Le juge de paix aujourd hui, c est le B2C. B2C ne signifie pas loisir ou affaires, mais des personnes qui vont sur un site et reviennent parce qu ils l apprécient. 62
stéphane de laforcade IntervIeW président Convergences et divergences entre deux plates-formes, l une loisir, l autre affaires, et ces deux secteurs. présentation 1995 Diplôme de l École supérieure de commerce de Toulouse. 1995 fondateur de air Corporate system qui était le Gsa de star alliance. 2009-10 Co-fondateur avec Olivier Delouis de Gekko Holding et de Teldar Travel/HCorpo. p ourquoi avoir fait le choix d une activité mixte loisir/affaires? Pour deux raisons principales. Nous savions qu avec le loisir, nous allions croitre très rapidement alors que le corporate, ayant des cycles plus longs, est un peu plus difficile à déployer. À ses débuts HCorpo était soutenue fi nancièrement par Teldar Travel qui est rentable depuis longtemps. De plus, afi n de répondre aux agences de voyages qui ont du loisir et du corporate, comme Selectour Afat, nous avons créé Teldar Biz. Nous couvrons ainsi le spectre complet avec une approche globale. L autre raison est que si nous voulons avancer de manière cadencée, sans perdre trop de temps, il faut être équilibré. Et pour être équilibré, il faut que ce qui est long à financer le soit par autre chose qui rapporte de suite et, aussi, qu on ne subisse pas la saisonnalité. Les professionnels du loisir ou du corporate ont des pics saisonniers terribles qui impactent les équipes, les achats, la finance, la trésorerie, les engagements... Nous savons tous que le loisir fait 45 % de son CA lors des mois de décembre, juillet et août. C est compliqué à la fois en tant que vendeur et en tant qu acheteur. Dans le corporate, de juin à septembre et en décembre, on attend. Du coup nous, nous achetons tout le temps et sommes toujours équilibrés. Nous pouvons proposer aux hôtels de leur acheter leurs chambres à la fois en semaine et en week-end. C est une vraie stratégie pensée dès le départ, une force et un équilibre que d autres n ont pas. 2015 StratégoS #62 63
comment avez-vous pensé vos plates-formes Teldar et hcorpo? Avec humilité. Il existe des acteurs infiniment puissants comme Booking et Expedia qui dépensent beaucoup d argent pour plaire au grand public. Vu ce qu ils paient à Google, ils doivent être certains que leurs outils convertissent au maximum. Il faudrait donc être drôlement prétentieux pour créer hcorpo/teldar Travel Le groupe gekko détient les marques HCorpo, Teldar Travel, Teldar Biz, Infinite Hotels et Miles Attack. plus d 1 million de réservations enregistrées l année derrière réparties à 50/50 entre Teldar Travel et HCorpo. Teldar Travel est le leader sur son segment B2B agents de voyages. L ensemble consolidé au niveau du groupe est profitable. sa stratégie L activitéloisir croit plus vite et finance au début celle du corporate. Lesdeux ensemble permettent de ne pas subir la saisonnalité. Danslesdeux cas, les solutions ne doivent pas imposer de changement à l utilisateur. repères des outils qui diffèrent des leurs, et penser qu on est meilleur qu eux. Le juge de paix aujourd hui, c est le B2C. B2C ne signifie pas loisir ou affaires, mais des personnes qui vont sur un site et reviennent parce qu ils l apprécient. Il fallait donc que nos outils ressemblent à ceux auxquels les personnes sont habituées. L enjeu c est le change. Ce n est ni d avoir un bon prix, ce qui n est pas compliqué aujourd hui, ni la technologie qui, si elle ne sert pas la nature humaine, ne sert à rien. Moins nos outils changent les habitudes de nos clients, plus on vend. C est notre valeur ajoutée. qu ont-elles en commun? Les deux plates-formes bénéficient de la même technologie, en mode SaaS*, qui est composée d une gateway pour les connectivités avec les CRS des hôtels, les channels managers, etc. Ce qui compte aujourd hui c est l ultra-connectivité. Si se connecter chez nous demande un effort aux hôtels, ils ne le feront jamais. Nos technologies sont récentes, elles s adaptent à des hôtels très low tech. Elles sont aussi plus ouvertes pour les projets complexes. Nous avons une équipe qui supporte ces intégrations afin *SaaS : Software as a Service, les utilisateurs ne paient pas de licence pour installer une version mais un abonnement ou utilisent gratuitement le service en ligne. que les hôtels se connectent rapidement chez nous. Concernant le middle offi ce, là où on met l intelligence, les bons markups, la stratégie de yield, c est aussi le même pour les deux plates-formes. Toute notre technologie est développée à 100 % en interne. Nous avons ensuite des API privées qui irriguent nos sites, et des API publiques pour connecter les SBT par exemple. quelles sont leurs spécificités? [Teldar] Le front office de Teldar est destiné à une population très spécifi que qui est l agence de voyages. Il est donc conçu pour aider à la revente et non pas pour vendre. Nous avons intégré à la plate-forme de nombreuses aides afi n que les agents de voyage n aient pas besoin de formation à notre outil et les avons impliqués en phase de conception, de développement. C est ce qui fait que nous avons d excellents retours. Il faut garder à l esprit que nous vendons le même hôtel que les autres. Le prix va jouer mais il est rarement déterminant en B2B, tant qu il est raisonnable. Les questions sont : est-ce que nous avons du stock? Est-ce que nous avons de l inventaire? Est-ce que nous apportons du service, à savoir principalement un call center qui répond bien et un commercial qui est là pour aider? Nous devons savoir quelle est notre valeur ajoutée. Comme les agences voient leurs clients très sollicités par ailleurs, il faut les aider à être irréprochables. C est ce que nous faisons en le guidant avec des bonnes photos, des bons commentaires, un support qui va l aider, etc. Sur notre marché, 4 % des réservations posent problèmes, souvent à cause d un sur-book. L hôtelier veut vendre plus que ce dont il dispose. Le problème est que le client incrimine toujours l agence, jamais l hôtel, et refuse de payer. L agence perd alors de l argent et son client. De notre côté, par la mise en place d un contrôle qualité manuel sur toutes les réservations, notre taux d incidents est de 0,12 %, soit 40 fois moins que les autres platesformes. C est une vraie valeur ajoutée, factuelle et facilement compréhensible par nos clients. Enfin, nous disposons de 260 000 hôtels versus 80-100 000 pour nos concurrents, soit 2,5 fois plus de chances de vendre. [Teldar Biz] Avec Teldar Biz, qui est une déclinaison de Teldar, nous adressons le mid-market des agences de voyages d affaires qui, souvent, ne savent pas vendre leurs hôtels. Elles disposent d un SBT (donc nous devons y être intégrés), et elles vendent à la fois en on et en off. Avec Teldar Biz et notre connecteur 64 StratégoS #62 2015
Stéphane de Laforcade on-off, nos champs analytiques, la facturation automatique, etc. nous leur permettons de tracer pour leurs clients leurs dépenses hôtels. C est une vraie valeur ajoutée pour les agents de voyages. Personne ne l avait fait avant quand nous l avons lancé en 2013. Aujourd hui Teldar Biz représente 25 % du chiffre d affaires de Teldar, c est un vrai marché en croissance. [HCorpo] Concernant HCorpo, nous n avons malheureusement que 30 % de nos clients qui voient la plateforme. Pour les autres, elle est connectée au SBT. En stand alone, nous vendons mieux l hôtel, car nous avons des fonctionnalités qui se perdent dans la connectivité avec un SBT. Par contre, avec un SBT, nous bénéficions directement d un taux d adoption intéressant. Nos clients commencent à comprendre que bien vendre un hôtel est le point discriminant car tout le monde sait désormais traiter l aérien. HCorpo a été pensé en B2C en intégrant toutes les spécificités du corporate mais de la manière la moins contraignante possible afin de pas être rejetée par les utilisateurs. Les derniers chiffres de l hôtellerie dans le corporate sont les suivants : 5 milliards de dépense, 18 % sous contrôle et 82 % dans la nature. Les gens sont libres dans l hôtellerie. HCorpo est donc conçue pour vendre, mais nous ne pouvons pas sur-vendre, nous devons respecter une politique voyage quitte à limiter la dépense hôtels. Nous devons donc vendre au plus juste, parfois inciter à acheter le moins cher possible. L environnement de la plate-forme est également plus difficile que pour Teldar, nous devons gérer les moyens de paiement, la dématérialisation fiscale, les back offices, la connectivité avec les SBT... Référencez-vous les mêmes hôtels sur Teldar et HCorpo? L inventaire en loisir et en corporate est le même, contrairement à ce qu on croit. Néanmoins, afin de toucher le corporate, il faut disposer d un inventaire et d un maillage ultra denses sur la France, y compris dans les villes secondaires, car 80 % de la dépense corporate est domestique. Ce constat a donné naissance chez nous à la 4 e entreprise de la holding, Infinite Hotels, une société de contracting dédiée aux hôtels en France. Nous disposons aujourd hui d environ 14 000 hôtels via Infinite, sur les 18 000 hôtels français. Cet inventaire de HCorpo sert également Teldar Biz et Teldar, parce que les français voyagent aussi en France. Concur a par exemple racheté des sociétés spécialisées dans le parsing. Ce n est pas tout à fait prêt mais c est la base pour construire l open booking. Quels arguments présentez-vous aux hôtels? Nous leur apportons des réservations, loisir et affaires, en semaine et en week-end. Aussi, petit à petit, ils nous voient comme un pendant aux grandes entreprises américaines qui les assomment. Le coté franco-français plaît. Nous avons la Caisse des dépôts et consignations avec nous, donc la banque publique d investissement, impossible de faire plus français! Le sentiment patriotique joue parfois un peu. Allez-vous intégrer d autres types de logements, collaboratifs par exemple, sur vos plates-formes? Potentiellement oui, pour le loisir et pour le corporate. Nous sommes passés dans l esprit de «vendeur d hôtels» à «vendeur d hébergements». Ce pas là, nous l avons fait. Nous discutons avec l un des principaux acteurs et nous pourrions en intégrer d autres comme Abritel, Homelidays, des maisons d hôtes, etc. Ceci étant dit, j essaie de faire 2015 Stratégos #62 65
la part des choses entre ce que disent certains et la réalité de l entreprise. Je ne nie pas que certains voyageurs préfèrent aller dans un appartement que dans un hôtel mais la question est de savoir si ça peut ou non se déployer de manière très large dans le corporate. Pour les plates-formes comme nous, ce n est pas très compliqué d agréger ces offres collaboratives. Mais pour l instant, il n y a rien à gagner financièrement, lorsqu on discute des marges, ça devient compliqué, surtout dans le corporate travel avec tous les coûts liés à la technologie. Ça ne se fera que si on gagne de l argent, on oublie souvent ce facteur. Il y a aussi les problèmes de paiement dont je discute avec Airbnb. Pour l instant il faut relativiser, ils font le buzz mais n enregistrent que 20 millions de réservations par an, soit quelques jours de Booking.com. Il y en a beaucoup qui en parlent mais peu pour qui c est devenu la réalité. Quelle est votre position sur l open booking? L open booking, c est proposer à son collaborateurvoyageur de réserver où il le souhaite et de tout tracer. Comme chaque professionnel a sa façon de communiquer suite à une réservation, la problématique de l open booking, c est le parsing*. Concur a par exemple racheté des sociétés spécialisées dans le parsing. Ce n est pas tout à fait prêt mais c est la base pour construire l open booking. Sans ça, ce n est pas possible. C est un vrai sujet, qui mérite d être creusé, nous mêmes y travaillons, mais personne n a encore fait d open booking à notre connaissance. L autre aspect est que ça coûte de *Le parsing consiste à analyser un texte comme une confirmation de réservation reçue par email par exemple identifier sa structure et en faire ressortir et exploiter de façon automatique ses éléments importants. Retrouvez sur strategos.fr l intégralité de l interview de Stéphane de Laforcade, comprenant notamment ses explications sur l intérêt d une holding et sur son programme de fidélisation Miles Attack. Pour les plates-formes comme nous, ce n est pas très compliqué d agréger ces offres collaboratives. Mais pour l instant, il n y a rien à gagner financièrement. l argent de laisser cette liberté, il faut donc trouver un modèle. Mais c est évident, lorsqu on voit le comportement des nouvelles générations, qu il va se passer quelque chose dans ce domaine. Comment voyez-vous évoluer la distribution hôtelière dans les prochaines années? Pour le loisir, mon avis est que nous arrivons à l équilibre entre le B2B et le B2C. Pour le corporate, on sait qu il y a de grandes TMC qui réfléchissent à changer de business model car elles sont de plus en plus challengées. Je vois deux tendances : le second poste de dépense c est l hôtellerie, 90 % des entreprises n ont pas réglé ce problème et je pense qu il le sera d ici 3-4 ans, la clé étant le paiement, seul moyen de connaître et contrôler les dépenses. L autre tendance à laquelle je crois est que de plus en plus de grands comptes vont réduire drastiquement leurs programmes hôtels. Ils ont compris que sans information, sans pouvoir tracer les réservations, ça ne sert à rien de contracter. Je pense qu un pari gagnant est qu ils se concentrent sur ce qui est stratégique et qu ensuite ils s appuient sur une plate-forme qui, elle, va offrir l inventaire. Quelques actualités pour terminer? Notre solution «groupes et séminaires» pour le corporate fonctionne toujours très bien, nous avons 70 % de taux de conversion. Nous avons signé avec Ticket Travel Pro (Edenred) que je trouve révolutionnaires, ils répondent à une vraie demande. Ils ont déjà 80 000 entreprises dans leur portefeuille, grâce à Ticket Restaurant. Nous avons signé de nouveaux comptes, dont plusieurs au CAC40, comme L Oréal. 66 Stratégos #62 2015