Les 7 principales toxidermies sévères et démarche diagnostique



Documents pareils
Unité d enseignement 4 : Perception/système nerveux/revêtement cutané

Actualités thérapeutiques dans le VHC : les recommandations de l AFEF Vendredi 8 et samedi 9 avril 2011 à Paris

DERMATOSES ECZEMATIFORMES LICHENOIDES ET ERYTHEMATO-SQUAMEUSES

LA TUBERCULOSE Docteur ALAIN BERAUD

Infiltrats pulmonaires chez l immunodéprimé. Stanislas FAGUER DESC Réanimation médicale septembre 2009

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

Innovations thérapeutiques en transplantation

HEPATITES VIRALES 22/09/09. Infectieux. Mme Daumas

Quoi de neuf dans la prise en charge du psoriasis?

Diagnostic des Hépatites virales B et C. P. Trimoulet Laboratoire de Virologie, CHU de Bordeaux

Mécanisme des réactions inflammatoires

Compte rendu d hospitalisation hépatite C. À partir de la IIème année MG, IIIème années MD et Pharmacie

Christian TREPO, MD, PhD

Hépatite chronique B Moyens thérapeutiques

DÉFICITS IMMUNITAIRE COMMUN VARIABLE

S o m m a i r e 1. Sémiologie 2. Thérapeutique

Orientation diagnostique devant une éosinophilie 1

Infection à CMV et allogreffe de cellules souches hématopoïétiques : Expérience du Centre National de Greffe de Moelle Osseuse, Tunis.

Le VIH et votre foie

A Belarbi, ZC Amir, MG Mokhtech, F Asselah Service d Anatomie et de Cytologie Pathologique CHU Mustapha Alger

TEST DE DÉTECTION DE LA PRODUCTION D INTERFÉRON γ POUR LE DIAGNOSTIC DES INFECTIONS TUBERCULEUSES

Notre système. Immunitaire

LISTE DES ACTES ET PRESTATIONS - AFFECTION DE LONGUE DURÉE HÉPATITE CHRONIQUE B

Tout sur la toux! La toux est une des principales causes de. La classification de la toux. Les caractéristiques de la toux selon son étiologie

SYNOPSIS INFORMATIONS GÉNÉRALES

Don d organes et mort cérébrale. Drs JL Frances & F Hervé Praticiens hospitaliers en réanimation polyvalente Hôpital Laennec, Quimper

Migraine et céphalées de tension: diagnostic différentiel et enjeux thérapeutiques

Psoriasis. EPU Bats CARMI Esther

Les hépatites virales chroniques B et C

Tuberculose bovine. Situation actuelle

Item 127 : Transplantation d'organes

Rôle des acides biliaires dans la régulation de l homéostasie du glucose : implication de FXR dans la cellule bêta-pancréatique

Le diagnostic de Spondylarthrite Ankylosante? Pr Erick Legrand, Service de Rhumatologie, CHU Angers

CONCOURS DE L INTERNAT EN PHARMACIE

ACCIDENTS D EXPOSITION AU RISQUE VIRAL. Dr David Bruley Service de Maladies Infectieuses CHU Grenoble

prise en charge médicale dans une unité de soins

Actualisation de la prescription en biologie rhumatologie

Trouble bipolaire en milieu professionnel: Du diagnostic précoce àla prise en charge spécialisée

Mme BORGHI Monique Infirmière ETP Mme ALEXIS Françoise Hopital Archet I Infectiologie/Virologie Clinique

PLAC E DE L AN ALYS E TOXIC OLOG IQUE EN URGE NCE HOSP ITALI ERE

Votre guide des définitions des maladies graves de l Assurance maladies graves express

Module transdisciplinaire 8 : Immunopathologie. Réactions inflammatoires

SERVICE PUBLIC FEDERAL, SANTE PUBLIQUE, SECURITE DE LA CHAINE ALIMENTAIRE ET ENVIRONNEMENT COMMISSION DE BIOLOGIE CLINIQUE RAPPORT GLOBAL

Suivi ambulatoire de l adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation

Arthralgies persistantes après une infection à chikungunya: évolution après plus d un an chez 88 patients adultes

plan Transplantation d organe 2 types de donneurs 05/05/ Le don d organe 2 Prise en charge immunologique 3 Le rejet

Migraine et Abus de Médicaments

Leucémies de l enfant et de l adolescent

LA MALADIE DE KAWASAKI du diagnostic à la thérapeutique. DU de Rhumatologie Dr Fanny Bajolle M3C-Necker Service de Cardiologie Pédiatrique

Implication des Corevih dans l arrivée des ADVIH: Expérience du Corevih LCA

Grossesse et HTA. J Potin. Service de Gynécologie-Obstétrique B Centre Olympe de Gouges CHU de Tours

Traitements de l hépatite B

prise en charge paramédicale dans une unité de soins

Assurance Maladie Obligatoire Commission de la Transparence des médicaments. Avis 2 23 Octobre 2012

INSUFFISANCE CARDIAQUE «AU FIL DES ANNEES»

Vaccination et tuberculose en Gériatrie. Unité de Prévention et de Dépistage: Centre de vaccination et centre de lutte anti tuberculeuse CH Montauban

Un nouveau test sanguin performant pour le diagnostic non-invasif de steatohépatite non alcoolique chez les patients avec une NAFLD

MONOGRAPHIE DE PRODUIT

Guide du parcours de soins Titre ACTES ET PRESTATIONS AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Hépatite chronique B

La prise en charge de votre insuffisance cardiaque

L hépatite C pas compliqué! Véronique Lussier, M.D., F.R.C.P.C. Gastroentérologue Hôpital Honoré-Mercier 16 avril 2015

Moyens d étude de la peau

1 of 5 02/11/ :03

PRISE EN CHARGE DES PRE ECLAMPSIES. Jérôme KOUTSOULIS. IADE DAR CHU Kremlin-Bicêtre. 94 Gérard CORSIA. PH DAR CHU Pitié-Salpétrière.

La migraine. Foramen ovale perméable. Infarctus cérébral (surtout chez la femme)

Hépatite B. Le virus Structure et caractéristiques 07/02/2013

admission aux urgences

Explorations des réponses Immunitaires. L3 Médecine

TRAITEMENT DE L ACNÉ DERMOCORTICOIDES. Enseignement optionnel «Prescription et usage rationnel des médicaments» Dr Antoine FAUCONNEAU 10 Avril 2013

La Dysplasie Ventriculaire Droite Arythmogène

Recommandation Pour La Pratique Clinique

Bilan d Activité du Don de Plaquettes par cytaphérèse Sur une Période d une année au Service Hématologie EHS ELCC Blida.

NEPHROGRAMME ISOTOPIQUE EXPLORATION DE L HYPERTENSION RENO-VASCULAIRE

Prise en charge de l embolie pulmonaire

UTILISATION ET PRECAUTION D EMPLOI DES AINS Professeur Philippe BERTIN, Chef de Service de Rhumatologie, CHU Limoges Octobre 2009

Test direct à l Antiglobuline (TDA ou Coombs direct)

E04a - Héparines de bas poids moléculaire

Marseille 25 octobre 2012 Accompagnement du traitement chez les co-infectés VHC-VIH en pratique

Hépatites Auto-Immunes. Critères et Scores Diagnostiques

Suivi Biologique des Nouveaux Anticoagulants

e-santé du transplanté rénal : la télémédecine au service du greffé

MINISTERE DE LA SANTE, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPEES

Gestion des épidémies en FAM et MAS. 2 ère réunion annuelle FAM/MAS 20 mars 2015

Définition de l Infectiologie

TEST DE DÉTECTION DE LA PRODUCTION D INTERFÉRON γ POUR LE DIAGNOSTIC DES INFECTIONS TUBERCULEUSES

Anti-Inflammatoires Non stéroïdiens

La maladie de Still de l adulte

La lutte contre la tuberculose est régie par l arrêté royal du 17 octobre 2002.

Intoxication par les barbituriques

Le psoriasis (123) Professeur Jean-Claude BEANI Octobre 2003

Hépatite = inflammation du foie. Pr Bronowicki CHU Nancy Conférence mensuelle - section de Forbach

La migraine : une maladie qui se traite

Les nouveaux anticoagulants oraux sont arrivé! Faut il une surveillance biologique?

Augmentations des transaminases 1. Circonstances d'un premier dosage

Vaccinologie et Stratégie de Développement des Vaccins

INTERET PRATIQUE DU MDRD AU CHU DE RENNES

REFERENTIEL D AUTO-EVALUATION DES PRATIQUES EN ODONTOLOGIE

AGRES Hugues IADE RD LA ROCHE / YON

GASTRO-ENTEROLOGIE. Variabilité. A des entrées. B des sites anatomiques. C inter-individuelle. D intra-individuelle

Transcription:

Séminaire Allergie au Médicament 20-21 Janvier 2011 Les 7 principales toxidermies sévères et démarche diagnostique Audrey Nosbaum Allergologie et Immunologie Clinique CHU Lyon-Sud Pierre Bénite France Présentation des toxidermies sévères 1. Nécrolyse épidermique ou SJS-TEN 2. DRESS et syndrome d hypersensibilité 3. Pustulose exanthématique aigue généralisée 4. Érythème pigmenté fixe bulleux 5. Érythème polymorphe majeur 6. Dermatoses bulleuses à IgA linéaire médicamenteuse 7. Autres manifestations cutanées graves aux médicaments (toxidermie érythémateuse) 1

1. Nécrolyse épidermique Une maladie unique avec des degrés divers de sévérité Syndrome de Stevens- Johnson (SJS) Syndrome de Lyell ou nécrolyse épidermique toxique (TEN) 0% 10% 30% 100% Physiopathologie: apoptose kératinocytaire médiée par les LT Incidence: 1 à 3 cas/million/an. Délai : 1 à 21 jours Altération de l état général, fièvre Erosions muqueuses (>2 sites) Décollements cutanés superficiels (S. de Nikolski +) Biologie: lymphopénie fréquente Atteinte viscérale: rénale, pulmonaire, digestive, foie Histologie: nécrolyse épidermique totale Médicaments: allopurinol+++, lamotrigine, carbamazépine, sulfamethoxazole, AINS (oxicams), nevirapine, Mortalité: 30-35% (estimée par le SCORTEN) 2. DRESS Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms Syndrome d hypersensibilité médicamenteuse Physiopathologie: hypersensibilité retardée médiée par des LT spécifiques du médicament avec une réactivation de virus latent Incidence inconnue Délai : 3 semaines à 3 mois Clinique : Prodromes : pharyngite Altération de l état général, fièvre Œdème du visage et du cou, Polyadénopathies, hépatosplénomégalie Biologie: Hyperéosinophilie (>1500, parfois absente), Lymphocytes activés (hyperbasophiles), Syndrome d activation macrophagique Atteinte viscérale: foie+++, rein, cardiaque, poumon, thyroïde, digestive Histologie: infiltrat dermique lymphocytaire, à PNE, parfois épidermotropisme, nécroses kératinocytaires éparses Médicaments : allopurinol, sulfamides, anticonvulsivants, minocycline Mortalité: 10% 2

3. PEAG Pustulose Exanthématique Aigue Généralisée Physiopathologie: hypersensibilité retardée médiée par des LT spécifiques du médicament, rôle de l IL 8 Incidence inconnue Délai : quelques heures à 21 jours Altération de l état général, fièvre, Eruption pustuleuse des plis sur un fond érythémateux puis extension. Biologie: Hyperleucocytose à PNN ou PNE, Hypocalcémie Atteinte viscérale: foie, rein Histologie: pustules intraépidermiques ou sous cornées Médicaments : pénicillines, macrolides, carbamazépine, inhibiteurs calciques, terbinafine Guérison rapide (7 jours) Mortalité: 5% 4. Erythème pigmenté fixe bulleux Physiopathologie: hypersensibilité retardée médiée par les LT CD8+ spécifiques du médicament Incidence : inconnue Délai : Quelques heures à 2 jours Lésions arrondies uniques ou multiples parfois bulleuses Laissent une cicatrice pigmentée séquellaire Biologie : non spécifique Atteinte viscérale: possible extension TEN-like Histologie : proche de celle du SJS-TEN. Rôle des LT CD8+ intradermiques. Médicaments : barbituriques, carbamazepine, sulfamides, cyclines, antalgiques (pyrazolés, aspirine, paracétamol) Guérison : rapide (7 jours) Mortalité: non connue CD8+ 3

5. Erythème polymorphe majeur Physiopathologie: hypersensibilité retardée médiée par les LT spécifiques du médicament Incidence : inconnue Délai : 1 à 21 jours Altération de l état général, fièvre Lésions en cocardes avec atteinte acrale fréquente atteinte muqueuse dans 50-65% des cas Biologie: non spécifique Atteinte viscérale: toutes muqueuses possibles Histologie: décollement sous épidermique Médicaments : AINS, antibiotiques Etiologie infectieuse le plus souvent HSV et Mycoplasma pneumoniae Guérison : lente (1 à 3 semaines) Mortalité: non connue Centre cocarde 6. Dermatose à IgA linéaire médicamenteuse Physiopathologie : non connue Incidence : inconnue Délais : 1 à 21 jours Clinique : Dermatose prurigineuse Bulles tendues en peau érythémateuse ou urticarienne Disposition en rosette prédominant dans les régions péribuccales et génitales Biologie (IFI) : IgA1 anti collagène VII et BP 180 Atteinte viscérale: rare Histologie (IFD): dépôts linéaires IgA +/- C3 en péri lésionnel Médicaments : AINS, antibiotiques, vancomycine, IEC Guérison : 5 semaines Mortalité : non connue 4

7. Toxidermie érythémateuse Autres manifestations cutanées graves aux médicaments Physiopathologie: hypersensibilité retardée médiée par les LT Incidence : inconnue Délai : 1 à 21 jours Fièvre possible Eruption maculo-papuleuse prurigineuse parfois bulleuse Début au niveau des plis puis extension, jusqu à l érythrodermie Biologie : hyperéosinophilie Atteinte viscérale: rein, foie Histologie : infiltrat dermique lymphocytaire et à éosinophiles, vacuolisation de la membrane basale, nécrose kératinocytaire, exocytose lymphocytaire, spongiose. Médicaments : pénicillines, sulfamides, céphalosporines, antituberculeux, anticomitiaux, allopurinol, sel d or, captopril, AINS, phénothiazine Guérison : 1 à 3 semaines avec desquamation Mortalité : non connue Conduite pratique en phase aigue (1) Altération de l état général. Extension rapide des lésions, Erosions muqueuses, Œdème du visage, Signe de Nikolski : Douleurs intenses, Reconnaitre les signes cliniques de gravité d une toxidermie Arrêt de tous les médicaments si possible, Au minimum, les plus imputables. Prendre des photos numériques Bilan paraclinique systématique: NFS, frottis sanguin, ASAT ALAT, GGT PAL Bilirubine Créatinémie et BU, Histologie cutanée (confirmation du diagnostic) ANA et hémocultures (diagnostic différentiel) Bilan paraclinique en fonction de la pathologie: Nécrolyse épidermique et érythème polymorphe majeur: Glycémie, bicarbonates (SCORTEN) Sérologie et PCR Mycoplasma pneumoniae (sang et gorge), sérologie VIH, Chlamydiae, Legionellae, Immunofluorescence directe et indirecte DRESS: PCR quantitative HHV-6, HHV-7, EBV, CMV, TP, TCA, CPK, troponine, lipasémie Ionogramme, LDH, ferritinémie, triglycéridémie (SAM) Électrophorèse des protéines, calcémie RP, ECG 5

Conduite pratique en phase aigue (2) Prise en charge thérapeutique : Corticothérapie locale associée aux émollients, Si prurit : antihistaminiques. Traitement des formes graves : Adresser à un spécialiste référent, Hospitalisation pour surveillance, Nécrolyse épidermique: soins locaux, pas de traitement spécifique DRESS avec signes de gravité: corticothérapie générale et Ig IV DRESS avec signes de gravité et réactivation virale: corticothérapie générale et antiviraux (ganciclovir) +/- Ig IV. Déclaration à la pharmacovigilance Prévoir le bilan immuno-allergologique ( 3 mois plus tard) Signes de gravité du DRESS Transaminases >5N Insuffisance rénale organique Pneumopathie Hémophagocytose Atteinte cardiaque Etc. Conduite pratique en phase aigue (3) Documents de références SJS-TEN: protocole national de diagnostic et de soins HAS Juin 2010 www.has-sante.fr DRESS: Descamps V. et al. Ann Dermatol Venereol 2010 Nov;137:703-708 Fiches récapitulatives www.allergolyon.org 6

Conduite pratique en phase chronique (1) OBJECTIFS Dépister et suivre les séquelles Assurer l avenir médicamenteux : le bilan immuno-allergologique Conduite pratique en phase chronique (2) Le bilan immuno-allergologique Un accident médicamenteux = hypersensibilité (HS) au médicament But du bilan: différencier une HS allergique d une HS non allergique Allergie = activation immunité spécifique = HS impliquant les LT Non allergie = «intolérance» = activation immunité innée ou tout simplement prise concomitante d un médicament non responsable de l accident. Diagnostic immuno-allergologique Tests cutanés retardés (IDR, patch) Tests biologiques (LT spécifiques) 7

Conduite pratique en phase chronique (3) HYPERSENSIBILITE (HS) AU MEDICAMENT Manifestations cliniques retardées : Toxidermies sévères IMPUTABILITE (relation cause à effet) tests provocation TESTS CUTANES et BIOLOGIQUES Patch / IDR (lecture à 48 heures) ELISPOT (IFNγ, GrB, IL-17, IL-5, ) Tests positifs HS retardée allergique Tests négatifs HS retardée non allergique ou médicament non responsable Conduite pratique en phase chronique (4) ALLERGIE NON ALLERGIE Contre-indication du médicament Réintroduction du médicament Autre médicament de remplacement Pas d éviction abusive 8

Conclusion Toxidermies sévères Savoir reconnaître les toxidermies sévères Nécessité d un diagnostic précoce Des pathologies polymorphes à risque de séquelles Une prise en charge mieux codifiée Pour certaines toxidermies (SJS-TEN et DRESS) Apport des réseaux loco-régionaux (CCR2A) et internationaux (RegiSCAR) Service d Allergologie et Immunologie Clinique CHU Lyon-Sud www.allergolyon.org Unité de recherche clinique en immunologie Inserm U851 9