Caractéristiques évolutives des CIVD au cours de la grossesse, du sepsis, des traumatismes graves, et de l insuffisance hépatique

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Réanimation 2002 ; 11 : 618-28 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1624069302003092/FLA COMMUNICATION DES EXPERTS Caractéristiques évolutives des CIVD au cours de la grossesse, du sepsis, des traumatismes graves, et de l insuffisance hépatique Y. Ozier* Service d anesthésie-réanimation chirurgicale, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, F-75679 Paris cedex 14, France Résumé Les caractéristiques évolutives des CIVD aiguës dépendent de la maladie causale. Celles du sepsis sont les mieux connues grâce àdes modèles expérimentaux pertinents permettant d étudier la genèse et la dynamique des anomalies de la coagulation et de la fibrinolyse, et aux études cliniques de qualité effectuées. En dehors des formes fulminantes, les complications hémorragiques ne sont pas au premier plan, et le désordre dominant est un déséquilibre de la balance coagulolytique caractérisé par une inhibition précoce de la fibrinolyse. De nombreux arguments concordent pour faire jouer àla CIVD un rôle déterminant dans la survenue de défaillances viscérales et l évolution fatale. Moins bien étudiée, la CIVD observée au cours des traumatismes multiples présente de nombreuses analogies avec la CIVD du sepsis, notamment par l existence d une fibrinolyse inadaptée àl activation de la coagulation. Formant un cadre hétérogène, les pathologies obstétricales s accompagnent fréquemment d une CIVD dont l évolution, àl exception de l embolie amniotique, est habituellement spontanément et rapidement favorable après interruption de la grossesse et évacuation utérine. Son rôle dans les hémorragies du péripartum apparaît au second plan derrière les facteurs mécaniques d hémorragie. Au cours de l insuffisance hépatique, de multiples facteurs interviennent dans les altérations de l hémostase et font écran au diagnostic de CIVD. S il semble acquis que l insuffisance hépatique grave s accompagne d une activation latente de la coagulation et de la fibrinolyse, elle n apparaît pas être une composante majeure des désordres de la coagulation et il n y a pas de preuve d un rôle pronostique déterminant. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS coagulation intravasculaire disséminée / choc septique / choc traumatique / insuffisance hépatique / grossesse compliquée Summary Evolutive features of DIC during pregnancy, trauma and liver failure. The course of DIC varies according to the underlying disease in critically ill patients. Changes in coagulation and fibrinolysis have been extensively studied in sepsis. Experimental models and well-conducted clinical studies have provided valuable informations on the dynamic process of DIC. Except in fulminant forms, bleeding complications are unusual. The predominant finding is an imbalance between coagulation activation and reduced fibrinolysis. Numerous arguments favor the concept of an inappropriate fibrinolysis which is a likely determinant of intravascular fibrin deposition, organ failure and death. Available data indicate that this concept may be applied to post-trauma DIC. In obstetric complications, DIC is frequent but, as a general feature, the outcome depends on the successful management of the triggering mechanism rather than on the correction of coagulation disorders. In severe liver failure, multiple *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : yves.ozier@cch.ap-hop-paris.fr (Y. Ozier).

Caractéristiques des CIVD selon la cause 619 coagulopathies make it difficult to identify defects related to DIC. Accelerated coagulation and fibrinolysis have been recognized, but there is no convincing evidence that DIC is a major component of coagulation disorders associated with liver failure and that it plays a leading role in outcome. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS disseminated intravascular coagulation / sepsis / traumatic shock / liver failure / pregnancy INTRODUCTION Les maladies traitées en milieu de réanimation et susceptibles de s accompagner d une CIVD aiguë sont nombreuses, dominées par l infection bactérienne grave, les traumatismes multiples, les pathologies obstétricales et la défaillance hépatique. La grande hétérogénéité d expression clinique de la CIVD au cours de ces pathologies conduit à s interroger sur les caractéristiques évolutives propres de ce processus morbide secondaire [1]. L objet de cette contribution est de distinguer selon l étiologie : les facteurs déclenchant l activation de la fibrinoformation et ceux participant à son extinction ; l expression clinique ; la signification pronostique de la CIVD et son rôle dans l évolution de la maladie. Le champ de la CIVD du sepsis a donné lieu à de nombreuses investigations. Les connaissances acquises dans ce domaine sont étendues et ont contribué àla compréhension de la CIVD en général. Elle a fait l objet de plusieurs revues générales et seules les caractéristiques générales sont rappelées ici. C est à la lumière des informations disponibles sur la CIVD du sepsis que seront examinées les autres cas de figure. LA CIVD DU SEPSIS L infection sévère est la cause principale des CIVD aiguës. Seules sont envisagées ici celles liées aux infections bactériennes, bien que des infections virales, parasitaires ou fungiques puissent en être compliquées. L infection à bacille à Gram négatif est la cause la mieux documentée, mais les infections liées à d autres variétés sont connues pour induire des CIVD. D une façon générale, les manifestations hémorragiques sont considérées comme peu fréquentes. Dans une étude japonaise portant sur une cohorte de malades ayant une CIVD, elles sont observées dans 15,4 % des cas d infection, alors qu elles sont notées constamment en cas de pathologie obstétricale, et une fois sur deux en cas d hémopathie maligne ou de défaillance hépatique [1]. Le purpura fulminans des méningococcémies, avec ses manifestations thrombotiques et hémorragiques, peut être considéré comme le paradigme de la CIVD. L incidence de la CIVD accompagnant les états infectieux varie selon la gravité de l infection et les critères de défininition de la CIVD. Elle varie de 7,5 à 49 % dans quelques grands essais cliniques de la dernière décennie. L amplitude des anomalies de la coagulation est d autant plus importante que l infection s accompagne d un choc, de dysfonctions d organes et du décès [2, 3]. Une étude prospective récente a comparé trois groupes de patients (sepsis, sepsis sévère et choc septique) quant aux tests conventionnels globaux de la coagulation (TQ, TCA), aux taux des différents facteurs de la coagulation, aux marqueurs biologiques d activation de la coagulation (F1+2, FPA, complexes T-AT), à la numération et aux marqueurs d activation des plaquettes (β-tg, FP4). L étude montre que les F1+2, FPA, complexes T-AT sont en moyenne anormalement élevés au stade de sepsis, l élévation étant significativement plus importante en cas de sepsis sévère ou de choc septique. La baisse des facteurs de coagulation (VIII et XI exceptés) et des plaquettes, et l allongement des tests globaux ne devient patente qu au stade de choc septique. Ainsi, un tableau franc de CIVD n est observé que dans les formes sévères, mais la coagulation est activée dèsqu il y a infection. La dynamique précoce des altérations de la coagulation et de la fibrinolyse chez le malade septique a été documentée chez le sujet neutropénique [4]. De plus, un grand nombre d informations sur leurs mécanismes physiopathologiques et leurs relations avec le processus inflammatoire ont été apportées il y a une dizaine d années par des situations expérimentales mimant l infection clinique (études d injection d endotoxine ou de médiateurs chez le volontaire sain, modèles expérimentaux de choc endotoxinique chez les primates). Ces études ont montré que les marqueurs biochimiques d une activation de la coagulation (F1+2, FPA, complexes T-AT) s élèvent rapidement après une injection d endotoxine ou de TNF-alpha [5]. Le rôle clé de ce médiateur dans l activation de la coagulation a été souligné par des expériences montrant que la coagulation n est pas activée par injection d endotoxine si sa synthèse est inhibée chez le primate [6]. Par ailleurs, le rôle joué par le FT et la voie extrinsèque de la coagulation a également été mis en évidence. Le blocage de cette voie par des anticorps monoclonaux dirigés contre le FVII activé ou le FT inhibe la génération de thrombine dans des modèles de choc bactériémique ou endotoxinique chez le primate [7, 8]. L origine du FT est encore mal établie et n est peut-être pas univoque. Rappelons qu une activité très importante de FT est exprimée par les monocytes circulants d enfants ayant

620 Y. Ozier une méningococcémie [9] et que, in vitro, le TNFalpha induit cette expression [10]. Si des marqueurs de l activation du système contact tendent àêtre élevés, des arguments expérimentaux laissent penser que ce système n est pas impliqué dans l activation de la coagulation [11], même s il l est dans les manifestations circulatoires du sepsis. L activité des inhibiteurs naturels de la coagulation s abaisse rapidement. Celle de l antithrombine (AT) décline précocement [4]. Il est bien établi qu au cours des chocs septiques, le taux d AT est un bon marqueur pronostique [4, 12]. L activité de la protéine C (PC) est également diminuée [13, 14]. Une signification pronostique des valeurs initiales de PC a été trouvée dans certaines études [12], mais pas toutes [2]. En cas d évolution favorable, l activité de ces inhibiteurs se normalise de façon progressive, alors qu elle reste basse en cas d évolution défavorable [12]. En revanche, l activité du TFPI n est pas diminuée en cas de sepsis ou de choc septique et tend même à l augmentation [4]. De nombreux facteurs peuvent concourir à la baisse du taux des inhibiteurs ou à leur inefficacité. Une caractéristique importante et bien établie de la CIVD du sepsis est la dynamique particulière des anomalies de la fibrinolyse qui connaît successivement une brève phase d activation, puis une phase d inhibition. Là encore, les données expérimentales obtenues chez le volontaire sain et chez les primates ont permis de les préciser. L injection d endotoxine ou de E. coli entraîne une augmentation rapide et transitoire des concentrations de t-pa ainsi que des complexes P-AP, témoins d une génération de plasmine [5, 15]. Des arguments expérimentaux font penser que cette activation est directement dépendante de médiateurs de l inflammation, notamment le TNF-alpha et peut-être l IL-1, et non de la thrombine qui a été générée. Les observations cliniques concordent avec les données expérimentales : elles montrent l existence de concentrations élevées de PDF, de complexes P-AP et, éventuellement, des concentrations basses de plasminogène et de alpha-2- antiplasmine, témoignant respectivement d une action de la plasmine sur la fibrine et le fibrinogène, de sa neutralisation et d une consommation de son précurseur et de son inhibiteur naturel [16, 17]. Cette production de plasmine est éphémère et l activité fibrinolytique décroît rapidement, une à deux heures après son essor dans les modèles expérimentaux. La diminution de l activité fibrinolytique est en relation avec l accroissement des concentrations de PAI-1. Cette augmentation est sous l influence du TNF-alpha. Des concentrations très élevées de PAI-1 ont été observées chez les malades ayant une infection sévère. En revanche, aucune activité t-pa n est détectée, contrastant avec des concentrations antigéniques élevées. La signification pronostique péjorative de concentrations élevées de PAI-1 a été établie dans de nombreuses études cliniques [16, 17]. La défaillance du système thrombomoduline-pc-ps concourt au maintien de l activitéélevée du PAI-1. L activité PAI-1 reste le plus souvent élevée en cas d évolution fatale. Dans les modèles expérimentaux, l inhibition intense et soutenue de la fibrinolyse est chronologiquement installée avant que l activation de la coagulation soit maximale. Au total, l activation de la coagulation, la faillite des systèmes anticoagulants naturels et l inhibition marquée de la lyse contribuent au déséquilibre de la balance coagulolytique vers la coagulation. Dans plusieurs études, ce déséquilibre a été quantifié par le rapport des complexes T-AT et P-AP [3, 18]. Une étude a montré que le rapport T-AT/P-AP est plus élevé en cas d évolution fatale [18]. De multiples arguments convergent pour faire jouer à la CIVD et à l inhibition de la fibrinolyse un rôle déterminant vers les défaillances viscérales multiples ultérieurement fatales. LA CIVD DES TRAUMATISMES GRAVES Les traumatismes multiples représentent la deuxième cause de CIVD aiguës. De nombreuses études de cohortes de traumatisés, notamment celles effectuées par Gando et al., montrent que des stigmates biologiques d une activation importante de la coagulation et de la fibrinolyse sont détectés dès les premières heures suivant le traumatisme [19-22]. D un point de vue téléologique, cette activation de la coagulation est perçue comme une réaction protégeant l organisme contre une exsanguination. Les dimensions de cette activation sont variables, parfois massives, justifiant le qualificatif de CIVD. Il existe un lien entre la survenue d une CIVD et la gravité du traumatisme : un diagnostic de CIVD (selon le score établi par une commission officielle du ministère japonais de la santé) est statistiquement associéàun score APACHE [19, 22] et un score de sévérité du traumatisme ISS [19] plus élevés, la nécessité plus fréquente d administrer des catécholamines [19] et une mortalité plus élevée [19, 20, 22]. L activation de la coagulation passe par la voie extrinsèque, comme en témoigne la détection précoce de FT dans le sang circulant des traumatisés graves [22, 23]. Dans ces études, le FT est mis en évidence par des méthodes immuno-chimique (ELISA) qui mesurent le FT sous plusieurs formes : active, inactive, et le FT complexé avec d autres protéines. Le FT peut avoir comme origine : une externalisation au niveau des zones traumatisées ;

Caractéristiques des CIVD selon la cause 621 une expression par certaines cellules (monocytes?) sous l influence de cytokines ; la conjonction des deux mécanismes précédents. En faveur de la première hypothèse milite la notion classique mais controversée [24] d une fréquence plus importante des CIVD en cas de contusion cérébrale. Une élévation précoce des concentrations circulantes de TNF-alpha et d IL-1-bêta a été mise en évidence chez des traumatisés [20, 25], élévation d autant plus importante que les malades ont des critères de CIVD [20]. La CIVD au cours des traumatismes graves pourrait avoir deux expressions morbides : la contribution à un saignement microvasculaire diffus à la phase initiale ; la contribution à des défaillances systémiques dans les jours suivants. Contribution à un saignement «coagulopathique» Les hémorragies incontrôlées constituent une cause majeure de décès précoce chez les polytraumatisés. À un saignement «mécanique», chirurgicalement contrôlable peut s associer un saignement «coagulopathique» dont la signification pronostique péjorative est connue. Ces saignements microvasculaires, s inscrivant dans un environnement de transfusion massive, soulèvent le problème difficile de leur étiopathogénie et de leur prise en charge thérapeutique. Les facteurs impliqués dans ces désordres de l hémostase sont multiples : la stratégie transfusionnelle actuelle supposant la substitution initiale des pertes sanguines par des concentrés érythrocytaires et des solutions dépourvues de vertus hémostatiques a pour conséquence attendue la dilution progressive des plaquettes et des facteurs de coagulation. Ce concept de coagulopathie de pertedilution est présenté comme un mécanisme essentiel de saignement microvasculaire ; les polytraumatisés sont particulièrement exposés à une déperdition thermique. Le réchauffement insuffisant des produits transfusés et des solutions d expansion volémique majore l hypothermie. L hypothermie induirait des anomalies de la fonction plaquettaire et ralentirait les réactions enzymatiques intervenant dans la coagulation. L activation incontrôlée de la coagulation pourrait abreuver la défaillance hémostatique en raison d une consommation conduisant à un déficit en divers éléments de la coagulation (thrombopénie, hypofibrinogénémie et déplétion en facteurs de la coagulation). L importance du rôle joué par un processus de CIVD dans ces saignements coagulopathiques est difficile à établir, bien que souvent évoquée [26]. L existence d une consommation de facteurs hémostatiques ressort indirectement de l incapacité d un phénomène de pertedilution à expliquer les variations des résultats des examens biologiques. Le rôle aggravant de la défaillance hémostatique joué par la défaillance circulatoire est suggéré par plusieurs études rétrospectives de cohorte [27, 28]. L insuffisance circulatoire aggraverait la CIVD en induisant une dysfonction endothéliale, une souffrance tissulaire, et en réduisant la clairance hépatique de facteurs activés de coagulation. Au total, les saignements coagulopathiques observés à la phase initiale des traumatismes graves ont une pathogénie complexe, multifactorielle. La contribution de phénomènes de consommation peut être supposée, mais son importance est impossible àétablir. Il n y a pas de preuve que, hormis le traitement substitutif de la déplétion en facteurs hémostatiques, un traitement spécifique de l activation de la coagulation ait un intérêt. La contribution aux défaillances systémiques posttraumatiques En cas de CIVD, les concentrations de FT restent élevées jusqu au quatrième jour [22]. Simultanément, alors que les valeurs des concentrations de PAI-1 tendent à se normaliser chez les traumatisés n ayant pas de CIVD, elles restent élevées chez ceux ayant une CIVD jusqu au cinquième jour [20]. Le déséquilibre entre l activité élevée du PAI-1 et celle, modérée du t-pa suggère que la réaction fibrinolytique serait insuffisante, non proportionnée à l activation soutenue de la coagulation. Les données concernant les systèmes inhibiteurs naturels de la coagulation sont en faveur d une activité insuffisante en regard de l activation de la coagulation. Une étude prospective d une cohorte de traumatisés a comparé les concentrations circulantes de TF et de TFPI (mesurées en ELISA) entre les malades ayant une CIVD et ceux n en ayant pas. Alors que les concentrations de TF sont clairement plus élevées dans le groupe ayant une CIVD (significativement de j+3 à j+4), les concentrations de TFPI ne s élèvent que modérément, sont significativement différentes des valeurs observées chez les malades n ayant pas de CIVD à j+2 et j+4, mais pas des valeurs de référence [22]. L activité de l AT est diminuée en cas de traumatisme [29, 30]. Dans une étude prospective d une cohorte de traumatisés, le taux d AT est inférieur à 80 % chez 69 % des malades [29]. Il existe peu d informations accessibles sur le système thrombomoduline-pc-ps au cours des traumatismes, mais des données cliniques japonaises et des données expérimentales laissent penser qu il est également déficient [26, 31]. Il existe un lien statistique entre un score de CIVD et l existence d un SIRS [23, 32], d un SDRA [20, 33], et d une défaillance multiviscérale [20, 32]. Les victimes

622 Y. Ozier de traumatisme qui développeront un SDRA posttraumatique ont initialement des concentrations de TF mesurées en ELISA plus élevées, une numération de plaquettes plus basse et un score de CIVD (selon les critères adoptés au Japon) plus élevé que ceux qui n en développeront pas [34]. La persistance d une activité thrombine élevée avec CIVD est en relation étroite avec un SIRS prolongé (> 3j)[32]. Ces données peuvent être interprétées comme témoignant d une activation de la coagulation avec une fibrinolyse déficiente conduisant au dépôt de microthrombi dans les vaisseaux, à une réaction inflammatoire systémique et finalement à des défaillances viscérales [26]. Les complications infectieuses étant très fréquentes en cas de traumatisme multiples, elles peuvent jouer un rôle dans ce profil présentant des analogies avec celui de la CIVD du sepsis. Néanmoins, il n existe pas actuellement de preuve qu un traitement spécifique précoce de la CIVD ait une influence favorable sur le pronostic des polytraumatisés. Une étude randomisée monocentrique des concentrés d AT ne montre pas de tendance en ce sens, mais porte sur un très faible nombre de malades [35]. Il en est de même chez les brûlés [36]. LES CIVD AU COURS DE LA GROSSESSE La grossesse s accompagne de modifications physiologiques de l hémostase allant dans le sens d une hypercoagulabilité et d une réduction de la fibrinolyse. L augmentation des facteurs VII, X, II ainsi que du complexe facteur VIII : C-von Willebrand est marquée au cours du troisième trimestre. L hypofibrinolyse apparaît surtout liée à un accroissement de la concentration des inhibiteurs de l activateur tissulaire du plasminogène [37]. Ces modifications sont perçues d un point de vue téléologique comme une adaptation pour limiter la spoliation sanguine au cours de l accouchement. En réalité, l hémostase mécanique physiologique assurée par la rétraction utérine est primordiale. Au niveau de la zone d insertion du placenta, la contraction active des fibres du myomètre enserre les vaisseaux maternels réalisant un véritable garrot physiologique («ligature vivante de Pinard»). La compression des artères spiralées limite l hémorragie intra-utérine, et la compression des sinus veineux prévient l intrusion de liquide amniotique, de débris tissulaires, d air et de «substances procoagulantes» dans la circulation maternelle. La rétraction utérine n est possible qu après évacuation complète de l utérus. Toutefois, les modifications physiologiques de l hémostase constituent une prédisposition au développement rapide d une CIVD. La CIVD est une composante fréquente d un grand nombre de pathologies obstétricales [38]. On peut arbitrairement distinguer les CIVD de bas grade, compensées, survenant antepartum au cours des dysgravidies (toxémie gravidique, rétention d œuf mort) et les CIVD aiguës survenant au cours du péripartum compliqué (hématome rétroplacentaire, embolie amniotique, et toutes causes d hémorragie du péripartum), bien qu une continuité entre ces deux situations soit fréquente. La CIVD pourrait avoir plusieurs conséquences en obstétrique. La première, illustrée par la toxémie gravidique, est l ischémie utéro-placentaire avec ses conséquences délétères pour la mère et le fœtus, notamment le décollement prématuré du placenta avec hématome rétroplacentaire (HRP), et le retard de croissance ou la mort fœtale in utero. La deuxième est un rôle aggravant d une hémorragie maternelle par le biais d une consommation de facteurs et d une défibrination aiguë. La troisième est la contribution à des défaillances systémiques maternelles en cas d accident obstétrical. Les causes de CIVD obstétricales étant multiples et la morbimortalité maternelle étant aujourd hui faible dans les pays développés [39, 40], chaque centre ne voit chaque année qu un nombre limité de formes graves. Il en résulte une grande difficultéàconduire de larges études randomisées permettant d éclaircir le jugement sur le traitement de la CIVD obstétricale. CIVD de la toxémie gravidique et de la stéatose aiguë gravidique Les études de la coagulation dans la toxémie gravidique montrent, au minimum, une exagération du déséquilibre vers l hypercoagulabilité observée en cas de grossesse normale [41]. Il a été montré, chez les femmes prééclamptiques, que le placenta présente une expression anormalement élevée de FT, et que leur sérum contient des auto-anticorps anti-récepteurs à l angiotensine-1 induisant l expression de FT par les cellules endothéliales [42]. Il existe une élévation des marqueurs de génération de thrombine (FPA, complexes T-AT) d autant plus significative que la toxémie est sévère [41, 43]. Les taux d AT sont significativement plus bas, même si leur diminution est modérée, se situant en moyenne vers 90 % [41, 44]. Les taux de PC sont réduits en cas de toxémie sévère [45]. Il existe une augmentation de l activité du PAI-1 [41, 45, 46] alors que les concentrations antigéniques du t-pa ne semble pas être accrues [45]. Les D-dimères augmentent modérément [41].L existence d une coagulation intravasculaire a été attestée en histologie par la mise en évidence de dépôts de fibrine dans les artères spiralées placentaires, ainsi que dans les parois capillaires glomérulaires [47]. Il existe une diminution du débit sanguin utéroplacentaire, dont témoignent la fréquence accrue des zones d infarctus placentaire et les retards de croissance fœtale [41]. Certains ont suggéré que des vasospasmes

Caractéristiques des CIVD selon la cause 623 existeraient [48]. La chute du taux d AT au cours de la prééclampsie est proportionnelle au degré de morbidité fœto-maternelle, et corrélée à l intensité des phénomènes ischémiques placentaires [49]. Une incidence significativement plus élevée de thrombophilies d origine génétique (déficit en AT, résistance à la PC activée) a été retrouvée chez des femmes ayant une grossesse compliquée de prééclampsie sévère, de décollement placentaire et de retard de croissance intra-utérin [50]. La diminution de la numération des plaquettes peut être précoce ; elle est considérée comme l examen le plus simple pour quantifier la gravité des anomalies de la coagulation. Une étude montre que l incidence d une thrombopénie inférieure à 100 g.l 1 dans la prééclampsie est de 3 % dans les formes légères et de 30 % dans les formes sévères [51]. Elle montre également que des signes thrombo-élastographiques d hypercoagulabilité existent en cas de prééclampsie quand la numération plaquettaire est supérieure à 100 g.l 1, mais qu une hypocoagulabilité apparaît en dessous de ce chiffre [51]. Ces données concordent avec la notion que c est en dessous de ce seuil de 100 g.l 1 qu un allongement du TQ, du TCA et une baisse relative de la fibrinogénémie apparaissent. Le syndrome associant une hémolyse, une élévation des enzymes hépatiques et une thrombopénie (HELLP syndrome) affecte 5-10 % des patientes ayant une toxémie gravidique. Des dépôts de fibrine sont présents dans les sinusoïdes hépatiques. La morbi-mortalité maternelle et fœtale en cas de HELLP syndrome est supérieure à celle observée chez les autres patientes ayant une toxémie gravidique. Le risque de complications augmente notablement en cas de thrombopénie inférieure à 50 g.l 1. Un tableau de CIVD accompagnant le HELLP syndrome est rapportée dans une proportion variable selon les critères de définition et les tests biologiques utilisés [52-55]. Une CIVD serait constante dès lors que l anomalie de tests suffisamment sensibles est utilisée pour la définir [52, 56]. De fait, il a été montré que, s il n existe en général pas d anomalies du TQ, du TCA et de la fibrinogénémie, il existe un taux d AT et de PC nettement plus bas (respectivement à 66 et 57 % en moyenne) que dans une population de parturientes hypertendues [56]. Au sein des patientes ayant un HELLP syndrome, celles ayant une CIVD «patente» ont en moyenne une thrombopénie plus profonde et des transaminases plus élevées [54]. Dans deux séries rétrospectives distinctes de patientes ayant un HELLP syndrome, la majorité des CIVD sont associées à l existence d un HRP ou à une mort fœtale in utero [53, 54]. En l absence d HRP, l existence d une CIVD franche est rare, inférieure à 5 % des cas [53, 54]. Les patientes ayant un hématome intrahépatique, complication redoutée du HELLP syndrome, ont toutes une CIVD franche [53]. Une CIVD est retrouvée plus fréquemment en cas d insuffisance rénale et, dans une étude, de manifestations pulmonaires [53]. Dans ces études, le lien entre ces entités ne reçoit pas d argumentation [53, 54]. Les formes graves de la toxémie gravidique constituent la cause la plus fréquente d admission d une parturiente en réanimation [39]. Il peut être imaginé qu un traitement spécifique de l activation excessive de la coagulation puisse limiter le développement des phénomènes d ischémie utéro-placentaire : il n existe à ce jour aucune étude permettant de l affirmer. Les bénéfices attendus ne pourraient être estimés en termes de réduction de la mortalité maternelle. En effet, celle du HELLP syndrome est faible, inférieure à 1%[53] et concerne des patientes prises en charge à un stade tardif de la maladie. Une complication hémorragique (cérébrale, hépatique) est fréquemment à l origine de l évolution fatale [57]. Si une CIVD est fréquente, voire constante dans les formes graves, son rôle dans l évolution fatale n apparaît pas clairement. En règle générale, cette microangiopathie évolue de façon satisfaisante à distance de la délivrance sans intervention thérapeutique spécifique sur la CIVD. Une étude rétrospective a confronté les résultats d une série de patientes traitées par faibles doses d héparine avec une série consécutive de patientes traitées par corticoïdes : La seconde connaît une régression plus rapide des anomalies et un taux inférieur de complications. Cette étude de bas niveau de preuve n est pas en faveur d une héparinothérapie dans le traitement du HELLP [55]. À part, la stéatose aiguë gravidique est une affection rare (0,01 % grossesses) survient le plus souvent au troisième trimestre. La pathogénie est mal connue et, si elle est une fois sur deux associée à des signes de toxémie gravidique, ses liens avec elle sont discutés. La CIVD est une composante constante du tableau et pourrait concourir à en assombrir le pronostic [58, 59]. Elle s accompagne d une insuffisance hépato-cellulaire sévère, avec des taux d AT effondrés, voire indétectables [58, 60]. L extraction du fœtus est le traitement permettant d enrayer l aggravation mais la coagulopathie persiste souvent plusieurs jours après la délivrance [58]. Une étude a confronté un très petit collectif de patientes ayant reçu des concentrésd AT à un autre n en ayant pas reçu, sans qu aucune conclusion ne soit possible sur les bénéfices apportés [58]. CIVD aiguës de l hématome rétroplacentaire et des hémorragies du péripartum Le HRP est une des causes obstétricales les plus fréquentes de CIVD, et est souvent présenté comme un paradigme [38]. La CIVD est de gravité variable. Elle