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Transcription:

1 C O E U R Centre d Observation EUropéen des Régions Assemblée générale de l AGEG Berlin, 8 9 novembre 2012 Cross-border labour market mobility, experiences, problems, challenges L expérience franco-suisse et franco-genevoise Professeur émérite Charles Ricq Université de Genève Centre d Observation Européen des Régions (CŒUR) Genève, 10 novembre 2012

2 Table des matières : Introduction : région transfrontalières et main d œuvre transfrontalière 1. bref rappel historique des principales caractéristiques de la main d œuvre frontalière en Europe (1972 / 1982 / 2012) 2. la problématique actuelle des travailleurs frontaliers la protection sociale : emploi et domicile la fiscalité transfrontalière : emploi et domicile les principales avancées (main d œuvres structurelle ; plus de zones transfrontalières ; espace transfrontalier plus et mieux intégré) 3. la situation franco-suisse et franco-genevoise nombre de frontaliers protection sociale, y compris chômage, santé fiscalité transfrontalière (Accord de double imposition) Conclusions régions transfrontalières et construction européenne progrès en 40 ans (1972 2012) travailleurs frontaliers et gouvernance transfrontalière non seulement «multi-level» mais «multi-actors» vers une Europe plus intégrée dans la perspective 2020 déjà au niveau transfrontalier pour des régions transfrontalières durables, inclusives, compétitives et intelligentes vers non seulement plus de convergence, mais surtout plus d harmonisation budgétaire, sociale et fiscale au sein des 27 ou des 17 de la zone euro.

3 Introduction : Faire en 2012 l AG de l AGEG à Berlin témoigne d une part des déplacements vers l Est de l Europe, de l ensemble de la problématique transfrontalière ; d autre part qu en ces temps de crise économique, sociale et financière, c est de témoigner que les régions frontalières européennes révèlent leur dynamisme spécifique face à cette crise et eu égard aux implications de la cohésion économique, sociale et territoriale, réaffirmée dans le Traité de Lisbonne. L émergence du fait transfrontalier depuis plus de 40 ans dans l espace européen a été soulignée, entre autres (et surtout) par l importance des travailleurs frontaliers qui témoignaient à leur façon des insuffisances de l intégration européenne inscrite dans le Traité de Rome (25 mars 1957). Grâce à cette main d œuvre, les régions frontalières devenaient de facto de véritables bassins transfrontaliers d emplois, de formation, de santé, de loisirs, de vie finalement, même si les «frontières» demeurent des points de ruptures voire de confrontation des «souveraineté territoriales nationales» Après avoir rappelé un brève historique des caractéristiques des faits frontaliers pendant ces 40 dernières années, je m attarderai sur les expériences franco-suisse et francogenevoise du phénomène des travailleurs frontaliers avant de conclure sur la place et le rôle irréversible des régions transfrontalières dans la construction européenne déjà dans le passé, le présent et encore plus dans les années à venir ; car ces régions, toutes spécifiques, réclament toutes «plus d Europe» Quelle belle tâche d avenir pour l AGEG.

1 ère partie : Quelques rappels historiques de la situation de la main d œuvre frontalière en Europe (voir ma thèse de janvier 1978 que certains ont appelé la «bible» transfrontalière!) 1.1. Principales caractéristiques en 1975 de la main d œuvre frontalière : main d œuvre frontalière de type essentiellement conjoncturel ; existence des zones frontalières 10/20 ou 50 km pour l emploi et le domicile ; zones plus encore alors «coupures» que «coutures» selon ma terminologie ; le travailleur frontalier est assimilé à un migrant ; donc pas de statut particulier pour le travailleur frontalier ; syndicats peu intéressés par ce type de main d œuvre ; d où émergence de groupements spécifiques, tel celui pour la frontière franco-suisse, à savoir le «Groupement transfrontalier européen», dont le siège social est à Annemasse près de Genève. 1.2. Principaux chiffres en 1975 (cf. ma thèse de janvier 1978) chiffres globaux : 245'000 travailleurs frontaliers ; chiffres suisses, franco-suisse et franco-genevois : respectivement 49'720 et 24'900 (chiffres alors «tabous» à ne pas dépasser pour les syndicats genevois, en 1975). 1.3. Réglementation européenne concernant les «migrants», donc les frontaliers dès 1971 ; car à Bruxelles, il n était pas question d un «statut particulier» pour les travailleurs frontaliers. cf. réglementations communautaires 1408/71 574/72 que j ai beaucoup utilisé dans ma thèse de 1978 ; dès la création du FEDER en mars 1975, est prévu un «hors quota» exceptionnel de 5% pour les espaces frontaliers! 1.4. Emergence d organisations et d institutions transfrontalières un peu partout en Europe dès les années 1970 et 1988. Citons entre autres parce que les flux de mains d œuvres en expliquaient parfois l émergence : 1953 : Regio basiliensis 1971 : Euregio, puis AGEG 1973 : la C.R.P.M. à Rennes l ARGE-Alp à Milan le Comité régional franco-genevois à Genève 1974 : création du CŒUR dans l IUEE à Genève par Denis de Rougemont 1975 : le RETI à Lille 1977 : Alpe-Adria à Trieste 1979 : Groupe de travail des 9 Cantons frontaliers de la France à Delémont 1982 : la COTRAO à Marseille 1983 : la Communauté de travail des Pyrénées à Oleron et jacca 1985 : la Communauté de travail du Jura à Besançon etc, etc. 1987 : le Conseil du Léman N.B. et le 28 juin 2012, sur le «petit lac» à Genève, signature de la Charte pour l agglomération du «Grand Genève». 4

5 2 ème partie : Problématique actuelle de main d œuvre frontalière en matière d emploi, de protection sociale, de fiscalité : 2.1. Les principales avancées en 40 ans (1970-2010) concernant les travailleurs frontaliers. main d œuvre transfrontalière : désormais structurelle, mieux et plus insérée, à égalité avec les résidents des pays d emploi, dans leurs structures économiques ; la notion de zone transfrontalière est supprimée, sauf cas particulier ou domaines spécifiques (fiscal) ; le retour quotidien au pays de domicile est en général supprimé, au profit d un éventuel retour hebdomadaire. Ces 3 avancées font que désormais toute la Suisse est frontalière! 2.2. Concernant les régions transfrontalières les réseaux de transports, de santé, de formation sont plus et mieux intégrés avec parfois (ou souvent) des difficultés de prise en charge transfrontalière des coûts de ces différents domaines ; émergence d eurodistricts, d eurorégions, d agglomérations transfrontalières, ou même d espaces métropolitains transfrontaliers dans toute l Europe ; appui conséquent des fonds structurels communautaires pour le développement et le rééquilibrage des espaces transfrontaliers, avec en particulier les programmes INTERREG I, II, III, IV de 1991 à 2012 ; sans oublier les nouveaux instruments communautaires de cohésion territoriale, tel le G.E.C.T. ou Groupement européen de coopération territoriale, du 5 juillet 2006 ; intérêt renouvelé de la DG XVI (politique régionale) pour les problèmes transfrontaliers dans la nouvelle période 2014 2020 (cf. Déclaration de M. Hahn, à Bruxelles, aux Open day s, le 11 octobre 2012) «à hauteur d un tiers des fonds de cohésion territoriale» pour cette nouvelle période. N.B. Nombre de travailleurs frontaliers en Europe en juillet 2012 mon estimation : 725'000 («peu» par rapport à l ensemble des frontières européennes) avec les chiffres suisses : 252'094 soit plus du tiers!

3 ème partie : La situation actuelle sur les frontières franco-suisse et franco-genevoise, au 1 er juillet 2012 : 3.1. Les chiffres concernant la main d œuvre frontalière sont extraits de la statistique fédérale suisse et ne concernent que les «frontaliers étrangers en activité» (permis G) ce qui excluent (ce qui fausse donc les chiffres) les bi-nationaux, les frontaliers suisses, et les fonctionnaires internationaux), pour Genève surtout : frontière pour toute la Suisse : 252'094 dont hommes 157'838 et femmes 94'256 ; âge moyen 25 à 45 ans, sexe confondu ; frontière franco-genevoise : 63'474 soit 22% de la population active genevoise dont 24'988 femmes (l office cantonal genevois de statistique prend en compte les frontaliers sans activité à la différence de la statistique fédérale, soit : 75'847 décembre 2010 / 78'229 septembre 2012). Pour Genève et la frontière francosuisse, la répartition des frontaliers par secteur est respectivement la suivante au 01.07.12 : primaire 1,1% : 1% secondaire : 10,3% : 30% tertiaire : 79,5% : 60% N.B. à Genève, en prenant en compte les frontaliers suisses, les binationaux, les internationaux, le nombre de «pendulaires frontaliers» s élèveraient à près de 98'000! Quant aux frontaliers genevois au sens fédéral, ils exercent un emploi surtout dans les domaines : santé, action sociale, commerce, construction, avec un salaire mensuel «médian» (public et privé) de 7'800.- FS par mois, soit 6'500 euros. 3.2. La protection sociale des travailleurs frontaliers 3.2.1 En règle générale, le pays d emploi prend en charge cette protection sociale, conformément aux réglementations européennes, en particulier le nouveau Règlement communautaire (R987. /2009) concernant les migrants, y compris les frontaliers, au sein des 27 Etats-membres, règlement en vigueur depuis le 1 er mai 2010 pour ces 27 Etats. Précisons toutefois encore qu à cause, par exemple, du cas du personnel naviguant belge de la compagnie aérienne irlandaise Ryanair, et de la situation des frontaliers en général, le Conseil européen en accord cette fois avec le Parlement européen, a approuvé, le 10 mai 2012, une meilleure coordination des systèmes de sécurité sociale, en attribuant à l Etat de résidence la priorité de cet Etat en la matière à condition que le frontalier exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat : début de solution qui ne répond bien sûr pas à l ensemble des problèmes de protection sociale des travailleurs frontaliers! 3.2.2. Quant à la Suisse, compte tenu des «bilatérales» et de «l acquis social communautaire» au sein de la législation suisse, ce pays applique la réglementation communautaire de sécurité sociale depuis le 1 er avril 2012, ce qui implique le libre choix de tous les citoyens suisses ou de l U.E. pour leur lieu d emploi ou de résidence, ce qui signifie qu il y plus de convergence et un début d harmonisation entre les systèmes de sécurité sociale quant à l égalité de traitement, la législation à prendre en compte, l ensemble des années d assurances, et même un début de meilleures collaboration administrative. 6

3.2.3. Les travailleurs frontaliers franco-suisses et leur assurance maladie : Jetons un œil particulier sur le cas pratique de l assurance maladie des frontaliers le long de la frontière suisse : Le point de départ européen se situe chronologiquement à partir de tous les règlements communautaires (1408/71 et 574/72 cf. ma thèse de 1980 sur les travailleurs frontaliers en Europe) ; puis leur «actualisation» : 883/2004 et 987/2009. S y ajoutent encore les accords de libre circulation entre la Suisse et l Union européenne de 2002 et de 2012, avec toutes leurs implications en matière de protection sociale, et donc d assurance maladie. Ces accords permettent, à tout ressortissant de la Suisse ou/et de l Union européenne, de choisir librement son lieu de travail et son lieu de séjour principal, entrainant ainsi une réelle coordination des systèmes de sécurité sociale. Dernièrement toutefois, en Juin 2012, le Gouvernement français a décidé d avancer au 1 er janvier 2013 (afin de récupérer environ 400 millions d euros) la suppression du libre choix de leur assurance maladie en France ou en Suisse, prévue initialement pour le 31 mai 2014. Suite à une forte réaction du Groupement transfrontalier européen représentant plus de la moitié des frontaliers francosuisses ainsi que de leurs élus locaux, le Gouvernement a reporté au 31 mai 2014 la suppression de ce choix qui portait sur les trois possibilités suivantes : - s assurer en Suisse, auprès des Caisses maladies suisses surveillées étroitement par la LAMAL (loi fédérale d assurance maladies et accidents). - s assurer auprès de la C.M.U. (propre à la France) - s assurer auprès de Caisses maladies privées en France (à environ 50.- à 80.- euros par mois). Ce libre choix avait déjà été remis en question dès l accord franco-suisse de 2002, accord qui prévoyait l affiliation obligatoire des frontaliers au régime général de sécurité sociale française (au taux de 13,5%, presque le double des cotisations des salariés en France) ; accord qui n est pas encore appliqué. Rien n est définitivement décidé! Je m en voudrais de ne pas mentionner ici le nouveau programme de la DGV (Direction générale de la politique sociale à Bruxelles), appelé «projet SSCALA» (Social Security Coordination activating local actors) pour promouvoir la coordination des systèmes de sécurité sociale, voire l harmonisation des prestations maladie dans les espaces frontaliers, à commencer, pour le projet SSCALA, par l espace frontalier rhénan (France-Belgique-Luxembourg-Allemagne), afin de développer, à partir de la base «bottom up» la coopération pratique entre institutions, juristes spécialisés, acteurs de terrain. Cela rejoint toute mes analyses sur la construction européenne et, en particulier pour le rôle des régions frontalières, à savoir mieux ou plus que la Gouvernance «multi-niveaux», il faut de la «Gouvernance multi-actors», plus proche des citoyens européens et de tous les acteurs de terrain. 7 3.2.4 Travailleurs frontaliers franco-suisse et assurance chômage Pour conclure, sur l assurance chômage dans les relations franco-suisses, signalons que les prestations de celle-ci sont versées par le pays de résidence, en vertu de toutes les réglementations communautaires déjà mentionnées et de l accord franco-suisse, du 1 er janvier 1980 et de celui du 7 septembre 2006. Toutefois depuis 1980 et jusqu en 2009, la Suisse reversait à la France l ensemble de ces cotisations de chômage perçue sur les travailleurs frontaliers par la Suisse, évaluées globalement à l heure actuelle à CH

170millons, soit environ 150millions d euros, ce qui permettait largement de couvrir les chômeurs frontaliers selon un «salaire dit de référence». Or, depuis 2009, la Suisse ne reversait plus ces cotisations (à l URSSAF de Strasbourg) pour s adapter à la réglementation européenne. Toutefois, un tout nouveau règlement européen, adopté par la Suisse, le 1 er avril 2012, oblige les Etats des pays d emploi des frontaliers à reverser aux pays de résidence 3 à 6 mois de cotisations chômage, mettant en partie fin au principe des prestations chômage par le seul pays de résidence, et redonnant vie au principe des cotisations sociales et donc des prestations par le pays d emploi : l avenir dira qui l emportera à Bruxelles, surtout dans la perspective d une meilleure convergence des systèmes de sécurité sociale et compte tenu des déficits publics de ces systèmes dans tous les pays européens. 8 3.2.5. A Genève, deux «agitations politiques» actuelles concernent la main d œuvre frontalière, quant au marché du travail genevois, au chômage et quant à sa couverture sociale, en particulier les soins de santé. le marché du travail et le chômage à Genève témoignent d une certaine spécificité genevoise : à fin 2011 nombre d habitants : 466 574 nombre d actifs (dont ¼ de frontaliers) : 296 474 taux du chômage (également pour frontaliers) : 4,7 à Genève (2.8 en Suisse) caractéristiques de l économie genevoise : tertiaire à 80% (banques, assurances, commerces) secondaires à 12% (horlogerie, pharmacie, chimie ) sans oublier l international (25'000 fonctionnaires internationaux) taux de croissance (en 2011) 2,8% La vie politique genevoise est marquée actuellement par «l acceptation ou le rejet des frontaliers» qui occupent ou accaparent, selon les dires, presque un quart des emplois à Genève ; certains milieux politiques attribuent le pourcentage élevé du chômage à Genève ou même dans tout l Arc jurassien à la présence «surdimensionnée» des frontaliers. En réalité, une récente enquête de l université de Genève a montré que les résidents genevois conservaient une certaine priorité sur les frontaliers dans les entreprises genevoises d autant que les conventions collectives qui lient les partenaires socio-économiques et les autorités cantonales permettent de surveiller de près toute forme de «dumping salarial», eu égard aux salaires plus élevés en Suisse qu en France, en plus de la force du franc suisse par rapport à l euro (1 euro = CHF 1.20). Ultime précision : le taux de chômage des frontaliers est similaire à celui des résidents genevois : 4,7% et 2,8% pour toute la Suisse, à la fin 2011 ; mais on n en est pas encore à une intégration transfrontalière des chômeurs à travers les organismes respectifs genevois et français.

3.3. la fiscalité transfrontalière : Elle témoigne de la complexité des systèmes politiques en présence, l un un Etat décentralisé, l autre un Etat fédéral 9 3.3.1 les grandes mises au point de l O.C.D.E. L imposition fiscale devrait en principe être perçue sur le lieu d origine du revenu, qu il découle du capital ou du travail, sauf si des accords bilatéraux de double imposition y dérogent. En outre, l O.C.D.E. souligne que le coût d un poste de travail est à mettre en concurrence avec le coût du domicile : les fourchettes pour ces deux coûts s étalent en général de 40% à 60%, voire 50% / 50%. 3.3.2 la situation des frontaliers franco-suisse et franco-genevois Relevons de suite qu au sein même de l Union européenne des 27, la fiscalité demeure encore une stricte compétence nationale, même si des essais récents (pacte budgétaire et financier ) semblent dessiner des possibilités de convergence, de coordination en matière fiscale (p.e. taux d imposition similaire des entreprises) au moins au sein de la zone euro des 17. A Genève, le Gouvernement genevois proposerait, dès 2013, pour toutes les entreprises un «taux commun» de 13%, à comparer avec des taux moins élevés (en Irlande, p.e.) ou plus élevés (en France ). Même si depuis 1975, la Commission européenne a tenté de mettre au point des directives et non pas des réglementations, sur l imposition des frontaliers soit au lieu de travail, soit au domicile, aucun progrès n a encore été fait à ce sujet, les Etats se répartissant en gros à 50% pour le principe du lieu de travail, à 50% pour celui du domicile ; et ce depuis 1975! La Suisse et la France ont donc choisi des accords bilatéraux pour régler ce problème de la fiscalité transfrontalière, en fonction d ailleurs de l existence des 9 Cantons frontaliers jouxtant la France. Rappelons qu en dix ans, de 2002 à 2012, le rythme de croissance moyen du nombre de frontaliers en Suisse, s élève à 11%. 3.3.2.1 La situation genevoise : Après une année de discussion en 1972, la France et les autorités genevoises (sous la houlette de la Confédération puisqu en Suisse, les Cantons ont la compétence fiscale) ont signé le 30 janvier 1973 une première en Europe un accord de rétrocession fiscale (ou juridiquement de «compensation financière») qui rétrocédait aux Communes frontalières françaises l impôt de domicile perçu à Genève sur les travailleurs frontaliers en raison du coût des frontaliers pour leurs Communes de domicile. Afin d éviter toute information personnalisée, cet accord a prévu la rétrocession à la France de 3,5% de la masse salariale d ensemble des frontaliers. En 2010, cette rétrocession se montait pout l année en cours à CHF 225 millions puisque la masse salariale nette des 75'847 frontaliers s élevait alors à 6,4milliards FS (soit 5,5 milliards d euros). Depuis 1992 et donc en 20 ans, la rétrocession genevoise aux deux Départements français de l Ain et de la Haute-Savoie et donc en grande partie à leurs Communes avoisine les CHF 2.5 milliards, soit 2 milliards d euros.

3.3.2.2. La situation franco-suisse pour les 8 des 9 Cantons frontaliers suisses jouxtant la France (Vaud, Valais, Neuchâtel, Berne, Jura, Soleure, Bâle Ville et Bâle Campagne) Excepté Genève qui perçoit l impôt à la source sur les salaires des frontaliers, cette situation se résume à l accord franco-suisse de septembre 1983 (M. Beregovoy était alors le ministre français des finances). Cet accord accepte l imposition fiscale des frontaliers de ces 8 Cantons par la France avec rétrocession du Trésor public français à ces 8 Cantons à hauteur des 4,5% de la masse salariale des frontaliers ; ce qui, pour le Canton de Vaud, par exemple, entraine en 2010 un versement à ce Canton de 71 millions FS (60 millions d euros) pour ses 22'300 frontaliers. Rappelons en conclusion que ces accords bilatéraux franco-suisses il en existe de semblable entre l Italie et la Suisse depuis 1986 - s inscrivent dans une typologie de la fiscalité transfrontalière que l ont peut résumer à trois situations : - une double imposition des travailleurs frontaliers au lieu de travail et au lieu de domicile (avec possibilité de soustraction des impôts de chaque côté de la frontière) ; - une imposition fiscale au lieu de domicile (avec accord bilatéral) et rétrocession éventuelle ; - une imposition fiscale au lieu de travail (avec accord bilatéral) et rétrocession éventuelle. L Union européenne, au nom de la stricte souveraineté fiscale des Etats, n a pas encore osé réaliser vraiment un début de convergence, encore moins d harmonisation en cette matière fiscale. Les exemples franco-suisse et italo-suisse n ont pas été imités par d autres régions transfrontalières, en dépit d une juste péréquation fiscale souhaitable entre le coût du domicile et le coût du poste de travail des frontaliers. 10

Conclusions 11 Mes 20 minutes sont plus qu écoulées! J avais signalé à notre Secrétaire général que les problèmes transfrontaliers de protection sociale et de fiscalité étaient trop vastes et trop complexes pour être présenté et analysé en quelques minutes, même dans des expériences particulières telle celles de la frontière francosuisse et de Genève en particulier. Mes conclusions (provisoires) touchent à l Europe et aux régions transfrontalières, et donc à l AGEG qui les représente depuis plus de quarante ans. L Europe : depuis les années cinquante, après des guerres dévastatrices, l Europe a repris le chemin de la paix et de l intégration. Les frontières, selon mon expression abondamment reprise (depuis 1978) par beaucoup, sont devenues plus «coutures» que «coupures», et la place et le rôle des régions transfrontalières sont désormais irréversibles dans la construction européenne ; car parce que catalyseurs et révélateurs de cette construction, toutes ces régions transfrontalières témoignent de l insuffisance des progrès vers plus d unité, plus de «structures fédérales» de l Europe (pour reprendre l expression de Jacques Delors). Ces régions ne pourraient que tirer profit non seulement d une Gouvernance transfrontalière véritablement multi-actors, et pas seulement «multi-level», mais par l insertion approfondie de ces régions spécifiques insertion rappelée récemment en octobre à Bruxelles par le Commissaire Hahn, chargé de la politique régionale et donc de la cohésion territoriale dans la stratégie 2020 d une Europe plus inclusive, plus compétitive, plus intelligente, plus démocratique ; et ceci à travers déjà les fonds structurels prévus pour le renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale 2014 2020 que mettra au point, espérons-le, le Conseil européen du 14 décembre 2012 prochain à Bruxelles sous la présidence chypriote de l Union européenne. Les régions transfrontalières et l AGEG Ces régions, en dépit des crises successives de la construction européenne (les crises ne sont-elles pas faites pour que l Europe se dépasse, comme toute institution humaine comme d ailleurs pour tout être humain?), ont montré leur utilité, leur place irréversible dans la construction européenne. En témoignent par exemple et c est le but de mon intervention d une part d une avancée réelle tant en matière de véritable intégration politique au sein de bassins transfrontaliers d emplois, de formation, d investissements, de santé donc des bassins de vie, partout en Europe, que d autre part dans l exemple des travailleurs frontaliers, main d œuvre désormais structurelle dans de véritables bassins d emploi transfrontaliers, main d oeuvre de mieux en mieux couverte par les divers systèmes de protection sociale. L AGEG, crée en 1971, voit son rôle grandir, compte tenu de l ampleur des phénomènes frontaliers dans toute l Europe et surtout des 4 grands systèmes politiques qui égrènent l espace européen : centralisé, décentralisé, régionalisé, fédéral. Dans la pratique ce qui caractérise le travail de l AGEG le rassemblement et la projection dans l avenir des expériences anciennes et nouvelles, voire de nouvelles expérimentations, de coopération transfrontalière démontre que l Europe doit avancer en matière de convergence, d harmonisation tant des systèmes de sécurité sociale que de fiscalité. A mes yeux, partager sa souveraineté n est pas la perdre ; mais au contraire c est favoriser la synergie entre Etats ; et l Europe en a besoin dans un monde de plus en plus globalisé! L AGEG

12 doit donc selon ses moyens dynamiser tous ces processus et sur le terrain et avec tous les acteurs vers plus d harmonisation en Europe en attendant la complète intégration de l Europe au sein de ce que certains appellent les «Etats-Unis d Europe». Quant aux travailleurs frontaliers, plus de péréquation fiscale et sociale en Europe est indispensable pour eux dans toutes les aires transfrontalières, d autant plus que mobilité et «flexisecurity» sont prévues pour l avenir du marché du travail en Europe. L AGEG plus que jamais a sa raison d être. Que les institutions européennes, les Etats, les régions lui en donnent les moyens. Ainsi, sa perspective à moyen et long terme de «plus d Europe», déjà dans les régions transfrontalières, se réalisera pleinement. Plus encore, et tout en utilisant au mieux tous les instruments juridiques sans cesse en émergence pour la coopération transfrontalière (GLCT, GECT, GEC etc.) depuis la Convention de Madrid du 18 mai 1980, et tout en s appuyant sur les fonds structurels et les programmes européens (Interreg etc.) la véritable mission de l AGEG sa stratégie à moyen et long terme consistera à faire émerger, renforcer, dynamiser une réelle volonté politique durable des élus locaux et régionaux ce qui ne réduit pas la relation transfrontalière à la seule recherche de fonds à Bruxelles pour toujours plus et mieux de coopération transfrontalière. Et cela sera d autant plus aisé que les processus de décentralisation dans la plupart des Etats européens délèguent à présent la «relation transfrontalière» aux collectivités territoriales, proches du terrain et donc des citoyens, dans le respect bien sur des systèmes politiques et de leur organisation territoriale respective. Voilà une belle et fructueuse mission pour nous tous, acteurs de coopération transfrontalière, pour déjà «plus d Europe» dans tous les espaces frontaliers européens.