Anesthésie et estomac plein l estomac plein en situation d urgence mais pas seulement risque d inhalation pulmonaire élevé Dr Catherine ROYER Département d anesthésie réanimation Groupe hospitalier Pitié Salpêtrière prévention +++ peu d études scientifiques mais conduite à tenir très codifiée incidence de l inhalation pulmonaire incidence probablement sous évaluée l inhalation passe souvent inaperçue inhalation certaine si : aspiration trachéobronchique de liquide gastrique inhalation probable si : - visualisation de liquide gastrique dans les VAS - épisode periopératoire d hypoxie (SpO 2 < 90 %) - avec ou sans sibilants - radio pulmonaire postopératoire évocatrice incidence de l inhalation pulmonaire Mendelson (1946) incidence = 15 / 10.000 parturientes mortalité = 0,45 / 10.000 parturientes étude de Warner et coll (1985 à 1991) incidence = 3,1 / 10.000 anesthésies mortalité = 0,14 / 10.000 anesthésies enquête SFAR INSERM (1996 et 1999) mortalité = 0,045 / 10.000 anesthésies incidence de l inhalation pulmonaire causes principales des décès d origine respiratoire totalement ou partiellement attribuables à l anesthésie incidence de l inhalation pulmonaire incidence plus élevée : - chez l enfant (x 2 ou 3) - chez les patients ASA 3 ou 4 (x 4 à 6) (d après enquête SFAR INSERM) mortalité par inhalation = 20 % de la mortalité anesthésique totale 1
inhalation morbidité : 50 % symptomatologie majeure = 30 % symptomatologie mineure = 52 % pas de signes cliniques =18 % mortalité : 3 à 5 % pneumopathies d inhalation inhalation de liquide gastrique acide stérile : pneumopathie chimique (syndrome de Mendelson), avec réaction inflammatoire, puis possible surinfection inhalation de liquide gastrique et/ou oropharyngé, le plus souvent colonisé ou infecté : pneumopathie bactérienne micro-inhalations répétées autour du ballonet de la sonde d intubation : pneumopathies acquises sous ventilation mécanique rappels physiologiques : vidange gastrique capacité de l estomac : 1000 à 1500 ml jusqu à 6 l de liquide estomac «plein» : 0,4 ml / kg ou 25 ml rappels physiologiques : vidange gastrique - évacuation des liquides : débute en quelques minutes, vitesse exponentielle liquides non caloriques : ½ vie d évacuation = 10 min liquides clairs sucrés : vidange = 90 min liquides non clairs = solides - évacuation des solides : temps de latence = 1 h profil de vidange linéaire vitesse liée à la densité calorique du repas 50 % des solides vidangés en 2 h liquides clairs : eau, thé, café, jus de fruits sans pulpe rappels physiologiques : vidange gastrique liquides non clairs : lait, jus avec pulpe, boissons gazeuses (temps pouvant être très allongés selon le terrain et le contexte +++) 2
moins de 5 % des sujets ont un estomac complètement vide après un jeûne prolongé la vacuité gastrique n est pas garantie par l augmentation de la durée du jeûne pas de différence de résidu entre jeûne classique et absorption de liquides clairs non restreinte jusqu à 2 heures avant l intervention d où recommandations actuelles en chirurgie programmée adulte jeûne de 6 heures pour les solides (repas léger) jeûne de 6 heures pour les liquides non clairs (lait, jus de fruits avec pulpe, boissons gazeuses) ni alcool, ni tabac apports de liquides clairs sucrés (jusqu à 400 ml) eau, thé et café sucrés sans lait, jus de fruits sans pulpe jusqu à 2 heures avant l intervention maintien de règles plus strictes, voire allongement de la période de jeûne pour les patients ayant un ralentissement de la vidange gastrique facteurs de risque d inhalation 3 conditions : 1. volume gastrique suffisant : > 0,4 ml / kg ou 25 ml 2. présence d un reflux gastro œsophagien pression intra gastrique > pression du sphincter inférieur de l œsophage : PIG > PSIO 3. absence de protection des VAS 1. facteurs influençant la vidange gastrique contenu du repas douleur, stress affections digestives : obstacle, hypersécrétion affections neurologiques : tétraplégie, paraplégie pathologies endocriniennes : diabète avec gastroparésie, hypothyroïdie grossesse médicaments ralentisseurs du transit : opiacés 2. présence d un RGO : PIG > P SIO 3. absence de protection des VAS PIG augmentée : post prandial toux / vomissements occlusion insufflation de gaz grossesse, diabète morphiniques avant l troubles de la conscience décurarisation incomplète au réveil PSIO diminuée : sonde gastrique hernie hiatale grossesse médicaments 3
vomissements : mécanisme actif stimulation médicamenteuse du centre du vomissement geste stimulant : ventilation manuelle au masque laryngoscopie avec anesthésie trop légère lors de la période de réveil régurgitations : phénomène passif reflux au travers du cardia dans l œsophage et le pharynx Circonstances de survenue 80 70 60 50 40 30 20 Nombre de cas 133 inhalations 10 0 Induction Entretien Extubation Réveil initial Réveil tardif Kluger et coll. Anaesthesia 1999;54:19-26 facteurs de risque d inhalation Kluger et coll. Anæsthesia 1999 1. URGENCE 2. Anesthésie trop légère 3. Pathologie abdominale aiguë ou chronique 4. Obésité 5. Morphiniques en prémédication 6. Pathologies neurologiques avec troubles de la conscience 7. Position de Tredelenburg 8. Intubation difficile (avec ventilation au masque prolongée) 9. RGO 10. Hernie hiatale mais aussi : grossesse : 14 ème SA, jusqu au 8 ème jour post partum diabète avec gastroparésie stress, syndrome douloureux intense traumatologie, alcool jeûne non respecté pathologie œsophagienne (cancer, diverticule, achalasie) anneau gastrique consultation d anesthésie facteurs de risque d inhalation signes prédictifs d intubation difficile anneau gastrique diverticule achalasie signes prédictifs de ventilation difficile signes prédictifs de NVPO 4
prémédication prémédication objectifs : diminuer l acidité et le volume gastrique diminuer les conséquences d une éventuelle inhalation la période postopératoire doit être couverte antiacides : tamponne le ph acide (ph augmente de 3 à 5) 30 ml de citrate de sodium 0,3 M : délai d action de 5 à 15 minutes, durée d action de 2 à 3 heures association anti H2 + citrate de sodium - cimétidine effervescente : 400 mg - ranitidine effervescente : 600 mg molécule idéale en urgence recommandé en particulier chez la femme enceinte antagoniste des récepteurs H2 : diminue la sécrétion d acide gastrique délai d action 30 minutes, durée 4 à 6 heures prémédication type d anesthésie inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : efficace en 4 heures : donc pas en urgence prokinétiques gastriques métoclopramide dropéridol augmentent la motilité gastrique et le tonus du SIO non recommandés car efficacité non prouvée préférer si elle est possible l anesthésie locorégionale orthopédie césarienne pas de sédation associée érythromycine : accélère la vidange gastrique 200 mg IVL en 1 h à la SE procédure spécifique : séquence rapide au moins deux personnes à vérifier avant l : mobilité de la table aspiration fonctionnelle voies veineuses fonctionnelles aspiration gastrique avant controversée diminue le volume gastrique mais ne garantit pas la vacuité de l estomac (solides) à retirer au moment de l car elle maintient la perméabilité du SIO 5
La séquence d rapide Pré O 2 (3 min) FeO 2 > 90 % Thiopental T 0 Perte de conscience Suxa T 0 + 30 sec 10 N 30 N Laryngoscopie T 0 + 90 sec Manœuvre de Sellick Intubation Ballonnet gonflé 3 capnogrammes T 0 + 150 sec séquence d rapide ventilation interdite risque de surpression gastrique et donc de régurgitation autorisée en cas de désaturation préoxygénation pour FeO2 > 90% +++ : préoxygénation FiO 2 = 1 si extrême urgence 4 inspirations mobilisant la CV sinon 3 minutes au masque étanche monitorage : - FeCO 2 (étanchéité) - FeO 2 (> 90 %) - Vt manoeuvre de Sellick prévenir le patient compression de l œsophage contre le rachis cervical pression sur le cartilage cricoïde avant l et jusqu à la vérification de la sonde d intubation de 10N avant l de 30N à la perte de conscience la pression doit être suffisante pour engendrer une douleur à la racine du nez technique de «la seringue» : - 10 N = repère 40 ml - 20 N = repère 38 ml - 30 N = repère 33 ml 6
contre-indications : traumatisme du rachis cervical traumatisme laryngé vomissements actifs corps étranger des VAS trachéostomie diverticule pharyngé en cas d intubation difficile : maintenir le Sellick, en diminuant éventuellement la pression mobiliser le larynx si désaturation : ventiler avec PI basses si vomissements : arrêt du Sellick (risque de rupture œsophagienne) technique controversée n a pas fait la preuve de son efficacité souvent mal réalisée (majoration du risque de complication) nécessite un apprentissage peut augmenter les difficultés d intubation (nourrisson) pas toujours efficace (alignement cartilage cricoïde et oesophage) recommandée par les sociétés savantes : agents de l anesthésie : agents de l anesthésie hypnotique : recherche d un délai le plus court possible entre la perte de conscience et la protection des voies aériennes délai d action court : thiopental, propofol, hypnomidate thiopental : hypnotique de référence (5 à 7 mg/kg) morphinique??? - effet émétisant des morphiniques - mais réduction des réactions hémodynamiques à l intubation - amélioration des conditions d intubation en pratique : contre indiqués en cas d estomac plein si instabilité hémodynamique hypnomidate : 0,3 mg/kg kétamine : 2 à 3 mg/kg 7
: agents de l anesthésie curare : objectifs : délai d action court durée d action brève (reprise VS) bonnes conditions d intubation suxamethonium : 1 mg/kg seul curare ayant toutes ces qualités recommandé par les conférences de consensus sur la curarisation et l intubation contre indications au suxamethonium : allergie hyperkaliémie hyperthermie maligne atteinte neurologique : paraplégie, hémiplégie maladies neuromusculaires déficit en pseudochlolinestérases : agents de l anesthésie alternative : curare non dépolarisant de court délai d action rocuronium 1 à 1,2 mg/kg curarisation en moins de 1 minute durée d action prolongée 50 à 60 minutes indiqué si CI absolue au suxamethonium sugammadex (Bridion ) si besoin d une réversibilité immédiate contrôle des VAS = pas d alternative en cas d intubation difficile prévue : fibroscopie vigile avec AL non prévue : mandrin long masque laryngé Fastrack ventilation en maintenant le Sellick avec PI basses vérification de l intubation (capnogrammes, auscultation) puis relâchement du Sellick vidange gastrique poursuivre l : morphinique ± curare non dépolarisant La séquence d rapide Pré O 2 (3 min) FeO 2 > 90 % Thiopental T 0 Perte de conscience Suxa T 0 + 30 sec 10 N 30 N Laryngoscopie T 0 + 90 sec Manœuvre de Sellick Intubation Ballonnet gonflé 3 capnogrammes T 0 + 150 sec 8
période à risque d inhalation extubation donc au réveil complet après décurarisation confirmée par train de quatre T4/T1 > 90% retour des réflexes de déglutition protection des VAS en cas d inhalation le traitement dépend de la gravité du tableau facteurs de gravité : débris solides, ph, volume ventilation/ oxygénothérapie adaptées : Peep, VNI, réintubation fibroscopie bronchique en cas d inhalation de solides antibiothérapie : non systématique, selon la gravité conclusion situation à risque mais fréquente technique nécessitant un apprentissage à maîtriser absolument pas de preuve scientifique de l efficacité de la séquence rapide car étude trop risquée recommandations = séquence rapide 9