Les Entretiens de Bichat Podologie 2013 Biomécanique des pathologies de contraintes de l avant-pied et du médio-pied C. Cazeau* * Clinique Geoffroy saint-hilaire, 59 rue Geoffroy Saint-Hilaire, 75005 Paris, www.chirurgie-du-pied.fr RÉSUMÉ Les contraintes mécaniques se portant sur l avant et le médio-pied sont d analyse difficile, en particulier la reconnaissance de leurs origines. Il est cependant essentiel de les comprendre dans la mesure où tant le traitement orthétique que chirurgical visent à soulager mécaniquement les zones d hyper-appui, et à l inverse remettre en charge celles qui ne le sont pas. Dans ce travail seront analysées les causes d hyper-contraintes sur le médio et l avant-pied, prenant leur origine de l avant, du milieu et du l arrière-pied. MOTS-CLÉS Métatarsalgies, DMMO, distal metatarsal mini-invasive osteotomy, transfert de charge, insuffisance fonctionnelle du premier rayon, hyper-appui, ostéotomie de Scarf, Chevron, Lapidus, pied creux, pied plat valgus, equin Introduction L analyse concerne d une part l avant-pied, à savoir l ensemble des segments métatarsiens comprenant en arrière les articulations tarsométatarsiennes (articulation de Lisfranc), et d autre part le médio-pied. Ce dernier est constitué de l articulation médio-tarsienne (talo-naviculaire, cunéo-naviculaire, calcanéocuboïdienne et intercunéennes). Si l origine des lésions est le plus souvent traumatique, l aspect développé ici concerne plutôt l origine microtraumatique, introduisant la notion de surmenage mécanique et d excès de contrainte. Le sujet est difficile à traiter en raison de l imprécision des définitions employées. Sans entrer dans des évaluations normatives, on peut considérer comme normal un pied indolore, utile et absent du champ de la conscience. La notion de contrainte pathologique peut être aisée si la topographie des signes cliniques correspond anatomiquement à la réaction au sol : c est le cas pour les têtes métatarsiennes. Pour le médio-pied, l analyse est plus difficile, car les signes de contraintes sont liés à la transmission vers l arrière d un hyperappui antérieur ou l inverse, ou peuvent encore être liés à un conflit en torsion situé au niveau du médio-tarse. Dans tous les cas, les réactions de défense de type hyperkératose ou bursite constituent des éléments objectifs d hypercontrainte. Contraintes de l avant-pied Les pathologies de contraintes de l avant-pied sont liées à des phénomènes mécaniques d hyperpression d origines diverses. Les conséquences pathologiques peuvent s observer au niveau des têtes métatarsiennes, ou plus en arrière, jusqu aux articulations tarso- Les Entretiens de Bichat 2013-1
métatarsiennes. La pathologie de ces dernières sera par commodité traitée dans le paragraphe du médio-pied. Transfert de charge Une insuffisance de fonction du premier rayon peut être en cause, celui-ci étant responsable principalement de l appui au sol. Cette insuffisance fonctionnelle est liée soit à une brièveté vraie, soit une brièveté géométrique par metatarsus varus (Figure 1), soit à une laxité de l articulation métatarso-phalangienne. Le défaut d appui est alors responsable d un transfert de charge sur les rayons voisins, source de désorganisation de l avantpied. Cette perturbation se manifeste possiblement par des réactions de défense de type bursite ou hyperkératose, des métatarsalgies antérieures, des déviations médiales ou latérales des orteils et des instabilités des articulations métatarso-phalangiennes avec lésions des plaques plantaires, menant aux complications majeures que sont les luxations. Le plus intéressant sur le plan radiologique est certainement la modification de l aspect du deuxième métatarsien avec en particulier l épaississement de ses corticales (Figure 2). Le traitement consiste à redonner de l appui au premier métatarsien et à diminuer l appui sous les rayons latéraux. Le plus simple est de débuter par une orthèse plantaire comportant un élément de soutien situé sous la partie distale du premier rayon (sous-antéro-capital, SAC) et un renflement situé en arrière des têtes des deuxième, troisième et quatrième métatarsiens, destiné à baisser les pressions situées à leurs niveaux : il s agit de la barre rétro-capitale (BRC). En cas d échec, la chirurgie restaure l appui par une ostéotomie d abaissement du premier rayon (Figure 3) qui s intègre habituellement dans la procédure de correction de l hallux valgus, qu il s agisse d une ostéotomie de Scarf, d une ostéotomie en chevron ou autre. On y associe des ostéotomies de relèvement des rayons latéraux par des modalités variées, qui se sont dernièrement enrichies de façon spectaculaire par les techniques percutanées. En particulier, les DMMO (distal metatarsal mini-invasive osteotomy) (Figure 4) permettent une alternative intéressante aux classiques ostéotomies de Weil. En cas d instabilité de l articulation cunéométatarsienne, la seule intervention efficace est l arthrodèse dite de Lapidus, dont la réalisation est délicate (Figure 5a et 5b). Figure 1 Insuffisance fonctionnelle du premier rayon par brièveté du premier métatarsien Figure 2 Épaississement des corticales du deuxième métatarsien par transfert de charge 2 - Les Entretiens de Bichat 2013
Figure 3 Abaissement du premier métatarsien Figure 5 a Arthrodèse cunéo-métatarsienne selon Lapidus radiographie Figure 4 Distal metatarsal mini-invasive osteotomy ostéotomie de recul et d ascension des métatarsiens latéraux Figure 5 b Arthrodèse de Lapidus (peropératoire) Le syndrome du deuxième rayon Les éléments relatifs à cette pathologie sont traités dans le chapitre dédié. Les fractures de fatigue Certains types de contraintes peuvent se manifester non pas par des métatarsalgies d appui ou des signes dégénératifs du médiopied, mais par des fractures vraies. Il s agit de contraintes particulières, intenses, répétitives et correspondant à une activité physique nouvelle. Le manque d adaptation de l os (sain par ailleurs) à ces situations conduit ici à une rupture. Tout se passe comme si les capacités de réparation étaient dépassées par l intensité des contraintes, se manifestant alors par des microfissures. Elles touchent le plus souvent le col des deuxième et troisième métatarsiens, beaucoup plus rarement des quatrième et cinquième métatarsiens en raison des mobilités tarso-métatarsiennes différentes exposées plus haut. Le médio-tarse peut être concerné, l IRM mettant en évidence, mieux que les radiographies standards, des localisations sur le naviculaire, les cunéiformes et le cuboïde. Les Entretiens de Bichat 2013-3
L arrière-pied peut être mis en cause comme origine de l hyperpression. Le déséquilibre peut venir dans le cadre d un arrière-pied plat valgus, qui reporte de façon pathologique les forces d appui par excès du coté médial, en particulier sur le premier rayon, puis progressivement sur les rayons latéraux. L hyperpression sur l avant-pied est présente dans le pied creux pour plusieurs raisons. Plusieurs formes cliniques existent mais les verticalisations de l avant-pied et de l arrière-pied sont toujours présentes à des degrés divers. Dans la forme la plus fréquente, antérointerne en varus, les contraintes excessives sont localisées plutôt sous la tête du premier métatarsien en raison de la pronation associée de l avant-pied. Dans le pied creux direct, elles sont réparties sous l ensemble de la palette. Elles siègent plutôt sous les premier et cinquième métatarsiens dans le pied creux valgus en raison de la supination de l avant-pied. La verticalisation de l avant-pied n est donc pas la seule explication. Dans le pied creux, la présence constante d orteils en griffes irréductibles avec hyperextension des articulations métatarso-phalangiennes aggrave les métatarsalgies antérieures. Enfin, le pied creux se caractérise par une perte d adaptabilité au terrain, un verrouillage et une rigidité du médio-pied excessifs qui obligent le pied à basculer sans déformation à la marche, entraînant un défaut d appui sur les orteils et un excès de pression sur le médio et l avant-pied. L équin, expliqué par la rétraction du tendon calcanéen prenant la corde et par la flexion dorsale du talus souvent associée, aggrave encore la situation sur l avant-pied. Une entité individualisée sous le terme «avant-pied rond» (Figure 6) traduit une hyperpression sur les deuxième, troisième et quatrième métatarsiens. La présence d une hyperlaxité ligamentaire est responsable d un étalement de l avant-pied et d une insuffisance fonctionnelle du premier rayon, conduisant à la suppression de l arche transversale et l apparition de métatarsalgies statiques. Figure 6 Avant-pied rond L hyperappui isolé sous la tête du cinquième métatarsien masque en réalité le plus souvent un conflit dans le plan horizontal, et non pas vertical, dans le cadre d un Taylor bunion. Il peut s agir également d une marche vicieuse en varus liée à l éviction d une pathologie douloureuse du premier rayon. Les troubles statiques de l avant-pied peuvent s accompagner de réactions névromateuses de Morton, non responsables des symptômes dans ce contexte. Il s agit en général de petits névromes (5 mm), associés constamment à des bursites. Le traitement chirurgical donne des résultats catastrophiques, aggravant encore les signes d hyperappui. Il faut se méfier des errements diagnostiques, conduisant par ignorance à désigner ces réactions névromateuses comme responsables des symptômes alors qu il s agit de traiter un hyperappui. Cela s oppose à l indication idéale d exérèse ou de neurolyse d un névrome centimétrique sur un avantpied exempt de tout trouble statique. La perte de la flexion dorsale de la cheville La mise en flexion dorsale de la cheville à l appui est une spécificité humaine absente chez nos cousins les plus proches, présentant un avantage évolutif en rapport avec l économie d énergie liée à la mise en fonction des muscles bi-articulaires tels que les gastrocnémiens. La rétraction de ceux-ci entraîne une hyperpression sous l avant-pied responsable des symptômes d hyperappui (Figure 7). C est la raison pour laquelle une libération chirurgicale du muscle gastrocnémien au genou, en 4 - Les Entretiens de Bichat 2013
cas de brièveté, est proposée afin de diminuer les pressions sous l avant du pied à la marche. La raideur de la cheville avec perte de flexion dorsale conduit à la même situation. Figure 7 Étude biomécanique, position des centres de pression à l'appui Contraintes du medio-pied Les lésions dégénératives sont dans la grande majorité liées à des séquelles traumatiques, de fracture et/ou de luxation. L étiologie est évidente en raison du contexte, raison pour laquelle nous laisserons de côté ces étiologies ainsi que les arthroses primitives, ou secondaires aux rhumatismes inflammatoires tels que le rhumatisme psoriasique. L analyse sera centrée sur ce qui intéresse le plus le chirurgien : les conséquences dégénératives articulaires, liées aux phénomènes mécaniques d hyperpression. Il peut s agir de sollicitations répétées dans le cadre d activités sportives telle que la danse. Cependant, la cause principale se situe au niveau de l avant-pied, rejoignant les étiologies du premier paragraphe, mais ne s exprimant qu au niveau du médio-pied. En effet, l hyperappui sur les rayons latéraux peut entrainer des symptômes sous les têtes métatarsiennes, ou plus en arrière au niveau de la métaphyse distale, de la diaphyse et de la tarso-métatarsienne ou au niveau du médio-pied par hyperpression. Il faut différencier trois colonnes en raison de leur comportement mécanique différent. La plus exposée est constituée des troisième et surtout deuxième rayons, profondément enclavés dans le tarse. La mobilité à ce niveau est très réduite, de l ordre de 4. Les douleurs sont transversales en barre, augmentées par les manœuvres en torsion et liées à une dégénérescence arthrosique (Figure 8). Le traitement est l arthrodèse, tarso-métatarsienne ou intercunéenne selon la localisation. La colonne la plus latérale est constituée par les quatrième et cinquième rayons. Elle est protégée par l hypermobilité relative de leurs articulations tarso-métatarsiennes, de l ordre de 10. La plus médiale, le premier rayon dont fait partie l articulation cunéo-métatarsienne, est particulière par son implication dans le déroulement du pas. L arthrose développée à ce niveau entraîne des douleurs à la palpation et à la mobilisation. Une ostéophytose dorsale peut apparaître, appelée «tarse bossu» (Figure 9), gênant le chaussage, avec son cortège d hyperkératose réactionnelle, de douleurs et de dysesthésies (irritation des branches du nerf fibulaire superficiel). Le traitement chirurgical se fait par arthrodèse, appelée intervention de Lapidus. Elle consiste à bloquer l articulation dans une position d abaissement, redonnant l appui au premier rayon, et de réduction du metatarsus varus. Intervention redoutablement difficile, les complications de malposition et de non-consolidation sont fréquentes. Les localisations talo-naviculaires et cunéonaviculaires sont plus souvent liées à des atteintes traumatiques. Concernant le pied creux, la cassure se fait souvent dans l interligne articulaire naviculocunéiforme, ou ailleurs dans le medio-pied, source de douleurs par hypercontrainte et/ou dégradation arthrosique (Figure 10). Les troubles de torsion entre l arrière-pied et l avant-pied aggravent la situation. En effet, le pied creux antéro-interne s accompagne d un varus de l arrière pied confronté avec une hyperpronation de l avant-pied. C est l inverse Les Entretiens de Bichat 2013-5
pour le rare pied creux en valgus, en relation avec une supination de l avant-pied. L exagération de l arche longitudinale associée à ces anomalies de torsion est responsable possiblement des douleurs et/ou d une dégradation arthrosique. Dans le pied plat valgus, il existe des anomalies du couple de torsion sous-talien et médiotarsien, liées à la confrontation du valgus de l arrière-pied avec la supination et l abduction de l avant-pied. Cela est responsable d une d arthrose médiotarsienne, d autant plus qu il existe une synostose. Figure 10 Arthrose talo-naviculaire Figure 8 Arthrose tarso-métatarsienne du deuxième rayon Figure 9 Arthrose tarso-métatarsienne du premier rayon (tarse bossu) Conclusion Les pathologies de contraintes de l avantpied sont liées le plus souvent à une insuffisance fonctionnelle du premier rayon, responsable d un transfert de charge de la partie médiale vers la partie latérale. Les pathologies de l arrière-pied comme le pied creux ou le pied plat valgus peuvent également en être responsables et dégrader simultanément le médio-pied. Les symptômes liés à l hyperappui peuvent se localiser spécifiquement sur l avant-pied ou sur le médio-pied en passant par la tarsométatarsienne. La compréhension de ces causes mécaniques communes éclaire alors l analyse de ces syndromes en apparence différents. RÉFÉRENCES 1 M. Bouysset : Pathologie Ostéo-articulaire du Pied et de la Cheville, 3 édition, Springer, 2004-2005, ISBN : 2-287-20994-8 2 C. Cazeau. Brièveté des Gastrocnémiens : de l anatomie au traitement, sous la direction de LS et P Barouk : Analyse de la conséquence de la brièveté des gastrocnémiens sur l avant-pied. Novembre 2011. Sauramps éditeur ISBN : 9782840237532 3 C. Cazeau. La chirurgie Mini-invasive et Percutanée du Pied. Sauramps éditeur, novembre 2009, ISBN : 978-2-84023-637-5 4 B. Valtin et T. Leemrijse : pathologie du Pied et de la Cheville, novembre 2009, Masson. ISBN : 9782294612084 6 - Les Entretiens de Bichat 2013