1 Article paru dans les Actualités en bref de Contrats de travail des éditions Kluwer, du 14 au 27 janvier 2013. Rédigé par Céline HALLUT Avocate au barreau de Liège La motivation du licenciement en cas de congé parental L arrêt prononcé par la Cour du travail de Bruxelles, en date du 29 mai 2012 1, nous donne l occasion de nous pencher sur la notion de motif suffisant en matière de congé parental et sur la question de la charge de la preuve de l existence d un tel motif. Les faits et antécédents de la cause : Mme S. a été engagée, en date du 6 août 2002, en qualité de Business Analyst Life, par une société bancaire. Après un congé de maternité, l employée a bénéficié d un congé parental en juillet et août 2005 et 2006. Le 10 juin 2006, l employée a sollicité un congé parental à mi-temps pour la période du 1 er septembre 2006 au 31 décembre 2006. L employée a été licenciée, en date du 2 février 2007, moyennant le paiement d une indemnité compensatoire de préavis à concurrence de 6 mois de rémunération, portée à 7 mois par la suite. Elle a aussi obtenu le versement d une indemnité de stabilité d emploi égale à 8 mois de rémunération. L employée a réclamé à son employeur le paiement de l indemnité de protection prévue en cas de congé parental. L employeur a répondu que le licenciement n avait rien à voir avec la pausecarrière. L employée a lancé citation à l égard de l employeur pour réclamer le paiement de l indemnité de protection. L employeur a formé une demande reconventionnelle afin de réclamer, dans l hypothèse où il serait fait droit à la demande principale, le remboursement de l indemnité de stabilité d emploi. Le Tribunal du travail de Bruxelles a fait droit à la demande principale et a ordonné la réouverture des débats sur la question de la prescription et du fondement de la demande reconventionnelle. L employeur a interjeté appel de ce jugement. Position de la Cour : Concernant l indemnité de protection liée au congé parental, la Cour s est, tout d abord, livrée à un examen des principes et de la charge de la preuve en la matière. La Cour va suivre le Tribunal en ce qu il a considéré que c était l arrêté royal du 29 octobre 1997 relatif à l introduction d un droit au congé parental dans le cadre d une interruption de la carrière professionnelle qui était d application en l espèce. 1 RG n 2010/AB/1110, non publié.
2 En cas d application de l arrêté royal du 29 octobre 1997, la protection contre le licenciement est celle prévue par l article 101 de la loi de redressement contenant des dispositions sociales du 22 janvier 1985. La Cour souligne que les parties ne contestent pas que le licenciement soit intervenu en cours de période de protection. La Cour se donne donc pour mission d examiner s il existe un motif dont la nature et l'origine sont étrangères à la réduction des prestations de travail du fait de l exercice du droit au congé parental (article 101 de la loi du 22 janvier 1985). Suite au désaccord des parties quant à la charge de la preuve en la matière, la Cour va conclure au fait qu il appartient à l employeur de prouver le motif suffisant au sens dudit article 101. Pour arriver à cette conclusion, la Cour rappelle que selon l article 1315, alinéa 2 du Code civil, celui qui se prétend libéré, doit justifier le fait qui a produit l extinction de son obligation. De l interdiction de principe faite à l employeur, par l article 101 de la loi du 22 janvier 1985, de licencier un travailleur pendant la période de protection, la Cour conclut qu il appartient à l employeur de démontrer l existence d un motif le libérant de cette interdiction de principe. Enfin, la Cour précise que la Cour de cassation a mis fin à la controverse ayant existé à propos de la charge de la preuve, par son arrêt du 14 janvier 2008 2, rendu à propos de l interdiction de licenciement prévue, dans des termes comparables, par la Convention collective de travail n 77bis du 19 décembre 2001 remplaçant la Convention collective de travail n 77 du 14 février 2001 instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps. L employeur entendait démontrer que la travailleuse avait été licenciée parce qu elle ne donnait pas satisfaction. La Cour conclut des pièces et rapports d évaluation produits que les manquements reprochés à la travailleuse ne sont pas établis. Elle confirme donc le jugement dont appel, en ce qu il constate que l employeur ne rapporte pas la preuve d un motif dont la nature et l origine sont étrangères à l exercice du droit au congé parental et en ce qu il octroie à l employée une indemnité de protection égale à 6 mois de rémunération. La Cour décide, pour le surplus, que cette indemnité de protection due en cas d exercice du droit au congé parental peut être cumulée avec l indemnité de stabilité d emploi prévue en l espèce à l article 5 de la Convention collective d entreprise. Commentaire : En matière de congé parental dans le secteur privé, deux instruments juridiques coexistent, établissant un droit au congé parental 3. Il s agit, d une part, de la Convention collective de travail n 64 du 29 avril 1997 instituant un droit au congé parental 4. 2 S.07.0049.N, à consulter sur http://jure.juridat.just.fgov.be/ 3 Pour une étude complète de la matière, voir : Compendium social 2012-2013, Kluwer, pp. 1891et s. et F. VERBRUGGE, Le congé parental dans le secteur privé Situation au 1 er octobre 2012, Or., 2012, pp. 12 et s. 4 Rendue obligatoire par l arrêté royal du 29 octobre 1997, M.B. 7 novembre ; ci-après CCT n 64.
3 D autre part, il s agit de l arrêté royal du 29 octobre 1997 relatif à l introduction d un droit au congé parental dans le cadre d une interruption de carrière 5. Ces deux réglementations sont complémentaires. Elles présentent à la fois des similitudes et certaines divergences. Seul l arrêté royal prévoit le paiement d une allocation d interruption en faveur du travailleur qui prend le congé parental. Selon les dispositions qui lui sont le plus favorable, le travailleur peut choisir de prendre un congé dans le cadre de la CCT n 64 ou dans celui de l AR du 29 octobre 1997 6. Des garanties de l exercice du droit au congé parental existent dans le cadre de ces deux réglementations. Au titre de ces garanties, la CCT n 64 précise, en son article 15, ce qui suit : 1 er L employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail sauf pour motif grave au sens de l article 35 de la loi du 3 juillet 1978 précitée, ou pour un motif suffisant. Par motif suffisant, il faut comprendre le motif qui a été reconnu comme tel par la juge et dont la nature et l origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations de travail du fait de l exercice du droit au congé parental. Cette disposition précise que si la rupture du contrat de travail par l employeur a lieu sans motif grave ni motif suffisant, l employeur devra verser au travailleur une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération. Cette disposition prévoit enfin que cette indemnité ne peut être cumulée avec : - l indemnité pour licenciement abusif des ouvriers, - l indemnité de protection contre le licenciement des travailleuses enceintes, - l indemnité de protection contre le licenciement des travailleurs protégés ou des délégués syndicaux. L AR du 29 octobre 1997 ne contient pas, quant à lui, de dispositions expresses en matière de protection contre le licenciement. Il convient de se référer au régime de protection contre le licenciement qui figure dans la loi de redressement contenant des dispositions sociales du 22 janvier 1985 7. L article 101 de cette loi est libellé comme suit : Lorsque l exécution du contrat de travail est suspendue en application des articles 100, alinéa 1 er, et 100bis ou lorsque les prestations de travail sont réduites en application de l article 102, 1 er et 102bis, l employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour motif grave au sens de l article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, ou pour un motif suffisant. 5 M.B. 7 novembre ; ci-après AR du 29 octobre 1997. 6 T.T., Bruxelles, 17 décembre 2001, J.T.T., 2002, p. 430. 7 M.B., 24 janvier.
4 Est suffisant le motif qui a été reconnu comme tel par le juge et dont la nature et l origine sont étrangères à la suspension visée aux articles 100 et 100bis ou la réduction visée aux articles 102 et 102bis. Cette disposition, très similaire à l article 15 de la CCT n 64, prévoit, par ailleurs, la même indemnité de protection et les mêmes interdictions de cumul que la CCT n 64. Donc, en dehors du motif grave, l employeur peut mettre fin au contrat de travail pour un motif suffisant, c est-à-dire un motif dont la nature et l origine sont étrangères à l exercice du droit au congé parental. Comme motif suffisant, l on peut citer une raison d ordre économique ou technique, telle qu une restructuration ou une baisse du chiffre d affaires. La Cour du travail de Bruxelles a ainsi considéré que le licenciement de la travailleuse en congé parental, pour des raisons de restructuration de l entreprise, bien connues de la travailleuse, répondait au motif suffisant au sens de la CCT n 64 8. Par contre, la même Cour, dans un arrêt plus récent 9, a décidé que l existence d une restructuration au sein de l entreprise, voire d une baisse de rentabilité, même admises par le travailleur, ne suffisent pas en elles-mêmes à établir le motif pour lequel le travailleur a été licencié. Il convient de préciser que dans ce cas d espèce, l employeur n avait pas motivé le licenciement, qui était intervenu oralement, et n avait pas indiqué, dans un premier temps, de motif du chômage sur le formulaire C4. Sera également suffisant le motif qui est lié au comportement du travailleur, tel que des manquements professionnels ou des actes d insubordination, à condition qu ils soient démontrés. Le Tribunal du travail de Mons, dans son jugement du 23 octobre 2009 10, a eu l occasion d examiner si les motifs de licenciement, invoqués par l employeur postérieurement à la rupture du contrat de travail, et consistant à reprocher à la travailleuse de bouleverser l ambiance de travail par son comportement et son esprit belliqueux étaient des motifs suffisants. Le Tribunal a conclu par la négative et a condamné l employeur au versement de l indemnité de protection : il a estimé que les motifs liés au comportement du travailleur sont difficilement admis comme étant des motifs suffisants, alors que l employeur n avait jamais adressé de remarques écrites à la travailleuse avant son congé parental, et que la lettre de licenciement et le formulaire C4 n étaient pas motivés. Quant à la charge de la preuve de l existence d un motif suffisant, la Cour du travail de Bruxelles, dans l arrêt que nous commentons, va décider que cette charge repose sur l employeur. Les deux réglementations, celle de la CCT n 64 et celle de l AR du 29 octobre 1997 11, ne précisent pas expressément que la charge de la preuve repose sur l employeur. Il est actuellement de jurisprudence constante que la charge de la preuve incombe, en la matière, à l employeur 12. 8 C.T., Bruxelles, 16 novembre 2004, Chron. D.S., 2005, p. 234 et note de M. DUMONT. 9 C.T., Bruxelles, 21 avril 2010, J.T.T., 2010, p. 315. 10 RG n 06/13.402, non publié. 11 Se référant à la loi du 22 janvier 1985. 12 C.T., Mons, 19 décembre 2008, Chron. D.S., 2010, p. 377 ; T.T., Mons, 23 octobre 2009, op. cit. ; C.T. Bruxelles, 21
5 C est ainsi à juste titre que la Cour du travail de Bruxelles, dans l arrêt commenté, rappelle que la Cour de cassation a mis fin, dans son arrêt du 14 janvier 2008 13, à la controverse qui existait relativement à la charge de la preuve du motif suffisant. Conclusion Il échet de conclure que les Cours et Tribunaux examinent de façon stricte si le ou les motifs invoqués par l employeur répondent à la notion de motif suffisant, à savoir le motif dont la nature et l origine sont étrangères à l exercice du droit au congé parental. En outre, c est à l employeur qu il incombe de prouver l existence d un motif suffisant. A défaut de motif suffisant, l employeur sera tenu de verser au travailleur une indemnité forfaitaire à concurrence de 6 mois de rémunération, sans préjudice des indemnités dues au travailleur en cas de rupture du contrat de travail. Il conviendra donc d être prudent et d analyser, avant de procéder à la rupture du contrat de travail, si l employeur est en mesure de prouver l existence d un motif suffisant. avril 2010, op. cit. ; 13 Op. cit.