Réanimation : Stratégies anti infectieuses en anesthésie réanimation Place des Fluoroquinolones en 2007 Ph Montravers V Chterev A Geffroy DAR CHU Bichat Claude Bernard, 75018 Paris Assistance publique hopitaux de Paris Université Paris VIIDenis Diderot Mel : philippe.montravers@bch.aphp.fr 1. Position du problème Les quinolones sont des agents antibactériens de synthèse dont le premier représentant utilisé en thérapeutique a été l acide nalidixique dès les années 60. Dans les années 70 et 80, des molécules dérivées, les quinolones de seconde génération ou fluoroquinolones, ont été développées ayant une activité antibactérienne accrue, une bonne biodisponibilité, et une diffusion tissulaire satisfaisante. Le succès de ces molécules a été immédiat. L utilisation très large, voire abusive, des fluoroquinolones pendant près de 20 ans en raison de leur intérêt clinique évident a fait apparaître plusieurs difficultés : l acquisition rapide de résistances à cette classe thérapeutique (en particulier parmi les staphylocoques, les pseudomonas et les acinetobacter), la survenue d infections sévères à des germes multirésistants et une carence dans le spectre d activité en particulier une absence d activité sur les streptocoques, les entérocoques, et les germes anaérobies. Dans les années 80-90, les industriels ont tenté de développer de nouvelles molécules (de troisième génération) pour répondre aux critiques soulevées avec la génération précédente. Une vingtaine de molécules auront fait l objet d un développement plus ou moins complet. Une dizaine a été abandonnée du fait d effets indésirables graves. Cinq spécialités ont fait l objet de retraits du marché après commercialisation (témafloxacine, grépafloxacine, trovafloxacine aux USA, péfloxacine et sparfloxacine en France), motivés par des effets indésirables rares mais graves non détectés lors des procédures d enregistrement. Deux molécules ont été commercialisées aux USA (grépafloxacine, gémifloxacine) qui n arriveront probablement jamais en Europe. Il n y a, à ce jour, en France que deux spécialités disponibles dans cette «nouvelle» classe : la lévofloxacine et la moxifloxacine. Pour l anesthésiste réanimateur la question se résume donc à la place attribuée aux fluoroquinolones après une décénnie de déconvenue. La présence de germes multirésistants et leur émergence fréquente du fait d une pression de sélection importante est un sujet sensible dans les unités de
réanimation (1,2). Ce point est d autant plus important que les fluoroquinolones semblent favoriser l acquisition et la colonisation de staphylocoques dorés résistants à la méticilline (3). 2. Indications des fluoroquinolones Pour tenter de répondre au problème de la place des fluoroquinolones dans l arsenal thérapeutique, nous avons utilisé les référentiels des pathologies dans lesquelles l anesthésiste réanimateur est sollicité. 2.1. Antibioprophylaxie périopératoire Les recommandations de la conférence de consensus de la SFAR restent valides (4). Mis à part en chirurgie ophtalmologique (mise en place d'implant de seconde intention et de la chirurgie de la cataracte chez le diabétique) et en chirurgie urologique (biopsies de prostate), ces agents n ont pas leur place. Il convient de souligner le risque de modification du profil de résistance des bactéries cibles du fait de l'emploi fréquent de fluoroquinolones pour le traitement d'infections urinaires en ville. 2.2. Infections intra-abdominales communautaires Les recommandations de la conférence de consensus de la SFAR ne retiennent aucune place pour les quinolones dans cette indication (5). 2.3. Infections intra-abdominales nosocomiales et postopératoires La conférence d expert sur antibiothérapie probabiliste des états septiques graves ne fait aucune recommandation des fluoroquinolones (6). Leur usage ne paraît envisageable que sur les données de l antibiogramme du fait des très nombreuses souches résistantes à ces agents. 2.4. Infections respiratoires communautaires Une conférence de consensus vient d être organisée récemment sur le thème (7). Les experts soulignent l intérêt des fluoroquinolones antipneumococciques (FQAP) (lévofloxacine et moxifloxacine) qui possèdent des caractéristiques intéressantes in vitro, avec un spectre étendu et peu de souches de pneumocoque résistantes. L utilisation large des FQAP pourrait exposer à l émergence de souches de pneumocoques résistants. Il convient d éviter la prescription d une FQAP dans les 3 mois qui suivent l utilisation d une fluoroquinolone (7). Pour les pneumopathies aigues communautaires non sévères présumées bactériennes, les experts proposent l utilisation de FQAP orale (lévofloxacine 500 mg/j PO ou moxifloxacine 400 mg/j PO) pour les sujets âgés en institution ou chez les sujets atteints de comorbidités (comme alternative à
l amoxicilline/acide clavulanique ou la ceftriaxone). Dans les formes sévères hospitalisées en réanimation ou en unité de soins intensifs, les experts soulignent la nécessité d un traitement rapide (dans les 4 heures après l admission). La levofloxacine par voie IV (500 mg X 2 /j) est recommandée en traitement probabiliste de manière à cibler les pyogènes, les légionelles et les germes atypiques. Cette FQAP est recommandée en association dans tous les cas (sujets jeunes sans comorbidité, sujets âgés ou avec comorbidités) avec une céphalosporine de troisième génération ou avec un traitement antipseudomonas en cas de suspicion de ce germe. 2.5. Infections respiratoires acquises à l hopital et sous ventilation mécanique Compte tenu de la fréquence importante d isolement de Pseudomonas aeruginosa au cours des pneumonies acquises sous ventilation mécanique, seule, parmi les fluoroquinolones actuellement disponibles, la ciprofloxacine peut être intéressante. Elle associe une bonne activité sur les bacilles à Gram négatif, y compris P. aeruginosa associée à une bonne activité sur les cocci à Gram positif, à l exception de tous les streptocoques et aucune activité vis à vis des anaérobies. En cas d isolement de P. aeruginosa, le taux d échec par acquisition de résistance sous traitement est très fréquent confortant l idée qu une monothérapie en cas de traitement d une pneumonie nosocomiale à P. aeruginosa peut être inefficace (8). Dans la conférence d expert consacrée à l antibiothérapie probabiliste (6), la seule place de la ciprofloxacine serait dans les formes tardives de pneumopathies acquises sous ventilation (> 7 jours de ventilation mécanique) ou les formes précoce mais avec antibiothérapie ou hospitalisation antérieure dans un service à risque : bêta-lactamine à activité anti P.aeruginosa associé à un aminoside ou à la ciprofloxacine selon les risques d effets secondaires. Des propositions proches ont été formulées par la conférence de l American Thoracic Society avec les mêmes profils de patients (9). 2.6. Méningites Il n y a aucune recommandations à l utilisation des fluoroquinolones (6). 2.7. Infections urinaires communautaires La conférence d experts sur antibiothérapie probabiliste a proposé les fluoroquinolones dans le contexte d une atteinte parenchymateuse (6). Le traitement de ces infections nécessite une bonne pénétration tissulaire et une élimination urinaire sous forme active. Au regard de l évolution de la résistance d E. coli et de l arsenal thérapeutique, le choix de l antibiothérapie des pyélonéphrites communautaires repose sur les fluoroquinolones (ofloxacine ou ciprofloxacine) ou les C3G
(céfotaxime ou ceftriaxone). Une bithérapie est nécessaire dans les formes graves avec retentissement hémodynamique. Pendant la grossesse, les fluoroquinolones sont contre indiquées. 2.8. Infections urinaires nosocomiales Si Escherichia coli reste prédominant dans la majorité des études, sa fréquence relative est beaucoup plus basse que dans les infections communautaires, au profit d autres microorganismes, notamment Enterococcus sp, Pseudomonas sp, Staphylococcus sp et levures (10). Une plus grande disparité par comparaison aux infections urinaires communautaires, et une fréquence élevée de souches résistantes aux antibiotiques sont rapportées dans ces circonstances. En l absence de signe de gravité et d un terrain particulier, les experts recommandent de différer la mise en oeuvre de l antibiothérapie qui repose sur les données de l antibiogramme. En cas d infection parenchymateuse sévère (pyélonéphrite, prostatite, orchi-épididymite), le traitement empirique immédiat repose sur les données de l examen direct et la connaissance de l écologie locale. Malgré leur efficacité sur les bactéries à Gram négatif rencontrées dans les infections urinaires nosocomiales, les experts recommandent une utilisation raisonnée des fluoroquinolones afin de contrôler l émergence de résistances (10). 2.9. Erysipèle et fasciite nécrosante La conférence de consensus sur le thème n a retenu aucune indication pour l utilisation des fluoroquinolones dans ces indications (11). 3. Conclusion Le champ d utilisation des fluoroquinolones s est considérablement restreint. C est dans le domaine des infections respiratoires communautaires que leur prescription reste le plus fréquent. Ailleurs, la prudence recommande de ne les prescrire que sur les résultats de l antibiogramme, pour une durée courte et avec un relai oral rapide. Références bibliographiques 1. Kollef MH, Fraser VJ. Antibiotic resistance in the intensive care unit. Ann Intern Med. 2001;134:298-314. 2. Zillich AJ, Sutherland JM, Wilson SJ, et al. Antimicrobial use control measures to prevent and control antimicrobial resistance in US hospitals. Infect Control Hosp Epidemiol. 2006;27:1088-95. 3. Charbonneau P, Parienti JJ, Thibon P, et al. Fluoroquinolone use and methicillin-resistant Staphylococcus aureus isolation rates in hospitalized patients: a quasi experimental study. Clin Infect Dis. 2006;42:778-84. 4. Actualisation 1999 de la Conférence de Consensus. Recommandations pour la pratique de l'antibioprophylaxie en chirurgie. http://www.sfar.org/antibiofr.html
5. Conférence de Consensus. Prise en charge des péritonites communautaires.texte court. 2000.http://www.sfar.org/peritofr.html 6. Conférence d'experts. Antibiothérapie probabiliste des états septiques graves. Texte court 2004. http://www.sfar.org/s/article.php3?id_article=253. 7. Conférence de Consensus. Traitement des infections respiratoires basses de l'adulte immunocompétent. Texte court. Med Mal Inf. 2006;36:235-244. 8. Fink MP, Snydman DR, Niederman MS, et al. Treatment of severe pneumonia in hospitalized patients: results of a multicenter, randomized, double-blind trial comparing intravenous ciprofloxacin with Imipenem-cilastatin. Antimicrob Agents Chemother. 1994;38:547-557. 9. American Thoracic Society. Guidelines for the management of adults with hospital-acquired, ventilator-associated, and healthcare-associated pneumonia. Am J Respir Crit Care med. 2005;171:388-416. 10. Conférence de Consensus. Infection urinaire nosocomiales de l'adulte. Texte court. Ann Fr Anesth Reanim. 2004;23:85-91. 11. Conférence de Consensus. Erysipèle et fasciite nécrosante: prise en charge. Texte court. Med Mal Inf. 2000;30:241-245.