Audrey Burger 1, Mustapha Mecili 1, Thomas Vogel 2, Emmanuel Andrès 1

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mt 2011 ; 17 (4) : 283-93 doi:10.1684/met.2011.0331 mt Tirés à part : E. Andrès Médicaments et classes thérapeutiques à risque iatrogène : études de données françaises et américaines Audrey Burger 1, Mustapha Mecili 1, Thomas Vogel 2, Emmanuel Andrès 1 1 Hôpitaux universitaires de Strasbourg, service de Médecine interne, Diabète et Maladies métaboliques, 1, porte de l Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex, France <emmanuel.andres@chru-strasbourg.fr> 2 Médecine Interne et Gériatrie, 1, porte de l Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex, France Il existe diverses méthodes d étude de la iatrogénie et/ou des effets indésirables médicamenteux en population générale. La plus utilisée de ces méthodes repose sur des enquêtes, le plus souvent réalisées lors de l admission des patients à l hôpital, mais également lors d enquêtes en ville, ces dernières souvent sur des thérapeutiques et/ou populations plus ciblées. De plus, la plupart des pays possèdent un organisme de pharmacovigilance efficient, ce qui est le cas en France à travers notamment l AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), pharmacovigilance chargée de recueillir les effets indésirables des médicaments après leur mise sur le marché. Dans ce travail, nous nous proposons de faire le point sur les médicaments et classes thérapeutiques à risque iatrogène à travers les données françaises et américaines. Mots clés : iatrogénie, effet indésirable, médicament, classe thérapeutique, sujet âgé, surveillance La iatrogénie médicamenteuse se définit comme «tout effet nocif, non intentionnel et non désiré d un médicament survenant aux doses habituelles dans un but prophylactique, diagnostique ou thérapeutique» (figure 1) [1]. Elle fait actuellement la une de la «grande presse» et pas un jour ne passe sans que des médicaments ne soient érigés en coupables, la plupart du temps «sans présomption d innocence» et parfois hélas sans argumentaire scientifique validé (en dehors de cas, il est vrai, avérés et dont les conséquences sont souvent dramatiques). Pour autant, il existe une pharmacovigilance plus qu active («proactive pour certains aspects), structurée et validée que ce soit en France, en Europe et/ou aux États-Unis. Il existe diverses méthodes d étude de cette iatrogénie et/ou des effets indésirables médicamenteux. La plus utilisée de ces méthodes repose sur des enquêtes, le plus souvent réalisées lors de l admission des patients à l hôpital, mais également lors d enquêtes en ville, ces dernières souvent sur des thérapeutiques et/ou populations plus ciblées. La plupart des pays possèdent un organisme de pharmacovigilance efficient, ce qui est le cas en France à travers notamment l AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) [2], pharmacovigilance chargée de recueillir les effets indésirables des médicaments après leur mise sur le marché. Dans ce travail, nous nous proposons de faire le point sur les Pour citer cet article : Burger A, Mecili M, Vogel T, Andrès E. Médicaments et classes thérapeutiques à risque iatrogène : études de données françaises et américaines. mt 2011 ; 17 (4) : 283-93 doi:10.1684/met.2011.0331 283

Événements TOTALEMENT INCONNUS et donc TOTALEMENT IMPRÉVISIBLES -«Bébé thalidomide» - Hormone de croissance et Creutzfeld- Jacob Événements CONNUS comme NON EXCEPTIONNELS PLUS OU MOINS PRÉVISIBLES ET ATTENDUS CHEZ UN PATIENT DONNÉ mais SANS «MAUVAISE PRATIQUE MÉDICALE» - AINS et toxicité digestive - Ponction lombaire et céphalées - Coloscopie et perforation - Hospitalisation et infections nosocomiales Événements CONNUS comme EXCEPTIONNELS et IMPRÉVISIBLES CHEZ UN PATIENT DONNÉ -Allergies Figure 1. Événements et effets indésirables recouverts par la notion d iatrogénie. médicaments et classes thérapeutiques à risque iatrogène dans la population générale à travers les données françaises et américaines consacrées à la pharmacovigilance. Iatrogénie médicamenteuse en France Les données concernant la iatrogénie médicamenteuse en France peuvent être étudiées, analysées et discutées à partir de nombreuses sources, sources extrêmement disparates quant à leurs valeurs scientifiques, à leurs méthodologies et aux biais de recueil. Dans le présent travail, 3 sources ont été retenues pour s intéresser à la iatrogénie en population générale dans l idée avant tout de s intéresser à la iatrogénie évitable et d être à la fois exhaustif et de s appuyer sur des données validées : le rapport EVISA [3], une étude récente de l APNET (Association pédagogique nationale pour l enseignement de la thérapeutique) [4, 5] et les données de la pharmacovigilance française [2]. Dans une première étape, les données essentielles seront successivement sélectionnées, présentées et analysées pour chaque source, avant de réaliser dans un deuxième temps une synthèse qui nous permettra ultérieurement une comparaison avec les données américaines. Le rapport EVISA Le rapport EVISA [3] rapporte les événements indésirables liés aux soins extra-hospitaliers et causant une admission hospitalière. Il étudie et analyse leur fréquence, leur gravité, leur caractère évitable, le contexte et les facteurs contributifs de leur survenue. Pour ce faire, 22 unités de médecine et de chirurgie de 7 établissements ont été tirées au sort et ont participé à cette étude. L étude a duré 8 semaines et a englobé 2 946 patients (1 798 patients en médecine et 1 178 patients en chirurgie). Les soins extra-hospitaliers ont été définis comme les actes de traitement, de diagnostic, de prévention ou de réhabilitation délivrés dans un cabinet médical, infirmier ou paramédical, ou au domicile du patient. Les événements indésirables ont été considérés comme graves s ils étaient associés à un décès, une menace vitale, une prolongation de l hospitalisation d au moins 1 jour, ou s ils ont provoqué un handicap ou une incapacité à la fin de l hospitalisation. Tous les événements indésirables à l origine de l hospitalisation ont été considérés comme graves. Pour 2 851 patients (96,8 %), aucun événement n a été détecté [3]. Pour 95 patients (3,2 %), un événement a été détecté. Parmi ces derniers, 73 patients (2,6 %) présentaient un événement lié aux soins extra-hospitaliers et cause de l hospitalisation. Les patients qui ont subi un événement indésirable lié aux soins extra-hospitaliers étaient globalement plus âgés que ceux qui n en avaient pas eu : 76,7 versus 65,2 ans (p = 0,0002). La figure 2 et le tableau 1 illustrent les liens qui existent entre l âge et la présence d un événement indésirable [3]. Sur les 73 événements indésirables liés aux soins extra-hospitaliers (2,6 %), 52 (71,2 %) étaient considérés comme évitables. Parmi ceux-ci, la cause se trouvait dans la réalisation des soins pour 91,4 % des cas et l indication de ces soins était admise pour 63,5 % d entre eux. Soulignons toutefois que parmi les 73 événements liés aux soins extra-hospitaliers, 47 étaient attendus compte tenu de l évolution de la maladie et de l état du malade. Pour 54 événements indésirables (74 %), les soins extra-hospitaliers étaient cependant largement reconnus (données de la littérature, données des professionnels de santé) comme pouvant être la cause de l événement clinique. Le principal lieu de survenue des événements indésirables était le domicile des patients avec 66 événements indésirables (90,4 %). Les autres lieux de survenue d un événement indésirable étaient : la maison de retraite dans 8,2 % des cas et la maison de repos dans 1,4 % des cas. La prise en charge de ces événements indésirables concernait in fine davantage la médecine (68 événements [93,1 %]) que la chirurgie (5 événements indésirables [6,9 %]). Dans ce travail, 3,9 % des admissions en médecine et 0,4 % des admissions en chirurgie ont pour cause un événement indésirable. Dans ce cadre, le délai moyen entre la survenue de l événement indésirable et l hospitalisation était de 2,6 jours. Comme l illustre le tableau 2, la majorité des événements indésirables était liée à une prise en charge thérapeutique avec 54 événements (74 %). D autre part, 284

50 % Sans EI (N = 2 873) Avec EI (N = 73) 40 30 Médiane âge Patients avec EI = 81 ans Patients sans EI = 71 ans 20 10 0 < 1 an 1-10 11-20 21-30 31-40 41-50 51-60 61-70 71-80 81-90 > 90 Classes d'âge Figure 2. Répartition des 2 946 patients selon leur classe d âge et en fonction de la présence d un événement indésirable (= EI) [3]. soulignons que le facteur majeur ayant favorisé ces événements indésirables était la fragilité du patient lui-même dans 70 % des cas (51 événements indésirables). Quatrevingt-neuf pour cent des événements liés à la prévention et au diagnostic étaient évitables contre seulement 65 % de ceux liés à la thérapeutique. Pour au moins deux tiers des événements indésirables, au moins une erreur a été identifiée comme cause principale. En ce qui concerne principalement le sujet de cet article, notons que 55 événements graves liés aux soins extra-hospitaliers (75,3 %) étaient directement liés à un médicament. Parmi ces 55 événements, 2 sur 3 étaient évitables ce qui correspond à 38 cas d événement indésirable graves évitables [3]. Le tableau 3 présente la liste des classes médicamenteuses rattachées à la survenue de ces événements. Tableau 1. Répartition des patients avec un événement indésirable (EI) grave selon l âge [3]. Une cinquantaine de dossiers avec un d un événement indésirable grave évitable lié aux médicaments ont fait l objet d une analyse approfondie des causes. Le comportement du patient ou de son entourage était en relation avec la survenue d un événement indésirable dans 23,4 % des cas [3]. Les autres causes de survenue d un EI étaient les erreurs d indication thérapeutique, les retards thérapeutiques, les erreurs ou les retards diagnostiques et les défauts de prévention ou de surveillance. Le tableau 4 détaille ces données. Parmi les facteurs contributifs liés aux patients, la complexité clinique (11 cas [23,4 %]), l opposition ou la non-compliance aux soins (8 cas [17 %]) et l autogestion excessive des traitements (6 cas [12,8 %]) sont les plus fréquents rapportés. L étude a aussi permis de dégager divers éléments de vulnérabilité. Ainsi, la période entre un début de perte d autonomie et la décision d apporter un support a été identifiée à 6 reprises (13 % des patients). Ont également été identifiés l isolement (6 cas [12,8 %]) et la polymédication (3 cas [6,4 %]). Age Patients avec EI (N = 73) Effectif Patients sans EI (N = 2 873) Effectif Moins d un an 0 0 4 0,1 1-69 ans 13 17,8 1 371 47,7 70 ans et plus 60 82,2 1 498 52,1 Total 73 100 2 873 100 L étude de l association pédagogique nationale pour l enseignement de la thérapeutique L étude de l Association pédagogique nationale pour l enseignement de la thérapeutique (APNET) a été réalisée durant deux périodes d une semaine, l une en juin et l autre en décembre 1999 [4, 5]. Il avait pour objectif de dégager des éléments épidémiologiques et causals à la iatrogénie médicamenteuse en France à travers une étude méthodologiquement robuste. Dix hôpitaux français y ont participé. Sur les 1 937 patients ayant été admis ou étant 285

Tableau 2. Répartition des causes des événements indésirables (EI) [3]. Cause EI totaux (N = 73) EI évitables (N = 52) Liée à une prise en charge Prévention 15 20,5 15 28,8 Diagnostic 4 5,5 2 3,8 Thérapeutique 54 74,0 35 67,3 Réhabilitation 0 0 0 0 Principale cause d EI Erreur dans le choix de la prise en charge 23 31,5 22 42,3 Retard dans sa mise en œuvre 5 6,8 3 5,8 Erreur dans sa réalisation 9 12,3 9 17,3 Autre 29 39,7 15 28,8 Inconnu 7 9,6 3 5,8 EI grave lié à Un acte professionnel 5 6,8 2 3,8 Un produit de santé : 60 82,2 40 76,9 Médicament 55 75,3 38 71,2 Dispositif médical 4 5,5 2 3,8 Facteurs ayant favorisé l EI Fragilité du patient 51 69,9 40 76,9 Comportement du patient 19 26,0 17 32,7 Entourage du patient 12 16,4 10 19,2 passé au service des urgences, 1 562 avaient pris au moins un médicament la semaine précédant leur consultation à l hôpital. Sur ces 1 562 patients, 328 (21 %) ont consulté à cause d un événement indésirable médicamenteux. Dans les groupes avec ou sans événement indésirable médicamenteux, le ratio homme/femme était identique : 1,04 versus 1,02 (p = 0,83) [4, 5]. La moyenne d âge des patients présentant un événement indésirable lié au médicament était de 63,5 ans, alors que les patients sans événement indésirable médicamenteux avaient en moyenne 54,8 ans (p > 0,0001). Il convient de noter que 90,9 % des patients avec un effet indésirable médicamenteux étaient traités par au moins 2 médicaments, la différence étant significative pour les sujets sans effet indésirable (p > 0,0001). Le nombre de médicaments pris par jour était également un facteur de risque de voir apparaître un événement indésirable médicamenteux. Les patients présentant un événement indésirable médicamenteux prenaient en moyenne 5,17 médicaments par jour alors que ceux qui n avaient pas eu d effet indésirable ne prenaient que 3,82 médicaments par jour en moyenne (p > 0,0001). Sur les 328 effets indésirables constatés, le type de trouble était principalement digestif (n = 53 [16,2 %]), neurologique (n = 52 [15,9 %]), cardiovasculaire (n = 49 [14,9 %]) ou consistait en des malaises (n = 49 [14,9 %]). Au total, 410 médicaments ont été incriminés dans l apparition de ces effets indésirables. Le tableau 5 liste les principales classes médicamenteuses incriminées au premier rang desquelles on trouve les anxiolytiques, hypnotiques, antidépresseurs et antipsychotiques à hauteur de plus de 20 %. Soulignons que le caractère évitable a été étudié pour 280 cas d événements indésirables et que dans ce cadre, 106 cas (37,9 %) ont été considérés comme étant évitables. Les données de la pharmacovigilance française La pharmacovigilance a pour objet la surveillance et la prévention du risque d effet indésirable résultant de l utilisation des médicaments et produits à usage humain. En France, la pharmacovigilance repose sur différents acteurs, dont le patient, le professionnel de santé, les centres régionaux de pharmacovigilance, l AFSSAPS et les entreprises du médicament. Il convient de noter que le recueil des cas est basé (était devrais-je écrire, puisque des modifications sont en cours dans les suites de l affaire du Médiator ) sur la notification spontanée des effets 286

Tableau 3. Type de médicaments associés à la survenue d un événement indésirable grave évitable [3]. Tableau 5. Principales classes thérapeutiques responsables d événement indésirable [4, 5]. Médicaments de cas Classe thérapeutique de cas AVK 10 Neuroleptiques 5 Diurétiques 4 Aspirine 2 AINS 2 Antidépresseurs 2 Autres antihypertenseurs 2 Digoxine 2 Insuline 2 Morphine 1 Autres antalgiques 1 Benzodiazépines 1 Autres médicaments pour l insuffisance cardiaque Anticancéreux 1 Médicaments préventifs de la constipation Vitamine D 1 alpha 1 Tableau 4. Type de cause immédiate d un événement indésirable évitable [3]. Type de cause immédiate Directement associée au patient ou à son entourage Erreur d indication thérapeutique 1 1 de cas 11 23,4 14 29,8 Retard thérapeutique 6 12,8 Erreur diagnostique 3 6,4 Retard diagnostique 1 2,1 Défaut de prévention 3 6,4 Défaut de surveillance 9 19,1 indésirables par les professionnels de santé et les industriels. Tout effet indésirable grave ou inattendu doit être signalé [2]. C est sur la base de ce système que de très nombreux événements indésirables ont été signalés et sont répertoriés en France. Le tableau 6 rapporte les événements Psychotropes (anxiolytiques, hypnotiques, antidépresseurs et antipsychotiques) Autres médicaments du système cardiovasculaire Analgésiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens 84 20,5 63 15,4 57 13,9 Diurétiques 48 11,7 Anticoagulants 38 9,3 % indésirables graves répertoriés selon la classe thérapeutique pour la période du 1 er septembre 1995 au 31 décembre 2005 [3]. Pour la grande majorité des classes thérapeutiques, la proportion d événements indésirables graves ou inattendus est plus importante chez les personnes âgées. Comme l illustre le tableau 8, cela est particulièrement marqué pour les anticoagulants, les antiagrégants, les bêtabloquants et les diurétiques. La proportion d événements est environ similaire pour les corticoïdes, les antalgiques, les antibiotiques et les psychotropes. Chez les personnes de moins de 65 ans, la proportion d effets est plus élevée pour les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les morphiniques. Toutes classes d âges confondues, les classes thérapeutiques responsables du plus d effets indésirables étaient les antibiotiques (22,0 %), les psychotropes (16,0 %), les anticoagulants (9,5 %), les antalgiques (8,2 %), les diurétiques (7,0 %), les autres médicaments du système cardiovasculaire (7,2 %), les AINS et les coxibs (5,9 %) et les antiagrégants (5,5 %). Synthèse des données relatives à la France Le rapport EVISA [3] a étudié les événements indésirables liés aux soins extra-hospitaliers et causant une admission hospitalière (73 événements sur 2 946 patients, soit 3,2 %). Il a permis de montrer que 71,2 % des événements indésirables étaient évitables. La majorité s est produite au domicile des patients. Soixante-quatorze pour cent (2,6 %) de ces événements étaient liés aux médicaments, dont les deux tiers qui étaient évitables. Parmi les événements indésirables évitables liés aux médicaments, la majorité était due aux AVK, aux neuroleptiques et aux diurétiques. L étude de l APNET [4, 5] a également étudié les événements indésirables ayant provoqué une visite à l hôpital. Elle comporte davantage de patients présentant un événement indésirable médicamenteux que l étude EVISA 287

Tableau 6. Événements indésirables graves répertoriés selon la classe thérapeutique [3]. Médicaments 0-64 ans (n = 49 671) 65-79 ans (n = 21 849) 80 ans (n = 12 536) Total (n = 84 056) Anticoagulants 4,2 % 15,8 % 19,5 % 9,5 % Antiagrégants 3,2 % 7,9 % 10,5 % 5,5 % Psychotropes 16,8 % 12,6 % 18,8 % 16,0 % Antibiotiques 21,4 % 23,1 % 22,4 % 22,0 % Antalgiques 9,0 % 6,4 % 8,4 % 8,2 % Morphiniques 2,9 % 1,5 % 1,6 % 2,3 % Diurétiques 1,9 % 10,6 % 20,6 % 7,0 % IEC et sartans / 6,3% 8,2% 2,9% Inhibiteurs calciques / 2,9% 4,0% 1,4% Digitaliques / 1,5% 5,9% 1,3% Bêtabloquants 0,7 % 2,9 % 2,7 % 1,6 % AINS et coxibs 7,0 % 4,2 % 4,3 % 5,9 % Corticoïdes 2,7 % 2,8 % 1,2 % 2,5 % (328 événements indésirables pour 1 562 patients, soit 21 %). Les principales classes responsables d effets indésirables étaient les psychotropes (20,5 %), les médicaments du système cardiovasculaire (les diurétiques étant considérés à part) (15,4 %), les analgésiques et les AINS (13,9 %), les diurétiques (11,7 %) et les anticoagulants (9,3 %). Les données de la Banque de pharmacovigilance ne tiennent pas compte du degré de gravité de l effet indésirable mais rassemblent l ensemble des effets indésirables déclarés (n = 84 056) [2]. Les classes thérapeutiques ayant présenté le plus d effet indésirable sont les antibiotiques (22,0 %), les psychotropes (16,0 %), les anticoagulants (9,5 %), les antalgiques (8,2 %), les diurétiques (7,0 %), les autres médicaments du système cardiovasculaire (7,2 %) et les AINS et les coxibs (5,9 %) [2, 3]. En conclusion, on retrouve dans les 3 études les mêmes classes thérapeutiques incriminées dans la population générale : les diurétiques, les anticoagulants et les psychotropes, bien que le pourcentage d effets indésirables provoqués par chacune de ces classes thérapeutiques diverge. On peut expliquer cette divergence par la différence du nombre d effets indésirables recensés dans chacune des études et par la manière de récolter les données (l étude EVISA et l étude de l APNET se sont cantonnées aux effets indésirables ayant conduit à l hospitalisation, alors que la pharmacovigilance s intéresse à l ensemble des effets indésirables, graves ou non). On remarque que, d après la pharmacovigilance, les antibiotiques sont le plus souvent responsables d événements indésirables alors qu ils ne sont pas cités comme classe thérapeutique majeure responsable d hospitalisations. Classes thérapeutiques responsables d effets indésirables aux États-Unis Les données relatives à la iatrogénie médicamenteuse aux États-Unis sont extrêmement nombreuses, reposant ici également sur des méthodologies extrêmement disparates, avec un accès aux données princeps parfois aléatoire rendant in fine l analyse exhaustive et la synthèse relativement difficile. Il n existe pas de système semblable à la pharmacovigilance française avec le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance et la Commission nationale de Pharmacovigilance. De plus à notre connaissance, il n existe pas d analyse systématique selon une méthodologie proche de celle d une méta-analyse disponible dans la littérature ou sur le web à l échelon du pays. Il existe par contre une multitude d études à l échelon d un état ou d une population. Pour le présent travail, nous avons sélectionné pour rester homogène par rapport aux données françaises et avoir une certaine cohérence, 3 articles de la littérature s intéressant à la même période que celle que nous avons considérée pour la pharmacovigilance française et essayant de s intéresser à la population américaine dans 288

Sévérité Tableau 7. Sévérité et caractère évitable des effets indésirables (EI) médicamenteux [6] Tous les EI (n = 1523) EI évitables (n = 421) Fatal 11 0,7 5 1,2 Menaçant le pronostic vital 136 8,9 72 17,1 Sérieux 431 28,3 167 39,7 Significatif 945 62,0 177 42,0 son ensemble. Ils concernaient l étude des effets indésirables en population générale, soit en ambulatoire, soit en urgence. Étude des effets indésirables médicamenteux survenus en ambulatoire Ce premier travail a été réalisé sur un an (1 er juillet 1999 au 30 juin 2000) et s est intéressé plus particulièrement aux personnes âgées [6]. Il est démontré que cette partie de la population est la plus grande consommatrice de produits pharmaceutiques. Aux États Unis, 90 % des personnes âgées de plus de 65 ans prennent au moins un médicament par semaine. Plus de 40 % en prennent au moins 5 par semaine et 12 % en prennent 10 ou plus [7]. Le but de cette étude était d évaluer l incidence et le caractère évitable des événements indésirables médicamenteux survenant en ambulatoire [6]. Au total, 27 617 personnes âgées de 65 ans et plus ont participé. Cette population était très comparable à l ensemble de la population des États-Unis, tant pour l âge que pour le ratio homme/femme. Pour détecter tout incident médicamenteux, les auteurs de ce travail ont utilisé les courriers des professionnels de santé, les comptes-rendus d hospitalisations (du service des urgences et des unités de soins), les rapports concernant les erreurs médicamenteuses et les signalisations informatiques automatiques (concentration trop élevée de médicaments et résultats de laboratoire anormaux). Les effets indésirables survenant lors de l hospitalisation n étaient pas pris en compte [6]. Au total, 1 523 effets indésirables médicamenteux ont été recensés, ce qui fait un taux de 50,1 effets indésirables pour 1 000 personnes et par an (soit 5 % par an). Sur l ensemble de ces événements indésirables, 27,6 % (n = 421) étaient évitables, soit 13,8 effets indésirables pour 1 000 personnes et par an (autrement dit : 1,4 % par an) [6]. Le tableau 7 rapporte les données relatives à la sévérité et au caractère évitable des événements médicamenteux. Sur les 578 effets indésirables sérieux, menaçant le pronostic vital ou fatals, 42,2 % (n = 244) étaient évitables, alors que sur les 945 effets indésirables significatifs, seuls 18,7 % (n = 177) étaient évitables. Soulignons ici que les effets indésirables sévères sont donc plus évitables (p > 0.001). À noter que plus de 70 % des effets indésirables ont duré plus d un jour. Dans ce travail, les classes médicamenteuses dont on a recensé le plus d effets indésirables sont : les médicaments du système cardiovasculaire (26 %), les antibiotiques et anti-infectieux (14,7 % dont très peu étaient évitables), les diurétiques (13,3 %), les analgésiques non opioïdes (11,8 %), les anticoagulants (7,9 %, dont plus d un tiers étaient évitables), les hypoglycémiants (6,8 %), les stéroïdes (5,3 %) et les opioïdes (4,9 %) [6]. Comme l illustre le tableau 8, parmi les 421 effets indésirables évitables, les classes thérapeutiques les plus impliquées étaient respectivement : les médicaments du système cardiovasculaire (24,5 %), les diurétiques (22,1 %), les analgésiques non opioïdes (15,4 %), les hypoglycémiants (10,9 %) et les anticoagulants (10,2 %). Soulignons que bien que les antibiotiques/anti-infectieux soient la 2 e cause d effets indésirables, ils ne représentent que 3,1 % des effets indésirables évitables [6]. Néanmoins, remarquons que la fréquence des effets indésirables par classe thérapeutique reflète la fréquence d utilisation pour la plupart de classes, en d autres termes que les deux sont intimement corrélées. Ainsi, les médicaments du système cardiovasculaire, les antibiotiques/anti-infectieux et les diurétiques sont les catégories de médicaments les plus prescrits et pour lesquels on retrouve le plus d effets indésirables. Remarque : certains médicaments entrent dans plus d une catégorie. L addition de la totalité des cas d effets indésirables d une colonne est donc supérieure au nombre de cas d effets indésirables constatés. Dans ce travail de Gurwitz et al. [6], les principales erreurs associées aux événements indésirables évitables se produisaient le plus souvent lors de la surveillance (n = 256 [60.8 %]), lors de la prescription (n = 246 [58,4 %]), ou étaient dues au patient (n = 89 [21,1 %]). Notons à ce niveau que : les erreurs de surveillance comprennent une mauvaise surveillance des résultats biologiques et un défaut ou un délai de réponse à un signe de toxicité du médicament ; et les erreurs de prescription comprennent le choix d un médicament inadapté (27,1 %) et les erreurs de posologie (24,0 %). Il convient également de noter que les erreurs dues au patient comprennent les erreurs de posologie, le refus d arrêter un traitement, le refus de prendre un médicament prescrit ou la prise des médicaments prescrit pour une autre personne. Soulignons que les erreurs de délivrance représentent moins de 2 % des causes d effets indésirables évitables. Enfin, on retrouve une mauvaise éducation thérapeutique dans 18 % des effets indésirables évitables et des interactions entre médicaments dans 13,3 % des cas. 289

Tableau 8. Fréquence d apparition d un effet indésirable (EI) selon la classe thérapeutique [6]. Classe thérapeutique Tout les EI (n = 1 523) EI évitables (n = 421) Cardiovasculaires 396 26,0 103 24,5 Antibiotiques et anti-infectieux 224 14,7 13 3,1 Diurétiques 203 13,3 93 22,1 Analgésiques non opioïdes 180 11,8 65 15,4 Anticoagulants 121 7,9 43 10,2 Hypoglycémiants 103 6,8 46 10,9 Stéroïdes 80 5,3 11 2,6 Opioïdes 74 4,9 28 6,7 Antidépresseurs 48 3,2 15 3,6 Anticonvulsivants 35 2,3 19 4,5 Hypolipémiants 30 2,0 2 0,5 Antinéoplasiques 26 1,7 1 0,2 Tractus gastro-intestinal 20 1,3 1 0,2 Nutrition 20 1,3 5 1,2 Antiplaquettaires 18 1,2 7 1,7 Système respiratoire 12 0,8 4 1,0 Sédatifs et hypnotiques 9 0,6 6 1,4 Antipsychotiques 8 0,5 4 1,0 Hormones 8 0,5 2 0,5 Médicaments de l ostéoporose 8 0,5 1 0,2 Myorelaxants 7 0,5 3 0,7 Médicaments de la thyroïde 7 0,5 4 1,0 Médicaments de la goutte 6 0,4 1 0,2 Antiparkinsoniens 4 0,3 0 0 Médicaments dermatologiques 2 0,1 0 0 Médicaments de la maladie d Alzheimer 2 0,1 1 0,2 Antihistaminiques 2 0,1 1 0,2 Immunomodulateurs 2 0,1 0 0 Médicaments ophtalmiques 2 0,1 1 0,2 Vaccins 1 0,1 0 0 290

Étude des consultations au service des urgences pour un effet indésirable médicamenteux L étude de Burditz et al. [8], s intéresse aux effets indésirables au niveau des urgences pour l ensemble de la population des États-Unis, qui est une grande consommatrice de produits médicamenteux. Ainsi en 2004, 82 % des Américains des États-Unis avaient pris au moins un médicament ou un produit diététique au courant de la semaine, et 30 % avaient pris 5 produits ou plus durant la semaine [1]. Le travail de Budnitz et al. [8] a regroupé les données issues du service des urgences de 63 hôpitaux, pendant 2 ans (du 1 er janvier 2004 au 31 décembre 2005), et a recensé 21 298 événements indésirables médicamenteux. En rapport avec ces événements, il faut noter que 3487 patients ont dû être hospitalisés à cause d un événement indésirable médicamenteux [8]. Dans ce travail, on estime que 2,5 % des visites au service des urgences et que 6,7 % des hospitalisations pour blessures involontaires sont dues à un effet indésirable médicamenteux et 0,6 % des visites au service des urgences toutes causes confondues sont dues à un effet indésirable médicamenteux. Le taux annuel d effet indésirable médicamenteux est d environ 2,4 pour 1 000 personnes. Les personnes âgées de 65 ans et plus sont plus susceptibles d avoir un effet indésirable par rapport aux personnes de moins de 65 ans avec 4,9 effets indésirables par an et pour 1 000 personnes versus 2 pour les autres [8]. De plus, elles requièrent dans les suites plus souvent l hospitalisation avec respectivement : 1,6 hospitalisation pour 1000 personnes et par an suite à un effet indésirable pour les moins de 65 ans versus 0,23 pour les plus de 65 ans. Les principaux effets indésirables médicamenteux recensés sont de type dermatologique (26,3 %), gastrointestinal (14,2 %), neurologique (13,9 %), métabolique/endocrine (10,5 %), troubles de la coagulation (9,8 %), altération de l état mental (9,7 %), œdème facial (7,9 %), respiratoire (7,7 %) ou malaise/faiblesse (7,6 %). Les causes d effets indésirables sont les réactions allergiques (33,5 % dont 11,3 % ont conduit à une hospitalisation), un surdosage non intentionnel (32,1 % dont 53,4 % ont conduit à une hospitalisation), un effet secondaire du médicament (30,6 % dont 18 % ont conduit à une hospitalisation) ou une réaction à un vaccin (2,3 % dont 0,6 % a conduit à une hospitalisation) [8]. Comme le montre le tableau 9, les classes thérapeutiques ayant provoqué le plus d effets indésirables sont : les médicaments du système nerveux central (22 %), les antibiotiques (18,2 %, notamment l amoxicilline [5,4 %], les quinolones [2,1 %], les sulfonamides [2,1 %], et les céphalosporines [2,1 %]), les médicaments du système endocrinien (11 %, notamment l insuline [7 %]), les médicaments hématologiques ou oncologique (10 %, majoritairement les anticoagulants [4,9 %]) et les médicaments du système cardiovasculaire (7 %). Soulignons que les classes thérapeutiques ayant provoqué le plus d hospitalisations sont les anticoagulants, les insulines, les opioïdes, les hypoglycémiants oraux et les antinéoplasiques. À elles seules, elles ont provoqué 38,4 % des hospitalisations [8]. Les médicaments qui requièrent une surveillance particulière (les antidiabétiques, la warfarine, les digitaliques, le lithium, etc.) étaient les plus impliqués dans les effets indésirables dus à un surdosage en médicament (3 387 cas [53,3 %]). Ces médicaments étaient responsables de 41,5 % des hospitalisations totales dues à un événement indésirable. Parmi les patients de plus de 65 ans, ces médicaments étaient impliqués dans les effets indésirables dus à un surdosage en médicament dans 85,2 % des cas et représentaient 54,4 % des hospitalisations des plus de 65 ans [8]. Synthèse des données relatives aux États-Unis La première étude analysée porte sur 1 523 événements indésirables médicamenteux [8]. Elle s intéressait surtout aux effets indésirables ambulatoires survenant chez la personne de plus de 65 ans (n = 27 617). Les principales classes thérapeutiques responsables d événements indésirables étaient les médicaments du système cardiovasculaire (26 %), les antibiotiques (14,7 %), les diurétiques (13,3 %), les analgésiques non opioïdes (11,8 %), les anticoagulants (7,9 %) et les hypoglycémiants (6,8 %). Pour les médicaments du système cardiovasculaire et les diurétiques, une proportion élevée de ces événements indésirables étaient évitables, alors que pour les antibiotiques, seuls 3,1 % étaient évitables. La deuxième étude s intéressait à toutes les catégories d âge et récoltait les données au service des urgences [8]. Plus de vingt mille (21 298) événements indésirables médicamenteux ont été analysés. Il en ressort que la majorité des événements indésirables est due aux opioïdes (5,5 %), aux antibiotiques (18,2 %), aux insulines (7 %), aux antihistaminiques et médicaments pour le rhume et la toux (4,3 %), aux anticoagulants (4,9 %) et aux AINS (3,4 %). L analyse de ces travaux fait ressortir les mêmes classes thérapeutiques comme les antibiotiques, les diurétiques et les anticoagulants. De plus, ces travaux montrent que les médicaments qui requièrent une surveillance particulière étaient les plus impliqués dans les effets indésirables dus à un surdosage en médicament et étaient responsables de près de la moitié des hospitalisations totales dues à un événement indésirable. Conclusion Ce travail à travers la revue que nous venons de réaliser à propos des effets indésirables et de la iatrogénie 291

Tableau 9. Fréquence d apparition d un effet indésirable selon la classe thérapeutique [8]. Classe thérapeutique Classe thérapeutique Système nerveux central 4 698 22 Cardiologie 1 498 7 Opioïdes 1 167 5,5 IEC/sartans 306 1,4 Analgésiques non opioïdes 715 3,4 Hypolipémiants 214 1,0 Antidépresseurs 591 2,8 Bêtabloquants 189 0,9 Anticonvulsivants 588 2,8 Digitalique 131 0,6 Antipsychotiques 443 2,1 Diurétiques 142 0,7 Benzodiazépines 288 1,4 Inhibiteurs calciques 138 0,6 Autres sédatifs non BZD 182 0,9 Anti-arythmiques 69 0,3 Stimulants 177 0,8 Anti-HTA centraux 82 0,4 Anesthésiques 92 0,4 Autres 227 1,1 Autres 455 2,1 Muscle squelettique 1 043 4,9 Antibiotiques 3 867 18,2 AINS 727 3,4 Système endocrinien 2 345 11 Myorelaxant 133 0,6 Insuline 1 494 7 Inhibiteur de COX2 101 0,5 Hypoglycémiants oraux 374 1,8 Autres 82 0,4 Glucocorticoïdes 182 0,9 Antihistaminiques, médicaments pour le rhume ou la toux 924 4,3 Œstrogène/progestérone 91 0,4 Vaccins 641 3,0 Autres 204 1 Gastro-intestinal 385 1,8 Hématologie et oncologie 2 120 10 Médicaments pour diagnostic 256 1,2 Anticoagulants 1 045 4,9 Dermatologie 283 1,3 Antiplaquettaires 407 1,9 Plantes, médecines complémentaires 262 1,2 Antinéoplasiques 481 2,3 Nutriments 254 1,2 Autres 187 0,9 Système respiratoire 127 0,6 Médicaments des yeux, nez, oreilles, gorge 195 0,9 Immunomodulateurs 116 0,5 Autres 114 0,5 médicamenteuse dans la population générale en France et aux États-Unis permet de mettre en exergue un certain nombre de points communs et de réfléchir à certaines pistes susceptibles d améliorer la situation, notamment pour les effets indésirables évitables. À ce niveau, plusieurs points semblent ici à souligner dans l idée d optimiser le système et d abaisser la iatrogénie médicamenteuse. Premièrement, toutes les études présentées indiquent que les personnes âgées (de 65 ans et plus) souffrent davantage d effets indésirables 292

médicamenteux que les personnes plus jeunes, ce qui doit amener les professionnels de santé à une grande prudence dans la prescription médicamenteuse chez la personne âgée, catégorie de la population -il est vrai- la plus grande consommatrice de médicaments [9]. À ce niveau, soulignons que la polymédication, quasi inéluctable dans les populations âgées, augmente la probabilité de présenter un effet indésirable par modification pharmacocinétique, interactions médicamenteuses et addition d effets indésirables sur le même organe [3]. Deuxièmement, les principales classes thérapeutiques responsables d événements indésirables en France sont les antibiotiques, les psychotropes, les anticoagulants, les AINS/analgésiques, les diurétiques et autres médicaments du système cardiovasculaire. Celles principalement responsables d événements indésirables aux États-Unis sont les antibiotiques, les médicaments du système cardiovasculaire et les diurétiques, les anticoagulants et les analgésiques non opioïdes. On retrouve donc sensiblement les mêmes classes thérapeutiques à l exception des psychotropes, surtout responsables d effets indésirables en France (peut-être surconsommés?) et peu retrouvés aux États-Unis. Ces classes thérapeutiques et médicaments sont bien connus et identifiés pour leurs effets indésirables par les prescripteurs. Néanmoins une utilisation routinière contribue probablement à une banalisation de ces effets et une baisse de la vigilance. De ce fait, une sensibilisation des professionnels de santé pourrait trouver un intérêt et se révéler payante pour diminuer la iatrogénie. De même, le rappel des bonnes pratiques de la prescription, des indications validées, de la surveillance à mettre en œuvre et des libellés des AMM serait à n en pas douter une des clés de la diminution de la iatrogénie médicamenteuse, avec in fine sûrement une plus value pour les patients et pour notre système de santé via une baisse des dépenses. Troisièmement, les principales causes d événements indésirables en France sont liées au patient ou à son entourage (avec dans 23,4 % l existence d une fragilité du patient, d une mauvaise compliance au traitement, d une autogestion excessive de ses traitements), à des erreurs d indication thérapeutique (29,8 %), à un défaut de surveillance (19,1 %) ou à un retard thérapeutique (12,8 %). Les principales erreurs associées aux événements indésirables aux États-Unis se produisent le plus souvent lors de la prescription (58,4 % : médicament inadapté, erreur de posologie) et de la surveillance (60,8 % : résultats biologiques, un signe de toxicité d un médicament). Les erreurs dues au patient étaient secondaires (21,1 %). À la lumière de ces données, les réflexions précédentes, ce que nous pourrions résumer par l éducation du prescripteur, trouvent toute leur justification mais un autre aspect semble également à développer : celui de l éducation des patients pour laquelle nos tutelles mettent actuellement des moyens. Conflits d intérêts. le Pr E. Andrès est membre de la Commission nationale de pharmacovigilance. Les données développées ici n engagent que son avis personnel. Il est responsable du Centre de compétences des cytopénies autoimmunes de l adulte au CHRU de Strasbourg. Il anime un groupe de travail sur les carences en vitamine B12 au CHRU de Strasbourg (CARE B12) et est membre du GRAMI : Groupe de recherche sur les anémies en Médecine interne. Il est expert consultant auprès de plusieurs laboratoires impliqués en hématologie (Amgen, Roche, Chugaï, GSK, Vifor, Ferring, Schering, Genzyme, Actelion) et a participé à de nombreuses études internationales ou nationales sponsorisées par ces laboratoires ou à des travaux académiques. Références 1. http ://www.who.int/fr/.(juin 2011). 2. http://www.afssaps.fr (juin 2011). 3. Michel P, Quenon JL, Djihoud A, Bru Sonnet R. Rapport final EVISA, 2009. http://www.sante.gouv.fr/img/pdf/rapport_ EVISAfinal_17aout09-2.pdf (juin 2011). 4. Queneau P, Bannwarth B, Carpentier F, Guliana JM, Bouget J, Trombert B, et al. Adverse drug effects observed at French admissions departments and emergency services. Bull Acad Natl Med 2003 ; 187 : 647-66. 5. Lapostolle F, Borron SW, Adnet F, Queneau P, Bannwarth B, Carpentier F, et al. Emergency department visits caused by adverse drug events : results of a French survey. Drug Saf 2007 ; 30 : 81-8. 6. Gurwitz JH, Field TS, Harrold LR, Rothschild J, Debellis K, Seger AC, et al. Incidence and preventability of adverse drug events among older persons in the ambulatory setting. JAMA 2003 ; 289 : 1107-16. 7. Kaufman Kelly DW, Rosenberg L, Anderson TE, Mitchell AA. Recent patterns of medication use in the ambulatory adult population of the United States : the Slone Survey. JAMA 2002 ; 287 : 337-44. 8. Budnitz S, Pollock DA, Weidenbach KN. National surveillance of emergency department visits for outpatient adverse drug events. JAMA 2006 ; 296 : 1858-66. 9. Trinh-Duc A, Doucet J, Bannwarth B, Trombert-Paviot B, Carpentier F, Bouget J, et al. Admissions of elderly to French emergency departments related to adverse drug events. Therapie 2007 ; 62 : 437-41. 293