Thème 2 : Le rôle du «secteur informel» dans l intégration régionale



Documents pareils
Union Economique et monétaire Ouest Africaine!"#$ $% &

POUVOIR D ACHAT : la condition de vie des travailleurs

ENSAE, 1A Maths. Roland Rathelot Septembre 2010

LES SIIC. Pierre Schoeffler Président S&Partners Senior Advisor IEIF. Étude réalisée par. Les SIIC et la retraite 1

Chapitre 3. La répartition

Le financement de l apprentissage informel

Epargne : définitions, formes et finalités.

La question sociale globale et les migrations. Présentation de Jean Michel Severino aux semaines sociales, 28 Novembre 2010

ECONOMIE GENERALE G. Carminatti-Marchand SEANCE III ENTREPRISE ET INTERNATIONALISATION

I) L ouverture des économies à l international

résumé un développement riche en emplois

Chapitre 4 Comment s opère le financement de l économie mondiale?

SOMMAIRE PARTIE 1 : POURQUOI «DONNER DU CREDIT AUX FEMMES RURALES»?... 3 PARTIE 2 : EPARGNE/CREDIT DU SYSTEME FINANCIER INFORMEL...

b ) La Banque Centrale Bilan de BC banques commerciales)

Des solutions pour les seniors à revenus insuffisants

Agricultures paysannes, mondialisation et développement agricole durable

POLITIQUE D ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Institut National de la Statistique - Annuaire Statistique du Cameroun Chapitre 26 : LE CAMEROUN DANS LA ZONE CEMAC

Les durées d emprunts s allongent pour les plus jeunes

THÈME 1. Ménages et consommation

Réduire la pauvreté : comment les collectivités territoriales peuvent-elles être des catalyseurs du développement économique pro-pauvre?

DEVOIR N 1 économie générale

la voie bilatérale reste la meilleure option

Qu est-ce que la compétitivité?

BANQUE CENTRALE DU CONGO

PERSPECTIVES. Hedge funds. Approche en matière d ESG

NOTE DE PRESENTATION DU PROGRAMME STATISTIQUE DE L UEMOA

REGLEMENT N 07/2006/CM/UEMOA PORTANT ADOPTION DES MODALITES DE CALCUL DU SOLDE BUDGETAIRE DE BASE CORRIGE DES RESSOURCES PPTE ET DES DONS BUDGETAIRES

AFD Danielle Segui. Financer les petites et très petites entreprises des pays du Sud

Comment développer les métiers agroalimentaires en Afrique subsaharienne? Extraits d étude

TD de Macroéconomie Université d Aix-Marseille 2 Licence 2 EM Enseignant: Benjamin KEDDAD

Croissance, investissement et emploi: dernières informations sur les recherches et réunions portant sur la cohérence des politiques

BANQUE CENTRALE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST DEPARTEMENT DES ETUDES ECONOMIQUES ET DE LA MONNAIE

Annexe - Balance des paiements et équilibre macro-économique

L Equilibre Macroéconomique en Economie Ouverte

Couverture du risque maladie dans les pays en développement: qui doit payer? (Paris, 7 mai 2008)

B Le diplôme est-il un bon passeport pour l'emploi?

Programme de stabilité Quel impact sur l investissement local?

Coup de projecteur : Transferts d'argent des migrants et produits financiers associés

L implantation des banques marocaines en Afrique

75 ANS D HISTOIRE EN CHIFFRES :

ESSEC Cours Wealth management

INTRODUCTION A LA MACROECONOMIE Séance de travaux dirigés n 4 Construction des comptes de secteur

MÉMOIRE CONSEIL QUÉBÉCOIS DU COMMERCE DE DÉTAIL SUR LE DOCUMENT DE CONSULTATION VERS UN RÉGIME DE RENTES DU QUÉBEC RENFORCÉ ET PLUS ÉQUITABLE

Rapport 2012 de l Observatoire de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Résumé

Le FMI conclut les consultations de 2008 au titre de l article IV avec le Maroc

Ameth Saloum NDIAYE. Colloque régional UEMOA-CRDI

Chapitre 1 : La consommation et l épargne

THEME 5: CONDITIONS DE VIABILITE FINANCIERE DE LA MICROFINANCE AGRICOLE

POURQUOI LE GABON A-T-IL BESOIN DE STATISTIQUES FIABLES?

Les étudiants dans le rouge : l impact de l endettement étudiant

Simulation d application des règles CNAV AGIRC ARRCO sur des carrières type de fonctionnaires d Etat

La crise de Lionel Artige. Introduction à la Macroéconomie HEC Université de Liège

S engager pour la survie de l enfant: Une promesse renouvelée

BOAD en Bref. Edition 2014 BANQUE OUEST AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT

LES RELATIONS ENTRE LE TRESOR PUBLIC ET LA BCEAO

Simulation d impact de l augmentation des salaires du personnel de l administration publique et du SMIG et du SMAG dans le secteur privé

EVALUER LE JUSTE PRIX D UN CABINET

Épargne et investissement. L épargne...

Analyse financière détaillée

SUR LES RETRAITES PAR REPARTITION DU SECTEUR PRIVE ET LES FONDS DE PENSION

INTÉGRATION DES SERVICES FINANCIERS DANS LES STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ Un aperçu Général

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

Enquête sur les perspectives des entreprises

INTERPRETER UN RAPPORT ACTUARIEL Sélection des hypothèses actuarielles dans le contexte africain Par Papa Babou NDIAYE, Directeur des Etudes

LES PLATEFORMES D INITIATIVE LOCALE ET LA CREATION D ENTREPRISE INNOVANTE EN FRANCE QUELLE PERTINENCE POUR LA TUNISIE?

CHARLES DAN Candidat du Bénin pour le poste de Directeur général du Bureau international du Travail (BIT)

Secrétariat d Etat auprès du Premier Ministre chargé des Technologies Nouvelles

Communiqué 8 novembre 2012

Note de présentation générale. Secrétariat général du Conseil d orientation des retraites

Résumé. 1 Les chiffres du recensement général de la population et de l habitat (RGPH2) de 2009 sont en cours exploitation. Les données seront rendues

Eco-Fiche BILAN DE L ANNEE 2012 QUELLES PERSPECTIVES POUR 2013? 1

Royaume-Uni. Conditions d ouverture des droits. Indicateurs essentiels. Royaume-Uni : le système de retraite en 2012

COMMISSION PARITAIRE REGIONALE EMPLOI FORMATION D ILE DE FRANCE SEANCE DU 4 FEVRIER Ordre du jour

Présenté par OUEDRAOGO Adolphe Chef de Brigade de la CIMA. DAKAR, les 3-4 et 5 novembre 2009

Etude de marché. Idée de depart. Etude de l environnement et des offres existantes. Clients. actuels. Choix de la cible précise

LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES Anne DIETRICH Frédérique PIGEYRE 2005, repères, La découverte

Tests de sensibilité des projections aux hypothèses démographiques et économiques : variantes de chômage et de solde migratoire

Repères n 7. Le financement des PME en Afrique. par Céline Kauffmann. CENTRE DE DÉVELOPPEMENT DE L OCDE

WS32 Institutions du secteur financier

Le FMI et son rôle en Afrique

Hausse du crédit bancaire aux entreprises au Canada

Structure de l épargne et croissance Olivier Davanne

Atelier sur le Financement de la Filière Coton en Côte d'ivoire: Création d'un Fonds de Garantie

UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST AFRICAINE

LES BRIC: AU DELÀ DES TURBULENCES. Françoise Lemoine, Deniz Ünal Conférence-débat CEPII, L économie mondiale 2014, Paris, 11 septembre 2013

Remarques d Ouverture par M. Mohammed Laksaci, Gouverneur de la Banque d Algérie, Président de l Association des Banques Centrales Africaines

Organisation des Nations Unies pour le développement industriel

L'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA en outre-mer

LOI N /AN BURKINA FASO IV E REPUBLIQUE PORTANT LOI D ORIENTATION DE L INVESTISSEMENT AU BURKINA FASO

réforme fiscalité indirecte de la Avant-projet Avril 06 1/14

ELEMENTS DE COMPTABILITE NATIONALE

Migration: un plus pour la Suisse Relations entre État social et migration: la position de Caritas

La réforme : une opportunité pour la fonction formation

> Guide 28 juillet 2008

Les exploitations de grandes cultures face à la variabilité de leurs revenus : quels outils de gestion des risques pour pérenniser les structures?

PRIX DE VENTE À L EXPORTATION GESTION ET STRATÉGIES

Les ménages et le crédit

Phase 2 : Enquête sur le secteur informel

Transcription:

Thème 2 : Le rôle du «secteur informel» dans l intégration régionale 1. Le secteur informel en Afrique : définition et caractéristiques générales Le secteur informel est défini comme l'ensemble des unités de production dépourvues de numéro d'enregistrement administratif et/ou de comptabilité écrite formelle. Divers travaux montrent que les activités informelles ne sont pas incompatibles avec les mécanismes de l économie de marché, on y trouve des éléments de l économie pure. En outre, les échanges informels trouvent leur source dans les disparités des politiques économiques financières, monétaires, commerciales distinctes selon les pays. Les activités informelles se déploient sur des espaces frontaliers, à partir de réseaux de marchands différenciés par l ethnie et souvent par la famille sur des générations. Ainsi sur la base ethnique ou familiale et d échanges régionaux, le comportement des acteurs n est pas irrationnel mais s insère dans un cadre communautaire de référence. L économie informelle dégage finalement des ressources et représente un facteur de décollage économique qui, s il n est pas suffisant, n en est pas moins réel. Il faut bien évidemment distinguer le petit artisan, le petit commerce de rue, les multiples services à faibles revenus des activités informelles plus porteuses et qui créent de substantiels profits. 2. Le rôle dynamique du secteur informel La mondialisation s accompagne d un processus de régionalisation dont les niveaux et les rythmes varient d un état à l autre. L hypothèse d un marché régional et/ou mondial propre aux grandes entreprises et d un marché local voire national propre aux petites entreprises mérites d être abordée, si tel est le cas des liens entre les niveaux local-national et régional-mondial attesteraient du rôle des activités informelles dans le processus de régionalisation. Une enquête réalisée par l Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) entre 2001 et 2003 réaliser sur 7 capitales de l espace

UEMOA ont permis de réaliser que le secteur informel n'est pas seulement un conglomérat d'unités de production exerçant dans des conditions précaires, mais aussi un secteur atomisé, où la dynamique entrepreneuriale est limitée. Dans leur grande majorité, en effet, les unités de production informelles ont été créées par ceux ou celles qui les dirigent actuellement. Contrairement à une idée reçue, la mise à son compte dans le secteur informel est bien souvent un choix délibéré. De cette enquête, il ressort que 60% des chefs d'unités de production considèrent le secteur informel comme un mode privilégié d'insertion sur le marché de travail en invoquant la possibilité d'obtenir un meilleur revenu que le salaire auquel ils pourraient prétendre (28%) ou en refusant le statut de travailleur dépendant et en mettant en avant le désir d'être leur propre patron (32%). Ce résultat permet d'affirmer que le secteur informel est de loin le premier pourvoyeur d'emplois et se présente comme une solution face au chômage galopant des jeunes. En outre, le secteur informel est massivement constitué de micro-unités, la taille moyenne des unités informelles étant de 1,53 personne par établissement se présente comme un moyen rapide pour les gouvernants d absorber les jeunes en les engageant dans des métiers dont la durée de formation est relativement court et n a pas besoin de qualification spécifiques. Sur la base de «circuits financiers clos», des circuits ethniques et des clubs divers (où se côtoient des chefs d entreprises, des hommes ou des femmes d affaires, des décideurs politiques), les conditions d accumulation sont réunies. 3. Le modèle asiatique A l exemple de l acteur économique asiatique qui peut déployer son esprit d initiative d autant qu il bénéficie des conditions macro-économiques favorables tel : économies protégées, liberté d entreprise, interventionnisme de l état avec un rôle efficace d orientation des ressources vers des projets porteurs à long terme, révolution verte, développement des infrastructures et autres, faisant ainsi du secteur informel un espoir de réussite. Le marché informel est une source importante de financement du secteur informel. En Asie, la complémentarité entre les petites et les grandes entreprises permet aux premières de profiter des conditions de crédit obtenus par les seconds. Dans une étude relative aux tontines dans les années 1995 par M. Leart constate que les pratiques financières informelles asiatiques sont davantage orientées vers la disponibilité du crédit ce qui n est pas le cas des pratiques financières informelle africaines. Les emprunts peuvent être opérés auprès de la famille, des amis, du propriétaire, du commerçant ainsi qu auprès des prêteurs

professionnels ou auprès de ceux qui accordent des crédits au nm d une banque mais sous leur responsabilité Dans les pays asiatiques, les tontines ont une vocation économique où les fonds sont utilisés pour l investissement. L une des raisons pour lesquelles l Asie a réussie à concilier le rôle et l intervention de l Etat avec le marché tient, selon Chaponnière, à l existence des divers liens associant l Etat, les entreprises, les réseaux formels mais aussi informels. L Afrique semble être éloigner de cette réalité alors les liens communautaires existent, que les tontines sont nombreuses, que les solidarités ethniques sont réelles et que les activités informelles ne demandent qu à bénéficier d un environnement favorable. Les divers exemples concrets montrent que ce ne sont pas les dotations factorielles initiales ou les conditions naturelles qui expliquent les écarts de compétitivité entre l Asie et l Afrique mais bien plus le cadre plus ou moins réglementaire auquel sont assujetties les activités de production et de distribution. De fait, le dynamisme des activités officielles ou non, s en trouve renforcé ou pénalisé ; les acteurs du «bas» sont incités à travailler plus ou, à l opposé, amenés à satisfaire uniquement les besoins primaires de consommation et/ou d épargne, par précaution. Au lieu de produire pour satisfaire le marché intérieur afin d exporter ensuite au sein d une filière localenationale-régionale-mondiale, les micro-entreprises africaines se replient sur elles-mêmes et restent isolées. Elles ont donc peu de chances de maîtriser la connaissance nécessaire et d acquérir la capacité de construire des réseaux de distribution régionaux puis mondiaux qui limiteraient leurs coûts de transaction. On voit mal dans ce contexte les chances de satisfaire les conditions d un processus de régionalisation. Non coordonnées, elles entrainent encore des duplications de projets concurrents et peu viables. Et pourtant, depuis près de 40 ans, de nombreux organismes à vocation régionale ont été créés dans le but de satisfaire les échanges commerciaux, de favoriser l intégration des activités de transformation, industrielles et de services, d accéder davantage aux technologies extérieurs. Les micro-entreprises sont finalement confrontées à une fiscalité trop lourde, à un accès au crédit difficile et cher, à des taux de change surévalués, à des appuis aux producteurs insuffisants ou mal ciblés. Le secteur informel y est mal perçu, insuffisamment aidé, et les capacités d exportations restent trop limitées pour exercer un effet levier et stimuler la croissance. Or ces capacités existent et elles peuvent être valorisées à l échelle locale puis régionale à partir, entre autre, des potentialités du secteur informel. 4. Des marchés étroits et administrés La taille des marchés africains est conditionnée par des bas revenus. En outre, les moyens de transport sont inadaptés. On trouve beaucoup de petits «sous marché» limité en volume et en extension spatiale. La constitution d un

processus de régionalisation permettrait à court et moyen terme de multiplier les échanges de biens et services différenciées de part et d autre des économies nationales.les potentialité d exportation ouvrent des perspectives aux microentreprises, formelles et informelles. L exemple des productions maraîchères et fruitières dans l ouest du Cameroun sous l impulsion des Bamiléké est à cet égard révélateur. Leur dynamique dans un contexte de solidarité ethnique leur permettait dans les années 80 d exporter vers les pays frontaliers, dont le Gabon. Par ailleurs, les tontines jouent un rôle financier majeur. Mais, à la différence des tontines asiatiques, les tontines ont plutôt une vocation sociale où les fonds d abord sont utilisés pour la consommation dans la grande majorité des pays africains. En plus du recours au marché financier informel, la taille du marché informel qui posent problème. Elle se limite à l épargne domestique, laquelle dépend à terme de la croissance économiques ou, globalement des performances économiques nationales. Les conditions macro-économiques dans lesquelles évoluent les micro-entreprises informelles africaines méritent donc davantage de flexibilité. Il s agit de réduire par exemples les charges administratives sur les entreprises informelles et faire en sorte que l environnement économique soit plus favorable à l expansion de leurs activités. 5. Le recours aux poly-activités Le souci d anticiper les risques peut encore consister à multiplier les activités. He évoque à ce propos le recours aux poly-activités qui, à leur tour, s inscrivent sur un espace interrégional. La situation économique des zones agricoles est d une importance cruciale pour les performances du secteur informel. Un accroissement de la productivité et une baisse de la pression démographique dans ces zones signifient un moindre recours au facteur travail, le volume de la quantité de travail inemployé doit être absorbé par le secteur informel. Si en revanche, le niveau de salaire du secteur formel est assez élevé pour attirer la quantité de travail excédentaire, la pression de l emploi dans le secteur informel s atténue. L anticipation de la hausse du niveau de salaire dans le secteur formel peut donc inciter les travailleurs agricoles à immigrer. Au niveau macro-économique, cela revient à analyser la division du travail entre le secteur agricole, le secteur formel et le secteur informel. En Asie, on assiste à une extension des activités non fermières dans les zones rurales, laquelle freine l exode vers la ville.

Référence : Le rapport de l'institut de recherche des Nations Unies pour le développement social intitulé Combattre la pauvreté et l'inégalité REVUE TIERS MONDE, 01/09/1998, Jean Claude Perez sur «le rôle du secteur informel dans un contexte de régionalisation» Acronymes et Abréviations : INSEE : l Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques UEMOA : Union Economique Monétaire Ouest Africain CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l Afrique de l Ouest OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement PIB : Produit Intérieur Brut