Les contrats de conservation à Madagascar

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Transcription:

Les contrats de conservation à Madagascar Enseignements d une enquête de terrain Alain Karsenty CIRAD

Le contexte Le corridor forestier Zahamena-Ankeniheny (CAZ) fait partie des zones prévues pour être intégrées dans une AP de catégorie VI Projet pilote sur 5 villages dans la CR de Maroseranana. Fort enclavement de la zone (absence de route, déplacements pédestres sur longues distances) Villages de 300 à 500 personnes, existants depuis plus d un siècle. Forte pauvreté. Forte démographie. Peu de migrants installés. Culture dominante: riz pluvial sur collines (tanety) en défriche-brûlis sur jachères arbustives. Assez peu de bas-fonds. Environnement témoignant de l ancienneté et de l ampleur des pratiques de tavy Autosuffisance en riz non atteinte (env. 20% des ménages seulement). Diversification limitée par l enclavement (manioc, bananes, maïs, patates douces, un peu d élevage ) Les forêts protégées sont très éloignées des villages les autres forêts entourant les villages ayant été défrichées auparavant et qu elles peuvent être considérées comme peu menacées à court terme par les habitants des villages sous contrat

Les contrats Deux systèmes successifs correspondant à deux sponsors différents: - Un concours de suivi écologique participatif (critères écologiques et de participation) (Fondation Ensemble) - Des contrats de conservation (Fondation Mulago), plus tournés vers les besoins tels qu ils sont exprimés par les communautés - Les actions de développement sous-traitées à une association - L association de développement a reçu 40.000 $, dont 10.000 en frais de gestion Superficie protégée SEP (concours) Contrats année 1 Contrats année 2 (ha) $ par ha $ par ha $ par ha Manankasina 252.8 38 17 17 Ambofifanto 262.5 31 16 13 Berapaka 259.5 25 16 13 Andeka 301.2 16 14 11 Bezono 336.7 10 13 11 Total 1412.7 23.95 15.22 13

L efficacité des contrats Les contrats ont vraisemblablement empêché le développement d activités agricoles et les défrichements correspondants menés par des membres de communautés villageoises non contractantes et plus proches géographiquement des forêts couvertes par les contrats Ils jouent également un rôle dissuasif pour ce qui est aujourd hui une minorité de paysans sans terre, ne parvenant pas à couvrir leurs besoins alimentaires, et qui auraient été tentés par la pratique de tavy en forêt

La compréhension des contrats La compréhension des contrats est inégale Tous les habitants savent qu il y a une interdiction d utiliser la forêt, mais un nombre non négligeable de personnes ne font pas la relation entre le contrat de conservation et les bénéfices collectifs visibles (comme l école) La connaissance des détails du contrat reste l apanage d un nombre restreint de personnes au sein des VOI La plupart des gens connaissent les patrouilles, même s ils ne comprennent pas très bien le contrat, et souhaitent en faire Pour nombre de ménages, les réalisations les plus visibles (l école) sont le fait de l'état.

La gestion des contrats par le groupe social Les communautés villageoises sont très pauvres mais elles ne sont pas forcément égalitaires La plupart des biens collectifs distribués sont à disposition de la communauté, soit directement soit via les lignages Les biens individualisables ne font pas l objet d une distribution égalitaire ou équitable Certains ménages sont exclus de leurs bénéfices. L adhésion au VOI n est pas un droit ouvert à tous Au sein des VOI, la transparence n est pas totale et l instrumentalisation de l association par une personne ou un groupe de personne est visible dans certains villages Les patrouilles constituent l activité rémunératrice par excellence (2 fois le salaire journalier d un ouvrier agricole) mais la distribution des patrouilles est inégale et concentrée dans des groupes assez restreints.

Les questions d équité Les contrats ont une effectivité réelle mais leur mise en œuvre a des impacts en termes d équité Au niveau interne, le fonctionnement clientéliste du VOI se traduit par un accès différencié aux bénéfices individualisables, et cela creuse l écart entre les ménages les plus pauvres et ceux qui parviennent à capter ces bénéfices (comme les patrouilles) Au niveau externe, les villages constitués plus récemment et qui ne disposent pas ainsi de droits traditionnels historiques sur les forêts protégées mais qui sont (ou étaient) les principaux utilisateurs des ressources forestières y compris pour le tavy sont les grands perdants de la situation actuelle

Les limites de l approche par le coût d opportunité Le coût d opportunité est faible pour la majeure partie des ménages, mais fort pour les paysans les plus pauvres qui auraient pu se rabattre sur la forêt pour faire des champs pouvant nourrir leurs familles. Les paysans les plus pauvres sont souvent aussi exclus des bénéfices (e.g. patrouilles) «Moyenner» aurait peu de sens, d autant que les bénéficiaires des «compensations» ne sont pas ceux qui sont affectés par la conservation Les paiements ne sont pas alignés sur le coût d opportunité, mais décidés plutôt arbitrairement

Des communautés en pleine crise agraire Un déficit en production rizicole qui tend à se transformer en déficit alimentaire général Rétrécissement des surfaces cultivables par ménage par le jeu des partages d héritage Réduction des temps de jachère (3-5 ans contre 8-12 nécessaires) Chute de la fertilité, rendements faibles (nettement moins d 1 t/ha sur les tanety, guère plus d 1 t/ha par récolte sur les bas-fonds) Manque de capital pour aménager les dernières surfaces disponibles (bas-fonds) Prolifération d insectes ravageurs (associée à la transformation du paysage?) et conjonction avec pluviosité insuffisante Pathologies animales empêchant le développement des élevages Absence de surplus et d opportunités de revenus monétaires (enclavement) «Trappe malthusienne»? une situation de crise agraire correspondant à l épuisement progressive des capacités productives du milieu dans un système d abattis-brûlis qui ne parvient plus à s étendre dans de nouvelles zones de forêt cette crise agraire est aiguillonnée par une forte croissance démographique qui conduit à la subdivision des parcelles lors des transferts d héritage foncier

Pistes d intervention sur le système agraire Introduction d association de cultures (rotations culturales), notamment des légumineuses fixant l azote, sur les tanety Réintroduction d arbres d ombrages au sein des parcelles cultivées Aménagement des bas fonds restants (drainage ou irrigation) Introduction des techniques d agro-écologie (SCV) permettant de reconstituer la fertilité, de lutter contre l érosion et de développer une production fourragère (association cultures-élevage) Appui vétérinaire aux communautés pour aller vers la stabulation (condition des transferts de matière organique ) Crédit, règles collectives (feux, divagation animaux ), accompagnement à court terme (engrais )

Pour une alliance stratégique de l APD et des initiatives de conservation La dynamique actuelle de crise agricole nourrie par l accroissement de la population de la zone pose un problème majeur pour le respect à terme des contrats de conservation Il est alors indispensable d intervenir de manière intégrée sur l ensemble de l agro-écosystème Développer des programmes de développement rural durable intégrés dans les zones intéressant la conservation Ces zones sont en général délaissées par les programmes de développement agricole car elles possèdent des potentiels productifs moindres Changer d échelle dans l ordre du financement Une organisation de conservation telle que CI ne dispose pas en son sein des compétences pour mettre sur pied de tels programmes et doit construire des alliances