisées chez 1 patients sur 20 ; la vitamine B sérique a augmenté en moyenne de 0,23 µg/l (p < 0,01), les réticulocytes de 2 400/mm 3 (p < 0,05), le taux d hémoglobine de 0, g/dl (NS) et le volume globulaire moyen a diminué de 0, fl (NS). Conclusion : Cette étude prospective montre que les hypovitaminoses B par carence d apport et surtout par non dissociation de la vitamine B peuvent être rapidement corrigées en une semaine par de la cyanocobalamine administrée par voie orale. Des injections intra-musculaires répétées et douloureuses peuvent ainsi être évitées chez les personnes âgées. Mots-clés : Hypovitaminose B, Malabsorption de vitamine B alimentaire, Malnutrition, Traitement oral par cyanocobalamine, Personne âgée. SUMMARY: Early response to oral cobalamin therapy in older patients with vitamin B deficiency Purpose: Standard treatment of vitamin B deficiency involves regular intramuscular cobalamin administration. The aim of this study was to determine whether oral cobalamin treatment may be an effective therapy for treating older patients with cobalamin deficiency related to nutritional deficiency and foodcobalamin malabsorption. Patients and methods: We prospectively studied 20 patients older than 0 years with established cobalamin deficiency related to food-cobalamin malabsorption (n=14) and nutritional deficiency (n=) who received 1000µg of oral cyanocobalamin per day. Levels of serum cobalamin and blood counts were determined at baseline and after the first week of treatment. Results: After an average of days of treatment, 1 out of 20 patients normalized their serum cobalamin levels; the patients had increased their serum cobalamin level (mean increase of 0.23µg/L; p<0.01 compared with baseline), reticulocyte count (mean increase of 2400/mm 3 ; p<0.05), hemoglobin levels (mean increase of 0.g/dL; NS), and decreased the mean erythrocyte volume (mean decrease of 0.fL; NS). Conclusion: Our findings suggest that cyanocobalamin given orally during one week may be an effective treatment for cobalamin deficiency related to food-cobalamin malabsorption and nutritional deficiency and may avoid painful intra-muscular injections in older patients. Key-words: Cobalamin deficiency, Food-cobalamin malabsorption, Nutritional deficiency, Oral cyanocobalamin treatment, Aged. (1) Centre de Gérontologie, Hôpital de la Robertsau Hôpitaux Universitaires, 3, rue Himmerich, 000 Strasbourg. (2) Service de Médecine Interne-Diabétologie, Hôpital Civil Hôpitaux Universitaires, 1, place de l Hôpital, Strasbourg. (3) Service de Médecine Interne-Nutrition, Hôpital de Hautepierre Hôpitaux Universitaires, avenue Molière, Strasbourg. Correspondance et tirés à part : G. KALTENBACH, à l adresse ci-dessus. E-mail : georges.kaltenbach@chru-strasbourg.fr Article soumis le 31 juillet 2002 ; accepté définitivement le 4 novembre 2002.
92 G. KALTENBACH ET AL. L hypovitaminose B est fréquente chez le sujet âgé avec une prévalence variant de 15 à 40 % selon les études [1, 2]. Ses étiologies sont la gastrite atrophique, la pancréatite chronique avec insuffisance pancréatique exocrine, les carences d apport chez des personnes âgées dénutries, les gastrectomies totales, les résections iléales, les pullulations microbiennes du syndrome des anses borgnes ou en cas de constipation opiniâtre, et la maladie de Biermer [2]. La non-dissociation de la vitamine B (ND B) de ses protéines porteuses, favorisée par l hypochlorhydrie liée à une gastrite atrophique ou consécutive à des traitements antiacides, est la cause la plus fréquente d hypovitaminose B chez le sujet âgé [3]. L administration orale de cyanocobalamine corrige l hypovitaminose B par ND, car la vitamine B sous forme cristalline n est pas liée à des protéines porteuses alimentaires et peut ainsi être absorbée par l iléon après fixation par le facteur intrinsèque [4, 5]. Toutefois, l administration intra-musculaire de vitamine B reste fréquemment prescrite, en raison notamment d une efficacité rapide. Le but de cette étude est de montrer que les hypovitaminoses B par carence d apport et surtout par ND B peuvent être rapidement corrigées par un traitement oral et éviter des injections intra-musculaires répétées chez la personne âgée. Patients et méthodes SÉLECTION DES PATIENTS Il s agit d une étude prospective comportant 20 sujets âgés de plus de 0 ans, hospitalisés dans une unité de Médecine Interne Gériatrique. Tous avaient une hypovitaminose B définie par une concentration de B inférieure à 0,20 µg/l associée à une homocystéine supérieure à 13 µmol/l. L hypovitaminose B n était à priori pas liée à : a) une maladie de Biermer car la recherche d anticorps antifacteur intrinsèque était négative chez toutes les personnes, et b) une malabsorption car aucun patient n avait d antécédent de résection digestive et/ou de symptomatologie évoquant une malabsorption (amaigrissement, diarrhées). L hypovitaminose était donc due soit à une carence d apport, soit à une ND B. L insuffisance d apport en vitamine B, définie par un apport quotidien inférieur à 5 µg [], a été retenue après enquête alimentaire chez des malades dénutris ayant une hypoalbuminémie. Le diagnostic de ND B a été établi selon Carmel [] (tableau I), même si tous les critères n ont pu être vérifiés ; en effet, le test de Schilling n a pas été réalisé car l injection intra-musculaire de vitamine B lors du test aurait entraîné une augmentation de la concentration sérique de B et n aurait plus permis d interpréter les effets de l administration orale de cyanocobalamine. Aucun sujet ne présentait de carence en folates associée. PROTOCOLE D ÉTUDE Tous les patients ont été traités par 1 000 µg de cyanocobalamine sous forme cristalline en ampoule buvable administrée quotidiennement par voie orale (vitamine B buvable, Aguettant, Lyon, France). Les dosages de la vitamine B, de l homocystéine totale, du taux d hémoglobine (Hb), du volume globulaire moyen (VGM) et des réticulocytes ont été réalisés avant traitement, puis contrôlés (sauf l homocystéine) une semaine après le début du traitement par la vitamine B orale. CRITÈRES DE RÉPONSE Le principal critère de réponse était la normalisation de la vitamine B (> 0,20 µg/l) après une semaine de traitement. Le second critère de réponse était l apparition d une crise réticulocytaire. Les répercussions sur le taux d Hb et le VGM ont également été étudiées. TECHNIQUES DE DOSAGE La vitamine B a été dosée par radio-immunologie (RIA, Bayer, New-York, USA) avec une limite de détection à 0,0 µg/l. L homocystéine a été déterminée par spectrofluorimétrie. Les anticorps anti-facteur intrinsèque ont été recherchés par une technique immuno-enzymatique. ANALYSE STATISTIQUE Les résultats sont présentés sous la forme moyenne ± déviation standard. Les valeurs de la vitamine B et des paramètres hématologiques avant et après traitement par la B orale ont été comparées par le test t de Student pour séries appariées. La significativité a été retenue pour p < 0,05. Tableau I. Critères de carence en vitamine B par non-dissociation selon Carmel [], modifiés par Andrès [3]. Concentration sérique de vitamine B basse * Test de Schilling standard (avec de la cyanocobalamine libre marquée au cobalt-5) normal ou test de Schilling modifié (utilisant de la vitamine B liée à des protéines alimentaires) anormal ** Pas de carence alimentaire d apport en vitamine B (apport d au moins 2 à 5 µg par jour de cobalamine par l alimentation []) Existence d un facteur prédisposant à la carence en vitamine B : gastrite atrophique, insuffisance pancréatique, éthylisme, prise d anti-acides ou de biguanides * Variable selon le laboratoire et la technique utilisée pour doser la vitamine (en général B < 0,20 µg/l). ** Le test de Schilling modifié utilise de la vitamine B liée à des protéines d œuf, de poulet, de poisson [5].
TRAITEMENT ORAL PAR VITAMINE B CHEZ LE SUJET ÂGÉ 93 Tableau II. Valeurs pré- et post-thérapeutiques de la vitamine B chez 20 patients âgés traités par de la cyanocobalamine administrée par voie orale pendant une semaine. Patients n 1 2 3 4 5 9 10 11 13 14 15 1 1 1 19 20 Âge (ans) B avant traitement (µg/l) B après traitement (µg/l) Délai entre les 2 contrôles sanguins (jours) 95 102 4 5 4 1 93 91 93 1 3 0,09 0, 0,10 0,1 0, 0,1 0,10 0,13 0,15 0,1 0,09 0,0 0,0 0,13 0,19 0,3 0,1 0,1 0,5 0,49 0,23 0,2 0,32 0,2 0,1 0,49 0,24 0,2 0,2 0,32 0,30 0,21 0,15 0,3 9 5 4 14 Tableau III. Valeurs moyennes pré et post-thérapeutiques de la vitamine B et des paramètres hématologiques chez 20 patients âgés traités par de la cyanocobalamine administrée par voie orale pendant une semaine. Avant traitement par B orale Après traitement par B orale p Vitaminémie B (µg/l) 0, ± 0,03 0,35 ± 0,1 < 0,01 Paramètres hématologiques hémoglobine (g/dl) volume globulaire moyen (fl) réticulocytes ( 10 3 /mm 3 ),3 ± 1, 9,1 ±,4 9, ± 40,2 13,0 ± 1, 9,4 ±,3 9,2 ± 50,1 NS NS < 0,05 Résultats CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES Tous les patients avaient selon les critères d inclusion une hypovitaminose B (< 0,20 µg/l) associée à une augmentation de l homocystéine (> 13 µmol/l). Le diagnostic étiologique retenu était une ND B chez 14 malades, et une carence d apport chez patients dénutris ayant une hypoalbuminémie. L âge moyen des sujets était de ans. Il y avait hommes et femmes. Le dosage de la vitamine B a été effectué en raison de troubles des fonctions cognitives chez 9 patients, d une anémie chez patients (macrocytaire dans 2 cas), et d une macrocytose isolée chez 4 patients. La vitaminémie B moyenne avant traitement était de 0, µg/l avec une homocystéinémie moyenne à 31 µmol/l. Le taux d Hb moyen était de,3 g/dl, le VGM de 9,1 fl et les réticulocytes à 9 00/mm 3. RÉPONSE AU TRAITEMENT Après, ± 2,4 jours de traitement, la vitamine B a augmenté d au moins 0,0 µg/l chez tous les patients et s est normalisée chez 1/20 malades (tableau II). La vitamine B a augmenté en moyenne de 0,23 µg/l, ce qui est très significatif avec un p < 0,01. Les réticulocytes ont significativement augmenté de 2 400/mm 3 en jours avec un p < 0,05, une crise réticulocytaire (> 100 000/mm 3 ) ayant été observée chez 5 patients. Le taux d Hb et le VGM n ont pas varié de façon significative, même si l Hb a augmenté de 0, g/dl et le VGM baissé de 0, fl (tableau III). Discussion Les 20 patients inclus dans l étude avaient une carence en vitamine B bien établie [], avec une hypovitaminose B sérique associée à une augmentation de l homocystéine [9]. Onze personnes sur 20 avaient des répercussions hématologiques à type d anémie ou de macrocytose et 9 avaient des troubles des fonctions cognitives, anomalies de survenue tardives dans les carences en vitamine B [10]. Chez 14 patients sur 20, cette hypovitaminose B a été classée comme ND B. Ce point est d intérêt pratique puisque l hypovitaminose B par ND est la cause la plus fréquente de déficit en vitamine B chez la personne âgée : la gastrite atrophique liée à l âge entraîne
94 G. KALTENBACH ET AL. une hypochlorhydrie, responsable de la ND de la vitamine B de ses protéines porteuses [3]. Cette étude prospective montre que la plupart des hypovitaminoses B par carence d apport et par ND B se sont rapidement corrigées sous cyanocobalamine par voie orale chez ces sujets âgés. En jours en moyenne, une augmentation nette des concentrations sériques de vitamine B a été observée chez tous les patients ; elle s est normalisée chez 1 personnes sur 20, c est-à-dire dans 5 % des cas. Verhaeverbeke et al. [4] ont obtenu des résultats comparables dans une population âgée en moyenne de 5 ans, avec normalisation de la vitamine B en 10 jours dans 9 % des cas. L augmentation significative du nombre de réticulocytes témoigne de la régénération médullaire, une crise réticulocytaire franche étant observée chez 5 patients. Le délai classique de 5 jours pour l apparition de la crise réticulocytaire est probablement un peu plus long chez la personne très âgée, qui présente souvent une dysérythropoïèse associée. Dans cette étude, une augmentation nette du taux d hémoglobine et une diminution du volume globulaire moyen n ont pas été constatés, car le délai de jours était trop court pour observer des modifications significatives. Cependant, une anémie sur et 2 macrocytoses sur se sont corrigées. Par ailleurs, le but de cette étude n était pas d objectiver la régression des signes cliniques, l amélioration des anomalies cliniques et hématologiques ayant été démontrée dans d autres travaux, notamment chez le sujet âgé, sur des périodes de suivi de plusieurs mois [11]. Si plusieurs études ont montré l efficacité du traitement oral par cyanocobalamine des hypovitaminoses B, la posologie, le rythme et la durée de l administration ultérieure de vitamine B restent à être déterminés. Andrès et al. [5] ont montré, dans un travail précédent, les effets bénéfiques d une posologie moyenne de 50 µg par jour, alors que Kuzminski et al. [] et Kondo [13] ont utilisé des doses quotidiennes supérieures à 2 000 µg sans bénéfice supplémentaire. Verhaeverbeke et al. [4] ont prescrit des posologies nettement plus faibles, de 100 µg par jour. Enfin, d après des données parcellaires de la littérature [5,, ], la durée du traitement serait d au moins 3 à mois, la posologie et le rythme d administration n étant pas définis avec précision, par ailleurs. Bien que la sensibilité de la recherche des anticorps anti-facteur intrinsèque par immuno-enzymologie ne soit que de 0 %, nous avons considéré qu aucun patient n avait à priori de maladie de Biermer [14]. Cependant, il faut souligner qu il y a plus de 30 ans, des auteurs scandinaves [15, 1] ont montré que l anémie de Biermer pouvait également être corrigée par l administration orale de cyanocobalamine, car une faible proportion de B serait absorbée par un mécanisme indépendant du facteur intrinsèque [1]. Cette réponse biologique rapide au traitement oral par cyanocobalamine ne permettrait donc à priori pas de différencier, de façon formelle, les hypovitaminoses B par carence d apport et par ND B d une maladie de Biermer, comme nous l avions proposé [3]. Toutefois, le traitement du Biermer nécessiterait des posologies quotidiennes de vitamine B d au moins 1 000 µg par jour [1, 19], sensiblement plus élevées qu en cas de carence d apport et de ND B. Conclusion Cette étude prospective montre que les hypovitaminoses B par carence d apport et surtout par ND B peuvent être rapidement corrigées par un traitement oral de vitamine B. En complément des données disponibles sur l efficacité à long terme de la vitamine B per os, elle plaide pour une utilisation «large» de ce mode de délivrance de la vitamine B, notamment chez la personne âgée. En effet, elle permet d éviter des injections intra-musculaires répétées, qui sont parfois douloureuses et contre-indiquées, notamment chez les patients traités par des anticoagulants. La prescription de vitamine B par voie orale a en outre l avantage d avoir un coût moindre que l administration parentérale car chaque injection intra-musculaire nécessite un acte infirmier [20]. Références 1. LINDENBAUM J, ROSENBERG IH, WILSON PW, STABLER SP, ALLEN RH: Prevalence of cobalamin deficiency in the Framingham elderly population. Am J Clin Nutr, 1994; 0: 2-11. 2. PAUTAS E, CHÉRIN P, DE JAEGER C, GODEAU P : Carence en vitamine B chez le sujet âgé. Presse Med, 1999; 2: 1-0. 3. 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