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Transcription:

le médicament du mois Dabigatran étexilate (Pradaxa ) : anticoagulant oral, inhibiteur direct sélectif de la thrombine P. Lancellotti (1), A.J. Scheen (2) RÉSUMÉ : Le dabigatran étexilate (Pradaxa ), administrable par voie orale, inhibe directement et sélectivement la thrombine (facteur IIa) et, à ce titre, exerce un effet anticoagulant. Pradaxa ne nécessite pas de surveillance ou d adaptation de la dose, excepté en cas d insuffisance rénale modérée ou chez les sujets âgés de plus de 75 ans, ainsi qu en cas de traitement concomitant par amiodarone ou vérapamil. Il est actuellement indiqué pour la prophylaxie de la thromboembolie veineuse après chirurgie orthopédique lourde de type prothèse de hanche ou de genou. Pradaxa s est révélé aussi efficace que l énoxaparine pour réduire le risque de thromboembolie veineuse après prothèse de hanche ou du genou, avec un profil de tolérance et de sécurité semblable. La dose recommandée de 220 mg est administrée une fois par jour, à commencer par une demi-dose 1-4 h après la chirurgie. La durée totale du traitement est de 10 jours en cas de chirurgie du genou et de 28-35 jours en cas d arthroplastie de la hanche. Contrairement à l énoxaparine, avec Pradaxa il n y a pas de risque de thrombopénie. Par ailleurs, notons que le Pradaxa s est révélé plus efficace que la warfarine pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux chez les patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire et aussi efficace que la warfarine pour le traitement de la thrombose veineuse aiguë (indications non reconnues actuellement). Mo t s -c l é s : Dabigatran - Prothèse de hanche - Prothèse de genou - Prévention thomboembolique - Fibrillation auriculaire Int r o d u c t i o n La thrombose veineuse profonde, qu elle soit liée ou non à l embolie pulmonaire, est une des complications les plus redoutées après chirurgie orthopédique lourde de type arthroplastie de hanche ou de genou (1). Faute de thromboprophylaxie, le taux de thrombose veineuse profonde, confirmée objectivement, peut atteindre les 50 %. Etant donné que la thrombose veineuse profonde est l une des premières causes de mortalité hospitalière que l on peut le mieux éviter, la prévention thrombotique constitue une des principales stratégies visant à assurer la sécurité des patients opérés (2). (1) Professeur, Université de Liège, Responsable du Service des Soins Intensifs Cardiologiques, Service de Cardiologie, CHU de Liège. (2) Professeur ordinaire, Université de Liège, Chef de Service, Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques et Unité de Pharmacologie clinique, CHU de Liège. Dabigatran etixilate (Pradaxa ) : or a l a n t i c oag u l a n t ac t i n g as direct selective inhibitor of thrombin SUMMARY : Dabigatran (Pradaxa ) is a new oral, direct, selective and reversible thrombin inhibitor (factor IIa) acting as anticoagulant. Pradaxa does not require monitoring or dose adjustment, except in cases of moderate renal insufficiency or in elderly patients (>75 years old). It is currently indicated for prophylaxis against venous thromboembolism after total hip or knee replacement surgery. Pradaxa has been shown to be as effective as enoxaparin in reducing the risk of venous thromboembolism after total hip or knee replacement surgery, with a similar safety profile. The recommended dose of 220 mg is administered once-daily, starting with a half-dose 1 4 h after surgery. The total duration of treatment is 10 days for knee surgery and 28-35 days in case of hip replacement. Contrary to enoxaparin, with Pradaxa there is no risk of drug-related thrombocytopenia. Of note, this promising new anticoagulant has also shown to be more effective than warfarin for stroke prevention in patients with non-valvular atrial fibrillation and as effective as warfarin for the treatment of acute venous thromboembolism (indications not recognized yet). Key wo r d s : Dabigatran - Hip surgery - Knee replacement - Thromboembolism prevention - Atrial fibrillation Plusieurs types d anticoagulants, ayant prouvé leur efficacité en termes de thromboprophylaxie, sont actuellement disponibles en pratique quotidienne. Les héparines de bas poids moléculaires (HBPM), dont l énoxaparine souvent reprise comme référence thérapeutique dans les programmes cliniques, sont les anticoagulants les plus couramment employés en Europe. Elles sont administrées sous forme d une à deux injections sous-cutanées quotidiennes. Les HBPM agissent par un mécanisme complexe et relativement indirect, à savoir la potentialisation de l action inhibitrice de l antithrombine vis-à-vis du facteur Xa (effet antithrombotique) et, dans une moindre mesure, du facteur IIa (effet antithrombinique). Ces deux sources d inhibition sont à l origine des développements actuels en matière de nouveaux anticoagulants (3). La thrombine (facteur IIa) est une enzyme clé dans la cascade de la coagulation; elle transforme non seulement le fibrinogène en fibrine, mais active aussi de nombreux facteurs de coagulation, leur permettant d amplifier les phénomènes conduisant à sa propre activation. Contrairement 588

Le m é d i c a m e n t d u m o i s. Da b i g at r a n é t e x i l at e (Pr a da x a ) aux HBPM, les inhibiteurs directs de la thrombine n ont pas besoin de l antithrombine comme intermédiaire. Ils agissent non seulement sur les molécules de thrombine libres mais aussi sur celles fixées sur le caillot. Plusieurs molécules, administrables per os et capables de se lier de manière non covalente sur le site actif de la thrombine, sont actuellement en cours d évaluation ou bien déjà disponibles sur le marché (4). Parmi ces substances, on retrouve le Pradaxa, commercialisé par le laboratoire Boehringer Ingelheim (Fig. 1). Cet inhibiteur direct de la thrombine (facteur IIa) se distingue, par son mécanisme d action spécifique, du rivaroxaban (Xarelto ), un anticoagulant agissant par voie orale comme inhibiteur direct sélectif du facteur Xa dont les caractéristiques ont déjà été présentées dans la revue (5). Ver s u n t r a i t e m e n t t h r o m b o p r o p h y l a c t i q u e p e r o s Le dabigatran est un inhibiteur synthétique direct, spécifique et réversible de la thrombine (facteur IIa). Il est administré par voie orale sous forme d une prodrogue, le dabigatran étexilate, qui est rapidement métabolisé dans l organisme en substance active, le dabigatran (6). Le dabigatran étexilate (Pradaxa ) est disponible sous forme de capsules à 75 mg et 110 mg. In d i c at i o n s Le Pradaxa est actuellement indiqué dans la prévention primaire des thromboses veineuses en cas de chirurgie orthopédique lourde de type prothèse totale de hanche ou de genou. Le traitement est administré oralement sous forme de 2 gélules en une seule prise, à commencer par une demi-dose 1-4 h après la chirurgie. La durée totale du traitement est de 10 jours en cas de chirurgie du genou et de 28-35 jours en cas d arthroplastie de la hanche. Figure 1. Cascade de la coagulation : site d action des héparines et du dabigatran. Pharmacocinétique Les principales caractéristiques pharmacocinétiques du dabigatran sont une biodisponibilité d environ 6,5 %, une concentration maximale obtenue en 2 heures, une demi-vie d élimination de 12 à 17 heures, une élimination rénale pour 80 % sous forme inchangée et sous forme glucoronoconjuguée pour 20 % (Tableau I). Les principales sources de variabilité sont la fonction rénale et la motilité gastrique, notamment en période post-opératoire immédiate. En conséquence, ce produit est administré oralement en 1 prise quotidienne, sans surveillance biologique et est contre-indiqué en cas d insuffisance rénale sévère (7). Etudes d efficacité L évaluation de l efficacité et de la tolérance du dabigatran repose sur les résultats de trois études de phase III (REMODEL, RE-NOVATE, RE-MOBILIZE) ayant comparé le dabigatran à l énoxaparine pour la prévention thromboembolique après chirurgie orthopédique à haut risque (8-10). REMODEL (après chirurgie du genou), et RE-NOVATE (après prothèse de hanche), deux études européennes, ont permis de conclure à l équivalence de l énoxaparine 40 mg et des deux doses testées de dabigatran (150 ou 220 mg per os une fois par jour débuté Ta b l e au I. Ca r ac t é r i s t i qu e s d u da b i g at r a n (Pr a da x a ) Pharmacocinétique avantages contre-indications Cible : facteur IIa Prise orale une fois par jour Hypersensibilité à la molécule Prodrogue : oui Pas de toxicité hépatique Insuffisance rénale sévère Pic plasmatique : 2-4 H après prise Pas de surveillance biologique Saignement évolutif Biodisponibilité : 6,5% Pas de risque de thrombopénie Lésion organique susceptible de Demi-vie : 12 à 17 H Pas d interactions alimentaires saigner Elimination rénale Non métabolisé par le cytochrome P450 Altération de l hémostase Insuffisance hépatique sévère Co-administration avec la quinidine 589

P. La n c e l l ot t i, A.J. Sc h e e n à mi-dose 1 à 4 heures après l intervention) sur base de critères phlébographiques obtenus après l intervention. Dans ces deux essais, l incidence des hémorragies tant mineures que majeures, y compris au niveau du site chirurgical, ainsi que la tolérance, en particulier la toxicité hépatique jugée sur l élévation des enzymes hépatiques et de la bilirubine, de même que l incidence de survenue des accidents coronariens, étaient comparables, attestant de la tolérance du dabigatran équivalente à celle de l énoxaparine. L étude nord-américaine, RE-MOBILIZE, a montré que l administration plus tardive de dabigatran, 6 à 12 heures après la chirurgie de genou, était associée à des taux de thromboses veineuses proximales, d hémorragies majeures et d événements symptomatiques superposables à l administration d énoxaparine 30 mg x 2 par jour pendant 10-14 jours, au prix, toutefois, d un excès de thromboses veineuses distales (10). Sécurité d utilisation La sécurité d emploi du Pradaxa a été démontrée tout au long des différents essais cliniques englobant environ 10.084 patients qui ont reçu au moins une dose du médicament. Dans les études en orthopédie, les effets indésirables les plus fréquemment rapportés ont été des saignements, survenant au total chez environ 14% des patients. La fréquence des événements hémorragiques majeurs (incluant les saignements au niveau de la plaie) a été inférieure à 2%. A la différence des HBPM, l administration orale du dabigatran permet d éviter l inconfort et les réactions locales liés aux injections souscutanées et n est associée à aucun risque de thrombopénie. Posologie et mode d administration En cas de prévention des événements thromboemboliques veineux chez les patients bénéficiant d une chirurgie programmée pour prothèse totale de genou (PTG) ou de hanche (PTH), la dose recommandée de Pradaxa est de 220 mg par jour, soit 2 gélules de 110 mg en une prise. Il est recommandé d instaurer le traitement par voie orale à la posologie d une seule gélule 1 à 4 heures après la fin de l intervention, puis de poursuivre à la posologie de 2 gélules une fois par jour pour une durée totale de 10 jours en cas de PTG et de 28 à 35 jours en cas de PTH. Dans les deux types de chirurgie, si l hémostase n est pas contrôlée, le traitement doit être instauré plus tard. Si le traitement n est pas instauré le jour de l intervention, la posologie doit être de 2 gélules une fois par jour, dès le lendemain. Le traitement par une dose plus faible (150 mg par jour) est privilégié chez les patients âgés de plus de 75 ans, chez les sujets avec insuffisance rénale modérée (clairance de créatinine de 30-50 ml/min) ou en cas de traitement concomitant par amiodarone ou vérapamil. En cas de vomissement post-opératoire dans les 6 heures suivant l administration, une nouvelle dose de Pradaxa sera administrée. Au-delà de ce délai de 6 heures, l absorption du dabigatran ne justifie pas une nouvelle administration (11). Précautions particulières et risque hémorragique Une surveillance clinique étroite (recherche de signes d hémorragies ou d anémie) est recommandée pendant toute la durée du traitement. En cas d hémorragie sévère, le traitement doit être arrêté et l origine des saignements recherchée. Bien qu il n existe pas de données actuellement disponibles, l association du dabigatran avec des produits qui augmentent le risque hémorragique doit se faire avec prudence (aspirine, clopidogrel, anti-inflammatoires non stéroïdiens avec une demi-vie supérieure à 12 heures). Notons que l administration d une dose d aspirine inférieure à 160 mg était autorisée dans les études. En l absence d expérience validée, il n est pas recommandé de débuter le traitement par dabigatran tant qu un cathéter péridural est en place. La première dose de Pradaxa doit être administrée au plus tôt 6 heures après le retrait du cathéter. Si le patient est traité par HBPM, un délai de 24 heures est recommandé entre la dernière injection d HBPM et la première administration de dabigatran. Notons que si le cathéter est enlevé dès la fin de l intervention, la première dose de Pradaxa doit être administrée au plus tôt 2 heures après le retrait du cathéter (12). Interactions médicamenteuses Il existe très peu d interactions médicamenteuses puisque le dabigatran n est pas métabolisé par le cytochrome P450 hépatique. Les concentrations plasmatiques de dabigatran peuvent toutefois être augmentées en cas de co-administration avec des inhibiteurs puissants de la P-glycoprotéine, comme le vérapamil, l amiodarone, la rifampicine, et la clarithromycine. Ceci peut augmenter le risque de saignement et ces patients doivent bénéficier d une surveillance clinique étroite. En cas d administration d amiodarone ou de vérapamil, la dose de dabigatran devra être réduite. 590

Le m é d i c a m e n t d u m o i s. Da b i g at r a n é t e x i l at e (Pr a da x a ) Ta b l e au II. Co m pa r a i s o n d e s p ro p r i é t é s d u da b i g at r a n (Pr a da x a ) av e c c e l l e s d e s h é pa r i n e s d e b a s p o i d s moléculaire (HBPM)) et de la warfarine dabigatran HBPM Warfarine Mécanisme d action Inhibiteur sélectif Potentialisation Antifacteur IIa anti-thrombine vitamine K Administration Orale Sous-cutanée Orale Surveillance biologique Néant Plaquettes INR Interactions alimentaires Non Non Oui Insuffisance rénale posologie posologie posologie Effets indésirables Hémorragies Hémorragies Hémorragies Thrombopénie Grossesse Non Oui Non Prévention thrombo- PTH, PTG Situations Situations embolique à risque à risque INR : International Normalized Ratio PTH, PTG : prothèse totale de hanche, prothèse totale de genou (actuellement les deux seules indications). Les autres perspectives thérapeutiques du dabigatran La fibrillation auriculaire est l arythmie supraventriculaire la plus fréquente, concernant 1 sujet sur 4 de plus de 40 ans. En dehors des conséquences hémodynamiques et myocardiques, la fibrillation auriculaire expose significativement aux complications thromboemboliques. En l absence de traitement approprié, la survenue d accident vasculaire cérébral est de l ordre de 5 % par an, soit un risque relatif multiplié par 2 à 7. L étude RE-LY a confirmé l efficacité et la sécurité du dabigatran par rapport à la warfarine dans la prévention de la survenue d un accident vasculaire cérébral chez les patients avec fibrillation auriculaire (13). Le dabigatran, à la dose de 150 mg deux fois par jour, a été plus efficace (réduction relative du risque de 34%) que la warfarine pour prévenir la survenue d un accident vasculaire cérébral ou d une embolisation systémique avec un risque d hémorragie majeure équivalent. Le dabigatran, à la posologie de 110 mg deux fois par jour, a été aussi efficace que la warfarine (non-infériorité) avec l avantage d une diminution significative du risque d hémorragie majeure. Les 2 doses ont permis de réduire le risque d hémorragie intracrânienne. L étude RE-COVER, menée en double aveugle, vient de montrer que l administration de 150 mg deux fois par jour de dabigatran s avère aussi sûr et aussi efficace, voire plus, que la warfarine dans le traitement des thromboses veineuses profondes en relais du traitement anticoagulant parentéral curatif (14, 15). L ensemble de ces essais cliniques réalisés avec le Pradaxa font partie d un vaste programme appelé RE-VOLU- TION qui comprend encore l étude RE-DEEM (étude de phase II pour la prévention secondaire du syndrome coronarien aigu), et les études RE- MEDY(MC) et RE-SONATE(MC) pour la prévention secondaire de la thrombose veineuse. Il est, cependant, important de noter que ces différentes situations cliniques ne constituent pas des indications officiellement reconnues actuellement. Contre-indications Les contre-indications à l utilisation du Pradaxa après prothèse de hanche ou de genou sont: l hypersensibilité à la substance active ou à l un des excipients, l insuffisance rénale sévère (clairance de créatinine < 30 ml/min), la présence d un saignement évolutif cliniquement significatif ou d une lésion organique susceptible de saigner, l altération spontanée ou pharmacologique de l hémostase, l insuffisance hépatique ou maladie du foie susceptible d avoir un impact sur la survie, et le traitement concomitant avec la quinidine qui peut augmenter sévèrement les concentrations sériques de dabigatran. Con c l u s i o n Le dabigatran-étexilate ou Pradaxa est un nouvel anticoagulant oral, caractérisé par un mécanisme d action spécifique original et doté de multiples facettes thérapeutiques, différentes des HBPM et de la warfarine (Tableau II). Il est actuellement indiqué dans la prévention des thromboses veineuses après chirurgie orthopédique programmée de la hanche (PTH) 591

P. La n c e l l ot t i, A.J. Sc h e e n ou du genou (PTG). En pratique clinique, la possibilité d utiliser un médicament, tel que le Pradaxa, par voie orale, à posologie fixe standardisée, sans interactions médicamenteuses significatives et ayant pour propriétés, rapidité d action, efficacité, bonne tolérance, et absence de nécessité de surveillance biologique représente un progrès majeur dans la thrombophylaxie après chirurgie orthopédique lourde. Cette facilité d utilisation, combinée à une bonne efficacité, semble déjà bénéficier aux situations chroniques telles que la prévention des accidents vasculaires cérébraux chez les patients ayant une fibrillation auriculaire non valvulaire et le traitement de la thrombose veineuse profonde. Ces entités cliniques devraient constituer de nouvelles indications reconnues du dabigatran dans un avenir plus ou moins proche. Bib l i o g r a p h i e 1. Hansson PO, Sörbo J, Eriksson H. Recurrent venous thromboembolism after deep vein thrombosis: incidence and risk factors. Arch Intern Med, 2000, 160, 769-774. 2. Geerts WH, Bergqvist D, Pineo GF, et al. Prevention of thromboembolism: American College of chest physicians evidence-based clinical practice guidelines. Chest, 2008, 133, 381S-453S. 3. Trame MN, Mitchell L, Krümpel A, et al. Population pharmacokinetics of enoxaparin in infants, children and adolescents during secondary thromboembolic prophylaxis: a cohort study. J Thromb Haemost, 2010, Epub ahead of print. 4. Samana MM, Gerotziafas GT. Newer anticoagulants in 2009. J Thromb Thrombolysis, 2010, 29, 92-104. 5. Scheen AJ. Rivaroxaban (Xarelto ) : nouvel anticoagulant oral, inhibiteur direct sélectif du facteur Xa. Rev Med Liège, 2009, 64, 538-543. 6. Blech S, Ebner T, Ludwig-Schwellinger E, et al. The metabolism and disposition of the oral direct thrombin inhibitor, dabigatran, in humans. Drug Metab Dispos, 2008, 36, 386-399. 7. Stangier J, Clemens A. Pharmacology, pharmacokinetics, and pharmacodynamics of dabigatran etexilate, an oral direct thrombin inhibitor. Clin Appl Thromb Hemost, 2009, 15, 9S-16S. 8. Eriksson BI, Dahl OE, Rosencher N, et al, RE- MODEL Study Group. Oral dabigatran etexilate vs. subcutaneous enoxaparin for the prevention of venous thromboembolism after total knee replacement : the RE-MODEL randomized trial. J Thromb Haemost, 2007, 5, 2178-2185. 9. Eriksson BI, Dahl OE, Rosencher N, et al, RE-NOVATE Study Group. Dabigatran etexilate versus enoxaparin for prevention of venous thromboembolism after total hip replacement : a randomised, double-blind, noninferiority trial. Lancet, 2007, 370, 949-956. 10. Ginsberg JS, Davidson BL, Comp PC, et al, RE-MOBI- LIZE Writing Committee. Oral thrombin inhibitor dabigatran etexilate vs North American enoxaparin regimen for prevention of venous thromboembolism after knee arthroplasty surgery. J Arthroplasty, 2009, 24, 1-9. 11. Rosencher N, Bellamy L. Dabigatran (Pradaxa ) : efficacy and safety. Ann Fr Anesth Reanim, 2009, 28, S15-22. 12. Rosencher N, Bonnet MP, Sessler DI. Selected new antithrombotic agents and neuraxial anaesthesia for major orthopaedic surgery : management strategies. Anaesthesia, 2007, 62, 1154-1160. 13. Connolly S, Ezekowitz D, Yusuf S, et al. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Eng J Med, 2009, 361,1139-1151. 14. Hawkins D. The role of oral direct thrombin inhibitors in the prophylaxis of venous thromboembolism. Pharmacotherapy, 2004, 24, 179S-183S. 15. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al. Dabigatran etexilate versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med, 2009, 361, 2342-2352. Les demandes de tirés à part sont à adresser au Pr P. Lancellotti, Université de Liège, Service de Cardiologie, CHU de Liège, 4000 Liège, Belgique. 592