Comment protéger votre patient d un accident vasculaire cérébral : obtenir de bons résultats en FA



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Transcription:

Elaine M. Hylek, MD, MPH: Bonjour. Je m appelle Elaine Hylek et je suis professeur de médecine à l Université de Boston. Bienvenue à cette émission intitulée «Comment protéger votre patient d un accident vasculaire cérébral : Obtenir des bons résultats en fibrillation atriale.»

J ai l honneur d avoir à mes côtés aujourd hui à l occasion de la réunion de l American Heart Association à Chicago, Chris Granger, de l unité de soins cardiaques du Centre médical de la Duke University. Bienvenue, Chris. Christopher B. Granger, MD: Merci, Elaine. Dr Hylek: Mais aussi, Manesh Patel, professeur adjoint de médecine et directeur de recherche pour les laboratoires de cathétérisme cardiaque de l Université Duke. Bienvenue, Manesh. Manesh R. Patel, MD: Merci. Dr Hylek: Avant de commencer, je voudrais souligner que cette émission comprendra une discussion de médicaments à l étude dont l utilisation n a pas encore été autorisée aux États-Unis par la FDA (Food and Drug Administration), même si cette possibilité est clairement envisagée. Lors de cette émission, nous allons parler des raisons qui expliquent l insuffisance persistante de traitement des patients atteints de fibrillation atriale (FA) présentant un risque d AVC, et de certaines stratégies potentielles pour traiter ces patients à haut risque.

Il serait peut-être bon que vous commenciez tous deux par examiner les directives actuelles. Les directives de l American Heart Association (AHA), American College of Cardiology (ACC), et de la Heart Rhythm Society sur le traitement de la FA ont récemment été modifiées. Chris, voudriez-vous nous donner un aperçu des nouveaux aspects de ces directives? Dr Granger: Elaine, je voudrais souligner deux éléments. La bonne nouvelle, c est que les directives [1] européennes [3] et américaines sont alignées quant aux patients à traiter. La mauvaise, c est qu elles englobent le score CHA 2 DS 2 -VASc [2]. Il convient dès lors de garder à l esprit trois facteurs supplémentaires qui viennent s ajouter aux facteurs CHA 2 DS 2 standards à savoir, le sexe féminin, l âge, de 65 à 75 ans, et la maladie vasculaire.

Nous savons que si le score CHA 2 DS 2 -VASc est 2, alors le patient devrait prendre des anticoagulants. Si le score CHA 2 DS 2 - VASc est de 0, alors, le patient ne devrait pas suivre de traitement. En outre, les directives sont très claires sur un autre aspect : l aspirine est tout simplement insuffisante pour traiter des patients qui courent des risques d AVC. En fait, même pour les patients dont le risque d AVC est très faible, elle ne devrait probablement pas non plus être utilisée.

La seule polémique porte sur les patients dont le score CHA 2 DS 2 -VASc est de 1. Dans les directives américaines, une certaine marge de manœuvre est prévue. On peut envisager de donner de l aspirine, rien ou un anticoagulant oral ; avec une préférence pour l anticoagulant. Dans les directives européennes, la préférence va aux anticoagulants oraux. Dr Hylek: Autre élément important : le facteur du sexe féminin ne joue véritablement un rôle qu à partir de plus de 65 ans. Dr Granger: Tout à fait. À lui seul, ce facteur est insuffisant pour justifier un anticoagulant. Dr Hylek: Par conséquent, cela ne veut pas forcément dire que les jeunes femmes souffrant de FA obtiennent immédiatement ce score et doivent prendre des anticoagulants pendant toute leur vie. En dépit du rapprochement des directives de la European Society of Cardiology (ESC) et des États-Unis, l aspirine est toujours utilisée. C est incroyable.

Le registre Garfield fournit des données très récentes issues de 19 pays qui révèlent qu environ 30 % des individus sont sous aspirine ou sous aucun traitement. [4] Manesh, pourquoi les médecins persistent-ils à l utiliser et comment pouvons-nous contribuer à démonter les mythes sur l aspirine? Dr Patel: Je crois que c est tout simplement un comportement enraciné. Cela fait déjà longtemps que l on dispose d informations sur l aspirine et les maladies cardio-vasculaires. C est moins le cas pour la FA. On peut penser à ça ou autres études qui montrent que même chez les patients âgés sous warfarine comparés aux patients âgés sous aspirine, le taux de saignement avec l aspirine était égal à celui de la warfarine.

Je crois qu il y a des idées fausses : on administre tout d abord de l aspirine à des individus parce que l on croit que c est plus sûr, mais aujourd hui on sait que c est inefficace pour prévenir des AVC. Pourtant, l aspirine comporte un risque. Malheureusement avec l aspirine, on a l impression d agir, mais en fait nous n agissons pas. Cela s explique probablement parce que l on a peur de commencer un traitement sous warfarine car pendant de nombreuses années, la warfarine était le seul anticoagulant. Il convient dès lors de sensibiliser à cette réalité. À mes yeux, c est l un des grands problèmes. Chris, croyez-vous que d autres éléments motivent l utilisation de l aspirine en prévention primaire? Dr Granger: Je crois que vous avez tout à fait raison. On la prend un peu comme une vitamine. Elle est si présente, si bon marché et si disponible... Dr Patel: De plus, elle fonctionne à n en point douter dans d autres domaines de la médecine cardio-vasculaire. Dr Granger: Cette question de l aspirine revêt tout simplement une importance essentielle. Il est fort possible que le moyen le plus simple d améliorer les soins et les résultats pour la FA soit de comprendre ces problèmes liés à l aspirine. Tout d abord, l aspirine est insuffisante si un patient présente un CHA 2 DS 2 -VASc de 2. Ce traitement ne convient tout simplement pas. Ensuite, si un patient est sous anticoagulant oral et si vous lui administrez de l aspirine, vous multipliez par 1,5 le risque de saignement sans pour autant, probablement, obtenir des avantages supplémentaires, surtout pour quelqu un qui n a pas récemment souffert d une maladie coronarienne.

Dr Patel: Vous avez entièrement raison. Nous nous sommes penchés sur toutes les principales études portant sur les nouveaux anticoagulants oraux (NOAC). Environ 30 % des patients sont sous aspirine et ont habituellement des antécédents de maladie coronarienne. Nous sommes arrivés à la conclusion que l aspirine augmentait clairement les risques de saignement. Nous savons que si vous n avez pas souffert d un syndrome coronarien aigu au cours de l année écoulée, les avantages continus ne sont pas certains surtout si vous prenez l un des anticoagulants oraux. L une des grandes décisions à prendre est de retirer l aspirine pour les patients chroniques sans maladies coronariennes qui sont sous aspirine pour la prévention primaire ou qui n ont pas souffert de syndrome coronarien aigu. Il s agit sans doute de la décision la plus simple à prendre lorsque des anticoagulants oraux leur sont administrés. Dr Granger: Elaine, vous avez accompli un travail exceptionnel dans ce domaine. Nous savons que l un des éléments expliquant ce problème d insuffisance thérapeutique est le saignement. En effet, lorsqu un individu souffre de saignement, il a tendance à arrêter de prendre ses anticoagulants. Par conséquent, l une des stratégies pour accroître la proportion de patients traités est d utiliser les anticoagulants oraux en toute sécurité lorsque nous en administrons. Cela veut dire qu il convient d éviter l aspirine si nous le pouvons.

Dr Hylek: Très juste. S agissant des preuves portant sur l utilisation de l aspirine, il importe d encourager les spectateurs à se pencher sur l étude BAFTA. [9] Au cours de cette étude au Royaume-Uni qui a porté sur des individus âgés de > 75 ans et atteints de FA, les cliniciens avaient un équilibre clinique pour déterminer ce qui serait le mieux pour ces patients, l aspirine ou la warfarine. Lors de cette étude en aléatoire, il apparaissait très clairement que la warfarine était plus efficace. Cependant, les saignements étaient pratiquement identiques. Je crois que nous oublions que les patients plus âgés connaissent des changements au sein de leur appareil gastro-intestinal entre autres et que l aspirine devient en fait nocive plus les patients vieillissent. Il s agit donc d un élément crucial. En fait, AVERROES [10] a mis un terme au débat sur l aspirine, n est-ce pas Chris? Pourriez-vous résumer brièvement?

Dr Granger: AVERROES est extrêmement important. Cette étude a porté sur 5000 patients pour qui la warfarine était jugée inappropriée ; certes, on peut se demander ce que cela veut bien dire. Cela étant dit, nous savons que le NOAC apixaban a réduit d environ 55 % les AVC comparé à l aspirine. Il était bien plus efficace dans la prévention des AVC et occasionnait le même taux de saignement ; une hausse très minime, voire modeste des saignements et, en fait, le nombre d hémorragies intracrâniennes était plus élevé chez les patients prenant de l aspirine que chez ceux sous apixaban. Dans la plupart des cas, il s agissait d aspirine à faible dose, ce qui souligne que les NOAC qui ont un meilleur profil y compris pour les hémorragies intracrâniennes (HIC), disposent d un profil d innocuité très similaire à celui de l aspirine, mais ils sont bien plus efficaces. Dr Hylek: Cette approche quant à la manière de traiter un patient présentant une maladie coronarienne (MC) stable est un message très fort envoyé par deux cardiologues de l université Duke. En effet, certains croient qu il faut un traitement antiplaquettaire, qu il faut de l aspirine. Cependant, je pense que nous causons plus de tort que de bien en combinant un anticoagulant avec de l aspirine pour ces patients comme vous l avez dit Manesh.

Dr Patel: C est ce qu il me semble. À mon sens, lors de cette réunion, notre propos sur la double thérapie antiplaquettaire va évoluer. D autres réunions permettront de faire comprendre que le monde médical est si attaché au traitement antiplaquettaire, deux médicaments, un médicament, ou pas. Pour les patients à l état stable et à qui des anticoagulants oraux sont administrés, nous devrons probablement continuer à changer un tant soit peu notre réflexion. Je m explique : à moins que les patients ne soient instables ou qu ils aient été récemment victimes d un épisode instable, je pense qu il est très raisonnable de prendre un anticoagulant oral. Nombre de recommandations vont aujourd hui dans cette direction, moins de saignement. Lorsque l on constate au regard des trois ou quatre études sur lesquelles nous nous sommes penchés que le risque de saignement est de taille et, comme vous l avez dit pour cette étude britannique, qu il est similaire à celui de la warfarine, et que l on voit à présent les conclusions de l étude AVERROES, on voit mal comment on pourrait continuer de demander à ce patient de prendre de l aspirine. En outre, il est question de patients âgés. À chaque fois que vous leur demandez de prendre un médicament supplémentaire, vous leur compliquez la vie. Dans la mesure du possible, nous avons à cœur de diminuer le nombre de médicaments que les patients doivent prendre. Parfois, il faudra les convaincre sur l aspirine, néanmoins, cela en vaut probablement la peine.

Dr Granger: Si vous me le permettez Elaine, je souhaiterais rajouter un élément sur l aspirine : tous les NOAC engendrent relativement plus de saignements gastro-intestinaux que la warfarine. C était plus ou moins la même chose pour l apixaban. Cependant, les saignements n étaient pas moindres comme pour les autres types de saignements. Quant au dabigatran et au rivaroxaban, davantage de saignements gastro-intestinaux sont à signaler. Lorsque nous utilisons de nouveaux médicaments, il est peut-être encore plus important d éviter l aspirine, à moins que cela ne soit véritablement nécessaire. En effet, c est une manière de réduire les saignements gastro-intestinaux. Dr Hylek: Nous évoquerons dans un instant l adhésion et la persistance. Néanmoins, je pense que les saignements, même les saignements mineurs, sont l une des principales raisons pour lesquelles les patients veulent arrêter de prendre ces médicaments. Mais avant tout, je dois vous dire que AFFIRM [12] a attisé ma curiosité. Il semblerait que même si vous souffriez de FA et que vous preniez des anticoagulants, dans cette étude, les individus qui ont été victimes d un AVC avaient en fait interrompu leur traitement à base d anticoagulants, car ils se trouvaient dans un rythme sinusal normal. Quelle est votre approche? Je crois que le domaine évolue, quel que soit le type de FA. Vous semblez vous préoccuper de la non-utilisation d un anticoagulant, cependant je pense que le caractère paroxystique de la FA explique dans une certaine mesure le traitement insuffisant. Le patient et le médecin espèrent probablement que le patient se trouve dans un rythme sinusal normal, que la situation est stable, qu il ne faut plus s en soucier. Je suis curieuse de savoir comment vous abordez ces patients.

Dr Granger: Les études ont révélé qu il y avait une certaine relation entre le fardeau de la FA et le risque d AVC. Un individu atteint de FA paroxystique présente un risque légèrement plus faible d AVC qu un individu atteint de FA persistante ou permanente. On peut ensuite se poser la question d un niveau très faible de FA détecté par exemple sur des dispositifs implantables. Cependant, une relation existe probablement entre le fardeau de FA et le risque d AVC. En fait, les patients qui vous consultent et qui présentent une FA évidente d un point de vue clinique, détectée sur un électrocardiogramme à 12 dérivations (ECG), sur un moniteur lorsqu ils viennent aux urgences, sur un moniteur Holter, ont très certainement un fardeau de FA sous-jacent considérable et un risque d AVC associé. La règle générale est très simple : ces patients devraient être traités avec un anticoagulant oral. Le problème ne disparaîtra pas à moins que cette cause ne soit réversible. Si le patient présente une péricardite ou de l hypothyroïdie, c est différent. Mais si la cause n est pas réversible, le problème ne disparaîtra pas. Ces patients devront prendre des anticoagulants pendant toute leur vie.

Dr Patel: Vous avez raison. Pour faire simple, nous avons mené des analyses dans le cadre de l étude ROCKET AF et il y a probablement clairement une différence infime au niveau du fardeau. [13] Cela étant dit, je voudrais ajouter deux éléments. Tout d abord, nous ne guérissons pratiquement aucune maladie en médecine cardio-vasculaire et la FA est incurable. Je sais que mes collègues en électrophysiologie ne seront pas d accord avec moi, mais à mes yeux, c est une maladie incurable. Je pense qu une fois que vous avez détecté la FA, quelle qu en soit la forme, deux possibilités s offrent à vous. Il convient d abord de déterminer le risque du patient. Lorsque nous discutons avec nos homologues et que nous détectons une FA paroxystique, quel est le score CHA 2 DS 2 - VASc? Si le score CHA 2 DS 2 -VASc est élevé, il est alors très probable que vous allez traiter ce patient quel que soit le fardeau, car son risque d AVC au cours des années à venir ne diminuera pas. Je crois que vous avez tout à fait raison. Je crois que les traitements insuffisants existent, et très franchement, parfois certains ne veulent pas y remédier. Si un épisode survient, espérons qu il ne se reproduira pas ; c est très difficile à faire lors d une visite clinique. Ce conseil s inscrit dans le cadre des messages que nous envoyons sur le traitement insuffisant. Certes, certaines décisions sont difficiles à prendre en une seule visite clinique, cependant parmi tout ce que nous pouvons faire pour les patients ce changement empêche les AVC et l embolie systémique.

Ces quelques minutes que vous allez consacrer ne sont pas une perte de temps surtout en cas de FA paroxystique. Il nous faut mettre des systèmes sur pied. Bien souvent, cet élément déclenche une réaction en série. Il convient d évaluer le contrôle, de se demander si nous allons donner des anticoagulants. Toutes ces étapes sont à franchir. Il convient également de mettre en place des systèmes pour aider les prestataires de soins de santé de première ligne et les systèmes de santé à fournir ces soins. Je sais Chris, travailler sur ce genre de choses est véritablement utile. Ce n est pas tant que les gens ne connaissent pas la dangerosité de la FA paroxystique ; c est plutôt la manière dont on s y prend. Dr Hylek: J ai l intime conviction que les médecins lisent les contre-indications, car ils ne veulent pas engendrer des saignements. Il y a trois semaines, lorsque j effectuais des visites à l hôpital, des étudiants et des résidents qui avaient des applications HAS-BLED et CHADS 2 m ont demandé comment interpréter HAS-BLED. J ai dû leur faire une mise au point quant à l utilisation de HAS-BLED. Je me demande dès lors comment vous vous y prenez lors de vos visites dans votre hôpital.

Dr Patel: Heureusement nos résidents ne sont pas aussi à la page pour les applications que les vôtres, mais j imagine que ça viendra. Cependant, dans ce domaine, un débat universitaire a été lancé. D aucuns disent qu il convient de nuancer CHA 2 DS 2 -VASc avec le HAS-BLED. En outre, il se peut que le traitement soit insuffisant parce que certains craignent, comme vous et d autres l avez mentionné, que nombre de ces facteurs de risque soient identiques. Les patients présentant un risque élevé d AVC courent un risque élevé de saignement. La question est de savoir combien de saignements un patient est-il prêt à accepter pour éviter un AVC. Très franchement, j imagine qu à de nombreux égards, lorsque j envisage l utilisation de HAS-BLED, je cherche des raisons de ne pas utiliser un anticoagulant oral. Il faut vraiment me convaincre que le risque HAS-BLED est élevé. La plupart des patients se soucient surtout du saignement intracrânien. Pour la première fois depuis des années, il se peut que nous disposions de traitements plus sûrs quant aux saignements intracrâniens. Ce n est pas tant que je ne m intéresse pas au score HAS-BLED, il est important. Cependant, la décision de traitement repose sur un CHA 2 DS 2 -VASc de 2. Plus le score augmente, plus il devient difficile de se fier aux contre-indications de saignement dans mon cabinet et dans d autres aussi espérons-le. Qu en pensez-vous Chris?

Dr Granger: Elaine Hylek m a fait observer que HAS-BLED revêtait une importance toute particulière non pas pour évaluer le risque de saignement, car généralement ces patients courent également un risque élevé d AVC, mais pour identifier des causes potentiellement réversibles ou évitables de saignement, comme par exemple, la consommation d aspirine, d alcool ou de non stéroïdiens, une tension artérielle non contrôlée, ou encore un mauvais contrôle du RIN, auquel cas de tels patients devraient prendre encore plus vite des NOAC. Il faut absolument être conscient de ces causes réversibles, mais bien trop souvent, comme vous le soulignez, on justifie le non-traitement par le score HAS-BLED plus élevé, et bien souvent à tort. Dr Patel: En fait, les dernières données en date sur les concentrations de certains des médicaments les plus récents nous apprennent qu une bonne partie de la variabilité au niveau du saignement et de la concentration est réversible et que l on pourrait être en mesure de la gérer, au même titre que la tension artérielle, certains des facteurs de risque et les traitements concomitants. Je ne suis certainement pas en train de vous dire d abandonner le HAS-BLED. Cependant, vous pourriez l utiliser pour déterminer comment vous allez vous occuper du patient, combien de fois vous allez le voir, et pour savoir ce que vous pourriez faire d autre pour réduire le risque de saignement.

Dr Hylek: Exact. En outre bien souvent, lors de mes visites, j essaie de faire en sorte que les médecins ne pensent pas qu il s agit d AVC mineurs ou d accidents ischémiques transitoires (AIT), mais d AVC importants, et j ai bien souvent recours à des données issues de diverses études qui montrent que 30 jours après un AVC FA, 24 % des individus sont morts. [15] Cette conséquence a été liée à l ampleur de l AVC. Cela ne s explique pas simplement par le fait que ces AVC frappent des individus âgés présentant une comorbidité, le fardeau de la maladie. Comment comparez-vous un AVC aussi dévastateur avec un saignement formant un agrégat (que la Société internationale de la thrombose et de l hémostase définit comme tout saignement qui présente une baisse de 2 g de l hémoglobine ou de deux unités de transfusion)? Quid des chutes? C est probablement la principale raison pour laquelle les médecins... Dr Granger: C est très fréquent, n est-ce pas? Nous parlons tous de l étude. Il s agit probablement d une exagération, mais une étude révèle qu il faut tomber quelque 400 fois par an pour surpasser l avantage au niveau de la prévention des AVC conféré par la warfarine ; et la warfarine présente un taux plus élevé de HIC. [17] Il n est pas uniquement question de HIC spontanée, il s agit également de HIC liée à des traumatismes qui sont plus habituels avec la warfarine qu avec les NOAC. Par conséquent, lorsque nous les utilisons, le profil est encore plus favorable. Le fait est que certains individus sont si fragiles, présentent un dysfonctionnement cognitif et font tellement de chutes que selon moi le mieux est de ne pas les traiter avec un anticoagulant.

Dr Hylek: Je ne suis pas d accord avec vous. Dr Granger: Certes, la grande majorité des patients victimes de chutes occasionnelles, qui ne heurtent pas leur tête et qui sont capables de respecter leur traitement, devraient se voir administrer un anticoagulant en dépit des chutes fréquentes. Dr Hylek: En effet, car je pense que les chercheurs ne sont pas encore parvenus à obtenir beaucoup de résultats dans le domaine des contre-indications relatives et absolues. Du point de vue d un neurologue, je me souviens qu un de mes collègues disait qu après une HIC lobaire, il était difficile de réintroduire des anticoagulants étant donné le risque de saignement. En fait, un saignement lobaire est assez élevé, il s agit d un saignement actif. D après moi, une fois que l on constate ces éléments, le patient, sa famille et peut-être même le médecin veulent arrêter ces médicaments. Manesh, que pensez-vous de l adhésion et même de la persistance du traitement? En effet, même si de grandes percées ont été réalisées avec ces médicaments, l adhésion au traitement est cruciale. À mes yeux, les saignements gastrointestinaux jouent un rôle dans la pratique, comment pouvons-nous les combattre? Dr Patel: Votre excellente étude publiée dans Circulation [16] et d autres ont uniquement mis en lumière la cohorte incidente. Elles ont révélé qu en cas de survenue de FA, et si le patient prend de la warfarine, après un an, chez les patients âgés de plus de 80 ans, 26 % avaient arrêté le traitement. De manière générale, selon plusieurs sources de données, je dirais qu environ un tiers, soit 30 %, des patients qui entament un traitement avec ces médicaments l interrompent. Pensez à toutes ces études en aléatoire où tant d efforts sont consentis pour que les patients continuent à prendre leurs anticoagulants oraux. Pourtant, après 1,5 à 2 ans, environ 20 à 30 % des individus arrêtent de prendre le médicament de l étude. Nous travaillons d arrache-pied pour qu ils n arrêtent pas leur traitement que cela soit la plupart du temps à cause des effets indésirables ou des saignements qui inquiètent les patients et qui dès lors ne veulent plus continuer à prendre les médicaments. Convaincre les patients de continuer à prendre leur traitement après l apparition des saignements est une tâche ardue. En outre, pour la première fois depuis très longtemps, nous disposons de médicaments qui réduisent les HIC et qui présentent des taux de saignement similaires, voire plus faibles, par rapport à la warfarine. Par conséquent, c est encore plus compliqué à comprendre. C est la réalité. Dans notre clinique, certains patients portent un bracelet jaune sur lequel on peut lire «risque de chute». Quand vous les recevez en consultation, vous êtes en tête-à-tête et ce bracelet vous signifie un risque de chute. Vous devez alors parler à la famille pour essayer d évaluer ce risque de chute et de comprendre le risque de saignement tout en parlant d anticoagulants oraux. C est ça la réalité avec laquelle les gens doivent composer. Comme Chris l a souligné, les données révèlent que pour l heure, le bénéfice risque est en faveur de l anticoagulation. Mais c est difficile à concevoir. En effet, en tant que cliniciens, nous pensons souvent au saignement et pas toujours à la prévention des AVC. Selon moi, c est là que réside notre problème. Dr Granger: Elaine, cet aspect de l adhésion est capital. J espère que l on fait preuve d une grande prudence et de réflexion avec ces nouveaux médicaments. En effet, deux moyens prouvés d améliorer l adhésion dans divers traitements sont de déterminer si le patient le suit et a des interactions régulières avec une équipe de soins de santé. Ces éléments vont d ailleurs de pair avec l utilisation de la warfarine. Parfois, il s agit d une nuisance et d une entrave. Cela étant dit, ces éléments renforcent bel et bien l adhésion et nous n en disposons pas avec ces nouveaux médicaments.

Par exemple, une recommandation d ordre pratique : quand vous administrez à un patient de nouveaux anticoagulants, ne lui dites pas que vous le reverrez dans six mois. Dites-lui plutôt de revenir dans un mois ou bien, si vous évoluez au sein d un système vraiment très bien organisé, vous pouvez peut-être travailler avec vos services anticoagulation et proposer au patient de prendre un rendez-vous chez eux dans une semaine. Dites-lui de parler avec une infirmière ou un pharmacien expert en la matière. Expliquez-lui comment prendre les médicaments, de faire en sorte que le patient reçoive la bonne dose, que les traitements concomitants soient connus et gérés. Savoir ce qu il faut faire en cas d intervention ; si vous subissez une intervention, sachez qui appeler pour demander quand vous devez arrêter de prendre votre médicament. Ce sont là des aspects pratiques qui revêtent une importance toute particulière pour assurer une adhésion optimale. Dr Hylek: Je suis d accord. Cela constituera un élément essentiel à l avenir. En fait, à l Université de Boston, les pharmaciens font partie intégrante du programme d orientation cardio-vasculaire des patients. Cependant, d après moi, la véritable percée avec les NOAC, c est qu ils sont moins pesants. Vous ne devrez plus prendre deux bus pour vous rendre à l hôpital et vérifier le RIN. Mais c est certain, l adhésion va jouer un rôle essentiel. Je voudrais revenir un instant sur les saignements gastro-intestinaux. Si je devais comparer ce que nous faisions lorsque j étais en formation et ce que nous faisons maintenant, aujourd hui nous abordons toute intervention en équipe et nous faisons preuve d énormément de vigilance pour redémarrer un traitement après une intervention. Je crois qu une concertation renforcée entre le chirurgien ou l endoscopiste et l équipe anticoagulation en passant par le médecin interne est primordiale. Nous avons véritablement appris que lorsque des patients interrompent probablement pendant quatre ou cinq jours ces médicaments ou si quelqu un n a pas fait assez d efforts pour cette étude, ils sont vulnérables.

C est ce qu a révélé cette étude de Kaiser Permanente. [18] Vous souvenez-vous de l étude qui portait sur la polypectomie et les saignements gastro-intestinaux? Dr Patel: Oui, même après trois à cinq jours, le taux de thrombose est accru. Certains individus sont même victimes d épisodes thrombotiques après une intervention en fonction du moment auquel le traitement a été redémarré. Je voudrais tout simplement souligner que nous l avons également constaté dans l étude ROCKET AF. [19]

À la fin de l étude, la transition était légèrement artificielle. En effet, ils abandonnaient le médicament à l étude et passaient à la warfarine. Cependant, pendant probablement 7 à 10 jours, ils ne prenaient pas de médicament ; c était donc une interruption. Plus vous arrivez à minimiser les interruptions, plus il est probable de réduire la survenue de ce type d épisodes. Dans le cas d un saignement gastro-intestinal ou d une intervention, le risque est encore plus élevé, car le patient pourrait présenter un caractère thrombotique et saigner. Je voudrais tout simplement relever que pour ces interruptions, même si vous tentez de les minimiser, le risque couru par le patient est significatif. Si vous disposez d un ensemble de données suffisantes, vous remarquerez ce risque. Dr Hylek: Même chez les patients plus âgés, le risque de base d un saignement gastro-intestinal est bien plus élevé que chez les plus jeunes. Cependant, la grande majorité des saignements gastro-intestinaux ne se reproduira pas si tant est que vous ayez remédié à l ulcère gastrique ou à la diverticulose. Les saignements récurrents avec diverticulose s élèvent à environ 4 % par an, ou quelque chose dans le genre. Ce n est pas dramatiquement élevé. À mes yeux, quand nous le retirons, en pensant faire le bon choix, peut-être même pour toujours, c est alors que l on constate la mortalité et que l on remarque une hausse des thromboses. Je crois que c est un élément qu il convient également de mettre en lumière.

Dr Patel: C est très clair, on observe une hausse de la mortalité. Et j imagine qu il convient de souligner ce que vous avez également tous bien fait remarquer, à savoir que cela se passe même avec certains des médicaments les plus récents après un saignement. Si vous prenez l un des nouveaux médicaments, la mortalité sera peut-être inférieure comparé à la warfarine. Les nouveaux médicaments permettent peut-être également de traiter des patients qui ont été victimes d un saignement gastro-intestinal ou d un épisode hémorragique alors qu en pratique clinique, un saignement motive une interruption. Je crois que la compréhension de l emplacement, de la gravité, du risque relatif associé au risque d AVC du patient est essentielle et demande du temps et des efforts concertés. Dr Hylek: Pour les patients plus âgés, qui sont censés être les patients les plus vulnérables, nous savons que la fonction rénale décline, tout comme probablement la fonction hépatique synthétique et la fonction métabolique. Ces nouveaux médicaments, les nouveaux agents, font vraiment une grande différence par rapport à la warfarine qui a une métabolisation hépatique complète. Comment prenez-vous en charge un dysfonctionnement rénal chez les patients dès que vous avez décidé combien de fois vous les verrez pour leur clairance de la créatinine (ClCr)?

Dr Granger: C est un aspect capital. En fait, bon nombre de nouvelles informations sur la fonction rénale en cas de FA et de traitement anticoagulant sont aujourd hui à notre disposition. Tout d abord, nous savons que le dysfonctionnement rénal chez les patients est fréquent, car les patients plus âgés, ne serait-ce que par leur âge, souffrent d insuffisance rénale. En outre, un risque accru d AVC et de saignement va de pair avec un dysfonctionnement rénal ; il s agit donc d un groupe à risque élevé. Chacun de ces nouveaux médicaments est éliminé par les reins, du moins partiellement. Pour tous ces médicaments, la posologie doit être adaptée pour les patients souffrant d insuffisance rénale. D emblée, il convient donc de savoir quelles doses utiliser ; une dose appropriée en prenant en considération la fonction rénale du patient.

Si le patient présente une fonction rénale relativement normale, vérifiez au moins une fois par an, comme lors des études. En cas d insuffisance rénale, disons une ClCr estimée à <50 ml/min plus ou moins, alors vérifiez plus d une fois par an, deux fois par an, ou même plus si la fonction rénale du patient en question est encore plus dégradée. Si le patient présente une ClCr de <30 ml/min, alors nous ne disposons tout simplement pas de données issues des études sur ces patients. Il convient dès lors de faire preuve de la plus grande prudence, probablement d éviter d utiliser ces nouveaux médicaments tant que nous ne disposons pas de davantage d informations sur ce groupe de patients qui présentent une fonction rénale amoindrie. En fait, par exemple, nous disposons d informations sur la posologie pour les patients en hémodialyse avec l apixaban, un groupe qui n a jamais fait l objet d études cliniques et pour lequel nous suggèrerions tous d éviter les NOAC jusqu à ce que des données cliniques soient disponibles. Dr Patel: En effet, comme je l ai signalé à Chris, outre les éléments que nous connaissons, s il me faut une information sur nos patients atteints de FA, c est la ClCr ou la fonction rénale. Elle vous permet d en savoir plus sur leur âge, leur taille, leur sexe et vous donne probablement une idée de leur maladie vasculaire. À de nombreux égards, nous utilisons CHA 2 DS 2 - VASc, mais la fonction rénale vous donne probablement également de nombreuses informations et, bien évidemment, vous devez savoir quelles doses administrer aux patients. Il ressort de tous les ensembles de données dont nous disposons que vous présentez au moins 50 à 60 % de risque supplémentaire d AVC ou de saignement lorsque votre ClCr est 50 ml/min. Comme Chris l a souligné, il convient d effectuer un suivi plus étroit et nous allons passer en revue encore davantage d informations pour savoir comment traiter ces patients. À mes yeux, ils présentent le risque le plus élevé et sont probablement les patients qui vivent avec le plus d incertitudes une fois qu ils entrent dans le cinquième stade de la maladie rénale chronique (MRC) ou qu ils entrent dans la phase terminale de la maladie rénale (PTMR). Nous ne disposons d aucune donnée en la matière et j y réfléchirais à deux fois avant d agir. Je voudrais aussi ajouter que j ai également hésité à utiliser les nouveaux tests pour le taux de facteur Xa ou à utiliser des doses n ayant pas fait l objet de tests. La bonne nouvelle c est que nous disposons de plusieurs nouveaux médicaments avec une dose pour la fonction rénale qui a été testée, ce qui devrait vous rassurer au moins à cet égard. Dr Granger: Cela s est avéré très efficace sur cette population, même si des problèmes subsistent, même s il s agit d un groupe à risque très élevé. Les NOAC apportent au moins autant de bénéfices aux individus présentant une insuffisance rénale modérée. Dr Patel: Oui, ils s en sortent au moins aussi bien, si pas mieux, qu avec la warfarine, sans les autres problèmes auxquels nous pourrions penser. Dr Hylek: Certes, mais je crois qu il est essentiel que les médecins prennent le temps de se familiariser avec la notice. Je sais que c est laborieux, et que l on n a pas le temps, mais parfois l étiquette et la notice sont modifiées, surtout s agissant des interactions médicamenteuses inhabituelles et peu fréquentes. Je crois toutefois que c est essentiel. Il faut faire preuve d un tant soit peu de bons sens. Si l un de vos patients présente une ClCr qui avoisine les 32 ml/min, mieux vaut ne pas choisir un agent qui dépend pratiquement entièrement de la fonction rénale. Après tout, ce n est pas pour rien que l on a étudié la médecine, n est-ce pas?

Je voudrais vous remercier d avoir participé à cette activité. C est toujours un grand plaisir de vous accueillir à l American Heart Meeting à Chicago. Merci à vous tous. Vous pouvez à présent passer au post-test FMC en cliquant sur le lien Earn CME Credit. Veuillez aussi s il vous plaît prendre un instant pour compléter l évaluation de l émission qui suivra. Merci. La transcription a été éditée pour améliorer le style et la clarté.

Abréviations ACC = American College of Cardiology AHA = American Heart Association FA = fibrillation atriale PAL = phosphatase alcaline ALT = alanine aminotransférase ARISTOTLE = Apixaban for the Prevention of Stroke in Subjects With Atrial Fibrillation AST = aspartate aminotransférase AVERROES = Apixaban versus Acetylsalicylic Acid to Prevent Strokes BAFTA = Birmingham Atrial Fibrillation Treatment of the Aged Study BID = deux fois par jour (du latin «bis in die») MC = maladie coronarienne CHADS 2 = insuffisance cardiaque congestive, hypertension, âge 75, diabète, AVC (doublé) CHA 2 DS 2 -VASc = insuffisance cardiaque congestive/dysfonction ventriculaire gauche, hypertension, âge 75 [doublé], diabète, AVC [doublé] -- maladie vasculaire, âge 65-74, et sexe [féminin] IC = intervalle de confiance MRC = maladie rénale chronique SNC = système nerveux central ClCr = clairance de la créatinine ECG = électrocardiogramme Edox = Édoxaban ENGAGE AF-TIMI 48 = Effective Anticoagulation with Factor Xa Next Generation in Atrial Fibrillation Thrombolysis in Myocardial Infarction 48 ESC = European Society of Cardiology PTMR = phase terminale de la maladie rénale FDA = Food and Drug Administration GARFIELD = Global Anticoagulant Registry in the Field GI = gastro-intestinal HAS-BLED = hypertension, fonction rénale/hépatique anormale, AVC, antécédents ou prédisposition aux saignements, rapport international normalisé labile, personnes âgées, consommation simultanée de médicament/alcool IC = insuffisance cardiaque Rri = rapport de risque HTN = hypertension HIC = hémorragie intracrânienne RIN = Rapport international normalisé FEVG = fraction d éjection ventriculaire gauche IM = Infarctus du myocarde NOAC = nouvel anticoagulant par voie orale AINS = anti-inflammatoire non stéroïdien OAC = anticoagulant oral MAP = maladie artérielle périphérique RE-LY = Randomized Evaluation of Long-term Anticoagulant Therapy ROCKET AF = Rivaroxaban Once-Daily, Oral, Direct Factor Xa Inhibition Compared With Vitamin K Antagonism for Prevention of Stroke and Embolism Trial in Atrial Fibrillation RR = risque relatif TAS = tension artérielle systolique ES = embolie systémique DT2 = diabète de type 2 AIT = accidents ischémiques transitoires DPT = durée dans la plage thérapeutique LSN = limite supérieure de la normale AVK = antagoniste de la vitamine K

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