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Résumé : La plupart de bourses sont passées aujourd hui au trading électronique et ont supprimé complètement ou presque la négociation à la criée et au langage des signes 1. Depuis au moins une décennie, les bourses se cotent elles-mêmes en espérant lever les fonds permettant d investir dans les innovations technologiques en mesure d accélérer encore la vitesse des transactions 2. La législation européenne (MiFID), mise en œuvre en 2007, a supprimé le monopole des marchés nationaux là où il existait (surtout en France et au sud de l Europe) et s est attaquée aux monopoles de fait. Cette création d un marché européen des produits et services financiers a également accéléré l utilisation de systèmes algorithmiques de haute fréquence. Aujourd hui, quelques années après le déclenchement de la crise, l Union européenne revient sur la législation encadrant ce système, mais elle n a aucune volonté de remettre en question ses fondements conceptuels qui sont pourtant à l origine de la crise actuelle. 1 USA Today, 2007 «Technology squeezes out real, live traders» http://usatoday30.usatoday.com/money/markets/2007-07-11-nyse-traders_n.htm 2 Lagneau-Ymonet, P./Riva, A. (2012) A. Market as a Public Good. The Political Economy of the Revision of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID). In: Huault I./Richard, C. (eds.) Finance: The Discreet Regulator, How Financial Activities Shape and Transform the World. London: Palgrave Macmillan, 134-163.

Chapitre 1 - Un peu d histoire Le mouvement d automatisation des transactions financières a commencé dans les années 1980 3. La promotion de marchés financiers «liquides», où on peut rapidement et facilement acheter ou vendre des actifs, a alors été choisie par les responsables politiques occidentaux comme un remède à la crise de surproduction et à la baisse tendancielle du taux de profit dans la production industrielle amorcée dans les années 1970. Processus bien connu en économie : quand les profits se font rares dans la sphère de la production, la crise est retardée par le commerce d actifs financiers. Non sans ironie, les structures de l Etat providence (systèmes de retraite, d assurances, etc ) ont été utilisés pour préparer le terrain à cette libéralisation de la finance 4. Une seule statistique peut servir à l illustrer. Alors qu en 1950, 80% du volume des transactions du New York Stock Exchange (NYSE) étaient le fait d investisseurs individuels ; en 1975 les fonds de pension, aux côtés des compagnies d assurance ou des fonds communs de placement représentaient 75% des transactions de cette même place boursière. Les investisseurs «institutionnels» ont ainsi pris une place prépondérante sur les marchés. Surtout ils ont peu à peu exigé un traitement privilégié, notamment une diminution des frais de transaction. En 1975, la fixation collective de commissions, une pratique veille de plus que 150 ans cesse ainsi à la bourse de New York. Les banques - qui étaient jusque-là les principaux opérateurs de transactions au sein de NYSE - sont désormais en compétition pour offrir de meilleures commissions aux investisseurs institutionnels 5. Couplée à d autres changements, cette mise en concurrence des opérateurs ouvre les portes à l apparition de nouvelles sociétés de courtage (brokers), autres que les banques, sur les marchés. La bourse de Londres suit le mouvement en abolissant à son tour en 1986 les commissions fixes. Au même moment, elle introduit l écran électronique comme base du trading, en imitant ses homologues américains qui avaient pourtant procéder plus graduellement 6. Ces transformations des bourses s appuient de façon continue sur le développement de nouvelles technologies de communication qui facilitent la dématérialisation et l automatisation des échanges. Les opérateurs jouant sur plusieurs bourses simultanément réclament, en effet, toujours plus d automatisation des échanges pour faciliter leur jeu spéculatif. 3 Lenglet, M./Riva, A. (à venir) «Les normes du marché, entre l homme et la machine. De quelques enjeux portés par l automatisation des marchés financiers» Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs 4 Sans accaparer les fonds de pension les grands investisseurs n auront pu jamais transformer la finance et son rôle dans l économie. 5 Guilhot N., «Financiers, philanthropes: sociologie de Wall Street» 6 NYSE Euronext: Technology Timeline http://www.nyse.com/about/history/timeline_technology.html

Quand les bourses deviennent des entreprises côtées. La deuxième vague de libéralisation est venue à partir de 1992, quand les bourses ont commencé à se démutualiser et prendre la forme de sociétés par actions. Celle de Paris a été suivie par Stockholm, Copenhague et Helsinki, puis Londres en 2000 7. Le New York Stock Exchange, qui dès 1972 avait commencé à introduire une structure actionnariale dans son conseil d administration 8, parachève sa démutualisation en 2005. Les bourses démutualisées sont désormais cotées sur leurs propres places boursières. Les systèmes financiers nationaux sont remplacés par une concurrence des bourses à l échelle mondiale. Mais ce sont aussi les bourses en elles-mêmes qui changent. Comme l expliquent les économistes Angelo Riva et Marc Lenglet : «les membres d une bourse mutualiste ont intérêt à limiter l entrée de nouveaux membres (et la liquidité) pour maximiser les rentes, mais une bourse avec un actionnariat a intérêt du contraire» 9. Les investisseurs cherchent les prix de transactions les plus intéressants à l échelle mondiale. Les bourses entrent alors en compétition entre elles sur le coût d admission de participants du marché mais aussi sur le déploiement d une infrastructure informatique puissante compatible avec les systèmes de brokers qui sont capables d exécuter des ordres sur plusieurs plateformes. La FOA (Futures & Options Association) est un des principaux lobbys qui défend les négociateurs de titres à haute fréquence (dans son cas surtout des banques et des sociétés énergétiques). Elle prône l avènement du trading algorithmique informatisé comme une étape de plus au fil d une évolution «naturelle» depuis le «chalk board» (tableaux noirs avec les prix dessus tenus par des jeunes «runners» à partir du XIX e siècle) et la bourse à la criée en passant par le trading téléphonique 10. Le trading informatisé algorithmique existe depuis les années 1980 aux E.-U., mais il n avait pas augmenté dramatiquement la vitesse de transactions. Le trading à haute fréquence est évoqué pour la première fois en 1998 par le régulateur américain (Security Exchange Committee) et il est simultanément autorisé. Il a augmenté au fur à mesure que la démutualisation, la multiplication et la mise en concurrence de marchés financiers ont progressé. 7 Aggarwal R., DEMUTUALIZATION AND CORPORATE GOVERNANCE OF STOCK EXCHANGES 8 D abord pour 10 de ses 33 membres 9 Lenglet, M./Riva, op cit 10 A Response by the Futures and Options Association in the European Commission Public Consultation: Review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID) http://www.foa.co.uk/admin/tiny_mce/jscripts/tiny_mce/plugins/filemanager/files/regulation/responses_to_con sultations/eu/2011/mifid_review_-_foa_response_-_february_2011_-_final.pdf

A côté des bourses des plateformes d investisseurs opaques A côté des bourses, la législation européenne MiFID a autorisé le lancement de nouvelles plateformes moins transparentes comme les «systèmes multilatéraux de négociation» : des SMN ou MTF en anglais. Plusieurs consortiums de banques se sont alors mis à fabriquer ce type de dispositifs. En novembre 2011, on estimait déjà que 35% des volumes échangés sur les marchés européens avaient été négociés par des systèmes «haute fréquence», alors que sur certains marchés américains les volumes ainsi échangés dépasseraient déjà les 50%. Les sociétés qui possèdent ces équipements à haute fréquence peuvent introduire, modifier ou annuler des ordres d achat ou de vente dans quelques microsecondes. Vu qu une telle rapidité est largement au-delà des capacités cognitives humaines, les logiciels informatiques décident de façon quasi-autonome où et comment intervenir 11. De tels systèmes étaient encore rares au début d années 2000. Il s agit donc d un énorme changement effectué en moins d une décennie, la législation européenne jouant un rôle de catalyseur en la matière. Encouragées par la démutualisation et l ouverture à la concurrence, mais aussi par le «Plan d action européen pour le services financiers» (FSAP) de 1999, les bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam ont fusionné en 2000 pour créer Euronext. En 2002, Euronext acquiert aussi la bourse de Lisbonne et une des bourses de Londres (Futures and Options Exchange) 12. La commercialisation des algorithmes devient dans ce cadre une source de revenus de plus en plus essentielle pour les bourses. La compétition technologique pousse audelà de l intégration européenne à une intégration transatlantique : en avril 2006, Euronext fusionne avec le New York Stock Exchange pour former l actuel NYSE Euronext. Tandis que le NASDAQ (la bourse américaine pour les entreprises électroniques) devient le premier actionnaire du London Stock Exchange. 13 Une solution à la crise? L idée à l origine de ce déchaînement absolu de la concurrence financière mondiale était que la création quasi illimitée de liquidité offrirait une solution aux crises. Tel était en tout cas le crédo plaidé depuis la nomination d Alan Greenspan à la présidence de la FED 14 en 1987. L inspiration était la même du côté européen. Le groupe d experts chargé de la préparation de la première Directive MiFID était présidé par le Baron-banquier Alexandre Lamfalussy 15 et reprenait à son compte les conclusions d un article académique de Ross Levine et Sara Zervos assurant qu il y a une «corrélation statistique positive» entre la liquidité des marchés boursiers 11 Lenglet, M./Riva, op cit. 12 http://www.nyx.com/fr/who-we-are/history 13 Lagneau-Ymonet, P./Riva, A. (2012), «Histoire de la Bourse», La Découverte 14 Banque centrale américaine 15 Alexander Lamfalussy a commencé sa carrière à la Banque de Bruxelles, une banque privée, pour aller ensuite à la Banque des règlements internationaux (BRI). Actuellement il est membre du conseil d administration de la CNP Assurances. Βασσάλος Γ.(2012), «Οι τράπεζες και η ΕΕ: από τη χρηματιστικοποίηση στη «δημοκρατία» των μετόχων», περιοδικό Λεύγα http://www.levga.gr/2012/11/blog-post_29.html

et «la croissance économique, l accumulation de capitaux et l amélioration de la productivité» 16. Cette croyance en un avenir meilleur fondé sur la libéralisation des échanges financiers reposait sur la doctrine de «l efficience des marchés financiers». Selon cette théorie, la valeur des produits financiers est l expression des risques réels liés aux investissements. Si par exemple un investissement est considéré très sûr - comme la rénovation d une route -, le produit financier émis sera vendu plus cher mais il ne génèrera pas énormément de profit une fois expiré. Alors qu un produit basé sur une mine au rendement incertain sera vendu moins cher dans le marché financier mais donnera un profit astronomique si l investissement réussit malgré les risques liés à l exploitation minière. Dans cette perspective, la concurrence financière conduit à l allocation optimale de ressources et à la stabilité. Mais dans la réalité, la définition des prix des titres financiers reste dépendante des croyances et des représentations des opérateurs sur un marché. L aléa est d autant plus grand que très souvent les produits financiers sont très complexes composés de titres représentant plusieurs investissements à la fois. L imprévisible dynamique des croyances collectives Dans son livre récent intitulé «L empire de la valeur», l économiste André Orléan a démontré en donnant beaucoup d exemples - que les prix financiers se forment à travers l effort produit par tous les participants sur un marché pour deviner les croyances/préférences des autres. Cet exercice aboutit à ce qu il appelle «les conventions» de la communauté financière. Ce qui se passe réellement sur les marchés financiers est une déconnexion durable entre les prix et les estimations sur la valeur «fondamentale» ou réelle de tel ou tel produit financier (censé représenter tel ou tel investissement réel). Pour le dire simplement, «sur un marché on ne fait pas ce qu'on croit mais ce que le marché croit», décrit André Orléan 17. De plus, les plus grands investisseurs qui ont la capacité économique d utiliser la haute fréquence contribuent beaucoup plus à la formation de l accord de la communauté financière sur les prix que les plus petits. Ces derniers basent leurs décisions sur des prix qui ont déjà changé par l intervention de la haute-fréquence sans que les petits ne soient encore au courant. Ce phénomène augmente l asymétrie des informations. Bref, en réalité, on devrait plutôt parler de l inefficience structurelle et durable des marchés financiers. Mais alors, pourquoi ces marchés se développent-ils malgré ces défaillances structurelles? 16 Levine R./Zervos S., «Stock Markets, Banks, and Economic Growth» http://www.isid.ac.in/~tridip/teaching/deveco/readings/07finance/06levine%26zervos-aer1998.pdf 17 Orléan A. (2011), «L empire de la valeur», Seuil

La monnaie devenue marchandise en rotation-lumière Karl Marx écrit dans Le Capital (version anglaise ou allemande) : «Ces trois facteurs : mouvement des prix, masse des marchandises circulantes et enfin vitesse du cours de la monnaie, peuvent changer la somme des prix à réaliser et par conséquent la masse des moyens de circulation qu'elle exige» 18. Et aussi : «la rapidité de son mouvement [=de la monnaie] ne reflète que la rapidité de leurs changements de forme [= des marchandises], la rentrée continuelle des séries de métamorphoses les unes dans les autres». 19 En d autres termes, quand les capitalistes ne peuvent pas générer assez de profit par le mouvement de prix ou l augmentation de marchandises, ils le font en accélérant la vitesse du cours de la monnaie et ses changements de forme (vente et achat de titres, produits financiers etc.). La monnaie est en elle-même une marchandise qui prend dans ce cas différentes formes dans différents produits financiers. En observant les marchés financiers actuels à haute fréquence, Riva et Lenglet considèrent que «le profit se trouve généré du fait d une rotation très rapide de la mise de départ, sans que ces ordres ne nécessitent de lourds engagements réglementaires en capital». Sans doute, le profit représente de la nouvelle «masse des moyens de circulation». Ce système peut fonctionner pour des périodes assez longues indépendamment de la stagnation du système productif ou de la baisse du taux de profit. C est le cas dans les pays capitalistes développés où le capital s est trouvé relativement immobilisé par la baisse de la rentabilité des investissements productifs (ou la baisse tendancielle du taux de profit) depuis la fin de Trente Glorieuses. Certes, les attaques faites aux droits des travailleurs et à leur part de revenus dans la richesse produite (exprimée souvent en PIB) depuis la fin des années 1970 garantissent la réduction du prix de la marchandise-travail. Mais cela ne peut suffire pour rétablir un taux de profit acceptable pour les détenteurs de capitaux. Dans la sphère financière, le capital peut générer des profits sans être immobilisé autour de projets de longue durée et sa circulation est en 18 Ce qui manque de la traduction française ce que les trois facteurs (parmi lesquels la vitesse du cours de la monnaie peuvent en fait changer / faire varier la somme des prix. De ce point de vue, la traduction anglaise est plus proche à l originale allemande. En lettres foncés les parties qui sont traduit approximativement. En anglais: These three factors, however, state of prices, quantity of circulating commodities, and velocity of moneycurrency, are all variable. Hence, the sum of the prices to be realised, and consequently the quantity of the circulating medium depending on that sum, will vary with the numerous variations of these three factors in combination.» http://www.marxists.org/archive/marx/works/1867-c1/ch03.htm#s2b En allemande: Die drei Faktoren: die Preisbewegung, die zirkulierende Warenmasse und endlich die Umlaufsgeschwindigkeit des Geldes, können aber in verschiedner Richtung und verschiednen Verhältnissen wechseln, die zu realisierende Preissumme, daher die durch sie bedingte Masse der Zirkulationsmittel, also sehr zahlreiche Kombinationen durchmachen. http://www.mlwerke.de/me/me23/me23_109.htm#kap_3_2_b En français: «Ces trois facteurs : mouvement des prix, masse des marchandises circulantes et enfin vitesse du cours de la monnaie, peuvent changer dans des proportions diverses et dans une direction différente; la somme des prix à réaliser et par conséquent la masse des moyens de circulation qu'elle exige, peuvent donc également subir des combinaisons nombreuses» [il n est pas traduit qu elles peuvent varier en fonction de trois facteurs ci-dessus] http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/capital-i/kmcapi-3-2.htm - 19 [19] Tout le paragraphe dans la version française du Capital: «De même que le cours de la monnaie en général reçoit son impulsion et sa direction de la circulation des marchandises, de même la rapidité de son mouvement ne reflète que la rapidité de leurs changements de forme, la rentrée continuelle des séries de métamorphoses les unes dans les autres, la disparition subite des marchandises de la circulation et leur remplacement aussi subit par des marchandises nouvelles.»

partie libérée du rapport de forces avec le travail. Comme l explique Orléan, le «projet que poursuit la communauté financière lorsqu'elle choisit de s'organiser en marchés boursiers» est de «construire une modalité d'organisation du capital, partiellement libérée du temps productif». Mais pour le grand public, l utilité sociale en soi des technologies de trading électronique n a jamais été débattue. L hypothèse sous-jacente à la dérégulation des marchés financiers a toujours été que la liquidité des échanges favoriserait la meilleure allocation de ressources et donc la croissance. Or ces dernières années, alors que les transactions en haute fréquence sont devenues dominantes sur les marchés, la croissance ne s en est pas trouvée pour autant dynamisée. Et les ressources ne se sont pas trouvées subitement dirigées vers les besoins humains/sociaux en matière d environnement, de santé, de nourriture, etc. Depuis 2007, la zone Euro et les Etats- Unis ont eu à deux reprises des taux de croissance négatifs (2009, 2012 et 2008, 2009 respectivement) et la pauvreté augmente dans de vastes zones de la planète y compris en Europe. Si la Commission européenne a commencé à préparer la révision de la directive MiFID sur les produits financiers en 2010, après le déclenchement de la crise, les discours au principe de l existence d un «marché des marchés» ou de la recherche d une liquidité des échanges toujours plus illimitée n ont jamais été remis en question. Nous examinerons par la suite les diverses alliances entre certains agents des institutions européennes et différents segments de la finance qui se sont affrontés entre eux autour de la révision de la législation MiFID. Les négociations entre le Parlement et Conseil européens pour arriver au texte final sont en cours et vont conclure en février 2014 au plus tôt.

Chapitre 2 - Ces lobbys financiers qui veulent préserver la dérégulation boursière Aujourd hui, quelques années après le déclenchement de la crise, l Union européenne revient sur la législation encadrant les échanges à haute fréquence, mais elle n a aucune volonté de remettre en question les fondements conceptuels qui sont pourtant à la racine des problèmes financiers actuels. Et pour cause : les trois catégories d acteurs invitées à discuter des réformes sont les premiers promoteurs et bénéficiaires de la libéralisation déchainée et de l opacité de marchés existantes. La Commission européenne a commencé à préparer la révision de la directive MiFID sur les produits financiers en 2010, après le déclenchement de la crise. Mais en ce domaine, la Commission n a fait que suivre les orientations de la réforme financière sur lesquelles les Etats européens se sont mis d accord au sein de G20 en 2009. Et ce n est pas du côté des économistes convoqués par la Commission que pourrait survenir une telle remise en question. La science économique, comme le souligne André Orléan, reste sans cesse l objet d'intervention d'intérêts extrascientifiques qui cherchent à modifier les analyses à leur profit 20. Plusieurs krachs des systèmes algorithmiques 21 ont cependant incité la Commission à lancer une discussion 22 sur la nécessité de limiter la liberté des opérations de traders à haut fréquence. Mais réglementer de tels marchés se heurte d emblée aux divers lobbys des opérateurs et des plateformes d échange qui profitent désormais du système à haute fréquence et des dispositifs laxistes du MiFID I (adopté en 2004, mis en œuvre en 2007). 20 Orléan A. (2011), «L empire de la valeur», Seuil 21 Depuis le «flash-crash» de 2010 dans les bourses américaines, on a décompté une panne sur NYSE, deux sur Euronext, trois sur NYSE-Euronext, deux sur Chi-X et une fois à Milan et au London Stock Exchange. Riva A. Lenglet M., Market as a Public Good. [Lenglet, M./Riva, A. (à venir) «Les normes du marché, entre l homme et la machine. De quelques enjeux portés par l automatisation des marchés financiers», Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs] La panne la plus récente est arrivé chez NASDAQ en août 2013 http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/30/un-logiciel-defaillant-a-l-origine-de-la-panne-dunasdaq_3469012_3234.html 22 Notamment avec une consultation à laquelle les participants du marché (d abord) et d autres groupes de citoyens (s ils veulent) ont été appelés à réagir. Les questions 13-20 sont sur la haute fréquence : http://ec.europa.eu/internal_market/consultations/docs/2010/mifid/consultation_paper_en.pdf

Des intérêts concentrés mais obscurs Le marché que l Union européenne tente maintenant de re-réglementer s est entretemps concentré et est surtout devenu encore moins transparent. On pourrait séparer les intérêts mobilisés sur ces enjeux en trois catégories, loin d être clairement opposés, mais fortement liés entre eux et avec des clivages intérieurs intéressants : 1) les bourses et autres plateformes d échange, 2) les sociétés d investissements - opérateurs de marchés et 3) les grandes banques d investissement qui sont souvent actionnaires dans les deux catégories précédentes. Les plateformes : ceux qui fournissent le terrain de jeu Selon Thomson-Reuters en janvier 2011, il y avait en Europe 231 plateformes d échange. Sur ces 231, 92 sont des bourses, 139 des MTFs 23 et 12 des «internalisateurs systèmiques» (SI). Autour de 72 à 75% de la négociation se concentre toutefois sur 5 à 7 plateformes. Les cinq plus grosses plateformes en Europe sont le London Stock Exchange (LSE) avec 22.4% des transactions, le NYSE Euronext avec 14,4%, Chi-X 24 avec 14,3%, Deutsche Börse avec 11,4% et les Bolsas y Mercados Españoles avec 9,7% 25. Les trois pôles les plus reconnaissables parmi les bourses européennes sont donc le LSE qui est allié avec le NASDAQ 26, NYSE- Euronext et Deutche Börse 27. Ces différentes bourses sont défendues par leurs propres lobbyistes. Il est important de préciser que LSE et Chi-X ne sont ainsi pas membres du lobby collectif des bourses européennes, la FESE (Federation of European Securities Exchanges) 28, ce qui montre la férocité de la compétition qui oppose les bourses «continentales» aux autres. Selon le système de comptage (reporting 29 ) du Markit-BOAT, si on compte aussi les échanges hors toute plateforme (OTC), les bourses continentales arrivent en premier 30. Ce système de reporting a été créée par 16 banques : JP Morgan, Goldman Sachs, Deutsche Bank, Barclays, Bank of America, BNP Paribas, Citigroup, Crédit Suisse, Lehman Brothers, Merrill Lynch, 23 Les «systèmes multilatéraux de négociation» (SMN ou MTF en anglais) sont des plateformes moins transparentes que les bourses voir épisode 1 de cette chronique. 24 Chi-X a été lance par la société japonaise Nomura Holdings et rejoint en 2001 par Bank of America, UBS, Goldman Sachs, Morgan Stanley, GETCO et Quantlab Financial. 25 European Commission, MiFID Impact Assessment, p. 88 http://ec.europa.eu/internal_market/securities/docs/isd/mifid/sec_2011_1226_en.pdf 26 Les actionnaires de NASDAQ http://investors.morningstar.com/ownership/shareholders-major.html?t=ndaq 27 Parmi les plus grands actionnaires des deux derniers, on retrouve le Children s Investment Fund, Atticus Capital et Fidelity Investment Services. Le fait que les deux groupes ont un nombre important d actionnaires communs a conduit à des discussions sur une éventuelle fusion mais qui n ont jamais abouti. De son côté, NYSE Euronext compte aussi des banques comme ING ou la Société Générale parmi ses actionnaires le plus importants. En ce moment, l «InterContinental Exchange» (ICE), une place boursière basée à Atlanta spécialisée dans les produits dérivés, est en train de conclure un accord d acquisition de NYSE Euronext. Voir Lagneau-Ymonet, P./Riva, A. (2012), «Histoire de la Bourse», op cit, p. 107 MoneyBeat, 10/10/13 «ICE, NYSE Euronext Merger Expected to Close Nov. 4» http://blogs.wsj.com/moneybeat/2013/10/10/ice-nyseeuronext-merger-expected-to-close-nov-4/ 28 http://www.fese.eu/en/?inc=page&id=7 29 Reporting : publier des données sur les transactions OTC 30 Contribution de l AMAFI à la réflexion européenne (2011) http://www.amafi.fr/images/stories/pdf/docs/commission_europeenne/11-05.pdf

RBS Greenwich et Wachovia. Actuellement, elle est en train de se faire acheter par Bats Chi- X Europe. 31 Il est encore plus difficile d avoir des informations sur la part de marché des sociétés admises sur chacune de ces plateformes. Les opérateurs : ceux qui investissent dans le jeu Ce sont des mastodontes inconnus du grand public, actifs exclusivement dans la sphère financière et de propriété toujours changeante et obscure qui pèsent énormément sur l économie européenne. Selon l Association française des marchés financiers (AMAFI), il y a en autour de 200 admises en Europe, mais seulement 10 assureraient 75% des échanges (transactions) sur ces diverses plateformes. Bien sûr, aucune de ces 10 sociétés n échange en basse-fréquence. La branche européenne de la compagnie GETCO LLC de Chicago est toujours parmi les 10 premières. Récemment elle a fusionné avec Knight Capital Group pour créer KCG Holdings. Cette fusion a eu lieu, pour sauver Knight Capital de ses pertes de $460 millions dues à une erreur informatique qui a généré de million d ordres non voulus en 45 minutes! En plus de ces pertes, les autorités américaines ont aussi imposé une amende de $12 millions 32. Ironie de l histoire, cette fusion imprévue entre les deux groupes ne pourra de toute façon qu accentuer la concentration des transactions. D autres grands groupes qui interviennent sur les plateformes d Europe sont Spire Europe, Citadel Europe et Virtu Financial Europe (avec sa filiale Madison Tyler Europe), Optiver et le hollandais IMC. Des actionnaires des bourses comme Fidelity effectuent aussi un très grand nombre de transactions. Cette société d investissement américaine est présente dans le capital de 27 sur les 100 du FTSE Index, l indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées (sur LSE) 33. Les banques : des deux côtés du jeu Des banques comme Goldman Sachs, le Crédit Suisse et UBS sont parmi les vendeurs de technologie haute-fréquence les plus importants. Les banques sont aussi souvent actionnaires des bourses et ont bien souvent construit leurs propres plateformes d échange, MTF et autres. 31 Financial News 12/11/2013 «Bats sinks Markit Boat» http://www.efinancialnews.com/story/2013-11-12/batssinks-markit-boat?ea9c8a2de0ee111045601ab04d673622 32 LA Times 12/10/2013 «Knight Capital's massive trading error results in $12-million SEC fine» http://www.latimes.com/business/money/la-fi-mo-knight-capital-to-pay-12-million-sec-fine-for-huge-tradingerror-20131016,0,3995856.story#axzz2jkfj1uwt 33 Geuens G.(2011), La finance imaginaire, Anatomie du capitalisme des «marchés financiers» à l oligarchie, édition Aden, p. 135

Les banques sont également souvent des actionnaires des compagnies d investissements comme celles listées ci-dessus (comme c est aussi le cas de Barclays chez Legal & General). Elles sont quelque part la clef du système. Elles mettent en œuvre des stratégies multiples et diverses qu il est très difficile de suivre. Des philosophies et des business models différents sont censés distinguer d un côté les banques américaines (Goldman Sachs, Citigroup, JP Morgan qui contrôlent le pétrolier britannique BP avec 33% de son capital, Bank of America, Morgan Stanley) ou britanniques (HSBC, RBS, Barclays, Lloyds) et de l autre les banques «continentales», principalement allemandes (Deutsche Bank, Commerzbank), françaises (ΒNPP, Société Générale, Crédit Agricole) ou suisses (UBS, Crédit Suisse). La différence entre les marchés britanniques d un côté et «franco-allemands» de l autre, c est que les premiers sont beaucoup plus ouverts aux participations étrangères, surtout américaines, et que les fonds d investissement jouent un rôle plus important à côté des banques, alors que sur le continent, c est plutôt l alliance de la «bancassurance» avec les conglomérats industriels «traditionnels» qui mène le jeu. Au-delà du nombre de transactions réalisées en bourse, c est, en effet, le contrôle de sociétés cotées avec la plus grande capitalisation qui compte. Là aussi les banques jouent un rôle significatif. En France, la BNP Paribas et la Société Générale sont - avec l étatique Caisse de dépôts et de consignations - les seuls groupes à être actionnaires d au moins 5% des cents plus puissantes firmes françaises. En Allemagne, des dirigeants de Deutsche Bank siègent chez Bayer, Lufthansa, EoN, Daimler, Siemens, Thyssen Krupp, Bertelsmann etc. En Grande Bretagne, Barclays est présente dans le capital de 50 sociétés du FTSE 100 Index (aussi appelé «Footsie»). Depuis la crise de 2008, l Etat britannique possède 82% de RBS et 41% de Lloyds. Les banques s achètent également des parts entre elles. Ainsi RBS, Barclays et Lloyds possèdent respectivement 4,19% et 4,47% de HSBC ainsi que Barclays 3,84% de Lloyds. Partout en Europe, le monde bancaire est ainsi densément entre-lié et joue un rôle puissant à l intérieur des bourses. Il est tout autant lié aux hommes politiques nationaux dans chaque pays : des dizaines d administrateurs de ces banques ayant directement exercé des mandats publics et vice-versa 34. Dans les débats organisés par les institutions de l UE, les organisations de consommateurs, les syndicats ou même les petits investisseurs sont très marginaux. Ils contribuent peu aux consultations officielles et sont rarement choisis par la Commission comme groupes à consulter. Ils sont encore moins en mesure de voir leurs propositions d amendements portées au Parlement. Les groupes citoyens sont vus le plus souvent comme étant trop «incompétents» pour être invités par les institutions européennes en tant que conseillers. Et 34 Geuens G.(2011), p. 133-145

c est entre ces trois grands groupes d acteurs (plateformes, opérateurs et banques) que se discutent bien souvent le contenu des réformes potentielles, comme c est le cas actuellement. Dans la dernière partie de cet article, la semaine prochaine, on verra quelles alliances concrètes ont été créées entre lobbys financiers et de différents acteurs dans les institutions européennes pour peser sur la révision du MiFID qui est en cours à Bruxelles aujourd hui.

Chapitre 3 - La soumission des décideurs politiques aux algorithmes financiers L impossibilité politique de revenir sur l utilité du trading à haute fréquence automatisé est symptomatique de l emprise des lobbys de la finance sur la vie publique. Pourtant, la généralisation de ce trading a déjà conduit à plusieurs krachs ou incidents majeurs sur les places boursières. Ce dernier chapitre propose de montrer comment les lobbys financiers s opposent concrètement aux réformes pourtant minimales - en cours à Bruxelles aujourd hui. Le 6 mai 2010 est un des pics de la crise de la dette souveraine grecque et de la panique dans la zone Euro. Le lendemain d une énorme manifestation anti-austérité à Athènes, la méfiance règne à l égard de programmes économiques censés rassurer le remboursement de la dette. L euro décline massivement ainsi que les obligations d Etats, y compris américaines. C est alors que les systèmes algorithmiques donnent massivement des ordres de vente, provoquant une chute de 9,2% de l indice Dow Jones au New York Stock Exchange (NYSE) en près de 10 minutes. Une telle baisse en si peu de temps n avait jamais été vue auparavant 35. Cet épisode n est qu un exemple d une série de décisions ou de dysfonctionnements informatiques des systèmes de haute fréquence ayant provoqué un risque systémique. Autre exemple, le 22 août 2013, à la mi-séance du Nasdaq (l autre grande bourse de New York), on se rend compte que les offres d achat d'actions ne sont plus prises en compte par le logiciel. Pendant trois heures, les échanges ont pratiquement cessé 36. Il sera prouvé peu après que le système informatique assurant la connexion du Nasdaq avec les autres bourses n a pas pu se défendre d une attaque de vingt-six mille messages par port et par seconde émanant de la bourse du New York Stock Exchange (dans une journée typique d'août, NYSE n envoie pas plus de mille messages par port par seconde). Si Nasdaq a dû reconnaître la responsabilité et les failles de son logiciel lequel s est montré incapable de résister à des flux inhabituels 37 -, ce cas démontre également, parmi d autres, les effets de la compétition déchaînée que se livrent les places boursières : le risque systémique encouru s explique par la tentative du NYSE de déstabiliser Nasdaq, en déployant ses systèmes haute-fréquence contre son concurrent. En plus du malaise économique général, ces krachs et pannes des systèmes algorithmiques ont incité la Commission à lancer en 2010 une discussion sur d éventuelles limitations au trading à haute fréquence 38. Pas de réforme de fond en vue, il s agit simplement de savoir s il ne conviendrait pas de prendre certaines mesures «prudentielles» : Faut-il ou non introduire 35 Le «flash-crash» de 2010 dans les bourses américaines a été suivi d autres pannes : une fois sur NYSE, deux sur Euronext, trois sur NYSE-Euronext, deux sur Chi-X et une à Milan et au London Stock Exchanghe. Riva A./Lenglet M. op cit. 36 «Les cotations sur le Nasdaq suspendues 3 heures après une panne», Le Monde, 23.08.13, http://www.lemonde.fr/argent/article/2013/08/23/les-cotations-sur-le-nasdaq-suspendues-3-heuresjeudi_3465317_1657007.html 37 «Un logiciel défaillant à l'origine de la panne du Nasdaq», Le Monde, 30.08.13, http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/30/un-logiciel-defaillant-a-l-origine-de-la-panne-dunasdaq_3469012_3234.html 38 Notamment avec un texte de consultation sur laquelle les participants du marché (d abord) et d autres groupes de citoyens (s ils veulent) ont été appelés à réagir. Les questions 13-20 sont sur la haute fréquence : http://ec.europa.eu/internal_market/consultations/docs/2010/mifid/consultation_paper_en.pdf

un disjoncteur («circuit breaker») quand un ordre dangereux pour la stabilité du marché serait détecté pour garantir la sécurité des systèmes d échange? Faut-il introduire une durée minimale (par exemple 500 secondes) pendant laquelle il n est pas permis de modifier ou d annuler un ordre, afin de ralentir le système? Mais instaurer de telles mesures même limitées - se heurte aux divers lobbys des opérateurs et des plateformes d échange qui profitent désormais du système à haute fréquence et des dispositifs laxistes du MiFID I (adopté en 2004, mis en œuvre en 2007). Pour les lobbys de la finance : «Des coupecircuits? Oui mais pas trop» L introduction dans la législation d une obligation des bourses d être en mesure de suspendre temporairement la négociation d'un instrument financier (des actions, des obligations futures, des swaps, etc.) en cas de fluctuation importante de son prix est l une des rares réformes qui a reçu l accord presque unanime des «stakeholders», des parties prenantes au débat organisé par l Union européenne. Sans doute est-ce dû au fait que de tels mécanismes existent déjà par la propre initiative des bourses au sein par exemple du LSE ou de la Deutsche Börse. Le seul point sur lequel les lobbys divergent est de savoir quel modèle déjà pratiqué pourrait maintenant inspirer l ensemble de la législation européenne. La bourse allemande Deutsche Börse a ainsi proposé son propre modèle de coupe-circuit. La suspension des échanges y est automatique quand 1) les prix sur certaines catégories spécifiques d actifs extra-liquides chutent en deçà d un prix plancher ou franchissent un prix plafond (pendant la suspension, les participants peuvent soit modifier le prix, soit annuler l ordre) ; quand 2) le nombre d ordres introduits dépasse un volume-plafond également prédéfini ; ou quand 3) les instruments mis en dépôt par un client dépassent une taille maximum prédéterminée. La Deutsche Börse n exige pas pour autant du législateur européen une prescription détaillée de mesures et défend l idée qu il faudrait plutôt laisser la compétition «choisir» les meilleures améliorations techniques de sécurité parmi celles qui seront adoptées par les différentes plateformes 39. 39 Deutsche Börse Group Response to Public Consultation by Commission Services on the Review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID) - Frankfurt / Main, 2 February, 2011

La bourse anglaise du London Stock Exchange (LSE), ne veut quant à elle pas du tout de prescription, même peu détaillée, de la part l UE, mais seulement des «lignes directrices» plus ou moins limitées à la seule obligation d avoir un système de coupe-circuits. Le LSE veut que les coupe-circuits continuent à opérer seulement à l intérieur des bourses et ne veut absolument pas les voir s appliquer horizontalement et automatiquement à tous les marchés. Quant au Chi-X Europe, dirigé par des intérêts américano-nipponnes, il propose une approche encore plus «laisser-fairiste» que le LSE, en s opposant à toute législation en matière de coupe-circuits 40. Le lobby des opérateurs-traders est plutôt proche des positions favorables au laisser faire défendues par le LSE et Chi-X. Ainsi, l Association of Financial Markets in Europe (AFME) qui représente les grandes banques d investissement prône une grande prudence dans l introduction de nouvelles règles et n est même pas convaincue qu elles soient nécessaires. Un autre lobby des banques, la Futures and Options Association (FOA), (mais qui représente aussi beaucoup de sociétés énergétiques et des traders de produits dérivés de marchandises réelles) considère que chaque plateforme devrait être autorisée à développer ses propres méthodes, en coopération étroite avec son régulateur national 41. Et des banques comme JP Morgan ont proposé de calibrer les coupe-circuits en fonction de la nature des différents produits et le profil des différents utilisateurs sur différents marchés 42. Seul, à l opposé de tous les autres, le NYSE Euronext demande que toutes les bourses et autres plateformes disposent des mêmes règles. Selon le NYSE, si les coupe-circuits ne sont pas identiques, les incertitudes produites permettront toujours des krachs comparables au «flash crash» survenu sur sa place américaine (NYSE New York) en 2010. Sans surprise, dans sa proposition législative, la Commission a fait la joie de la majorité des bourses en proposant une instauration limitée de coupe-circuits au niveau de chacune des bourses et non dans (ou entre) toutes les plateformes. Selon la Commission, «les seuils de volume et de prix» doivent être «préalablement établis» mais il n est jamais précisé selon quelle méthode (plutôt statique ou dynamique 43 ), ce type de détails pouvant être traité plus tard avec des Actes Délégués 44. Cette position de la Commission européenne ne surprend pas si l on considère la forte mobilisation des intérêts bancaires et financiers contre toute réforme. 40 CHI-X EUROPE RESPONSE TO THE EUROPEAN COMMISSION S PUBLIC CONSULTATION ON THE REVIEW OF MIFID, 2nd February 2011 41 A Response by the Futures and Options Association, op cit. 42 JP Morgan s response to European Commission s Public Consultation on the Review of the Markets in Financial Instruments Directive, 2 nd February 2011 43 Sur la méthode, NYSE Euronext a été proche du LSE en proposant des prix-limites dynamiques au lieu de statiques proposés par Deutsche Börse. 44 «Qu'est-ce qu'un acte "délégué"?», Parlement européen. http://www.europarl.europa.eu/sides/getdoc.do?pubref=-//ep//text+im- PRESS+20100323BKG71187+0+DOC+XML+V0//FR#title1

Une coalition des traders à haute fréquence au niveau européen Au moment où la procédure de révision de MiFID a commencé, il est devenu évident pour les plus gros traders à hautes fréquences (Getco, etc.) qu il leur fallait s organiser séparément des autres traders au niveau européen. La FIA European Principal Trader Association a été créée en 2011. Contrairement à tous les autres lobbys, elle a publié une position rédigée sur la base de la proposition officielle de la Commission et non pas sur son document de consultation. Dans ce document, elle soutient pleinement les propositions minimalistes de la Commission sur les coupe-circuits 45. Le débat au Parlement européen La proposition de la Commission est ensuite passée au Parlement européen qui est censé adopter des propositions d amendements au texte de la Commission pour ensuite les négocier avec le Conseil de ministres. Or les amendements déposés par différents euro-parlementaires permettent aussi d identifier les alliances politico-industrielles (ou politico-financiers) qui se sont formées autour de ce projet de réforme. Seuls les verts (P. Canfin) et quelques socialistes (R. Goebbels, Luxembourg et A. McCarthy, R-U.) ont repris les propositions du NYSE Euronext. A l opposé, le rapporteur du texte (Μ. Ferber) venant du groupe chrétien conservateur (PPE) et de sa plus grosse délégation (CDU- CSU) a ajouté dans le texte une obligation sans conséquence : l agence régulatrice européenne du marché des instruments financiers, ESMA, devrait selon lui publier tous les paramètres de coupe-circuits appliqués en Europe, après en avoir été informé par les régulateurs nationaux. Pour lui, il était donc question de publication et non d harmonisation. Ce député conservateur a aussi repris l idée de calibrer les coupe-circuits selon la catégorie de produit (proposition de JP Morgan entre autres). Une proposition qui n apporte pas beaucoup de différence puisque la plupart de bourses applique déjà une telle mesure. Le député libéral suédois O. Schmidt a lui repris les propositions de JP Morgan dans leur totalité en proposant d adopter des coupes circuits tenant compte à la fois du «market model» et du profil du trader concerné. Or une telle mesure complique encore la mise en 45 FIA-EPTA (May 8, 2012): Position on Revised Proposals for Markets in Financial Instruments Directive (MiFID II) http://www.futuresindustry.org/epta/downloads/fia-epta-mifid-positionpaper050412.pdf

œuvre éventuelle d un coupe-circuit général dès lors qu il ne s agit plus seulement d évaluer un produit avant de décider de le suspendre mais également le trader qui le manipule. Concernant, maintenant, la question du type du coupe-circuit à adopter, le député libéral Schmidt a défendu le modèle de LSE et NYSE Euronext qui, contrairement à Deutche Börse, ne permet pas la modification de l ordre suspendu. Seul le vert P. Canfin a soutenu le contraire, en proposant que si un produit faisait l objet d une suspension sur l une des plateformes, il devrait l être aussi dans toutes les autres en Europe. Mais comme Schmidt, la conservatrice britannique K. Swinburne (groupe ECR) s est fermement opposée à cette idée. Elle veut que la bourse concernée par un coupe-circuit soit seulement contrainte d informer les autres plateformes de la suspension. La tory britannique a trouvé comme allié en la matière le conservateur Français, J-P. Gauzés qui a soutenu plutôt «la restriction» que la suspension complète d un échange 46. Comme tous les eurodéputés britanniques, K. Swinburne publie, sur son site internet, la liste de ses réunions avec des lobbyistes. Elle n a pas encore publié la liste pour le printemps 2012 (quand les amendements ont été rédigés), mais sur celle de 2011, on peut constater qu elle avait déjà reçu, pour cette réforme, exclusivement des représentants de grandes entreprises financières comme Knight Capital, Citigroup, Nomura, Citadel, et des consultants travaillant pour celles-ci (Fleishman Heilard, Hume Brophy, APCO, etc). Parmi ses rencontres, on voit aussi figurer le cabinet FD Blueprint qui a représenté la City of London, Hill & Νolton la Managed Funds Association et Cicero la Bank of America 47. Deux jours avant la clôture du délai pour déposer les amendements, le député libéral Olle Schmidt a, quant à lui, organisé une audition dans le Parlement sur le trading haute fréquence sponsorisé par les deux lobbys les plus importants représentant cette industrie : FOA et la nouvelle FIA-EPTA 48. Schmidt, Swinburne et leurs groupes politiques respectifs ont alors été sans doute les plus ardents défenseurs des sociétés (principalement anglo-américaines) les plus dominantes sur le marché européen. Au final, le conflit sur le sujet des coupe-circuits a été résolu avec un compromis entre l «ordo-libéral» allemand M. Ferber et les «ultra-libéraux» britannique et suédois Swinburne et Schmidt qui ont écarté les «keynésiens» Canfin et, dans une moindre mesure, Goebbels et McCarthy. Le parlement a décidé de 1) calibrer le coupe-circuit en tenant compte de la catégorie du produit, le modèle de marché et l utilisateur spécifique, 2) limiter les suspensions des ordres à des cas exceptionnels, 3) retenir l option de modification d un ordre suspendu (ici contrairement à la volonté britannique), 4) ne pas élargir l application aux autres plateformes que les bourses, 5) ne pas formuler une obligation claire pour les autres bourses de suspendre 46 2011/0298 (COD) : Amendements 986-1059 http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/econ/am/901/901766/901766en.pdf. La date limite pour déposer les amendements était le 10 mai 2012 47 Kay Swinburne s Lobbying Contact Sheet Jan-Jun 2011 http://www.kayswinburne.co.uk/pdf/lobbyingcontactsheetjan-jun2011.pdf 48 QED Seminar - MiFID II - Algorithmic and high-frequency trading http://www.qedcommunication.eu/watch515

un instrument suspendu sur une bourse mais plutôt de «se coordonner» (avec les autres plateformes aussi) pour examiner des solutions communes 49. En automne 2013, le Parlement et le Conseil sont entrés en «trilogue» (avec l accompagnement technique de la Commission) afin de pouvoir trancher sur un texte final. Sur la question des coupe-circuits, les différences entre les deux institutions sont plutôt au niveau de la rédaction et il n y pas de désaccord important 50. Le compromis trouvé entre les parlementaires semble alors correspondre au rapport de force au sein du Conseil de ministres et nous aurons donc des coupe-circuits très limités. Voilà de quoi rassurer les traders haute fréquence automatisés. Le maintien d une bourse à deux vitesses : le refus d introduire une durée minimum de validité des ordres Pendant la consultation de la Commission européenne, les bourses, les compagnies d investissement et les banques ont été unanimement contre l idée d imposer une période minimum pendant laquelle il serait interdit d annuler ou modifier des ordres. Pour donner un exemple, sur le NYSE Euronext, seulement 1 à 5% des ordres insérés sont finalement exécutés et il y a des ordres dont la durée de vie avant annulation est de 25 microsecondes 51. De ce fait, les traders à basse-fréquence sont en désavantage structurel car ils prennent des décisions sur la base de prix et d informations qui ont déjà changés au moment où ils passent leurs propres ordres. NYSE Euronext, Deutche Börse, LSE, Chi-X, ainsi que AFME, FOA et Barclays, BNPP, JP Morgan et d autres, ont fermement rejeté la proposition d introduire une durée minimum de validité des ordres. La Commission ne l a donc pas incluse dans sa proposition législative et la FIA-ETPA s y est ensuite opposé, naturellement. Dans un geste politique surprenant, le rapporteur parlementaire M. Ferber (conservateur allemand) l a restauré en proposant une validité minimum de 500 millisecondes en mars 2012 52. Une telle mesure aurait en effet pu ralentir substantiellement la rapidité des échanges en haute fréquence, même si certains lobbys ont avancé que cette mesure allait seulement déplacer le déploiement de tous les algorithmes à la deuxième moitié de la seconde. En tous cas, cette simple mesure introduirait un coût d adaptation technologique énorme pour les opérateurs. Au Parlement, cette idée a trouvé des appuis parmi les députés Sociaux-démocrates, Verts et de la gauche radicale (J. Klute, Allemagne). Certains sont allés même plus loin, comme Canfin qui a proposé d étendre la durée limite à 1 seconde entière pour les bourses, et J. Klutte proposant la même chose pour toutes les plateformes. Ferber et Goebbels ont déposé ensemble, en tant que représentants des deux plus grands groupes parlementaires, un amendement qui instaurait une période de 500 millisecondes tant pour les bourses que 49 Texte du Parlement européen, adopté le 26 octobre 2012 http://www.europarl.europa.eu/sides/getdoc.do?pubref=-//ep//text+ta+p7-ta-2012-0406+0+doc+xml+v0//fr 50 Pourtant les négociations techniques continuent et le Conseil tente de limiter l option de modification d ordres suspendus seulement dans de cas «exceptionnelles». 51 Riva A. / Lenglet M., op cit 52 Ferber M., MiFID Draft Report, 16.3.2012 http://www.europarl.europa.eu/sides/getdoc.do?pubref=- //EP//NONSGML+COMPARL+PE-485.882+01+DOC+PDF+V0//EN

les MTF 53. Plus «réaliste», Canfin a proposé au moins 100 millisecondes pour les MTF et les OTF (un nouveau type de plateforme introduit par MiFID II). J. Klute a aussi introduit un amendement qui proposait une interdiction pure et simple des annulations d ordres. Dans l autre camp, les conservateurs britanniques et les libéraux scandinaves n ont pas déposé d amendements mais ils ont évidemment fait campagne contre ces propositions. D après la presse financière, Olle Schmidt a été le fer de lance de cette résistance 54 [20]. Face à cette contre offensive, le PPE avec le groupe social-démocrate, les Verts et la Gauche unie européenne (GUE) disposaient toutefois d une majorité confortable au Parlement, malgré quelques dissidences 55. La proposition pour une période de 500 millisecondes a ainsi pu être adoptée. Mais après plusieurs mois de négociations intergouvernementales, le Conseil des ministres a rendu sa position en juin 2013 : il s est prononcé contre l introduction de toute durée minimum de validité d ordres. C est là notamment le résultat d une campagne britannique acharnée. Dès que cette position du Conseil des ministres fut rendue publique, il fut diffusé dans la presse que le Parlement utiliserait cette position pour faire reculer le Conseil sur d autres points dans la directive MiFID, en échange de son propre abandon sur cette mesure 56. Enfonçant le clou, la Fédération des Banques Européennes (FBE/EBF) a publié, en juillet 2013, une position sur le trilogue mettant en garde contre les 500 millisecondes et soutenant pleinement la position du Conseil et de la Commission 57. La fin du trilogue est programmée pour février 2014 mais selon la presse financière, l amendement introduisant une durée minimum de validité des ordres est déjà caduc 58. Le Parlement ne pourra donc se targuer de changements profonds, du moins en ce qui concerne la haute-fréquence. Trois ans de débats pour que rien ne change Jugeant des éléments examinés ici, on pourrait dire que la législation suit plutôt le chemin d une «régularisation» et d une «officialisation» a posteriori de pratiques développées par les plateformes et les participants du marché eux-mêmes. Elle n amène aucun des bouleversements qui permettraient pourtant de répondre au désenchantement suscité par la 53 Les «systèmes multilatéraux de négociation» (SMN ou MTF en anglais) sont des plateformes moins transparentes que les bourses. 54 Même si les amendements dont cet article parle n ont jamais été déposé, il montre bien les attentes de l industrie par Olle Schmidt. Financial News (10/5/2012) MEPs set to temper Ferber s HFT curbs http://www.thetradenews.com/newsarticle.aspx?id=8788 55 Sur 50 voix dans la Commission ECON du parlement, le PPE en a 19, le S&D 13, les Libéraux d ALDE 5, les Verts 3, l ECR 4, la GUE 2, l EDF 3 et il y un non-inscrit. Dans la plénière, le PPE a besoin de 108 voix extérieures à son groupe pour gagner un vote : http://www.europarl.europa.eu/meps/en/crosstable.html 56 «However, lobbyists close to the Mifid II discussions have said the Parliament may use its resting period rule as a bargaining chip, and concede the rule in return for receiving backing for other concessions», http://www.efinancialnews.com/story/2013-06-14/eu-regulators-poised-for-battle-on-mifidreforms?ea9c8a2de0ee111045601ab04d673622 57 EBF TRILOGUE POSITION ON MIFID2/MIFIR http://www.ebf-fbe.eu/uploads/ebf_003239%20- %20EBF%20%20trilogue%20position%20on%20MiFID2.pdf 58 «Disagreement over waivers risks pushing MiFID decision to 2014», The Trade, 13.11.2013. http://www.thetradenews.com/news/asset_classes/equities/disagreement_over_waivers_risks_pushing_mifid _decision_to_2014.aspx