LES BRULURES CAUSTIQUES DU TRACTUS DIGESTIF SUPERIEUR

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LES BRULURES CAUSTIQUES DU TRACTUS DIGESTIF SUPERIEUR Pr. Ag. Youssef Chaker Chirurgien (Tunisie) OBJECTIFS EDUCATIONNELS 1- Reconnaître la fréquence des brûlures caustiques du tractus digestif supérieur et les principaux agents caustiques. 2- Décrire les différentes lésions digestives et extra-digestives rencontrées dans les BCTDS*. 3- Réunir les éléments cliniques et paracliniques permettant d évaluer la gravité d une œsophagite caustique. 4- Planifier la prise en charge initiale d un patient victime d une ingestion de caustique en tenant compte du bilan lésionnel initial. 5- Citer les pathologies qui peuvent poser un problème diagnostique avec les BCTDS*. 6- Etablir la stratégie thérapeutique d un patient victime d une ingestion de caustique à la phase de séquelles. * BCTDS : les brulures caustiques du tractus digestif supérieur 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 1

I- INTRODUCTION Définition : les brûlures caustiques du tractus digestif supérieur (BCTDS) désignent les lésions de la muqueuse et des différentes autres couches pariétales du tractus digestif supérieur causées par l ingestion d une substance caustique entrainant des lésions par contact direct. Un produit caustique est une substance dont l absorption provoque une nécrose immédiate par contact direct avec la peau et/ou les muqueuses par : dissolution, brûlure ou coagulation des tissus touchés. C est une urgence médico-chirurgicale engageant dans l immédiat le pronostic vital, secondairement le pronostic nutritionnel et à distance le pronostic fonctionnel. C est un accident grave qui survient chez des patients jeunes le plus souvent dans une intention suicidaire. La gravité des lésions dépend de la nature du produit, la quantité ingérée, la concentration du produit et le temps de contact. La fibroscopie œso-gastro-duodénale réalisée en urgence entre la 6 ème et la 24 ème heure représente le maître examen vu son triple intérêt dans le diagnostic positif, le diagnostic de gravité et pour guider la stratégie thérapeutique. La prise en charge multidisciplinaire associant chirurgien, réanimateur, endoscopiste et ORL assure des objectifs qui dépendent de la phase évolutive : A la phase aigue ou la nécrose fait toute la gravité des BCTDS il faut juguler les défaillances viscérales et extirper les tissus nécrosés susceptibles d entrainer une péritonite ou une médiastinite A la phase secondaire il faut assurer un support nutritionnel adéquat A la phase de séquelles et après stabilisation des lésions il faut restaurer un circuit digestif normal autorisant une alimentation orale sans dysphagie Le pronostic est multifactoriel et dépend en grande partie de la précocité et de la qualité de la prise en charge. II- EPIDEMIOLOGIE A- Descriptive L âge des patients est inférieur à 30 ans dans 80 % des cas Une prédominance féminine est notée avec 68% des patients Les circonstances des BCTDS sont représentées par les tentatives d autolyse (62%), les ingestions accidentelles (30%) et les ingestions criminelles sont rares. B- Causale 1- Agents caustiques Les agents caustiques sont nombreux et leur mode d action diffère d un produit à un autre. L eau de javel représente le produit le plus souvent utilisé dans 83% des cas selon l étude de la société Tunisienne de chirurgie. Selon la nature des agents caustiques on distingue les produits solides (cristaux, paillette, granités) qui agissent la ou ils adhérent et les produits liquides qui entrainent des lésions œsophagiennes, gastriques voir même duodéno-jéjunales. A noter que les produits liquides peuvent être également volatils et entraîner des lésions de l arbre trachéo-bronchique par inhalation. Selon le type des agents caustiques on distingue : Les bases Les acides Les oxydants Fortes : ph 10 Forts : ph<2 Hypochlorite de soude (eau Soude caustique Acide chlorhydrique (esprit de javel) Potasse de sel) Eau oxygénée Ammoniaque Acide sulfurique (Vitriol) Permanganate de Faibles : ph <10 Acide nitrique potassium Sels de sodium Faibles : ph 2 Iode Acide fluorhydrique Acide acétique 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 2

2- Mode d action Les agents caustiques ont un mécanisme d action variable en fonction de la nature Les acides forts entrainent une nécrose de coagulation de la paroi du tube digestif qui va limiter la pénétration du produit vers les plans profonds sans supprimer le risque de perforation Après ingestion, les acides lèsent la cavité buccale puis traversent rapidement l œsophage à cause de leur fluidité et stagnent dans l estomac en raison d un spasme pylorique réflexe. Les acides forts engendrent d importantes lésions au niveau de l estomac alors que l œsophage est rarement atteint en raison de son ph légèrement basique et la résistance de son épithélium malpighien non kératinisé Les bases fortes entrainent une nécrose de liquéfaction avec saponification des lipides et dissolution des protéines de la paroi. Cette nécrose est aggravée par les lésions vasculaires à type d hémorragie et de thrombose provoquées par ces bases fortes. La nécrose va permettre la pénétration en profondeur du caustique et la diffusion extradigestive médiastinale ou péritonéale du produit. Les bases du fait de leur grande viscosité passent lentement au niveau de l œsophage où les lésions sont intenses. Au niveau de l estomac, le ph acide gastrique tamponne partiellement les bases et réduit l importance des lésions. Les oxydants entrainent une dénaturation des protéines, une transformation des acides gras saturés en acides gras désaturés et une nécrose cellulaire. En plus de ces mécanismes d action spécifiques à chaque produit les agents caustiques ont un mécanisme d action commun représenté par : o Une réaction exothermique avec production de chaleur qui entraine une brûlure thermique en plus de l action chimique. o Une variation importante de l osmolarité qui entraine une déshydratation intracellulaire avec lyse cellulaire. La gravité des brûlures caustiques dépend de plusieurs facteurs : La quantité de produit : une ingestion minime provoquera des lésions superficielles œsophagiennes ou gastriques alors qu une ingestion massive provoquera des lésions étendues à l œsophage et à l estomac. La nature du produit : les acides provoquent des lésions prédominantes au niveau de l estomac alors que les bases provoquent des lésions au niveau de l œsophage. La concentration du produit : plus le produit est concentré plus les lésions seront sévères. Le temps de contact entre l agent caustique et la muqueuse digestive. III- ANATOMIE- PATHOLOGIE Le contact du caustique avec la muqueuse du tube digestif est à l origine de lésions de gravité variable, leur connaissance est capitale car elle permet de comprendre l évolution des lésions et d adapter la stratégie thérapeutique. A- Les lésions du tube digestif 1- Phase immédiate Les lésions sont variables en fonction de la gravité de l ingestion : - on note pour les ingestions minimes un œdème avec congestion débutante au niveau de la muqueuse et pouvant atteindre toute la paroi digestive - A un stade de plus on note une nécrose de la muqueuse qui va se traduire par des ulcérations plus ou moins étendues en surface. - Ces ulcérations peuvent être plus profondes et atteindre la sous muqueuse puis la musculeuse entrainant des lésions hémorragiques - lorsque les ulcérations sont profondes et étendues, les vaisseaux pariétaux vont se thromboser entrainant une ischémie tissulaire avec nécrose Le risque évolutif majeur à ce stade est la perforation œsophagienne qui entrainera une médiastinite ou une perforation gastrique à l origine d une péritonite. 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 3

2- Phase postagressive (1 er jour 8 ème jour) C est une phase de détersion marquée par l ampleur de la réaction inflammatoire avec hyperhémie, œdème et thrombose veineuse pariétale. A partir de 48 h on note l apparition d une infiltration fibroblastique qui sera suivie à la fin de la première semaine par une desquamation des tissus nécrosés réalisant la chute d escarres. Le risque évolutif à ce stade est représenté par l hémorragie, la perforation et la surinfection. 3- Phase de réparation (8 ème jour 21 ème jour) A ce stade un tissu de granulation va venir combler les ulcérations et on assiste à une prolifération fibroblastique avec infiltration de la musculeuse par une fibrose collagène souple, puis une ré-épithélialisation. Le risque évolutif à ce stade est celui d une fistule oeso-trachéale ou gastro-colique. 4- Phase de cicatrisation (21 ème jour 3 à 6 mois) La réparation en surface a déjà eu lieu avec la ré-épithélialisation, au niveau de la couche musculaire profonde une sclérose collagène dure et rétractile va s organiser et constituer un bloc scléreux. Le risque évolutif à ce stade est celui de sténose de la lumière digestive. B- Lésions trachéo-bronchiques Elles sont associées aux lésions digestives graves, secondaires à deux mécanismes dont la distinction est primordiale puisqu elles ont des implications pronostiques et thérapeutiques complètement différentes. Lésions directes de dedans en dehors par inhalation du caustique. Elles sont favorisées par les vomissements, les fausses routes et l ingestion de caustiques volatiles. Elles prédominent dans la bronche droite et peuvent s étendre jusqu à la membrane alvéolo-capillaire entrainant un œdème aigu du poumon. Lésions indirectes de dehors en dedans, elles sont plus graves et elles sont secondaires à la propagation de la médiastinite causée par la nécrose panpariétale de l œsophage C- Lésions ORL Il peut s agir d un érythème gingival, lingual ou d ulcérations nécrotiques blanchâtres. Un œdème glottique ou laryngé peut entrainer une détresse respiratoire A noter qu il n existe pas de parallélisme entre l intensité des lésions buccales et œsogastriques. IV- ETUDE CLINIQUE Les tableaux cliniques évoluent parallèlement aux lésions anatomo-pathologiques déjà décrites et on distingue trois phases A- Phase aigue (1 er jour 21 ème jour) 1- Tableau clinique On est confronté rarement à un tableau dramatique avec un patient amené aux urgences en état d agitation, la bouche sanguinolente, cyanosé et qui rapporte des douleurs rétrosternales et épigastriques très intenses. Le plus souvent le tableau est moins parlant avec un état général conservé ce qui nous laisse le temps d examiner le patient et commencer le conditionnement 2- Conditionnement Il commence sur les lieux de l ingestion Ce qu il faut faire Désobstruction des voies aériennes supérieures Position demi-assise Voie d abord et remplissage vasculaire Réchauffement du patient Nettoyage de la bouche par des compresses sèches Transférer le patient en urgence vers un centre spécialisé Ce qu il ne faut pas faire Ne pas faire boire de l eau ou du lait Ne pas faire de lavage gastrique Ne pas mettre de sonde gastrique Ne pas prescrire un émétisant Ne pas administrer un pansement gastrique Ne pas mettre la victime en décubitus dorsal 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 4

A l arrivée en milieu hospitalier il faut : Poursuivre la réanimation Juguler une détresse vitale Mettre en place les éléments de surveillance Dresser le 1 er bilan 3-1 er bilan But : Reconnaître les formes bénignes, sévères et gravissimes afin d adapter la conduite à tenir thérapeutique Indications : Tout patient ayant ingéré ou suspect d avoir ingéré un produit caustique (même si l examen bucco-pharyngé est normal) Contenu : - Interrogatoire : Age, sexe, tare, antécédents psychiatriques Circonstances de l ingestion : accidentelle ou tentative d autolyse, nature du produit et quantité, heure de l ingestion, intoxication médicamenteuse associée ou non - Examen physique : Etat de conscience Etat hémodynamique avec tension artérielle et fréquence cardiaque Etat respiratoire avec mesure du rythme respiratoire, recherche d un emphysème sous cutané cervical témoignant d un pneumomédiastin par perforation œsophagienne ou trachéo-bronchique, auscultation pulmonaire à la recherche de crépitants témoignant d un OAP ou un silence auscultatoire en faveur d une pleurésie. Syndrome péritonéal en faveur d une péritonite caustique Examen ORL à la recherche d érythème, nécrose au niveau de la cavité buccale, oropharynx, hypopharynx, vestibule, bouche de Killian - Bilan biologique complet : - Radiologie : Radiographie du thorax recherche Opacités floconneuses en faveur d un OAP lésionnel Pneumomédiastin par perforation œsophagienne Hydropneumothorax Abdomen sans préparation debout recherche Pneumopéritoine par perforation gastrique - La fibroscopie œso-gastroduodénale : Il s agit du maître examen dont le but est de : Confirmer le diagnostic positif et topographique Evaluer la gravité Guider le choix thérapeutique Elle doit être réalisée en urgence entre la 6 ème et la 24 ème heure suivant l ingestion de caustique, en effet réalisée précocement elle risque de sous estimer les lésions et réalisée tardivement elle devient difficile, dangereuse et risque d aggraver les lésions. La FOGD doit être réalisée même si l ingestion est incertaine, elle doit être réalisée par un endoscopiste entrainé et sans anesthésie en raison du risque d inhalation. En cas de tableau gravissime elle doit être faite au bloc opératoire. Plusieurs classifications des lésions endoscopiques existent dont les plus utilisées sont la classification de Di Costanzo et la classification de Zargar, elles ont un double intérêt pronostique et thérapeutique. Les lésions prédominent sur l œsophage ou l estomac, elles sont rarement diffuses aux deux viscères L association de différents stades est fréquente donnant l aspect en mosaïque, il faut dans ce cas prendre en considération le stade le plus sévère La FOGD décrit des lésions de surface mais ne permet pas de préjuger de l état de la sous muqueuse et de la musculeuse L atteinte panpariétale suspectée dans le stade IIIa de Di Costanzo doit être étayée par d autres explorations 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 5

- La cœlioscopie diagnostique pour les lésions gastriques - La TDM pour les lésions œsophagiennes afin de rechercher des signes en faveur d une nécrose panpariétale Classification de Di Costanzo Classification de Zargar : Stade 0 : muqueuse normale Stade I : érythème, congestion, œdème Stade II : Ulcérations muqueuses a- Superficielles, longitudinales b- Circonférentielles, hémorragie faible Stade III : ulcérations profondes, hémorragie abondante, plage de nécrose a- Nécrose localisée b- Nécrose étendue Stade IV : Nécrose totale, panpariétale, hémorragie importante, perforation. Stade 0 : Normal Stade 1 : érythème, œdème Stade 2a : ulcérations superficielles, fausses membranes, hémorragies muqueuses. Stade 2b : ulcérations creusantes et confluentes Stade 3a : nécrose focale (non circonférentielle) Stade 3b : nécrose diffuse (circonférentielle) - Fibroscopie bronchique : Doit être faite dans les 24 heures pour les stades IIIb, IV, en cas de détresse respiratoire ou suspicion d inhalation. Au terme de ce 1 er bilan, les signes de gravité d une brûlure caustique sont : Clinique : o Ingestion massive o Etat de choc o Troubles neurologiques o Détresse respiratoire o Hématémèse o Contracture abdominale o Emphysème sus-claviculaire Biologie : o Acidose métabolique, insuffisance rénale, hypoxie, CIVD Radiologie : o Pneumopéritoine o Pneumomédiastin o Hydropneumothorax FOGD : o Stade IIIb, IV A noter qu on observe un parallélisme entre les signes cliniques, biologiques et endoscopiques dans les formes bénignes et gravissimes alors que dans les formes sévères il y a une discordance entre les signes cliniques, biologiques rassurants et la FOGD qui objective des lésions sévères. Dans les formes graves la fibroscopie bronchique doit être de réalisation systématique avant une chirurgie d exérèse. B- Phase secondaire (21 ème jour 3-6 mois) La phase secondaire concerne : Tous les malades opérés en urgence en vue d une résection. Tous les malades non opérés en urgence et qui gardent des lésions évolutives lors du 2 ème bilan. 1-2 ème bilan Le 2 ème bilan sert à faire la part entre les lésions encore évolutives et les lésions qui ont guéri. Ce bilan est réalisé pour les malades qui ont des lésions endoscopiques sévères (II- IIIa). Il est réalisé entre le 10 ème et le 15 ème jour pour le stade IIa et au 21 ème jour pour le stade IIb- IIIa. Le 2 ème bilan comporte un examen clinique complet, un TOGD aux hydrosolubles à la recherche de fistule ou sténose et une FOGD prudente qui doit préciser le siège et l aspect des lésions. 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 6

Au terme de ce bilan on observe un taux de guérison variable selon le stade (IIa 90%- IIb 70% -IIIa 20%) Lorsque ce 2 ème bilan objective des lésions évolutives à type de sténose ou ulcérations il faut dans ce cas : garder au repos le tube digestif jusqu'à cicatrisation des lésions. Réaliser une jéjunostomie d alimentation Ne pas réaliser de bilan exhaustif à ce stade car la sténose va remonter et être de plus en plus serrée. 2- Evolution de la phase secondaire C est une période longue et astreignante, qui dure de 3 à 6 mois, jusqu à la stabilisation des lésions. C est une période difficile pour le patient et le médecin émaillée de complications : Troubles nutritionnels. Respiratoires (bronchopneumopathies). Occlusions intestinales aigues qui nécessitent une intervention. Accidents thrombo-emboliques. Distension gastrique. Troubles psychologiques chez des malades fragiles qui ont regretté leur geste et qui réclament une réparation rapide. Complications inhérentes à la jéjunostomie. Au cours de la phase secondaire il faut assurer : Un apport nutritionnel suffisant Une surveillance de la courbe pondérale Une surveillance biologique Une kinésithérapie respiratoire avec administration de HBPM Une prise en charge psychologique C- Phase de séquelles La phase secondaire se termine lorsque les lésions se sont stabilisées et l inflammation a régressé. L entrée dans cette phase est caractérisée par la stabilisation des lésions évolutives et doit être confirmée par un 3 ème bilan. 1-3 ème bilan Il a pour but de réaliser un inventaire complet des lésions et d affirmer surtout leur stabilisation. Ce bilan est réalisé à 3 mois pour les lésions du tube digestif, tout en sachant que les lésions œsophagiennes cicatrisent plus lentement que les lésions gastriques. Pour les lésions ORL associées il faut attendre entre 4 et 6 mois. Ce 3 ème bilan comporte : Bilan nutritionnel : courbe pondérale, BMI, EPP, NFS Panendoscopie : FOGD, Fibroscopie ORL au tube rigide, fibroscopie bronchique. Examen ORL TOGD Au terme de ce bilan on observe des sténoses œsophagiennes dont il faudra préciser le siège par rapport aux arcades dentaires et à la bouche de Killian, l étendue, le degré de sténose, le nombre et cette sténose est elle justiciable d une dilatation ou non. On peut observer également des sténoses gastriques dont il faudra préciser le siège (distale ou antro-pylorique, médiogastrique ou pangastrique) On recherchera également des lésions pharyngées, laryngées ou une bride labiale. V- DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL Le diagnostic positif est facile lorsque le malade consulte en urgence, en revanche lorsque le patient se présente à la phase de séquelles avec dysphagie, le diagnostic de sténose caustique peut poser un problème de diagnostic différentiel avec une sténose peptique ou un cancer de l œsophage. 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 7

VI- TRAITEMENT A- But - Lutter contre l état de choc et les défaillances viscérales. - Réséquer en urgence les tissus nécrosés au stade préperforatif afin d éviter la péritonite ou la médiastinite - - Mettre au repos le tube digestif jusqu à cicatrisation des lésions en assurant un support nutritionnel adéquat. - Restaurer un circuit digestif normal autorisant une alimentation orale. B- Moyens 1- Dilatation endoscopique La dilatation endoscopique au ballonnet d une sténose courte expose au risque de récidive fréquent ce qui impose des dilatations itératives pouvant favoriser l apparition d un cancer après 15 à 20 ans d évolution. En plus ces dilatations exposent à un risque de perforation (2-6%) sans conséquences graves en raison de la présence d une périoesophagite qui tend à limiter la fuite. 2- Chirurgie Il s agit du principal moyen thérapeutique. On distingue la chirurgie de sauvetage indiquée en urgence dans les brûlures graves et la chirurgie réparatrice des séquelles digestives indiquée à froid. a- Chirurgie de sauvetage Elle a pour but d extirper le tube digestif nécrosé susceptible d entrainer une péritonite ou une médiastinite. Cette chirurgie consiste en un stripping de l œsophage avec gastresctomie totale qui est réalisé par une laparotomie médiane avec cervicotomie gauche. Cette intervention nécessite au préalable de réaliser une fibroscopie trachéo-bronchique afin de s assurer de l absence de lésions trachéo-bronchiques. En cas de présence de lésions trachéobronchiques il faudra associer une thoracotomie. b- Chirurgie réparatrice des séquelles digestives Elle vise à rétablir le circuit digestif en cas de résection œsophagienne ou gastrique ou en cas de sténose stabilisée. Pour les séquelles gastriques on réalisera une gastrectomie totale ou partielle. Pour les séquelles œsophagiennes on réalisera un remplacement œsophagien ou œsophagoplastie Le transplant utilisé pour remplacer l œsophage est habituellement le côlon transverse gauche mais on peut également utiliser l estomac ou l iléo-côlon droit. Le transplant est anastomosé en haut à l œsophage cervical et en bas il est anastomosé à l estomac ou au duodénum. Ce transplant est monté au cou par un trajet rétrosternal dans la plupart des cas. L œsophage est respecté et gardé en circuit afin d éviter les mucocèles sauf en cas de dilatations endoscopiques itératives et dans ce cas il est réséqué par thoracotomie vu le risque de dégénérescence. C- Indications Stade 0-I : lésions bénignes Régime liquide avec pansement gastrique Stade II-IIIa : lésions sévères Hospitalisation avec surveillance pour guetter les complications secondaires En cas de doute sur une nécrose panpariétale notamment dans le stade IIIa une cœlioscopie diagnostique est nécessaire. Si elle est négative on se contentera de réaliser une jéjunostomie d alimentation et si elle montre une nécrose panpariétale on réalisera une gastrectomie totale avec stripping de l œsophage. Stade IIIb-IV : lésions gravissimes Elle impose une chirurgie d exérèse en urgence pour réaliser une gastrectomie totale avec stripping de l œsophage qui sera précédée par une fibroscopie bronchique. Au stade de séquelles Les sténoses courtes œsophagiennes seront dilatées par voie endoscopique mais il faut éviter les dilatations endoscopiques itératives. Dans les autres cas il faut réaliser un remplacement œsophagien. 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 8

VII- CONCLUSION L ingestion de produit caustique reste un accident grave et nécessite une prise en charge initiale rapide dans un centre spécialisé et doit être multidisciplinaire. Le pronostic tient non seulement à la gravité du tableau clinique mais à la précocité et la rapidité de la chirurgie de sauvetage dans les formes gravissimes. La prévention est d une importance capitale notamment par la réglementation des produits caustiques et de leur conditionnement et la prise en charge psychiatrique des tentatives de suicide Le rétablissement d un circuit digestif normal est primordial Belsey avait dit «quand on ne peut plus s alimenter par la bouche, la vie ne vaut plus la peine d être vécue» Pour en savoir plus sur les intoxications par les produits caustiques : Revue Toxicologie Maroc N 18-3ème trimestre 2013 (en PDF) http://www.capm.ma/doc/revues/revue_toxicologie_maroc_n18_2013.pdf 2016 Auteur Pr Youssef Chaker www.efurgences.net Page 9