En effet, il n y a aucune raison pour que les non-salariés soient protégés des facteurs psychosociaux de risque au travail.



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Transcription:

Rapport du Collège d expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, «Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser» Annexe 1 : le suivi des risques psychosociaux encourus par les travailleurs non salariés La rédaction a été assurée par Marceline Bodier. Synthèse En 2010, près de 3 millions d actifs occupés étaient non-salariés. Le rapport du Collège d expertise statistique sur les risques psychosociaux au travail a inclus cette population dans son champ de réflexion, sans entrer dans le détail des spécificités éventuelles d un questionnement statistique à leur sujet. Le présent texte aborde ce sujet. En effet, il n y a aucune raison pour que les non-salariés soient protégés des facteurs psychosociaux de risque au travail. Certes, il est possible que leur état de santé soit légèrement meilleur : mais ils sont plus souvent cadres (effet de structure), et il est possible que ceux qui sont en meilleure santé choisissent plus souvent un travail indépendant (effet de sélection). Et il est également possible qu ils soient plus enclins que les salariés au déni de leurs problèmes de santé. Ensuite, s ils se déclarent plus satisfaits de leur travail, ils se déclarent aussi plus souvent stressés, alors que la littérature de gestion prédit qu une partie d entre eux aurait plutôt un biais de désirabilité sociale en faveur d une image de battants. Enfin, la population des non-salariés a non seulement toujours été très hétérogène, mais en outre, il est probable que son hétérogénéité s accroît : il y a sans doute de grandes différences entre un boulanger et un médecin ou un avocat ; mais en outre, les indépendants installés en franchise ou comme sous-traitants, ou les auto-entrepreneurs, sont des catégories en expansion souvent contraintes d adopter ce statut, à tel point qu on les appelle «faux» indépendants ou «indépendants dépendants» dans certains pays. Cela incite donc à explorer la spécificité éventuelle des facteurs de risque auxquels ils pourraient être exposés, d autant plus que les modèles traditionnellement utilisés pour rendre compte des liens entre santé et travail peuvent être adaptés pour leur être appliqués : On a tendance à considérer que le modèle de Karasek-Theorell, demande / autonomie / soutien social, ne peut pas les concerner car ils jouiraient par définition d autonomie ; or, outre qu ils sont soumis à des règles et des contraintes qui peuvent sérieusement limiter cette autonomie (règles administratives, contraintes économiques), la population des «nouveaux» indépendants est sans doute faussement autonome. Dans le modèle de Siegrist, efforts / récompenses / surinvestissement, c est la nature des récompenses attendues par les indépendants qu il faut interroger. Bien sûr, ils attendent une récompense de leurs efforts ; mais certains auteurs affirment qu ils s attendraient à des récompenses plus symboliques que pécuniaires. Là encore, il faut sans doute distinguer entre indépendants traditionnels et nouveaux indépendants. Au total, le modèle paraît pertinent, si l on donne un contenu adapté aux récompenses. Les modèles émergents de «justice organisationnelle» peuvent tout à fait concerner les indépendants malgré l absence de hiérarchie pesant sur eux : en effet, il faut tenir compte des 1

réseaux dans lesquels ils choisissent, ou pas, de s inscrire, et dont ils peuvent attendre, ou pas, un traitement qui leur paraîtra «juste». Enfin, la psychologie sociale et la gestion mettent en avant les modèles de «stresseurs de rôles», qui paraissent particulièrement bien adaptés aux indépendants, dont on décrit fréquemment la «surcharge de rôles». Lorsqu on passe en revue les six axes distingués par le Collège, on peut ainsi souvent appliquer les facteurs psychosociaux de risque aux non-salariés, en s appuyant sur des études en nombre certes limité, mais qui existent et dont un grand nombre a été exploré par le rapport d expertise collective de l Inserm sur le stress des indépendants (Inserm, 2011), les travaux dirigés par Olivier Torrès sur la santé des dirigeants (Torrès, 2012), ou encore ceux de Jacques Malarewicz sur les entreprises familiales (Malarewicz, 2006). Certains facteurs sont propres aux non-salariés et n ont pas d équivalent chez les salariés : La solitude (axe 3), qui crée un contexte particulier qui amplifie notamment le poids des responsabilités et de la prise de décision, ainsi que les difficultés de la gestion des problèmes avec les clients difficiles. Transmission (axe 6) : la peur de ne pas pouvoir transmettre est propre aux non-salariés ; mais il y a aussi une peur de transmettre. Chez les salariés, l équivalent serait le fait de transmettre son poste, mais ce n est pas exactement de la même nature. Moindre proximité des règles de sécurité (axe 2). Relations avec l administration (axe 3 : un des aspects de la limitation de l autonomie des indépendants). Sans considérer l encadrement administratif comme un facteur de risque per se, il semble que certains indépendants perçoivent certaines règles comme un carcan, ce qui mérite d être exploré. Par ailleurs, d autres facteurs se présentent différemment chez les non-salariés et les salariés : Certains aspects de l intensité du travail (surcharge de rôles) et de la pression temporelle (manque de vacances, manque d activités extraprofessionnelles). Imbrication entre logique familiale et de l entreprise (notamment dans le cas des petites entreprises familiales ou conjugales) ; axe 1, comme cas très particulier de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, propre aux indépendants. Et il y a des difficultés relationnelles spécifiques aux petites structures, qui peuvent créer les conditions d une violence au travail différente de la violence organisationnelle des grosses entreprises (axe 4). Insécurité économique (axe 6) : il y a une incertitude économique propre aux indépendants (revenu aléatoire ), et une responsabilité sociale vis-à-vis de ceux qu ils emploient. 2

TABLE DES MATIERES 1. LA POPULATION DES NON-SALARIES... 5 1.1. QUI SONT LES NON-SALARIES?... 5 Non-salariés ou indépendants?... 5 Points communs à tous les non-salariés... 5 Plusieurs catégories socioprofessionnelles de non-salariés... 6 Indépendants traditionnels et «nouveaux» ou «faux» indépendants... 8 1.2. SANTE DES NON-SALARIES : LES NON-SALARIES EN MEILLEURE SANTE?... 9 Un effet de structure qui n explique pas entièrement cette meilleure santé... 10 Un effet de sélection qui n explique pas toute cette meilleure santé non plus... 10 Il faudrait pouvoir étudier séparément indépendants «traditionnels» et «nouveaux» indépendants... 10 1.3. DES NON-SALARIES PLUS STRESSES MAIS AUSSI PLUS SATISFAITS DE LEUR TRAVAIL... 11 Les non-salariés plus «stressés»?... 11 Les non-salariés plus satisfaits au travail?... 11 2. ADAPTATION AUX NON-SALARIES DES MODELES THEORIQUES LIANT TRAVAIL ET SANTE... 13 2.1 MODELE DE KARASEK... 13 Le modèle de Karasek est (peut-être) mal adapté aux indépendants traditionnels, mais pertinent pour les «faux» ou «nouveaux» indépendants... 13 La dimension du «soutien social» fait partie des facteurs importants pour les non-salariés.... 14 Cela dit, il manque des facteurs de risque importants.... 14 2.2 MODELE DE SIEGRIST : DESEQUILIBRE ENTRE EFFORTS ET RECOMPENSE... 14 2.3 MODELES DE «JUSTICE ORGANISATIONNELLE»... 15 2.4. MODELE DES «STRESSEURS DE ROLE»... 15 Définition... 15 Les stresseurs de rôles sont des facteurs psychosociaux de risque... 16 2.5. UNE PREMIERE SYNTHESE : DES FACTEURS DE RISQUE SPECIFIQUES... 17 2.6. SPECIFICITES DU MODE D INTERROGATION... 18 3. FACTEURS DE RISQUE... 19 AXE 1. INTENSITE DU TRAVAIL ET TEMPS DE TRAVAIL... 19 1.1. Intensité du travail... 19 1.2. Temps de travail... 20 AXE 2. EXIGENCES EMOTIONNELLES... 26 2.1. Relation au public... 26 2.2. Contact avec la souffrance... 27 2.3. Devoir cacher ses émotions... 27 2.4. Peur... 27 AXE 3. AUTONOMIE... 29 3.1. Autonomie dans la tâche... 29 3.2. Prévisibilité du travail, possibilité d anticiper... 32 3.3. Développement culturel, utilisation et accroissement des compétences... 32 3.4. Monotonie et ennui... 32 3.5. Aspects néfastes éventuels de l autonomie dans la tâche... 32 AXE 4. RAPPORTS SOCIAUX AU TRAVAIL... 33 4.1. Les représentations des rapports sociaux au travail... 33 4.2. Relations avec les collègues... 33 4.3. Relations avec la hiérarchie... 35 4.4. Autres formes de la relation à l entreprise (reconnaissance économique, symbolique, pratique)... 36 4.5. Relations avec l extérieur de l entreprise... 37 4.6. Violence interne... 38 AXE 5. CONFLITS DE VALEURS... 40 5.1. Conflits éthiques... 40 5.2. Qualité empêchée... 41 5.3. Travail inutile... 41 3

AXE 6. INSECURITE DE LA SITUATION DE TRAVAIL... 42 6.1. Sécurité de l emploi, du salaire, de la carrière... 42 6.2. Soutenabilité du travail... 45 6.3. Changements... 45 BIBLIOGRAPHIE... 46 4

1. La population des non-salariés 1.1. Qui sont les non-salariés? Non-salariés ou indépendants? La population active occupée peut être séparée en deux groupes : les salariés et les nonsalariés. En 2010, 12% des 25,8 millions d actifs occupés étaient non salariés, soit 3 millions de personnes (tableau 1). Tableau 1 : structure de la population occupée non salariée Effectifs (en milliers) % Population active totale 25 778,0 Non salariés 3 002,6 100% Indépendants 1 717,2 57% Employeurs 1 149,9 38% Aides familiaux 135,5 5% Champ : Population active occupée Source : Enquête emploi en continu 2011 http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=ir-eec11&page=irweb/eec11/dd/eec11_nat_paco.htm Parmi les non-salariés, on distingue les indépendants (57%), les employeurs (38%) et les aidants familiaux (5%). Il est à noter que la littérature confond souvent les termes de «non-salariés» et d «indépendants». Dans cette étude, il sera question de non-salariés, en distinguant parfois entre indépendants (qui travaillent seuls) et employeurs. Dans la littérature de gestion, ces derniers sont appelés entrepreneurs ou dirigeants, voire patrons. D après le rapport d expertise collective de l Inserm (Inserm, 2011), les non-salariés sont en moyenne plus âgés, plus diplômés, et plus souvent étrangers que les salariés. Ces données de structure incitent à la prudence dans les comparaisons avec les salariés. Points communs à tous les non-salariés Dans son guide sur la nomenclature des PCS 1, l Insee définit les indépendants, mais il s agit en fait de tous les non-salariés, indépendants, employeurs et aides familiaux. En effet, d après ce guide, «la notion "d'indépendant" recouvre toutes les personnes établies à leur compte, qui dirigent de droit une entreprise ou une société, ainsi que les aides familiaux non salariés. La personne concernée peut, néanmoins, occuper juridiquement une situation de salarié dans son entreprise. Un indépendant peut ou non avoir des salariés : la notion "d indépendant" ne s'oppose pas à celle "d employeur" ; elle est plus large. De manière générale, sont considérées comme indépendantes, quelle que soit la déclaration du statut, les personnes exerçant les professions suivantes : Gérant de SARL (majoritaire ou non) ; PDG ; Directeur Général de société anonyme ; Président de société anonyme ; Associé de société en nom ; Associé de société de fait ; Commandité de société en commandite ; Chef d'entreprise ; Administrateur de société ; Agent d'assurance dirigeant un cabinet ; Associé d'un cabinet de groupe (professions libérales) ; Administrateur général d'entreprise publique ; Associé de GAEC (agriculture)». D après Algava et al. (2011), «la catégorie statistique des "non-salariés" offre ( ) une 1 http://www.insee.fr/fr/methodes/nomenclatures/pcsese/pcsese2003/doc/guide_pcs-2003.pdf 5

approximation acceptable du type de travailleurs que nous visons [les travailleurs appartenant à l un des deux régimes assurantiels spécifiques qui gèrent les droits sociaux des indépendants : RSI ou MSA], tant du point de vue des caractéristiques de la plupart des personnes concernées en matières de droits sociaux que (dans une certaine mesure) de leurs conditions de travail». Le rapport d expertise collective de l Inserm (Inserm, 2011) propose quelques éléments donnant un «socle identitaire» commun à tous les non-salariés : «la non subordination et l autonomie» ; «la volonté de conserver une relation de proportionnalité entre la quantité de travail ou les résultats et le niveau de rémunération» ; «la responsabilité financière, un goût plus grand pour le risque» ; une protection sociale «généralement moins importante et moins protectrice» ; une définition d eux-mêmes «en référence à un métier ou à une profession» ; on pourrait y ajouter deux caractéristiques des conditions de travail, qui sont «la durée du travail et l autonomie et la solitude face aux responsabilités». Plusieurs catégories socioprofessionnelles de non-salariés L Insee distingue principalement cinq catégories socioprofessionnelles de non-salariés (cf. encadré p. 7) : 17% sont agriculteurs exploitants ; 27% sont artisans ; 24% sont commerçants ; 5% sont chefs d entreprise ; 14% sont professions libérales. Les 13% restants se répartissent entre professions intermédiaires (infirmiers ) et cadres (notamment les artistes). Tableau 2 : structure de la population occupée non salariée Non salariés Effectifs (en milliers) % Ensemble 3 002,6 100% Agriculteurs exploitants 521,2 17% Artisans, commerçants et chefs d entreprises 1 680,5 56% Artisans 812,0 27% Commerçants et assimilés 706,7 24% Chefs d'entreprises de 10 salariés ou plus 161,8 5% Cadres et professions intellectuelles supérieures 475,6 16% Professions libérales 407,3 14% Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques 68,3 2% Professions intermédiaires 325,0 11% Professions intermédiaires de l'enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés 226,8 8% Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 82,4 3% Techniciens 15,8 1% Champ : Population active occupée Source : Enquête emploi en continu 2011 http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=ir-eec11&page=irweb/eec11/dd/eec11_nat_paco.htm Chacune de ces catégories est constituée en partie d Indépendants, d employeurs et d aides familiaux. 6

Les non-salariés sont donc marqués par une grande hétérogénéité : «rien ne confère une unité apparente à ce groupe où se retrouvent les professions les plus prestigieuses et "la boutique", l artisanat d art et le maréchal ferrant consacrant désormais son activité aux chevaux de loisir, rien si ce n est un statut et les représentations qui lui sont associées ce qui est beaucoup ces deux dimensions structurant en effet la distinction de ses membres au sein de la population active et un socle partagé d éléments constitutifs de leur identité» (Inserm, 2011). Encadré : les quatre principales catégories socioprofessionnelles d indépendants -1- Les agriculteurs (17%) D après l Insee, «ce groupe socioprofessionnel est composé exclusivement d individus qui exercent à titre professionnel une activité agricole, soit en qualité de chef d exploitation, soit en qualité d associé d exploitation ou d aide familial non salarié. Par conséquent, cette activité ne comprend que des indépendants». «Les aides familiaux non salariés ( ) sont classés comme la personne qu'ils aident, c'est-à-dire en exploitants agricoles». -2- Les artisans (27%) D après l Insee, «le champ de l'artisanat de la nomenclature recouvre d'assez près le champ officiel au sens du "Répertoire des métiers". On notera en particulier que les boulangers, les bouchers, les charcutiers, les chauffeurs de taxi et les coiffeurs font partie du champ de l'artisanat. De façon plus stricte que pour le Répertoire des métiers, la taille de l'établissement est obligatoirement inférieure à 10 salariés». Les artisans emploient moins de dix salariés. Les aides familiaux non salariés d'artisan sont également artisans. -3- Les commerçants (24%) D après l Insee, «cette catégorie regroupe les commerçants proprement dits, les hôteliers-restaurateurs-cafetiers, les fleuristes, les poissonniers et les prestataires de service. Les aides familiaux non salariés de commerçant ( ) sont classés comme s'ils étaient eux-mêmes à leur compte, quelle que soit la profession qu'ils déclarent (caissière, comptable, vendeuse,...)». Ils emploient moins de 10 salariés. -4- Les chefs d entreprise (5%) D après l Insee, «cette catégorie socioprofessionnelle est exclusivement consacrée au classement des personnes qui sont établies à leur compte ou dirigent en fonction d un mandat social une entreprise de l industrie, du commerce ou des services de dix salariés ou plus. En raison de leur importance financière, les activités d armateur, de banquier sont également classées dans cette catégorie même s ils emploient moins de 10 salariés. L entreprise concernée peut être constituée en nom propre ou sous toute forme sociale. La personne classée peut être salariée. Ainsi, sous la condition que les dispositions du code général des impôts et du code du travail n y mettent pas obstacle, un gérant de société peut être salarié et se déclarer comme tel, s il cumule vis à vis de son entreprise, le bénéfice d'un emploi de salarié et l exercice de son mandat social. Sous l angle de la classification des PCS, cette personne est [considérée comme chef d entreprise], dès lors que l entreprise en cause compte 10 salariés ou plus. La responsabilité de chef d entreprise peut être partagée, pour une même entreprise, entre plusieurs personnes, comme dans le cas de la présence d associés (sociétés en nom, sociétés de fait,...). Chacune des personnes concernées doit alors être classée dans la rubrique ; il en est de même pour les aides familiaux non salariés ( )». Dans la littérature de gestion, on parle plutôt d «entrepreneurs» ou de «patrons», voire de «dirigeants» (le terme étant ambigu puisqu une partie des dirigeants sont salariés et considérés comme tels par l Insee s ils ne dirigent pas l entreprise mais seulement une entité au sein d une entreprise) ; parfois, ce sont spécifiquement les (jeunes) créateurs d entreprise qui sont étudiés. -5- Les professions libérales (14%) D après l Insee, «le terme de profession libérale désigne des professions dont l exercice est strictement réglementé, comportant le plus souvent l exigence de diplômes, ainsi que le respect de règles déontologiques impliquant fréquemment la présence d une organisation ordinale (médecins, pharmaciens, avocats, notaires, experts-comptables, architectes, géomètresexperts,...). Par extension, la catégorie inclut différentes professions juridiques ou techniques moins strictement réglementées (activité de conseil en gestion, ingénierie-conseil, activité d expertise,...), satisfaisant aux mêmes conditions de diplôme. La catégorie ne comprend pas de salariés, à l exception des chirurgiens-dentistes, des vétérinaires et des avocats. Ainsi, le classement des médecins ou des pharmaciens exerçant leur discipline en qualité de salarié (y compris, dans le second cas, en qualité de pharmacien d officine) ne relève pas de cette catégorie, mais de la catégorie 34. En cas de situation mixte, il est admis que l exercice de la profession libérale prime sur l activité salariée. Ainsi, un médecin partageant son activité entre un exercice libéral et une activité salariée sera classé dans la catégorie 31, même si son activité en qualité de médecin salarié d un hôpital ou d un établissement de soins est plus importante. Enfin, les aides familiaux non salariés de professions libérales exerçant un travail administratif ou de relation avec la clientèle sont [considérés comme professions libérales]». 7

Indépendants traditionnels et «nouveaux» ou «faux» indépendants D après le rapport d expertise collective de l Inserm (2011), les non-salariés incluent des indépendants «traditionnels», mais aussi, depuis quinze ou vingt ans, de «faux» indépendants («non-salariés dépendants économiquement») ou de «nouveaux» indépendants («travaillant dans des activités nouvelles, encore peu organisées collectivement»). «On les appelle "faux indépendants" en Belgique, "pseudo-indépendants" en Allemagne, ou encore "indépendants dépendants" au Royaume-Uni. Certains pays ont créé des statuts particuliers pour rencontrer ces situations» (Pierre Desmarez, 2003, cité par l Inserm, 2011). D après le rapport d expertise collective de l Inserm (2011), au moins deux mécanismes peuvent mener à ces situations. Tout d abord, le travail en franchise, ou dans une situation analogue de «forte dépendance par rapport à un donneur d ordre», que Rapelli (2011) appelle la «dépendance technique». «Ce groupe hétérogène d indépendants, en expansion numérique, regroupe les personnes qui suite à la perte d un emploi ou de difficultés à en trouver se mettent à leur compte, ou des salariés poussés par leurs employeurs à prendre le statut d indépendant. On peut y ajouter les commerçants franchisés». L existence des franchisés ou des «prestataires de services dépendant d un seul client» n est d ailleurs pas nouvelle ; mais peut-être le développement de statuts analogues, de façon forcée, l estil. Ensuite, le travail en sous-traitance, ou dans une situation de subordination proche, que Rapelli (2011) regroupe en parlant de «dépendance technique et économique». «Se multiplient ( ) les situations dans lesquelles un travailleur placé dans la position de subordination qui est constitutive du salariat adopte (ou se voit incité à adopter) un statut de travailleur indépendant, tout en n obtenant souvent de commandes que d un seul donneur d ordre. Certains secteurs d activités, nouveaux comme anciens (le plus souvent dans le cadre du développement de la sous-traitance), sont propices au développement de telles situations». D après le rapport d expertise collective de l Inserm (2011), «cette situation concerne certains travailleurs indépendants relevant des secteurs du commerce, de l industrie, du BTP 2 et des services, notamment les services à la personne 3 et plus particulièrement les femmes. ( ) Dans des activités industrielles comme le BTP, la maintenance ou le nettoyage, ces travailleurs indépendants occupent des postes en bout de cascades de sous-traitance (sous-traitance de sous-traitance à plusieurs niveaux). Les relations qui s instaurent sont alors marquées par des formes très contraignantes de sujétion temporelle, technique, organisationnelle». Caractéristique commune aux «faux» et aux «nouveaux» indépendants, ils sont souvent contraints d adopter ce statut, et ne sont pas indépendants par choix. D après Rapelli (2011), «la part des créateurs qui se trouvaient initialement au chômage croît au cours des années, passant de 34 % en 2002 à 40 % en 2006» ; dans ce cas, il n est pas certain qu on puisse parler de choix de 2 «La branche professionnelle du BTP compte environ 300 000 entreprises regroupant près de 1,6 million de salariés auxquels il convient d ajouter plus de 100 000 intérimaires et près de 300 000 travailleurs indépendants. http://www.preventica.com/dossier-btp-secteur-risque.php En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/ccsdares.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=natenf02309) THÉBAUD-MONY A. L industrie nucléaire : sous-traitance et servitude. Inserm/EDK, collection Questions en santé publique, Paris, 2000, 290p» 3 «En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/ccsdares.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=natenf02309)» 8

l indépendance : ce serait plutôt une «stratégie de refuge face au chômage», selon l expression de Rapelli (2011). Certes, ne pas être indépendant par choix est aussi le lot d une partie de ceux qui héritent d une affaire familiale (Gollac S., 2008). Mais les évolutions récentes de la réglementation ont amplifié ce phénomène. Le livre sur la santé du dirigeant dirigé par Torrès (2012) leur consacre un chapitre (Fayolle, Nakara, 2012). Il part d un paradoxe : la création d entreprise a été encouragée comme réponse au chômage et à la précarité, mais finalement, elle développe la précarité. Il s agit d un «entrepreneuriat contraint», de ceux «que la littérature ( ) a identifiés sous l expression d entrepreneurs de nécessité». «Ces entrepreneurs sont généralement des individus dans des situations très précaires, ils ont été licenciés et ont connu les affres du chômage, ils n ont pratiquement plus de ressources et se retrouvent souvent seuls». Ces «faux» indépendants sont inclus dans les statistiques sur les non-salariés 4, mais on ne peut pas les en isoler car il n existe pas en France de quantification de ces phénomènes. D ailleurs, l Inserm cite une étude selon laquelle «on ne peut que regretter l absence de données statistiques plus détaillées sur ces sujets, car il semble que se développe, autour du noyau d indépendants classiques, une nébuleuse de situations plus complexes, avec une baisse de la part des artisans et commerçants qualifiés, et une hausse des effectifs aux deux extrémités de l éventail des qualifications : professions libérales d une part, indépendants peu qualifiés d autre part (Amossé et Goux, 2004)» (Inserm, 2011). Tout au plus le rapport d expertise collective de l Inserm cite-t-il certains chiffres sur la structure des entreprises de non-salariés, ou encore sur les auto-entrepreneurs (depuis que le statut existe), qui incitent à penser qu ils se développent (Inserm, 2011). Par exemple, d après l Insee, «depuis 2009, la création d entreprise (définitions) est dopée par le régime de l auto-entrepreneur ( ) institué par la loi de modernisation de l économie» (Pignier et al., 2012). D après cette même étude, il y avait 290 000 auto-entrepreneurs immatriculés fin 2009. 1.2. Santé des non-salariés : les non-salariés en meilleure santé? Globalement, d après le rapport d expertise collective de l Inserm, la santé des non-salariés est meilleure que celle des salariés. C est également le constat de Torrès (2012). D après Hariharan et Ni (2009), ils ont une meilleure espérance de vie que les salariés, et se sentent en meilleure santé. Il est important de souligner que ce n est pas uniquement la santé déclarée, perçue, qui est meilleure. Cela serait en effet plus difficile à interpréter, car il est possible que les non-salariés soient plus fréquemment dans le déni de leurs problèmes de santé et offrent une image de meilleure santé même sans que cela soit justifié. En effet, certains auteurs (Torrès, 2012, ou Roussillon, 2006) avancent l idée qu une fraction des non-salariés, les dirigeants, auraient tendance à minimiser leurs problèmes de santé : d une part parce qu il y a un biais de désirabilité sociale en faveur d un mythe de l entrepreneur battant et toujours en bonne santé (Torrès, 2012), et d autre part parce que lorsque la pression est forte, il y a facilement un déni des problèmes de santé. «L hypothèse d une désirabilité sociale d apparaître en bonne santé plus forte chez les dirigeants que chez les salariés est plausible» ( ) «On pourrait alors imaginer que les bons résultats ne seraient pas le reflet de la réalité, mais du farouche désir des dirigeants de paraître en bonne santé» (Torrès, 2012). 4 Sauf ceux qui ont opté pour le «portage salarial», qui leur donne un statut de salarié. 9

Bah et al. (2012) parlent également du fait que pour les «patrons», «exprimer sa souffrance est perçu comme un signe de faiblesse». Un effet de structure qui n explique pas entièrement cette meilleure santé Des études montrent qu il semble que la meilleure santé des indépendants s explique essentiellement par un effet de structure, lié au fait qu il y a plus de cadres parmi eux 5. En revanche, à profession équivalente, il n y aurait pas de différences entre salariés et non-salariés. D après le rapport d expertise collective de l Inserm, «à âge, sexe et situation sociale comparables, indépendants et salariés ont une perception équivalente de leur état de santé, de leurs maladies chroniques et de leur incapacité.» (Inserm, 2011). Cependant, cet effet de structure n expliquerait pas tout. Algava et al. (2011) concluent que «les non-salariés jouissent globalement d une meilleure santé que l ensemble des salariés, bien qu ils soient plus âgés que ces derniers et que leur état de santé devrait en conséquence s en trouver dégradé. Certes, les cadres sont encore mieux placés qu eux, mais leur avantage relatif n est cependant pas négligeable». Un effet de sélection qui n explique pas toute cette meilleure santé non plus Mais cela pourrait aussi s expliquer par des effets de sélection : seuls ceux qui sont en meilleure santé choisiraient le statut d indépendant ; ou encore, lorsqu un non-salarié rencontre des problèmes de santé, il pourrait se replier vers le salariat, si bien que seuls ceux qui sont en meilleure santé resteraient indépendants. Toutefois, d après Algava et al. (2011), «sans pouvoir apporter des réponses aussi fermes que si, par exemple, (les auteurs suivaient) une cohorte d actifs en emploi, ( les auteurs) ne confirment pas l existence d un effet de sélection massif». Notamment, l examen des trajectoires professionnelles au travers de l enquête SIP montre que «lorsque survient une maladie, les non-salariés tendent à devenir plus souvent inactifs qu à (re)devenir salariés et également plus souvent et plus rapidement inactifs que les salariés eux-mêmes en pareil cas». Il faudrait pouvoir étudier séparément indépendants «traditionnels» et «nouveaux» indépendants Il est probable que les résultats sur un état de santé équivalent quel que soit le statut concernent finalement surtout «le noyau traditionnel» d indépendants (Inserm, 2011), qu une étude de la Dares (Bahu et al., 2010) reliant trajectoire professionnelle et santé, a nommé les «stationnaires indépendants», dont «l état de santé perçu est proche de la moyenne, à caractéristiques comparables» (Bahu et al., 2010). Mais il faudrait étudier aussi l état de santé des indépendants dont le parcours a été plus instable, ou encore dont l accession à ce statut est récent et s est fait par obligation. 5 C est peut-être pour cela que certaines études, qui ne sont pas basées sur un échantillon représentatif des populations de salariés et d indépendants, peuvent parfois même conclure à une meilleure santé des salariés : par exemple, d après Dolinsky et Caputo (2003), la santé des indépendantes est moins bonne que celle des salariées (et ce sont les chômeuses qui s en sortent le moins bien). 10

1.3. Des non-salariés plus stressés mais aussi plus satisfaits de leur travail Les non-salariés plus «stressés»? «Le "sentiment de stress" des indépendants est d après certaines enquêtes plus élevé que celui des salariés (EASHW, 2009) : «les scores de "bien-être" des indépendants sont plus bas que ceux des salariés». Dans l enquête européenne sur les conditions de travail réalisée en 2005 (Eurofound, 2007), 43 % des indépendants considéraient que leur travail a un impact négatif sur leur santé, et 26 % citent le stress parmi les symptômes ressentis de cet impact» (Inserm, 2011). C est également la conclusion de Bradley et al. (2004). «Plusieurs études attestent de l existence de stress, ou de la perception d un stress plus élevé chez les indépendants (Lewin-Epstein et Yuchtman-Yaar, 1991 ; Jamal, 1997 ; Piotet et Lattès, 1998 ; Dolinsky et Caputo, 2003). Dès 1991, sur un échantillon d hommes de 25-65 ans, Lewin- Epstein et Yuchtman-Yaar (1991) montrent que, à caractéristiques démographiques comparables, le fait d être travailleur indépendant augmente la perception du stress au travail. Toutefois, le stress perçu diminue dans un environnement plus favorable à la fois physiquement et socialement. L association de ce stress et de problèmes psychosomatiques est également évoquée (Jamal, 1997), prenant la forme de perte d appétit, d incapacité à se relaxer ou de nervosité (Jamal et Badawi, 1995). Les avocats semblent soumis à un stress professionnel important et ils sont une population particulièrement à risque de développer une souffrance psychologique (Rouillon et coll., 2003 ; Tsai et coll., 2009). Au-delà du stress, Jamal (2007) relève que les indépendants souffrent plus souvent de burnout pour 2 des 3 composantes de ce syndrome ( ) : l épuisement émotionnel et la diminution du sentiment de réalisation de soi» (Inserm, 2011). Il est à noter que si de nombreuses études attestent cette plus grande prévalence du stress chez les non-salariés, la littérature de gestion parle pourtant du «déni du stress» des dirigeants (qui, il est vrai, ne représentent pas tous les non-salariés). Leurs arguments sont de type culturels : «nous savions par la littérature scientifique comme par notre expérience combien les dirigeants répugnent à parler de stress en ce qui les concerne : le stress est caché, voire tabou 6. Il semble culturellement très difficile pour eux de se déclarer "stressés". Quand il n y a pas déni absolu de son stress et de celui de ses plus proches collaborateurs de la part du dirigeant, nos entretiens montrent dans la majorité des cas, une sous-estimation ou une méconnaissance du stress et de ses conséquences 7» (Roussillon, 2006). Il y a plusieurs façons de lever ce paradoxe (entre un stress plus présent mais moins perçu) : les réponses à une enquête statistique reflètent peut-être mieux le véritable ressenti des dirigeants que des entretiens (même si la notion de biais de désirabilité sociale existe aussi en statistiques) ; ou alors, même si ces réponses indiquent un stress élevé, elles sous-estiment quand même la réalité ; ou encore, le terme de «stress» est mal adapté et ne signifie pas la même chose d une enquête à l autre et d un contexte à l autre. En tout état de cause, cela confirme que l optique de la recherche des expositions à des facteurs psychosociaux de risque, plutôt que d une problématique en termes de stress, est tout aussi bien adaptée aux non-salariés qu aux salariés, pour lesquels le Collège a déjà fait ce choix (cf. le rapport p. 56). Les non-salariés plus satisfaits au travail? Pourtant, les indépendants se déclarent également plus satisfaits au travail. «Dans le même temps, le degré de satisfaction au travail des indépendants est plutôt plus élevé. Une étude à partir 6 Cf. Cora (2003) 7 Cf. Cooper (1988) 11

des enquêtes ISSP (Programme international d enquêtes sociales) montre que les indépendants sont significativement plus satisfaits de leur travail que les autres, mais aussi que ce statut est plutôt envié (Clark, 2009)» (Inserm, 2011). Le rapport d expertise de l Inserm reprend la façon dont Clark (2009) lève cette contradiction : «en devenant indépendants les salariés gagneraient peut-être en termes de satisfaction au travail (work satisfaction), mais la prise de décisions, plus fréquente quand on est indépendant, serait aussi associée à une diminution de la satisfaction par rapport à sa vie en général (life satisfaction)» (Inserm, 2011). Dès lors, de la même façon qu il est plus intéressant de s intéresser aux facteurs de risque qu à ses manifestations en termes de stress, il est plus intéressant de rechercher comment se bâtit la satisfaction au travail des non-salariés et des salariés. «Dans l enquête "Bonheur et Travail", à la question "Finalement, dans votre travail, qu est-ce qui l emporte? Les motifs de satisfaction, les motifs d insatisfaction, les uns et les autres s équilibrent à peu près?", 49 % des femmes et 51 % des hommes pensent que les motifs de satisfaction l emportent (Baudelot et coll., 2003). Les professions non-salariées se trouvent aux deux extrêmes de cette échelle de satisfaction : parmi les chefs d entreprise, ce sont 100 % des femmes et 75 % des hommes qui sont satisfaits, ce qui les situe au sommet tandis que les agriculteurs exploitants sont plutôt en bas de l échelle avec 29 %de femmes et 38 % d hommes pour qui les motifs de satisfaction l emportent. Artisans et commerçants sont dans une position intermédiaire avec à peu près une moitié de satisfaits» (Inserm, 2011). «Mais "leurs critères de jugement (ceux des professions indépendantes) différent profondément de ceux des salariés. La transmission du capital économique, du métier et du statut d indépendant est le principal argument développé à l appui d une réponse positive. Dans le registre psychologique, la liberté est, avec le plaisir du travail, un élément qu ils mettent particulièrement en avant"» (Inserm, 2011). Ces éléments confortent donc la démarche consistant à mesurer les facteurs psychosociaux de risque (selon la démarche générale du Collège). 12

2. Adaptation aux non-salariés des modèles théoriques liant travail et santé Le rapport du Collège rappelle (p. 24) que «c est à travers des approches de type épidémiologique que sont développés les grands modèles de référence dans l analyse des liens entre travail et santé : le modèle exigences-maîtrise-soutien 8 de Karasek (Karasek, 1979 ; Karasek et Theorell, 1990), le modèle d équilibre effort-récompense de Siegrist (Siegrist, 1996), le modèle de la justice organisationnelle (Greenberg, 1987 ; Moorman, 1991). Ces modèles visent à décrire l organisation du travail, telle que la perçoivent les travailleurs». Quelle que soit la pertinence des modèles, on sait déjà que s ils sont bâtis pour les salariés, alors ils ne reflètent pas tous les critères pertinents pour les indépendants. 2.1 Modèle de Karasek Le modèle de Karasek repère des situations de tension dans le travail dont la validité prédictive sur la santé a été largement attestée : situations de «job strain» (exigences psychologiques élevées et autonomie faible) et, dans le modèle de Karasek-Theorell, «d iso strain» (exigences psychologiques élevées, autonomie faible et soutien social faible). Le modèle de Karasek est (peut-être) mal adapté aux indépendants traditionnels, mais pertinent pour les «faux» ou «nouveaux» indépendants D après l Inserm (p. 67), «l extrapolation des résultats obtenus pour les cadres aux nonsalariés conduit à supposer une faible prévalence du job strain chez les non-salariés, essentiellement du fait d une plus grande latitude décisionnelle. Une étude australienne aboutit d ailleurs à ce résultat attendu en montrant une prévalence plus de deux fois moindre du job strain chez les indépendants : 9 % des femmes et 10 % des hommes indépendants sont en situation de job strain contre 28 % des femmes salariées et 21 % des hommes salariés (Keegel et coll., 2009)». Algava et al. (2009) confirment d ailleurs qu «une lecture à l aide de la grille de Karasek pourrait conduire à considérer les non-salariés dans une situation de travail "détendu", du fait d exigences du travail relativement faibles (concernant, du moins, la pression temporelle) et d une forte latitude décisionnelle». Le modèle n aurait donc aucun intérêt pour les non-salariés : si l autonomie est (selon l expression du rapport d expertise de l Inserm) «consubstantielle à leur statut», alors le modèle dénie par définition toute possibilité aux non-salariés que le travail détériore leur santé. Or, outre que l on sait que les non-salariés se déclarent «stressés» par leur travail, au moins deux séries d arguments peuvent conserver de l intérêt à une formalisation en termes de demande / autonomie : La latitude décisionnelle des non-salariés n est pas la même pour toutes les catégories (elle n a certainement pas le même sens pour les indépendants et les employeurs), elle est limitée par les règles administratives (Bernon, 2011) et les contraintes de l environnement économique 9. D ailleurs, l étude statistique d Algava (Dares 2009) montre bien que si la fraction de non-salariés concernés par les différents indicateurs de manque de «marges de 8 «Il est usuel de parler, par anglicisme, de «demande» et de «contrôle» plutôt que d exigences et de maîtrise.» 9 Ces aspects seront développés plus loin au sujet de l axe 3. 13

manœuvre» est toujours inférieure à celle des salariés, elle n est jamais négligeable pour autant. Ensuite, les «faux» ou «nouveaux» indépendants sont justement caractérisés par le fait qu ils ne bénéficient pas de l autonomie à laquelle leur statut devrait pourtant les mener. Il faut donc imaginer des questions adaptant ou complétant le modèle de Karasek, plutôt que ne pas l utiliser pour les non-salariés. Par exemple, il faut inclure des questions sur les sources de contraintes spécifiques qui peuvent peser sur des indépendants, à savoir les liens avec des entreprises donneuses d ordre. La dimension du «soutien social» fait partie des facteurs importants pour les non-salariés. La troisième dimension du modèle de Karasek-Theorell, celle du soutien social, dont le défaut majore les effets sur la santé des situations de «job strain», concerne tout à fait les non-salariés, dont l absence de collègues ne signifie pas qu ils soient isolés : certains sont employeurs ou travaillent avec un aidant familial ; et surtout, tous peuvent se regrouper dans des organisations ou des réseaux auprès desquels ils peuvent trouver, ou pas, un soutien. Cela sera étudié dans l axe 4. Cela dit, il manque des facteurs de risque importants. Comme pour les salariés, le modèle de Karasek-Theorell ne rend pas compte de tous les facteurs psychosociaux de risque pour la santé au travail. Par exemple, d après Algava et al. (2009), «le modèle de Karasek n est pas totalement approprié pour les non-salariés car il n évoque pas la dimension de l emprise du travail, qui affecte beaucoup plus fréquemment cette population», i.e. les longues heures travaillées. D autres facteurs, tels que les formes spécifiques de reconnaissance recherchées auprès des clients, l insécurité économique ou les liens avec l administration, sont également absents du modèle de Karasek. 2.2 Modèle de Siegrist : déséquilibre entre efforts et récompense D après le modèle de Siegrist, «le travailleur attend une récompense, matérielle ou symbolique, en échange de son effort : l absence de récompense ou des récompenses insuffisantes sont génératrices d émotions négatives et de stress durable, tandis qu une récompense en rapport avec l effort fourni est créatrice de bien-être et de santé (Siegrist, 2000)» (rapport du Collège, p. 33). «Siegrist a également introduit dans son questionnaire des questions permettant de repérer une dimension supplémentaire : le surinvestissement ("overcommitment"). Il estime en effet que trois raisons peuvent expliquer que des salariés acceptent un déséquilibre, à leur détriment, entre effort et récompense : l absence d alternative ; un comportement d investissement motivé par l espoir de gains futurs ; le surinvestissement dans le travail» (rapport du Collège, p. 33). Le déséquilibre entre efforts et récompense a-t-il un sens pour des non-salariés? Certainement. Lors de son audition devant le Collège, Johannes Siegrist a mentionné une étude publiée en 2005 (Ertel et al., 2005) sur les travailleurs en free-lance dans les médias. Elle concluait que leur exposition à des facteurs psychosociaux de risques, exprimés en termes de déséquilibre entre efforts et récompense (cette dernière étant prise en compte sous ses différents aspects : monétaire, estime de soi, perspectives de carrière, sécurité de l emploi) avait bien des conséquences sur leur santé (mesurée par un ressenti subjectif). Elle permettait également de vérifier que le modèle s applique même pour des travailleurs dont le contrat de travail est d un type récent et «nonstandard». 14

Mais le rapport d expertise collective de l Inserm émet l hypothèse qu ils «seraient plutôt moins touchés que les salariés, toutes choses égales par ailleurs, par le déséquilibre décrit dans le modèle de Siegrist (meilleures rémunérations, sens et valeurs fortes du travail). Par exemple, les infirmières et médecins libéraux sont un peu moins nombreux que leurs confrères salariés à déclarer vivre des tensions avec le public (source Enquête conditions de travail 1991, dans Hamon-Cholet, 1998)» (Inserm, 2011). Ainsi, le rapport d expertise collective de l Inserm remarque que «les trois catégories principales de non-salariés (commerçants, artisans et chefs d entreprise)» «consentent des efforts importants pour leur activité professionnelle mais peuvent en retirer des bénéfices conséquents (au sens du modèle de Siegrist), sinon monétaires mais en termes de reconnaissance de la part de la clientèle» (Inserm, 2011). De même, dans sa communication incluse dans le rapport d expertise collective de l Inserm, J. Bernon (2011) affirme (au sujet des chefs d entreprise) que «sans doute la reconnaissance recherchée s enracine moins dans le pécuniaire ou le statut que dans l estime portée à la défense de son entreprise et au déploiement des efforts pour en assurer la survie. C est d une reconnaissance symbolique dont ces chefs d entreprise ont besoin» (Inserm, 2011). Le modèle resterait donc pertinent pour les non-salariés, même s il faudrait adapter le questionnement sur les «récompenses» recherchées par les non-salariés, et vérifier ces intuitions selon lesquelles les «récompenses» recherchées ne seraient pas de la même nature chez salariés et non-salariés. En outre, il faudrait distinguer entre non-salariés «traditionnels» et «nouveaux» ou «faux» non-salariés : pour ces derniers, en situation précaire, la recherche d une reconnaissance pécuniaire n a pas de raisons d être au second plan. 2.3 Modèles de «justice organisationnelle» A priori, les modèles émergents autour de la justice organisationnelle, qui «montrent le lien entre sentiment d injustice et dégradation de l état de santé (Kivimäki et coll., 2007)» (Inserm, 2011) ne peuvent être transposés aux indépendants, «qu il s agisse de la notion de justice relationnelle (le traitement équitable par le supérieur hiérarchique) ou de celle de justice procédurale (cohérence et transparence des décisions)», puisque les indépendants n ont pas de hiérarchie. Néanmoins, de la même façon que pour le soutien social, certains aspects peuvent être transposés aux indépendants, si l on tient compte des réseaux dans lesquels ils choisissent, ou pas, de s inscrire. Les rapports avec l administration (sur lesquels nous reviendrons au sujet de l autonomie des non-salariés, p. 31) pourraient également être considérés comme des rapports de nature partiellement hiérarchique, susceptibles de générer des sentiments d injustice. 2.4. Modèle des «stresseurs de rôle» Définition La psychologie sociale et la gestion mettent en avant les modèles de «stresseurs de rôles». D après le rapport d expertise collective de l Inserm (2011), les stresseurs de rôle sont constitués des conflits de rôle et de l ambiguïté de rôles, les deux étant générateurs de stress chez les salariés et les indépendants. 15

«La théorie des rôles (Merton, 1957) distingue les sources de stress que sont l ambiguïté de rôles, le conflit de rôles, et la surcharge de rôles (Burke, 1988 ; Cooke and Rousseau, 1984 ; Katz and Kahn, 1978 ; voir la revue de Van Sell et al., 1981)» 10 (Buttner, 1992). «Il y a conflit de rôles lorsqu une personne fait l objet d attentes ou d exigences incompatibles ou contradictoires entre elles (ou avec les valeurs de l individu)» (Inserm, 2011). Eager et Maritz (2011) reprennent Kahn et al. (1964), qui ont identifié le conflit de rôles comme une situation de stress spécifique aux entrepreneurs ; il s agit essentiellement de la tension entre la vie personnelle et la carrière (Stoner et al., 1990). «Il y a ambiguïté de rôles lorsque les informations concernant les attentes ou exigences liées au poste occupé ne sont pas assez explicites pour que la personne puisse effectuer correctement son travail. Les conflits de rôles et l ambiguïté de rôles sont dénommés "stresseurs de rôles"» (Inserm, 2011). Eager et Maritz (2011) décrivent également le conflit entre attentes et réalité, i.e. entre ce à quoi s attend un jeune créateur d entreprise qui a une image de l entrepreneur comme «super-héros» (Karp, 2006), et la réalité. Ce type de conflit est peut-être plus fréquent dans les pays anglo-saxons qu en France. Buttner (1992) ajoute la surcharge de rôles : «l entrepreneur doit être vendeur, négociateur, gestionnaire de fonds, arbitre en cas de conflit, "tampon" entre l organisation et l environnement. Ces exigences redondantes peuvent mener à la surcharge de rôles» 11. De fait, de nombreuses études mettent en évidence la surcharge des rôles joués par les indépendants : Lapeyre et al. (2007) montrent que les médecins généralistes libéraux jonglent entre l exigence de rentabilité, la qualité du travail, les attentes de la clientèle, les situations d urgence et la gestion d un cabinet au quotidien. Dans sa communication incluse dans le rapport d expertise collective de l Inserm (2011), Dejours met également en avant une problématique spécifique aux indépendants, celle de la surcharge naissant des «contradictions de rationalité», elles-mêmes liées à la multiplicité des tâches à accomplir : «tâches commerciales (réseau, contacts, suivi, marketing, démarchage...) ; tâches administratives et comptables, voire juridiques et fiscales ; tâches de production ; tâche de formation-information» (Inserm, 2011). Buttner (1992) ajoute enfin la pression des responsabilités : «La pression des responsabilités est la résultante du fait de devoir prendre des décisions difficiles et risquées, dont les conséquences sont susceptibles d avoir un impact significatif sur le bien-être de l entreprise. La pression des responsabilités génère des niveaux de stress élevés (House et al., 1979)» 12. Les stresseurs de rôles sont des facteurs psychosociaux de risque Des études ont montré que les stresseurs de rôle sont des facteurs psychosociaux de risque pour les indépendants : «Ainsi, une étude menée auprès d entrepreneurs suédois montre que les stresseurs de rôles, déterminés à la fois par le degré de complexité de la tâche, l environnement (notamment concurrentiel) et la personnalité de ces entrepreneurs, sont prédictifs d un faible niveau de récompenses perçues (satisfaction au travail, performance perçue) et de tendances dépressives (Wincent et Örtqvist, 2009) (figure 3.3). Une autre étude auprès d entrepreneurs suédois, cette fois-ci longitudinale, porte sur le lien entre les stresseurs de rôles et l intention d abandonner son activité, médiée par les sentiments 10 «Role theory (Merton, 1957) identifies role ambiguity, role conflict, and role overload as stress sources (Burke, 1988; Cooke and Rousseau, 1984; Katz and Kahn, 1978; see Van Sell et al., 1981 for a review)» (Buttner, 1992). Traduction ad hoc. 11 «The entrepreneur must be a salesperson, negotiator, money manager, dispute settler, boundary spanner, etc. These overlapping demands may lead to role overload». Traduction ad hoc. 12 «Responsibility pressure comes from having to make difficult, risky decisions where the outcome could have a significant impact on the welfare of the firm. Responsibility pressure leads to high levels of stress (House et al., 1979)». Traduction ad hoc. 16

d épuisement émotionnel et de compensation des efforts 13 (Wincent et coll., 2008). En plus du conflit de rôles et de l ambiguïté de rôles, les auteurs introduisent la surcharge du rôle (sentiment de débordement). L ambiguïté et la surcharge du rôle sont prédictives de l épuisement émotionnel et de la perception d absence de compensation des efforts. L épuisement émotionnel est à son tour prédictif de l intention de cesser son activité aux temps T1 et T2 (deux ans après). La non compensation des efforts est faiblement prédictive de l intention de quitter son activité au temps T1 mais sa valeur prédictive augmente au temps T2. Les effets directs des stresseurs de rôles sur l intention de cesser son activité sont marginaux (figure 3.4)» (Inserm, 2011). Par ailleurs, d après l étude TNS-Sofres réalisée pour le Conseil supérieur de l Ordre des experts-comptables (Rivière, Talon, 2010), «les recherches de Buttner (1992) ont évoqué un stress inhérent à l activité entrepreneuriale en cherchant à savoir quels étaient les facteurs distinctifs de la création d entreprise qui provoquaient du stress chez l entrepreneur. Un des résultats principaux est que la surcharge des rôles endossés par l entrepreneur était l une des causes majeures de son stress» (Gharbi, 2012). 2.5. Une première synthèse : des facteurs de risque spécifiques Cette revue rapide des modèles suggère d ores et déjà que certains facteurs de risque sont propres aux indépendants ; ils seront repris en détail dans la troisième partie, mais on peut les regrouper en facteurs sans équivalent chez les salariés, et facteurs qui se présentent différemment chez les salariés et les non-salariés. Certains facteurs n ont pas d équivalent chez les salariés : La solitude (axe 3) (Gharbi, 2012), qui crée un contexte particulier qui amplifie notamment le poids des responsabilités et de la prise de décision, ainsi que les difficultés de la gestion des problèmes avec les clients difficiles (Inserm, 2011). Transmission (axe 6) : la peur de ne pas pouvoir transmettre est propre aux non-salariés (Gollac, 2008 ; rapport p. 46) ; mais il y a aussi une peur de transmettre. Chez les salariés, l équivalent serait le fait de transmettre son poste, mais ce n est pas exactement de la même nature. Moindre proximité des règles de sécurité (axe 2). Relations avec l administration (axe 3 : un des aspects de la limitation de l autonomie des indépendants). Sans considérer l encadrement administratif comme un facteur de risque per se, il semble que certains indépendants perçoivent certaines règles comme un carcan, ce qui mérite d être exploré. Par ailleurs, d autres facteurs se présentent différemment chez les non-salariés et les salariés : Certains aspects de l intensité du travail (surcharge de rôles) (Inserm, 2011) et de la pression temporelle : manque de vacances, manque d activités extraprofessionnelles (Gharbi, 2012). Imbrication entre logique familiale et de l entreprise (notamment dans le cas de petite entreprise familiale ou conjugale) : axe 1, comme cas très particulier de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, propre aux indépendants (rapport p. 46). Et il y a des difficultés relationnelles spécifiques aux petites structures, qui peuvent créer les conditions 13 Quelques exemples d items : «Les profits générés par mon entreprise compensent... mes efforts / le temps que j y consacre» ; «En considérant le planning de l année dernière et, au regard de la moyenne du secteur, nos volumes de vente sont (1 = clairement au dessous de la moyenne, 7 = clairement au-dessus de la moyenne)». 17

d une violence au travail différente de la violence organisationnelle des grosses entreprises (axe 4). Insécurité économique (axe 6) : il y a une incertitude économique propre aux indépendants (revenu aléatoire ), et une responsabilité sociale vis-à-vis de ceux qu ils emploient. 2.6. Spécificités du mode d interrogation Les petites entreprises, et notamment, les indépendants, ont traditionnellement de faibles taux de réponse aux enquêtes, compte tenu de leur isolement et de leur manque de disponibilité. Or, si on veut disposer de données fiables non seulement pour les non-salariés «traditionnels» mais aussi pour les différentes catégories qui les composent, et tout particulièrement, pour les «nouveaux» ou «faux» indépendants, il faudrait au contraire disposer des données les plus fournies possibles pour cette sous-population. Il faut donc envisager un échantillon surpondérant les non-salariés. 18

3. Facteurs de risque Axe 1. Intensité du travail et temps de travail 1.1. Intensité du travail Les études statistiques mettent en évidence un travail exigeant La Dares (Algava et al., 2009) a défini l intensité du travail comme une combinaison de fortes exigences qualitatives (complexité) et quantitatives (contraintes industrielles : délais ou normes de production à respecter en une heure ou plus, travail à la chaîne ou sous la contrainte d une machine). Selon cette définition, les non-salariés sont globalement moins soumis que les salariés à de fortes exigences dans le travail. «L indicateur synthétique de fortes exigences du travail vise à mesurer le niveau général d exigences par le cumul d au moins trois critères de pression temporelle ou de contraintes de rythme parmi cinq ( ). Les exigences du travail apparaissent globalement moins fortes pour les non-salariés que pour les salariés : 19 % des non-salariés cumulent au moins trois critères contre 26 % des salariés» (Algava et al., 2009). D autres études, citées par le rapport d expertise collective de l Inserm, vont dans le même sens en recourant à des définitions différentes : «l étude australienne de Parslow et coll. (2004) avait pour objectif de comparer des salariés à des indépendants en termes d expositions psychosociales et de conséquences sanitaires. ( ) les indépendants rapportent une latitude décisionnelle supérieure et des exigences de travail plus acceptables (chez les femmes seulement). ( ) Cette étude, malgré ses limites (faibles effectifs d indépendants et nature transversale), apporte quelques éléments de connaissance pouvant alimenter ce débat» (Inserm, 2011). Toutefois, la situation n est pas homogène parmi les indépendants : «parmi les non-salariés, les écarts sont très importants entre d une part les chefs d entreprise qui semblent soumis à un fort niveau d exigences au travail et d autre part les commerçants et agriculteurs exploitants qui semblent plutôt épargnés» (Algava et al., 2009). D autres études mettent aussi en avant cette hétérogénéité au sein des indépendants : «auprès d un échantillon de travailleurs indépendants (N=2 128) en Flandres, sur la base de 8 indicateurs de qualité de vie et de contraintes au travail dans 6 secteurs professionnels différents (Bourdeaud hui, 2009), il a été établi que la fatigue psychique était particulièrement importante dans les secteurs de la construction et de la restauration. ( ) Au niveau des deux contraintes les plus souvent retrouvées, les exigences de travail et la charge émotionnelle, le secteur le plus vulnérable était la construction pour les exigences de travail et les professions libérales pour la charge émotionnelle» (Inserm, 2011). Ainsi, l Inserm cite plusieurs études sur l épuisement professionnel des médecins, qui placent la charge de travail (exigences, exigences mentales, mais aussi nombre d heures de travail) comme facteur de risque principal (Houkes et coll 2008 ; Dumesnil et coll., 2009 ; Cathébras et coll., 2004 ; Korkeila et coll., 2003 ; Kumar et coll., 2005). Mais la distinction entre médecins salariés et indépendants n est pas faite et par ailleurs, il est possible que les médecins aient un travail plutôt plus exigeant que les autres non-salariés. 19

Nature de l intensité du travail chez les non-salariés Toutefois, la mesure de l intensité du travail par des contraintes propres au travail industriel est-elle l indicateur le plus pertinent pour les indépendants? Qu est-ce que l intensité du travail pour un non-salarié? Nous avons vu que dans le cadre du modèle des stresseurs de rôle, d après Buttner (1992), la surcharge de rôles fait partie des risques inhérents au statut d entrepreneur. Dans sa communication incluse dans le rapport d expertise de l Inserm (2011), J. Bernon souligne également cet aspect, en s appuyant sur l ouvrage autobiographique de Régis Berthier (2007), chef d une petite entreprise (moins de dix salariés), en mettant en avant le fait que s il y a un absent, c est le chef d entreprise qui le remplace : «les sentiments de déception, de colère, d incompréhension, de jugements sur les personnes se bousculent avec en plus la surcharge de travail à faire en plus du sien. C est épuisant physiquement, nerveusement. S installe alors le découragement. Cette situation pose la question des effectifs, de la prévision, du lissage des activités, de la gestion des ressources humaines dans les très petites entreprises et des mutualisations ou solidarités à inventer». En outre, d après la communication de C. Dejours incluse dans le rapport d expertise de l Inserm (2011), une problématique spécifique aux indépendants est celle de la surcharge naissant des «contradictions de rationalité», elles-mêmes liées à la multiplicité des tâches à accomplir. Il propose de classer les tâches en «quatre groupes principaux» : «tâches commerciales (réseau, contacts, suivi, marketing, démarchage...) ; tâches administratives et comptables, voire juridiques et fiscales ; tâches de production ; tâche de formation-information» (Inserm, 2011). Or, «dans le travail indépendant, la multiplicité des tâches à accomplir n engendre pas seulement un problème de compétences ou de polyvalence» : «on constate qu entre ces tâches naissent aussi des contradictions de rationalité qui se situent au-delà des questions soulevées par l acquisition des compétences spécialisées». «La difficulté principale est d abord d éviter la surcharge et les pathologies de surcharge. La difficulté seconde consiste à maintenir, actualiser et accroître les connaissances et les compétences. La troisième difficulté, c est de faire l arbitrage entre les différentes tâches, à hiérarchiser les priorités, à fixer les compromis entre les exigences propres à chacune des tâches» (Dejours, 2011). Dès lors, il semble que pour les indépendants, une mesure de la polyvalence, tenant compte des contraintes d arbitrage et de hiérarchisation des priorités, revête une importance plus grande que pour les salariés. Le rapport du Collège préconise de n accorder qu une priorité 2 à la mesure de la polyvalence, mais un indicateur de cumul de rôles paraît être de priorité 1 pour les non salariés. En outre, il n y a pas de raisons pour que la surcharge des rôles épargne par nature les salariés. Ces questions pourront donc être posées à toute la population active occupée et faire l objet de comparaisons selon le statut du travailleur. 1.2. Temps de travail 1.2.1. Durée et organisation du temps de travail De longues plages de travail La longueur du temps de travail est une des caractéristiques majeures du travail indépendant, quelle que soit la catégorie concernée. D après Algava et al. (2009), «si le travail des non-salariés 20