Mandat et planification successorale



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Transcription:

Mandat et planification successorale Nombre d entre nous considèrent le mandat (également appelé procuration) comme un document essentiel au plan successoral. Ce document est utilisé lorsque le mandant est vivant et, généralement, frappé d inaptitude. Le mandat diffère du testament, qui prend effet au décès. Souvent, on se demande jusqu à quel point le mandataire peut faire de la planification successorale au nom du mandant. Le présent bulletin Actualité fiscale porte sur cet aspect particulier de la planification. Objet du mandat relatif aux biens Le mandat relatif aux biens est un document par lequel le mandant donne au mandataire le pouvoir de gérer ses biens et ses affaires, généralement lorsqu il devient inapte (ou incapable, au sens des lois de l Ontario). En Colombie-Britannique, l acte de représentation (Representation Agreement) confère une responsabilité accrue et comporte des directives relatives aux soins de santé, aux objectifs personnels et à la prise de décisions d ordre financier. Toutes les provinces, sauf le Québec, permettent désormais que le mandat prenne effet dès la date de sa signature et qu il continue de s appliquer durant l inaptitude du mandant. (Au Québec, le mandat doit être homologué avant de prendre effet.) La Colombie-Britannique a pour sa part instauré deux types de mandats prévoyant les prises de décisions financières. Un mandat ordinaire ou une procuration générale prend fin lorsqu une personne devient inapte, tandis qu une procuration perpétuelle (enduring power of attorney) demeure en vigueur malgré l inaptitude de l adulte. Le mandat peut stipuler qu il ne prendra effet que lorsque le mandant deviendra incapable de gérer ses biens. Une preuve de l inaptitude sera alors exigée. Souvent, pour éviter cette situation, on prévoit que le mandat prend effet immédiatement. Le mandant doit donc espérer que le mandataire n abusera pas de ses pouvoirs, ou il peut confier le document à un tiers, tel un avocat ou un notaire, avec instruction spécifique de ne le remettre au mandataire qu à la survenance d un événement déterminé. De plus, dans bien des cas, on devra obtenir un rapport médical confirmant l inaptitude du mandant. Dans la plupart des provinces, le mandant doit atteindre l âge de la majorité (qui varie d une province à l autre) avant de signer le document. Le mandataire devient le représentant du mandant. Si les pouvoirs accordés sur les biens du mandant sont illimités, le mandat devient un document d une portée considérable. Il faut donc user de circonspection dans le choix et la nomination de la personne qui sera dans une telle position de confiance. En Saskatchewan, des modifications apportées à la loi régissant les mandats (Power of Attorney Act, SS 2003, c. P-20.3) ont soulevé des questions quant au caractère perpétuel (permanent) de la procuration et à la vulnérabilité du mandant. Selon la loi de la Saskatchewan, le mandant doit avoir atteint la majorité et comprendre la nature et les effets d une telle nomination.

En Ontario, on a apporté des changements importants dans le domaine de l enregistrement foncier à la suite de transferts de propriété frauduleux qui ont été effectués au moyen de mandats. Dans l affaire Reviczky c. Meleknia, 2007 CanLII 56494 (ON SC), le tribunal a conclu que l institution prêteuse aurait dû examiner le mandat plus attentivement. Selon lui, l institution prêteuse avait le fardeau de déterminer la validité du mandat, mais elle ne l a pas fait. Elle ne pouvait donc pas par la suite poursuivre le fraudeur à l égard de la créance privilégiée. Cette décision est importante, car elle a une portée assez large et vient préciser qu il incombe aux institutions financières de vérifier scrupuleusement les documents qui leur sont soumis. Cette approche tranche avec la précédente qui était plutôt cavalière et faisait en sorte que les banques acceptaient d emblée ce type de document. Dans le cas d une personne qui exerce ou travaille dans plus d une province, nous suggérons de rédiger une procuration dans chaque province concernée, ou à tout le moins d envisager d en signer une dans chaque cas pertinent. Pour un propriétaire d entreprise, il est judicieux d avoir une procuration perpétuelle en vigueur, et la rédaction de ce document devrait faire partie du plan d affaires. Pouvoirs et obligations du mandataire Le mandat peut énoncer expressément et limiter les pouvoirs du mandant ou avoir une portée très étendue. Dans la plupart des provinces, la loi contient des principes directeurs sur les droits du mandant et les obligations du mandataire. Ainsi, en Ontario, la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d autrui (S.O. 1992, c. S.22) prévoit, à l article 7(2), que le mandataire peut accomplir, au nom du mandant, tout acte que ce dernier pourrait lui-même accomplir relativement à ses biens s il en avait la capacité, à l exception du testament. Autrement dit, le mandataire ne peut se mettre à la place du mandant et devenir le testateur. La Loi précise en outre à l article 32(1) que «le tuteur aux biens est un fiduciaire qui exerce ses pouvoirs et s acquitte de ses obligations avec diligence, honnêteté et intégrité, et de bonne foi, dans l intérêt de l incapable». Le législateur a mis l accent sur le rôle de fiduciaire qui est confié au mandataire, sur la position de confiance qu il occupe et sur le fait que tout acte qu il pose doit être «dans l intérêt de l incapable». En plus de l obligation de gérer les biens du mandant, le mandataire doit faire des dépenses raisonnables pour les soins du mandant et des personnes à la charge de ce dernier. Les lois provinciales indiquent les types de dépenses que le mandataire peut effectuer en cas d inaptitude du mandant. Une particularité de la loi de l Ontario est que le mandataire peut faire des dons ou des prêts aux parents et amis de la personne dite incapable ainsi que des dons de bienfaisance. Aucune autre loi provinciale ne contient pareille disposition. En Colombie-Britannique, la Wills, Estates and Succession Act («WESA») a introduit des changements importants à l égard des biens légués par testament. À titre d exemple, si, de son vivant, le mandant demande à son mandataire de céder un actif dont le legs est expressément prévu par testament, le legs visé est annulé et le bénéficiaire de la succession n a pas droit à une contrepartie égale au produit de la cession. Le mandataire chargé de la gestion des biens du mandant devrait se tenir au courant des responsabilités potentielles qui lui incombent. Dans l affaire Fareed v. Wood, 2005 WL 1460361 (Ont. S.C.J.), une femme âgée, M me McLeod, a donné un mandat à son avocat, M. Wood. Ce dernier a géré les placements et produit les déclarations de revenus de sa cliente. Elle n était pas inapte à l époque et elle a continué de faire des chèques et de payer ses dépenses courantes. Elle a fait des paiements à un tiers. Son avocat était au courant de ces paiements. Ceux-ci ont réduit considérablement son actif, au point qu il n y avait plus de fonds disponibles pour les bénéficiaires de sa succession. Le tribunal a conclu que les mandataires étaient responsables de toutes les transactions effectuées relativement aux biens du mandant depuis la date de leur entrée en fonction, que les transactions aient été effectuées ou non par le mandant. Ainsi, le mandataire doit non seulement inscrire les dépenses, mais aussi les expliquer et les justifier, y compris celles faites par le mandant. Le mandataire doit être conscient qu il a des obligations fiduciaires envers le mandant et qu il peut être tenu civilement responsable de la violation de celles-ci. Un mauvais usage des fonds par le mandataire est également sanctionné par l article 331 du Code criminel du Canada (S.R., c. C-34, s. 291), tandis que l article 334 prévoit une peine d emprisonnement pouvant aller jusqu à dix ans en cas de fraude de plus de 5 000 $. 2

Droits des tiers Le mandataire ne peut pas utiliser ses pouvoirs pour soustraire des tiers aux droits qui leur sont conférés par le testament ou la législation provinciale (par exemple, les lois sur le droit de la famille). Le droit jurisprudentiel part du principe que l intégrité de la planification successorale de la personne dite inapte doit être protégée (voir Weinstein c. Weinstein (Litigation Guardian of), 1997 CanLII 12272 (ON SC). Limites des pouvoirs du mandataire La common law a imposé des limites aux pouvoirs qui peuvent être délégués au mandataire : 1. Le mandataire ne peut exercer ses pouvoirs à son profit personnel à moins qu il ne soit autorisé à le faire au titre du mandat ou que le mandant ne l y autorise. 2. Il ne peut signer un affidavit ni agir si la connaissance ou les compétences personnelles du mandant sont exigées. 3. Il ne peut faire, modifier ni révoquer un testament au nom du mandant. 4. Il ne peut céder ni déléguer ses pouvoirs à un tiers sauf si le mandat l autorise expressément. 5. Il doit éviter tout conflit entre ses intérêts personnels et ceux du mandant. Généralement, le fiduciaire ne peut déléguer son pouvoir de prendre des décisions, mais il peut déléguer des tâches administratives. Le mandataire ne peut pas faire ce qui serait considéré comme une disposition testamentaire ni faire une disposition «quasi testamentaire». Le pouvoir exercé par le mandataire doit être bien défini (voir Desharnais c. Toronto Dominion Bank, 2002 BCCA 640 (CanLII)). a) Testament au nom du mandant Comme nous l avons précisé plus haut, nul ne peut déléguer le pouvoir de faire son testament. Cette règle est stipulée dans la législation de la plupart des provinces. Le mandataire ne peut prendre des dispositions testamentaires ni signer un testament ou un codicille au nom du mandant. À noter, toutefois, que certaines provinces ont adopté une loi qui permet au tribunal de faire ou de modifier un testament au nom d une personne dite inapte ou de prendre des mesures de planification successorale dans certains cas qui bénéficieraient au mandant. Le mandataire ne peut donc pas faire un testament au nom du mandant. Mais jusqu où s étend cette restriction? S applique-t-elle aux désignations de bénéficiaire faites au nom du mandant au titre d un contrat d assurance vie, d un REER, d un FERR ou d un régime de retraite? Oui, car ces désignations ont des incidences testamentaires. b) Désignation de bénéficiaire au nom du mandant au titre d un REER ou d un régime de retraite Les tribunaux ont examiné la question de savoir ce qui constitue une disposition testamentaire. Les REER, FERR, régimes de retraite et régimes d avantages sociaux sont considérés comme des fiducies entre vifs et ne seraient donc pas des dispositions testamentaires. Cependant, la jurisprudence semble appuyer la position selon laquelle les désignations visant ces produits constituent des dispositions testamentaires. En conséquence, dans la plupart des provinces, le mandataire ne peut pas faire de désignation au nom du mandant, mais dans les faits, la réponse peut dépendre des particularités du régime et de la législation s appliquant dans la province. c) Propriété d une assurance vie et désignation d un bénéficiaire au nom du mandant La question de la disposition testamentaire s applique également à la désignation de bénéficiaire faite au titre d un contrat d assurance vie. La législation provinciale prévoit que l assuré peut désigner le bénéficiaire du contrat et modifier ou révoquer la désignation, et rien n indique que celle-ci équivaut à une disposition testamentaire. Néanmoins, la jurisprudence appuie l opinion suivant laquelle le mandataire ne peut effectuer, modifier ni révoquer la désignation du bénéficiaire d un contrat d assurance vie au nom du mandant. On consultera, par exemple, la décision non publiée Bourgouin c. Clarica (7 juin 2002) de la Cour des petites créances du Québec. Une procuration générale est insuffisante pour conférer au mandataire le pouvoir de modifier une désignation de bénéficiaire au sens des lois sur les assurances (celle du Manitoba dans le présent cas) voir l arrêt Moss (Bankrupt), 2010 MBCA 39 (CanLII). L ouvrage Norwood on Life Insurance Law in Canada, 3 e édition, Carswell, 2002, précise également que le mandataire ne peut modifier ni révoquer la désignation du bénéficiaire d une assurance vie, car il usurperait ainsi le libre choix de l assuré. Cependant, en vertu de la loi de la Colombie-Britannique sur les procurations (Power of Attorney Act), aux termes d une procuration, un mandataire jouit d un droit restreint d effectuer une désignation de bénéficiaire. 3

Le mandataire peut sans doute faire une désignation illustrant la continuité. Par exemple, il peut transférer un REER d une société d assurance vie à une autre si la désignation demeure la même. En général, le transfert de propriété du contrat n est pas permis, car il permettrait au mandataire de modifier la désignation de bénéficiaire après le transfert. Lorsqu un contrat est détenu conjointement, l inaptitude de l un des titulaires empêche l autre d effectuer des opérations au titre du contrat, car il ne peut le faire sans le consentement du titulaire devenu inapte. Voici une façon de remédier à cette situation : on s assure que le mandat traite spécifiquement du ou des contrats d assurance vie détenus conjointement, de façon à ce que le mandataire puisse effectuer toutes les opérations nécessaires relatives au contrat. Le mandat doit indiquer clairement les types de décisions que le mandataire peut prendre relativement au contrat. Lorsqu un bénéficiaire irrévocable devient inapte, le même problème se pose. Le titulaire du contrat ne peut effectuer certaines opérations afférentes au contrat sans le consentement du bénéficiaire irrévocable. Comme dans le cas évoqué ci-dessus, le mandat doit traiter spécifiquement du contrat et des types de décisions que le mandataire peut prendre relativement à celui-ci. En Alberta, au Manitoba et en Colombie-Britannique, le titulaire du contrat peut s adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance lui permettant de gérer le contrat d assurance sans le consentement du bénéficiaire irrévocable. d) Planification successorale effectuée par le mandataire au nom du mandant L une des principales questions qui résultent de la popularité croissante du mandat est la capacité du mandataire d effectuer une planification fiscale ou successorale au nom de la personne dite inapte. En pratique, le mandataire aura avantage à demander au tribunal de préciser la nature et l étendue du plan successoral. Voici des exemples de plans entre vifs qui devraient être soumis au tribunal pour analyse : i) Plans qui cherchent à éviter que les biens soient distribués au décès ab intestat de la personne dite inapte ou suivant son testament courant; ii) Plans qui établiraient à l avance les droits des bénéficiaires au titre du testament ou des règles de la dévolution ab intestat; iii) Plans visant à éviter ou à réduire les frais d homologation et les divers impôts que les ayants droit risquent de devoir payer au décès. Trois causes ont établi la jurisprudence précisant les limites des planifications effectuées par les mandataires. Les tribunaux de la Colombie-Britannique se sont prononcés sur des demandes présentées par des mandataires ou des curateurs aux biens nommés par le tribunal afin de faire des dons ou d autres formes de planification successorale au nom d une personne dite inapte. Ces arrêts semblent paver la voie à la définition des limites permises pour la planification. Il s agit des causes Goodman (Re), 1998 CanLII 3902 (BC SC), O Hagan v. O Hagan, 2000 BCCA 79 (CanLII), (2000) 183 DLR (4 th ) 30, [2000] 3 WWR 643, (2000) 134 BCAC 104, (2000) 72 BCLR (3 d ) 100, (2000) 31 ETR (2 d ) 3 et British Columbia (Public Trustee) v. Bradley Estate, 2000 BCCA 78 (CanLII), (2000) 4 WWR 595, (2000) 133 BCCA 112, (2000) 73 BCLR (3 d ) 112, (2000) 31 ETR (2 d ) 16. Dans l affaire Goodman, le fils d une personne dite inapte a demandé au tribunal d approuver le transfert à luimême d une propriété de Victoria, en Colombie-Britannique, et le transfert à sa sœur d une propriété située en Alberta. Le plan consistait essentiellement en une avance sur son héritage et celui de sa sœur, à parts égales. Le tribunal a rejeté la requête pour diverses raisons. On n a pas pu déterminer avec certitude quelle aurait été l intention de la mère si elle n avait pas été inapte, et on n a pas démontré des besoins financiers pour les enfants ni une économie d impôt pour la mère autre que la réduction des frais d homologation. De plus, le transfert aurait entraîné des gains en capital. Dans l affaire O Hagan v. O Hagan, la famille d un homme riche âgé de 89 ans a demandé au tribunal d approuver un plan successoral comportant la réorganisation des actions des entreprises de l homme en question. Le tribunal de première instance a rejeté la requête, mais la Cour d appel l a approuvée, car le plan devait donner lieu à de substantielles économies d impôt, il n y avait pas de projet de disposition des biens de l intéressé, et le patrimoine de ce dernier était largement suffisant pour couvrir ses besoins jusqu à sa mort (qui ne pouvait être très éloignée). Dans l affaire Bradley (Re), la personne dite inapte était une femme riche âgée de 64 ans qui, bien que résidente canadienne, était citoyenne américaine et dont les impôts américains au décès seraient considérables. Un avocat américain a fait une recommandation au deuxième mari de la dame et à ses fils 4

issus de son premier mariage ainsi qu à leurs épouses et enfants. Le curateur voulait faire approuver un plan comportant une série de donations annuelles au mari, aux fils et à leurs épouses et enfants. Les fils ont consenti à la transaction. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a approuvé le plan, mais la Cour d appel a infirmé la décision. La Cour d appel qui, par hasard, a entendu cette affaire en même temps que l affaire O Hagan, a indiqué que les faits de l espèce Bradley différaient largement de ceux de l espèce O Hagan. M me Bradley avait 64 ans, non 89, et pouvait vivre encore de nombreuses années. Si son état de santé se détériorait, les frais afférents au soin de sa personne risquaient d augmenter considérablement. Les donations projetées pouvaient réduire énormément son patrimoine, le ramenant de 2,6 millions de dollars à quelque 800 000 $. Le tribunal a souligné que dans l affaire O Hagan, les intérêts de la personne dite inapte ne seraient compromis d aucune façon, mais qu ils le seraient dans l affaire Bradley. Le jugement de la Cour d appel de la Colombie-Britannique dans l affaire Bradley illustre le principe selon lequel la cour n approuvera pas des plans successoraux qui privent la personne dite inapte de ses droits de propriété dans une plus large mesure que celle qui est raisonnablement nécessaire pour réaliser l objectif de planification successorale visé. Le droit jurisprudentiel ontarien a adopté la même position. Dans d autres causes, on a également considéré des facteurs additionnels : i) La possibilité, si mince soit-elle, que la personne dite inapte recouvre la santé et s attende à retrouver ses affaires telles qu elle les a laissées; ii) La nécessité de la transaction envisagée. En général, les tribunaux semblent disposés à permettre un plan qui prévoit des économies d impôts ou d autres avantages pour la personne dite inapte et sa famille. Pourvu que les intérêts de cette personne soient préservés et qu elle ne soit pas privée des fonds nécessaires à ses soins personnels, les tribunaux devraient accueillir favorablement ce type de plan. Dans les arrêts O Hagan et Bradley, la Cour d appel de la Colombie-Britannique a recommandé de chercher à obtenir l approbation du tribunal lorsque le mandataire est dans une situation de conflit d intérêts parce qu il est membre de la famille et pourrait tirer profit d une transaction personnelle. Comme le mandataire agit à titre de fiduciaire, il doit gérer les affaires de la personne dite inapte au profit de cette dernière; il ne peut affecter des biens à son profit ou au profit des tiers. Il n a pas non plus le pouvoir de modifier la dévolution des biens au décès de la personne dite inapte suivant le testament de celle-ci. e) Planification au moyen de fiducies Fiducies en faveur de soi-même et fiducies mixtes au profit du conjoint Le mandataire peut également envisager de recourir à des fiducies pour la planification fiscale ou successorale au nom de la personne dite inapte. Les fiducies en faveur de soi-même et les fiducies mixtes au profit du conjoint offrent de nouvelles possibilités de planification. En Colombie-Britannique, la jurisprudence (voir les arrêts Mawdsley v. Meshen, 2012 BCCA 91 (CanLII) et Easingwood v. Cockroft 2011 BCSC 1154 (CanLII)) donne fortement à penser qu une fiducie créée à des fins de planification successorale légitimes ne devrait pas être considérée comme un transfert frauduleux. Le mandataire peut considérer le transfert des biens afin d éviter l application de frais d homologation (le cas échant). Les fiducies en faveur de soi-même et les fiducies mixtes au profit du conjoint sont essentiellement révocables. Il n est pas certain que le mandataire ait le pouvoir d établir une fiducie révocable. Si la proposition présentée dans la cause O Hagan (mentionnée ci-dessus) est appliquée, on pourrait prétendre que le transfert des biens à une fiducie ne constitue pas un acte testamentaire et est alors conforme aux diverses législations provinciales (p. ex., le paragraphe 7(2) de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d autrui de l Ontario). Comme la fiducie serait constituée au seul profit de la personne dite inapte de son vivant, elle devrait être accueillie favorablement par le tribunal ou être jugée conforme aux lois provinciales. Cependant, pour éviter toute incertitude quant à la possibilité du transfert en franchise d impôt à la fiducie, le mandataire devrait obtenir un avis préalable de l Agence du revenu du Canada (ARC). À son tour, l ARC pourrait exiger du mandataire de solliciter l opinion du tribunal quant à savoir si le mandataire agit dans les limites du pouvoir d établir la fiducie qui lui est conféré par le mandat. Un autre arrêt mérite notre attention : le jugement R. B. c. F. B. 2012 QCCS 247. Dans cette affaire, un mandataire désigné (le père) avait présenté une requête visant à obtenir l autorisation de créer une fiducie au nom de son fils et de nommer un fiduciaire corporatif. Le fils du mandataire souffrait de troubles de la mémoire et était devenu incapable par suite d une embolie pulmonaire. Le père voulait éviter qu advenant son 5

propre décès ou son inaptitude, les biens de son fils soient gérés par le Curateur public. La Cour a rejeté la requête et déclaré que le père ne pouvait pas déléguer ses pouvoirs à un tiers et que le mandat était muet quant au pouvoir de créer une fiducie. Bien qu il soit possible pour le mandataire de créer une fiducie après que son fils soit devenu incapable, peu être aurait-il fallu créer la fiducie en premier lieu plutôt que de désigner un mandataire. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles l établissement d une fiducie est plus avantageuse. Aussi, cette option devrait-elle être étudiée à fond afin de déterminer s'il serait plus approprié pour le mandant d'adopter cette voie. f) Biens numériques Les mandants devraient également songer aux directives à donner à leur mandataire pour le traitement de leurs biens numériques, lesquels comprennent à la fois les comptes électroniques et leur contenu. Peuvent faire partie de ces comptes, notamment, les médias sociaux, les courriels, les logiciels et les services en ligne, les comptes bancaires ou de placement en ligne ainsi que les paiements de factures automatisés. De son côté, le contenu numérique comprend le commerce en ligne, par exemple la musique ou les livres ainsi que les programmes de primes de fidélité. Toute l information nécessaire, comme les noms d utilisateur et les mots de passe, doit être fournie à l avance au mandataire par le mandant, si ce dernier souhaite que son mandataire s occupe de ce genre de biens. Bien que le problème puisse se poser de savoir quelle est l autorité compétente relativement à ces types de biens, et donc quelles lois sont susceptibles de s appliquer, le mandant peut au moins songer au traitement qu il aimerait confier à son mandataire à leur égard. Objet du mandat relatif aux soins Pour régler la question des soins personnels, il est utile de rédiger un mandat relatif aux soins de la personne ou des directives de santé (également appelées directives médicales au Québec). Un tel document peut aider la famille à comprendre le genre de traitement médical que le particulier désirerait recevoir. Il vise à nommer un mandataire qui prendra des décisions relativement aux soins de santé ou personnels, à l alimentation, au logement, à l hygiène et à la sécurité de la personne visée par le mandat. Un tel document spécifie habituellement quelles mesures de maintien de la vie peuvent être prises. Dans l arrêt de la Cour suprême du Canada Cuthbertson v. Rasouli, 2013 S.C.C. 53, un membre de la famille ou mandataire spécial s opposait à la décision du professionnel de la santé de mettre fin au maintien des fonctions vitales du mandant. Le mandataire spécial contestait la décision du médecin. Il reste à déterminer si un mandat relatif aux soins de la personne aurait pu contribuer à régler la situation. Une discussion à ce sujet entre les membres de la famille et leur médecin est primordiale. Conclusion Le mandataire a des points importants à prendre en compte pour remplir le rôle qui lui est confié dans le cadre du mandat. Il doit se rappeler que la personne dite inapte n est pas encore décédée. Ses biens continuent de lui appartenir, et, à moins qu un avantage évident soit démontré, sans risque ni inconvénient pour cette personne, les transactions qui modifieraient radicalement ses affaires ne seront pas permises. Dernière mise à jour : octobre 2014 Le Service Fiscalité, retraite et planification successorale de Manuvie rédige régulièrement divers articles. Cette équipe, composée de comptables, de conseillers juridiques et de professionnels de l assurance, fournit des renseignements spécialisés sur des questions touchant le droit, la comptabilité et l assurance vie, ainsi que des solutions à des problèmes complexes de planification fiscale et successorale. En publiant ces articles, Manuvie ne s engage pas à fournir des conseils professionnels d ordre juridique, comptable ou autre. Pour obtenir ces types de conseils, on aura recours aux services d un spécialiste. Ce document est destiné aux conseillers uniquement. Il n a pas été rédigé à l intention des clients. Le présent document est protégé par le droit d auteur. Il ne peut être reproduit sans l autorisation écrite de Manuvie. Le nom Manuvie, le logo qui l accompagne, les quatre cubes et les mots «solide, fiable, sûre, avant-gardiste» sont des marques de commerce de La Compagnie d Assurance-Vie Manufacturers qu elle et ses sociétés affiliées utilisent sous licence. 6