«Peut-on encore avoir confiance dans les marchés financiers?» Gérard Rameix, président de l AMF Intervention devant l AFTE Mardi 9 octobre 2012



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Transcription:

«Peut-on encore avoir confiance dans les marchés financiers?» Gérard Rameix, président de l AMF Intervention devant l AFTE Mardi 9 octobre 2012 Mesdames, Messieurs, chers amis, Je tiens à remercier l AFTE de m avoir invité à intervenir sur un sujet qui m est cher. Il n y a rien d exceptionnel à affirmer que la notion de confiance est déterminante pour les marchés financiers. On lit ces jours-ci dans les journaux que l Etat espagnol «a perdu la confiance des marchés». Quand les cours de bourse remontent on parle d un «retour progressif de la confiance des marchés.» Pour une entreprise cotée, la communication stratégique et financière est essentielle car elle doit savoir inspirer la confiance des marchés. Je vais procéder aujourd hui en sens inverse, et vous parler de la confiance que l on peut avoir dans les marchés plutôt que parler de la confiance des marchés. J espère vous convaincre que cette question est essentielle. Elle se pose de plusieurs points de vue : - D abord en tant que citoyens nous pouvons nous interroger : peut-on faire confiance aux marchés pour servir le développement de l économie «réelle»? La théorie économique enseigne que les marchés permettent une allocation efficace des ressources cela est-il vérifié en pratique? - Nous pouvons poser la question également en tant qu épargnants. Peut-on faire confiance aux marchés pour placer son argent? - Vous vous posez probablement cette même question de la confiance en tant que dirigeants d entreprises : peut-on faire confiance aux marchés pour lever des capitaux ou de la dette? Est-ce un bon moyen pour financer le développement de mon entreprise? Malheureusement toutes ces questions sont d actualité alors que nous traversons depuis quatre ans une profonde crise économique et financière. Ces questions se posent très concrètement : un épargnant placera-t-il ses économies en bourse alors que l indice CAC 40 a perdu 45% depuis 2007? 1/12

Ces questions se posent avec acuité également au regard des évolutions rapides en matière de technologies, de pratiques et de réglementations. Enfin l évolution globale des marchés financiers à long terme est inquiétante puisqu on anticipe déjà pour 2020 au niveau mondial un déficit de financement en actions, appelé «equity gap». Je commencerai mon propos en regardant quelle relation de confiance il faudrait dire de méfiance entretiennent les Français à l égard des marchés financiers. Je rappellerai ensuite quelle est la fonction économique des marchés. Enfin je donnerai un aperçu des chantiers engagés du côté du régulateur pour restaurer la confiance. 1. Les Français ne font pas confiance à la finance et aux marchés Je vous propose de commencer par un constat simple : les Français ne font pas confiance à la finance et aux marchés. 1.1. Les investissements en actions ont été perdants sur la dernière décennie mais restent gagnants à plus long terme. Prenons le point de vue des épargnants : ils souhaitent faire fructifier l argent mis de côté, ils doivent se constituer un capital en prévision de la retraite. Les épargnants ont des raisons manifestes de douter des marchés financiers. Les crises de 2001 et de 2007 ont lourdement entamé leur épargne en actions. Par exemple un placement en actions du CAC 40 initié en 2000, avec réinvestissement des dividendes, a une rentabilité réelle négative. Sur un tel placement engagé il y a douze ans, le rendement a été en moyenne de -3% par an. En fait une analyse plus fine montre qu à plus long terme les placements en actions restent rentables. D après les études quantitatives, le tout est de savoir attendre suffisamment longtemps pour réaliser son portefeuille et de réinvestir les dividendes au fur et à mesure. Malgré la crise financière une stratégie dite de «buy and hold», basée sur la constitution d un portefeuille d actions sans le changer dans le temps, reste gagnante. Par exemple un placement en actions du CAC 40 démarré n importe quelle année entre 1988 et 1996 donne aujourd hui une rentabilité réelle de 5% environ. Si cela ne permet pas de prédire l avenir, cette analyse montre que les épargnants ont eu raison dans le passé de faire confiance aux marchés actions pour leur épargne de long terme. 2/12

1.2. Le divorce entre les Français et la finance Pourtant il y a divorce entre les français et la finance. C est probablement un lieu commun : de façon générale les français ont une connaissance trop imparfaite du monde économique. C est un problème culturel, qui commence avec l Ecole, comme le montrent les récentes déclarations du Ministre de l Education Nationale, Vincent Peillon, qui souhaite améliorer le contact entre le monde de l enseignement et le monde de l entreprise. Pour pallier la méconnaissance des outils financiers, l AMF a participé à la création de l Institut pour l Education Financière du Public. Ce n est pas un sujet gratuit, ni un gadget. Les Français doivent avoir accès aux savoirs de base nécessaires pour prendre en toute connaissance de cause des décisions lourdes de conséquences qui concernent leur épargne et le financement de leurs besoins financiers futurs. Il ne faut pas oublier que l épargnant est un consommateur : il doit prendre des décisions éclairées en matière de frais financiers, d information sur les risques, de compréhension des produits souscrits. Or la relation des Français avec la chose financière a un impact économique réel sur le placement de l épargne. Sur le long terme ce sujet est problématique sous deux aspects : - L épargne contribue au financement de l économie. - Même dans un régime de retraites par répartition les économies capitalisées pendant la vie active constituent un complément substantiel de revenus pour les retraités. Les prochaines générations savent que l argent mis de côté pour la retraite sera de plus en plus nécessaire. 1.3. Les Français épargnent beaucoup, mais ils investissent surtout dans l immobilier et trop peu dans l économie. Nous sommes en France au paradoxe suivant : - Les Français épargnent 17% de leurs revenus et sont parmi ceux en Europe qui épargnent le plus, - Pourtant le taux d épargne financière des Français c est-à-dire l épargne investie dans l économie est parmi les plus faibles d Europe puisqu il représente seulement 5% de leurs revenus. L explication est bien connue : le patrimoine des Français est principalement constitué d actifs immobiliers, qui représentent deux tiers du total. Les actifs financiers constituent le tiers restant, soit 3000 milliards d euros. De surcroît, le patrimoine financier est investi principalement dans des placements liquides, non risqués et défiscalisés c est, typiquement, le Livret A. 3/12

Cette tendance traditionnelle en France s est renforcée depuis 2009. Actuellement l épargne des ménages est ainsi tournée : - à 46% vers l assurance-vie, principalement dans des fonds en euros, - à 40% vers des dépôts bancaires. Quand on fait le compte, à peine 11% de l épargne française correspond, directement ou indirectement, à de l investissement en actions. Si l on revient au titre de mon intervention, on voit ainsi que les français n ont qu une confiance très limitée dans les marchés financiers. On pourrait interpréter ce comportement comme une aversion particulière des français pour le risque et il est vrai que la conjoncture économique accroît la frilosité des épargnants. Cette idée semble pourtant démentie par le succès récent remporté par certaines publicités pour l investissement dans des produits financiers très risqués. L AMF a par exemple constaté que la vente aux particuliers de produits structurés complexes augmente rapidement : elle a dépassé 10 milliards d euros en 2011. Certains préfèrent en quelque sorte acheter un ticket de loterie et spéculer sur le Forex plutôt que constituer un portefeuille d actions qu ils conserveront plusieurs années. 1.4. La relation avec les marchés financiers est peu rationnelle. La relation des Français avec la finance est ainsi caractérisée par une profonde méconnaissance du sujet qui s accompagne de comportements irrationnels. A l inverse de ce que préconise une bonne gestion de portefeuille les Français diversifient peu les titres qu ils détiennent. Huit détenteurs d actions sur dix ont moins de cinq titres différents dans leurs portefeuilles. Et les porteurs concentrent excessivement les risques sur le plan géographique : - 30% seulement des porteurs français d actions ont des titres étrangers, - moins de 5% ont des actions de sociétés non européennes. On constate également que les investisseurs individuels exécutent un trop grand nombre de transactions et investissent de façon excessivement pro-cyclique, en achetant les titres en phase haute du cycle et en cédant leur portefeuille en phase basse. Ils font en quelque sorte systématiquement le mauvais choix Par ailleurs l épargnant perd ses réflexes naturels de consommateur quand il choisit un investissement. Ainsi seul un Français sur trois détenant des placements financiers met en concurrence différents établissements au moment de souscrire à une assurance-vie ou à un produit d épargne-retraite. 4/12

C est pourtant un réflexe beaucoup plus naturel quand il s agit d acheter une voiture ou même de souscrire à un prêt bancaire. Les conséquences sont simples : les frais totaux annuels observés en France s élèvent à 1,6% de l encours, contre par exemple 1% environ aux Etats-Unis. 1.5. Le rôle du régulateur est de créer les conditions de la confiance. Etant donnée cette situation de profonde méconnaissance, étant données de telles conduites irrationnelles, on comprend que les Français ne fassent pas confiance aux marchés. Cet état des choses nécessite de la part du régulateur une vigilance accrue. L AMF intervient afin de protéger les épargnants dans leur rapport de force asymétrique avec les institutions financières. Depuis plusieurs années nous avons mis en place un contrôle renforcé de l AMF sur les conditions de commercialisation des produits financiers. Nous suivons ainsi toutes les publicités et tous les prospectus correspondant à des produits financiers destinés au grand public, afin qu ils proposent une présentation équilibrée entre les gains potentiels et les risques. Il est indispensable de créer cette confiance si l on souhaite attirer de nouveau les Français vers les marchés actions, afin de mobiliser l épargne au service du financement de l économie et du développement de nos entreprises. Pour dépasser les a priori et l image de la «Bourse casino», il faut revenir aux fondamentaux et se souvenir des fonctions essentielles du marché au service de l économie. C est ce que je vous propose d aborder en deuxième point. 2. Quelles sont les fonctions du marché? En effet, malgré leurs dysfonctionnements, les marchés financiers constituent un outil incontournable et utile. En assurant la rencontre entre l offre et la demande, les marchés permettent la formation du prix, ce qui contribue à une allocation efficace des ressources dans l économie. Ce mécanisme est utile pour la valorisation comptable des actifs au bilan des sociétés. Les marchés permettent également le partage et la couverture des risques pour les acteurs économiques. Je ne souhaite pas donner un cours d économie aussi je me concentrerai sur deux aspects primordiaux : - le financement des entreprises, - la fourniture de liquidité pour les investisseurs. 5/12

Ces deux aspects sont complémentaires et interagissent : les investisseurs financent les entreprises sur le marché primaire en acquérant des titres car ils savent qu ils pourront ensuite céder ces titres sur un marché secondaire suffisamment liquide. 2.1. Le marché sert à financer les entreprises. Le premier rôle du marché est d apporter des financements aux entreprises, qui peuvent investir les capitaux levés pour développer leur activité et créer des emplois. Pour l année 2011 on compte 23 introductions en bourse sur la Place de Paris (9 sur Euronext et 14 sur Alternext). Ces introductions représentent un très faible montant, puisque le capital levé ne dépasse pas 150 millions d euros. De même les sociétés déjà cotées ont levé de faibles montants de capitaux : moins de un milliard d euros en 2011 contre 2,6 milliards d euros en 2010. Si l on fait les comptes le marché a permis de lever autour de 1,1 milliard d euros. Il faut comparer aux 38 milliards d euros de dividendes versés par les entreprises du CAC 40 durant l année 2011. L année 2011 a également donné des montants élevés de rachats d actions : ils s élèvent à 12,5 milliards d euros. On constate ainsi, si l on regarde les flux nets, que dans la conjoncture actuelle la Bourse est loin d apporter de l argent frais aux entreprises. Or ce point est crucial à l heure où les crédits bancaires sont amenés à se tarir. Du fait de la mise en œuvre en Europe des normes «Bâle 3» les banques doivent faire face à des exigences supérieures en matière de fonds propres, et à de nouvelles contraintes en matière de liquidité et de transformation. Le crédit bancaire à moyen et long terme aux entreprises sera en conséquence plus difficile et plus coûteux. Les normes «Solvabilité 2» imposent un mouvement similaire aux assureurs, qui réduiront très certainement la part de leur actif investi en actions. Dans un tel contexte il est légitime d attendre des marchés qu ils développent une offre alternative aux financements bancaires. Or en France les entreprises, et notamment les PME et ETI, ne font pas appel aux marchés financiers. Cette situation contraste avec les Etats-Unis ou même l Allemagne ; le recours à l émission obligataire est courant dans ces pays, par exemple sous forme de fonds groupés où plusieurs entreprises émettent conjointement des titres ce qui permet de proposer un produit plus attractif pour les investisseurs. Trois grandes dates ont rythmé l histoire du marché français consacré aux PME et ETI depuis 30 ans : - Le «second marché» est créé en 1983 pour les entreprises familiales, 6/12

- Un «nouveau marché» est créé en 1996 pour financer les entreprises technologiques de la nouvelle économie, - Alternext est lancé en 2005 pour redynamiser le marché à destination des PME. Malgré ces initiatives, et malgré le volontarisme affiché par NYSE-Euronext, le nombre de sociétés cotées est inférieur à 700 aujourd hui alors qu il était de 850 en 1980. C est en fait le capital-investissement qui permet le mieux de financer en fonds propres les entreprises. Il représente annuellement environ 3,5 milliards d euros investis. L AMF instruit actuellement deux projets dont j espère qu ils changeront la donne. Il s agit de la création d une «Bourse de l Entreprise» par NYSE-Euronext ainsi que d une initiative du London Stock Exchange. Pour développer ce marché, il faut savoir répondre aux attentes aussi bien de l offre que de la demande. Dans cette relation entre offre et demande la confiance est un élément essentiel. Nous voyons trop souvent des émissions obligataires qui sont en réalité des solutions par défaut : une entreprise essuie des refus de crédit auprès de plusieurs banques, elle se tourne alors vers le marché pour lever de la dette. Mon expérience passée de médiateur du crédit m a montré que les banques ont parfois de bonnes raisons pour refuser de prêter de l argent, par exemple à des entreprises en difficultés qui ne procèdent pas aux restructurations nécessaires. On ne s étonne pas dans de telles conditions que certaines émissions obligataires tournent au fiasco. On a ainsi vu récemment le cas d une entreprise qui a déposé le bilan quelques mois à peine après avoir levé de la dette sur le marché dans des conditions trop favorables. L AMF est très vigilante sur la qualité de l information financière, elle veille à garantir que tous les éléments nécessaires pour éclairer le choix d investissement figurent dans le prospectus - mais nous ne pouvons pas nous opposer à la liberté de souscrire à des produits financiers. Je comprends l inquiétude des investisseurs particuliers : ne se voient-ils pas proposer uniquement les produits qui ont été refusés ailleurs? Ont-ils les moyens et la capacité d évaluer l investissement qui leur est proposé? Le risque de sélection adverse est bien réel. Nous ne disposons pas d un écosystème suffisant d analystes qui produiraient des recommandations d investissement dans les PME et les ETI. Un tel écosystème permettrait de développer la confiance sur le segment des petites et moyennes valeurs. La présence d une institution financière «sponsor» peut permettre de restaurer la confiance. La banque qui accompagne l émission doit alors garder une partie des titres et du risque. Ce devrait être le cas notamment pour le modèle «originate to distribute» malheureusement ce modèle a été dévoyé, et a donné lieu à des comportements abusifs qui ont été à l origine la crise des subprimes aux Etats-Unis. 7/12

Sur ce sujet de la titrisation il est essentiel de recréer les conditions de la confiance, par un encadrement réglementaire adapté et par le retour à des pratiques saines. La capacité des institutions financières à constituer des portefeuilles liquides en agrégeant des prêts est essentielle pour le financement de l économie. On voit que le régulateur joue ici un rôle délicat. Il doit trouver la juste mesure entre promouvoir le financement de l économie et protéger l investisseur. C est seulement en se portant garant de cet équilibre qu il peut amener la confiance et briser le cercle vicieux qui amène à une désertification des marchés. 2.2. Le marché vise à apporter de la liquidité aux investisseurs. L émission de titres sur le marché primaire est cruciale car elle amène de l argent frais dans les entreprises. En réalité la confiance des investisseurs dépend non seulement de l évaluation des fondamentaux du marché mais également de la liquidité sur le marché. Ce deuxième aspect dépend de la qualité du marché secondaire. En effet si j achète une action ou une obligation, serait-ce sur une entreprise très performante, je dois m assurer que je pourrai bien la céder au bon prix le moment venu. On comprend bien ce phénomène dans l immobilier : je peux avoir acquis une très belle villa, avec jardin et piscine, elle ne vaudra rien si aucun acheteur ne se présente par exemple si elle est située dans une zone où personne n achète. Au niveau européen les règles relatives au marché secondaire sont principalement déterminées par la réglementation sur les «marchés d instruments financiers», dite MIF. La mise en œuvre de cette réglementation européenne depuis 2007 a été un échec. On observe en pratique un délitement de la qualité des négociations et une perte de transparence sur les marchés. La directive MIF visait tout d abord à établir un marché concurrentiel au niveau européen pour casser les monopoles des bourses nationales. La concurrence est un principe sain et l accélération des échanges en Europe est une évidence. Toutefois la mise en concurrence n a pas permis de baisser les coûts de négociation, ni les tarifs pratiqués par les opérateurs, qui restent trop élevés. Les marchés se sont fragmentés entre plusieurs lieux de négociation, si bien que la liquidité est éparpillée entre différentes plateformes. La réglementation a introduit des exemptions au principe de transparence pré-négociations. La directive européenne a ainsi suscité la création de «dark pools» : ce sont des plateformes de négociations qui n affichent pas publiquement les intentions d achat et de vente. 8/12

Loin de bénéficier aux investisseurs, la multiplication des plateformes d échange permise par la directive MIF a généré à l inverse des inefficiences en amenant une opacité accrue. Les négociations de gré à gré sont également de plus en plus nombreuses. Il est tout à fait normal que des ordres pour un gros montant ne soient pas dévoilés avant leur exécution, car ils risquent de déstabiliser le marché. Cette exception est la seule toutefois qui me paraisse utile et légitime. Si l on regarde les données, la négociation hors du marché réglementé ne se justifie pas en général : - La taille moyenne des transactions de gré à gré a été divisée par deux depuis 2009, passant de 250.000 à 120.000. - La taille médiane de ces transactions est de 4.900, soit une taille à peine supérieure à celle des transactions sur le marché réglementé. Pour certaines actions du CAC 40 le dark trading et le gré à gré représentent plus de 50% des échanges c est-à-dire que la valeur du cours ne reflète plus qu une minorité de transactions. Cette fragmentation et cette opacité accrue constituent des phénomènes nouveaux sur les marchés. Le risque est désormais réel que les meilleures offres se fassent dans l ombre, derrière le rideau, et qu elles soient captées au profit de certains acteurs seulement. Les anglo-saxons ont un terme pour cette pratique : cream skimming en référence à l opération de séparation de la crème et du lait. Si l investisseur n a pas accès au meilleur prix de vente ou d achat il est normal qu il n ait qu une confiance limitée dans les marchés. C est pourquoi nous négocions actuellement avec beaucoup d attention la révision de la directive MIF. Notre objectif principal est de forcer un maximum de transactions à participer au mécanisme de formation des prix, dans le cadre d un processus transparent. Nous souhaitons également mieux encadrer certaines activités, comme par exemple la tenue de marché afin de s assurer qu elle contribue réellement à amener de la liquidité au marché. La directive MIF est actuellement discutée au Parlement européen, elle devrait être adoptée en début d année prochaine après accord entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil. 3. Deux chantiers pour restaurer la confiance. Le fonctionnement de base des marchés pose question, que ce soit pour le financement de l économie ou pour garantir la liquidité aux investisseurs. Les conditions de la confiance ne sont pas réunies. Je voudrais évoquer pour finir deux types de chantiers importants pour rétablir la confiance : - L adaptation de la régulation aux évolutions technologiques, 9/12

- Le renforcement de la coordination et de l harmonisation au niveau international. 3.1. Les évolutions technologiques De nouvelles technologies se développent rapidement et risquent de déstabiliser les marchés. Nous ne devons certes pas revenir à l âge de pierre : même l AMF mobilise des moyens informatiques très développés, pour détecter les anomalies ou les abus en analysant les données de marché. Nous devons toutefois veiller à ce que la sophistication ne se fasse pas au profit de quelques uns au détriment de tous les autres. Et nous devons mieux contrôler les risques nouveaux. A cet égard le développement du trading haute fréquence est préoccupant : il représente 56% des transactions aux Etats-Unis et 38% en Europe. Des incidents en ont déjà montré les risques : - Le flash crash du 6 mai 2010 à Wall Street, qui a entraîné une baisse de plus de 9% de l indice Dow Jones, - Le mini-krach généré le 1 er août dernier sur la Bourse de New-York par un bug informatique du trader haute fréquence Knight Capital, qui a entraîné en quelques secondes une perte de plus de 400 millions de dollars. Face à cette nouvelle pratique, il est indispensable de mettre en place des «coupe-circuits» communs aux différentes plateformes pour bloquer les marchés en cas d emballement. L AMF a également identifié des pratiques de trading algorithmique qui dissimulent des manipulations de cours. Loin d amener de la liquidité, certaines stratégies visent à brouiller le carnet d ordres en envoyant des ordres «fantômes» de telle sorte que des investisseurs normaux ne parviennent pas à exécuter leurs ordres au meilleur prix. Les conséquences seront lourdes si les investisseurs se retirent de telle sorte que la liquidité sur les plateformes s en trouvera diminuée. Nous n avons pour l instant pas observé l effet de la taxe sur les transactions financières. Elle est entrée en vigueur en août, une partie de cette taxe vise spécifiquement le trading haute fréquence. Nous réfléchissons avec nos partenaires européens à d autres solutions pour limiter les déviances. Par exemple nous examinons la possibilité de modifier la tarification pratiquée par les plateformes de négociation, afin que tous les ordres passés soient facturés et non plus simplement les ordres réalisés. Une augmentation des pas de cotation pourrait également avoir des effets bénéfiques, sous réserve que cela ne diminue pas la liquidité. 3.2. La coordination internationale Pour le régulateur ces évolutions technologiques sont de nouveaux défis. Ces défis, il ne peut plus les relever seul, au niveau national. Nous devons plus que jamais adopter une approche coordonnée internationale ou a minima européenne. C est le point que je souhaite souligner pour conclure. 10/12

Il est important que les Français retrouvent la confiance nécessaire pour constituer une épargne longue investie dans l économie. Mais nous vivons dans une économie ouverte et il est tout aussi important de savoir inspirer la confiance aux investisseurs étrangers. L apport de capitaux étrangers est en effet essentiel pour notre économie : - Plus de la moitié de la dette émise par l Etat français est détenue par des non-résidents. - 40% de la capitalisation boursière du CAC40 est détenue par des non-résidents. Nous ne pouvons par ailleurs pas édicter de réglementation qui soit trop décalée par rapport aux règles pratiquées chez nos voisins sans quoi les capitaux iront s investir ailleurs ou d une autre façon. C est pourquoi la coopération entre pays est essentielle. Elle a progressé fortement, et la crise financière de 2008 a amené à renforcer profondément la concertation et la coordination sur les nouvelles réglementations. Les organisations internationales ont été renforcées par exemple avec la création du Conseil de Stabilité Financière (Financial Stability Board, FSB). Un chemin énorme a été parcouru ces dernières années suite à la crise financière de 2007-2008. Un édifice réglementaire nouveau s est développé au niveau européen, et on constate d importantes avancées sur le plan international dans la lignée des grandes décisions prises par le G20. Un nouveau régulateur européen a été créé : l Autorité européenne des marchés financiers (ESMA - European Securities and Markets Authority). L ESMA permet d améliorer concrètement la coordination et l harmonisation entre les régulateurs. Et l on assiste à des évolutions impensables il y a seulement quelques années : - La régulation des marchés de dérivés de gré à gré est en passe d être renforcée, avec de nouvelles exigences d enregistrement et de compensation des transactions. - Une directive encadrant les agences de notation est entrée en vigueur il y a un an. Elle force pour la première fois les agences comme Moody s, S&P et Fitch à s enregistrer auprès de l ESMA. 11/12

Dans un contexte de rapide évolution technologique, de fragmentation des marchés et alors que se développent de nouveaux espaces pour des activités opaques ou non régulées, le rôle du régulateur est essentiel pour maintenir la confiance. La coordination internationale et européenne est plus que jamais nécessaire, même si elle complique encore l activité de régulation. La confiance est un bien public. C est seulement en restaurant la confiance que l on saura pleinement remettre les marchés au service de l économie pour financer les entreprises et protéger les épargnants. J y vois une mission essentielle de l AMF. Si l on regarde les périodes pendant lesquelles les marchés financiers se sont développés, se sont des périodes pendant lesquelles la régulation a été forte parce que la présence rassurante du régulateur permettait la confiance. Je vous remercie de votre attention. 12/12