ROYAUME DE BELGIQUE POUVOIR JUDICIAIRE COUR DU TRAVAIL DE MONS ARRET AUDIENCE PUBLIQUE DU 10 JANVIER 2012 N 3 ème Chambre R.G. 2011/AM/ 49 Contrat de travail Employé Contrat de travail conclu pour un travail nettement défini Conditions Prépension conventionnelle. Article 578 du Code judiciaire Arrêt contradictoire, définitif en ce qui concerne l indemnité compensatoire de préavis, ordonnant la réouverture des débats en ce qui concerne l indemnité complémentaire de prépension. EN CAUSE DE : La SPRL SEI Appelante au principal, intimée sur incident, comparaissant par son conseil Maître Alsteens loco Maître Vanhaverbeke, avocat à Bruxelles ; CONTRE : H. J., Intimé au principal, appelant sur incident, comparaissant par son conseil Maître Ligot loco Maître Cavenaile ; ******* La cour du travail, après en avoir délibéré, rend ce jour l arrêt suivant : Vu les pièces de la procédure, et notamment :
2 ème feuillet - la requête d appel déposée au greffe le 3 février 2011, dirigée contre le jugement contradictoire prononcé le 13 décembre 2010 par le tribunal du travail de Charleroi, section de Charleroi ; - l ordonnance de mise en état consensuelle prise le 22 février 2011 en application de l article 747, 1 er, du Code judiciaire ; - les conclusions des parties ; Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l audience publique du 22 novembre 2011 ; Vu les dossiers des parties ; * * * * FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE M. J.H. a été engagé au service de la SA SEI en qualité d employé en logistique, sous contrat de travail qualifié de contrat pour un travail nettement défini conclu le 11 janvier 2001, prenant effet le 15 janvier 2001, le travail étant décrit comme étant : «la mise en place et suivi d un système de maintenance préventive d engins de levage (ponts) pour le compte de notre client CATERPILLAR Gosselies». En date du 14 février 2003, M. J.H. a conclu un contrat avec la SPRL IGS, prenant effet le 17 février 2003 et mentionnant comme fonction «chronométreur analyseur». Ce contrat était également qualifié de contrat pour un travail nettement défini, soit : «analyser et enregistrer les temps nécessaires aux mouvements de l ouvrier et de sa machine dans le cadre de la ligne de montage Wheel loader pour le compte de notre client CATERPILLAR (cde BBJB 38971)». Par lettre du 28 novembre 2008, la SPRL IGS a annoncé à M. J.H. le transfert des deux entités SEI et IGS vers une nouvelle entreprise, la SPRL SEI (en abrégé SPRL SEI). La SPRL SEI a mis fin aux relations de travail par lettre du 19 décembre 2008 libellée en ces termes : «Monsieur, Objet : fin de mission Comme vous l'avez probablement appris par les communiqués diffusés chez Caterpillar, l'ensemble des projets programmés en 2009 ont été postposés voire purement et simplement annulés. Dans ce contexte, notre client a mis fin au bon de commande BBJB 38971 qui couvre vos prestations. Cette fin de mission prend ses effets le 31 décembre 2008 à minuit.
3 ème feuillet Vous serez donc libre de tout engagement à cette date, conformément aux dispositions du contrat d'emploi qui nous lie. Nous comptons sur votre "professionnalisme" pour terminer dans les meilleures conditions vos dossiers en cours. En effet, nous sommes convaincus qu'il s'agit là de mesures temporaires et que dans les prochaines semaines, les différents projets seront repris. A ce moment, nous aurons de fortes chances d'être à nouveau sollicités. La Direction et le personnel d'encadrement tient à vous remercier pour l'excellent travail accompli et formule d'ores et déjà le souhait de pouvoir rapidement vous proposer une nouvelle mission au sein de notre entreprise. Les documents sociaux relatifs à la terminaison de votre contrat vous parviendront dans les meilleurs délais. ( )». Par lettre du 17 septembre 2009, le conseil de M. J.H. a contesté la validité des contrats à défaut de précision suffisante quant au travail prévu et a mis la SPRL SEI en demeure de régler une indemnité de rupture correspondant à 6 mois de rémunération et de proposer une formule de prépension. La SPRL SEI y opposa le 2 octobre 2009 une fin de non recevoir. M. J.H. a soumis le litige au tribunal du travail de Charleroi par citation du 24 novembre 2009. La demande originaire avait pour objet d entendre condamner la SPRL SEI à : - payer la somme de 27.344,80 à titre d indemnité compensatoire de préavis correspondant à 10 mois de rémunération, à majorer des intérêts au taux légal depuis le jour du licenciement ; - établir un plan de prépension conventionnelle, sous peine d une astreinte de 500 par mois de retard, et à défaut, payer la somme de 5.000 à titre de dédommagement. Par jugement prononcé le 13 décembre 2010, le premier juge a : - condamné la SPRL SEI au paiement de la somme de 24.610,32 à titre d indemnité compensatoire de préavis correspondant à 9 mois de rémunération, à majorer des intérêts moratoires et judiciaires ; - dit pour droit que M. J.H. avait droit à la prépension conventionnelle depuis le 1 er octobre 2009, condamné la SPRL SEI à lui verser les sommes dues à titre d indemnité complémentaire de prépension depuis cette date, tout en réservant à statuer quant au montant effectivement dû à ce titre.
4 ème feuillet OBJET DES APPELS La SPRL SEI a relevé appel de ce jugement. Elle demande à la cour, en ordre principal, de réformer le jugement entrepris, de débouter M. J.H. de sa demande et de le condamner aux frais et dépens des deux instances. En ordre subsidiaire, elle demande le maintien de l indemnité compensatoire de préavis à 9 mois et la compensation des dépens. Par conclusions du 25 mars 2011, M. J.H. a formé un appel incident dans le cadre duquel il sollicite la condamnation de la SPRL SEI au paiement de la somme de 27.344, 80 au titre d indemnité de rupture correspondant à 10 mois de rémunération. Par ailleurs il fixe à 4.710,15 l indemnité de prépension conventionnelle due par la SPRL SEI et à 8.533,59 les frais et dépens des deux instances. DECISION Recevabilité L appel principal, régulier en la forme et introduit dans le délai légal, est recevable. L appel incident, introduit conformément aux articles 1054 et 1056 du Code judiciaire, est recevable. Fondement Indemnité compensatoire de préavis 1. 1. Aux termes de l article 7 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, le contrat de travail est conclu soit pour une durée déterminée ou pour un travail nettement défini, soit pour une durée indéterminée. L article 9 de ladite loi dispose que le contrat de travail conclu pour une durée déterminée ou pour un travail nettement défini doit être constaté par écrit pour chaque travailleur individuellement, au plus tard au moment de l entrée en service de celui-ci. Formée pour une durée déterminée, la relation de travail comporte un terme de droit extinctif, certain quant à la date de sa réalisation. Conclu pour un travail nettement défini, le contrat de travail renferme un terme de droit extinctif, incertain quant à la date de sa réalisation, constitué par une tâche précise qui est confiée au salarié. Seul le caractère incertain du terme prévu permet de distinguer les contrats conclus pour un travail nettement défini des conventions dont la durée est déterminée.
5 ème feuillet Le caractère incertain du terme du contrat n est pas absolu, les termes «nettement défini» utilisés par le législateur indiquant que le contrat doit définir clairement la tâche que le travailleur s engage à accomplir. Il faut donc que le travail soit défini avec précision et clarté, non seulement quant à son objet, mais également quant à son ampleur, afin que le travailleur puisse, au moment où il s engage, évaluer la durée normale de ses prestations. Cette exigence résulte de ce que la cessation du contrat est fonction exclusivement de l achèvement de la tâche à accomplir par le travailleur et ne peut dépendre de la volonté unilatérale de l une des parties au contrat. 1.2. En l espèce, le contrat conclu le 14 février 2003 prévoyait que M. J.H. était chargé de «analyser et enregistrer les temps nécessaires aux mouvements de l ouvrier et de sa machine dans le cadre de la ligne de montage Wheel loader pour le compte de notre client CATERPILLAR (cde BBJB 38971)». Ainsi que l a décidé le premier juge, cette formulation ne répond pas à l exigence légale d une définition précise du travail convenu. La description de la tâche à accomplir ne contenait notamment aucune précision quant à l importance de la commande à exécuter. La SPRL SEI soutient que M. J.H., en raison de sa longue expérience professionnelle, devait pouvoir estimer le temps que lui prendrait sa mission, notamment par référence à un cahier des charges inclus dans la commande concernée. Cette argumentation ne peut être retenue. En effet, d une part la SPRL SEI déclare en termes de conclusions (page 5) que la mission ne devait en principe pas dépasser deux ans, mais que compte tenu d éléments étrangers imprévisibles qu elle se garde de préciser le travail s est poursuivi au-delà du délai de deux ans prévu au départ (pour rappel les relations de travail ont duré près de six ans), sans pouvoir déterminer le moment où elle pourrait prendre fin (la cour souligne). D autre part, la lettre du 19 décembre 2008 mettant fin au contrat fait état de ce que, ainsi que cela résulte des communiqués diffusés chez CATERPILLAR, «l ensemble des projets programmés en 2009 ont été postposés voire purement et simplement annulés» et que «dans ce contexte, notre client a mis fin au bon de commande BBJB 38971 qui couvre vos prestations», ce qui exclut manifestement que M. J.H. ait pu, en 2003, supputer le temps normal qui le séparait de l achèvement de sa mission. En outre il résulte de ce qui précède que le contrat de travail a pris fin en raison, non pas de l achèvement de la mission confiée à M. J.H., mais de la décision de CATERPILLAR de mettre fin au bon de commande BBJB 38971. Or le terme incertain qui caractérise le contrat pour un travail nettement défini est l accomplissement du travail faisant l objet de l engagement, de sorte que le contrat est en principe maintenu aussi longtemps que le travail n est pas accompli. Le terme incertain ne peut dépendre du maintien ou de la dénonciation du contrat de sous-traitance dans le cadre duquel le travail devait s accomplir.
6 ème feuillet En conséquence, les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée. 2. Aux termes de l article 82, 3, de la loi du 3 juillet 1978, lorsque la rémunération annuelle excède 16.100 (28.580 au 1 er janvier 2008), les délais de préavis à observer par l employeur et par l employé sont fixés soit par convention conclue au plus tôt au moment où le congé est donné, soit par le juge. L article 82, 3, de la loi du 3 juillet 1978 n impose au juge qu une seule contrainte, celle de ne pas fixer le délai de préavis en dessous du minimum légal prévu pour les employés dits inférieurs, soit trois mois par période de cinq ans de service entamée. Il y a lieu de tenir compte de trois éléments pour déterminer le préavis convenable : - la difficulté de retrouver un emploi similaire, laquelle dépend de la fonction, de la rémunération et de l âge de l employé ; - l ancienneté, parce qu il y a lieu de récompenser la fidélité de l employé à l entreprise ; - les circonstances propres à la cause antérieures à la notification du congé. M. J.H. était âgé de 62 ans au moment de la rupture du contrat, exerçait la fonction de chronométreur analyseur et sa rémunération annuelle brute s élevait à 32.813,76. En ce qui concerne l ancienneté, il y a lieu, en application de l article 82, 2, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978, de tenir compte des services prestés chez le «même employeur». Cette notion vise l unité économique d exploitation que constitue l entreprise sans égard à la modification éventuelle de sa nature juridique (Cass., 2 juin 1971, Pas. 1971, 930 ; Cass., 15 juin 1985, Pas. 1985, 987 ; Cass., 9 mars 1992, J.T.T. 1992, 219). C est la fidélité à l entreprise conçue comme une continuité économique qui prime, sans qu importe le changement d identité de la personne de l employeur. Le lien de droit entre les employeurs successifs n est pas une condition de la continuité de l ancienneté. Celle-ci pourra être retenue lorsque les employeurs successifs ont une finalité économique identique, similaire ou complémentaire et lorsque le travailleur a exercé sans interruption des fonctions similaires. Tel est le cas en l espèce, ainsi que l a décidé le premier juge. En effet, la SA SEI et la SPRL IGS poursuivaient une finalité économique au moins similaire, sinon identique, elles avaient le même siège social et le même gérant, et M. J.H. a effectué des prestations similaires sans interruption dans le même environnement de travail. Il convient de relever également que le gérant de la SA SEI et de la SPRL IGS a conservé des fonctions importantes au sein de la SPRL SEI, constituée en vue de reprendre les activités de ces deux entités dont l ensemble du personnel a été transféré
7 ème feuillet avec maintien de leurs droits conformément à la convention collective de travail n 32bis. En conséquence l ancienneté à prendre en considération est de 7 ans et 11 mois, soit du 15 janvier 2001, date de prise de cours du premier contrat, jusqu en décembre 2008. Compte tenu des critères dont question ci-dessus, le premier juge a évalué adéquatement à 9 mois le délai de préavis convenable. Prépension conventionnelle 1. Le premier juge a considéré que M. J.H. était en droit de bénéficier du régime de la prépension conventionnelle organisé par la convention collective de travail n 17 conclue le 19 décembre 1974 au sein du Conseil national du travail et pouvait en conséquence prétendre à une indemnité complémentaire à charge de la SPRL SEI, le montant dû à ce titre étant réservé. M. J.H. sollicite la condamnation de la SPRL SEI au paiement de la somme de 4.710,15, correspondant à une indemnité mensuelle de 174,45 x 20 (soit le nombre de mois compris entre le terme de la période couverte par l indemnité de rupture et l âge de prise de cours de la pension de retraite). La SPRL SEI fait valoir que M. J.H. ne peut bénéficier du régime de prépension conventionnelle aux motifs qu il n a pas été licencié puisqu il n était pas engagé dans les liens d un contrat de travail à durée indéterminée et que d autre part il ne justifie pas avoir eu une carrière professionnelle de 30 ans en qualité de travailleur salarié. 2. Le premier argument ne peut être retenu, le premier juge puis la cour ayant considéré que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée qui a été rompu unilatéralement par la SPRL SEI. Par contre, en l état actuel de la procédure, M. J.H. ne justifie pas à suffisance remplir les conditions d accès à la prépension, en particulier quant à sa carrière professionnelle. Ses conclusions sont muettes à cet égard et aucune pièce n est produite. Il convient en conséquence de réserver à statuer quant au fondement de l appel principal sur ce point et d ordonner la réouverture des débats dans le cadre de laquelle M. J.H. est invité à s expliquer, pièces à l appui, sur son droit à la prépension conventionnelle eu égard aux textes légaux applicables (notamment l arrêté royal du 3 mai 2007).
8 ème feuillet PAR CES MOTIFS La cour du travail, Statuant contradictoirement, Vu la loi du 15 juin 1935 sur l emploi des langues en matière judiciaire, notamment l article 24 ; Reçoit les appels principal et incident ; Dit les appels principal et incident non fondés en ce qui concerne l indemnité compensatoire de préavis; Confirme le jugement entrepris sur ce point ; Avant de statuer quant au droit à l indemnité complémentaire de prépension, ordonne d office la réouverture des débats ; Dit qu en application des dispositions de l article 775 du Code judiciaire, les observations des parties devront être échangées et déposées au greffe dans le respect du calendrier suivant de mise en état de la cause : M. J.H. déposera au greffe et adressera à la partie adverse ses conclusions le 20 février 2012 au plus tard. La S.P.R.L. SEI déposera au greffe et adressera à la partie adverse ses conclusions le 10 avril 2012 au plus tard. M. J.H. déposera au greffe et adressera à la partie adverse ses conclusions additionnelles de synthèse le 31 mai 2012 au plus tard. FIXONS la cause pour plaidoiries à l audience publique du 9 OCTOBRE 2012 de 15 heures à 15 heures 30 devant la 3 ème chambre de la Cour, siégeant en la salle G des «Cours de Justice», rue des Droits de l Homme n 1 (anciennement rue du Marché au Bétail), à 7000 Mons. Ainsi jugé et prononcé, en langue française, à l audience publique du 10 janvier 2012 par le Président de la 3 ème Chambre de la cour du travail de Mons composée de : J. BAUDART, Mme, Président, J.-M. HEYNINCK, Conseiller social au titre d employeur, J. BOCKLANT, Conseiller social au titre de travailleur employé, S. BARME, Greffier. qui en ont préalablement signé la minute.