La Chine, un pays déjà vieux LE MONDE 29.04.2013 à 12h25 Jean-Pierre Petit (économiste et président des Cahiers verts de l'économie) La Cité interdite, Beijing. D.R. Ralentissement, puis rebond, puis ralentissement. Le traitement médiatique de l'activité économique chinoise pourrait faire penser à une certaine instabilité. Mais il cache l'essentiel, qui est une inflexion à la baisse de la croissance depuis presque trois ans. La très forte croissance des années 2000 (10,5 % en moyenne annuelle contre 10,4 % durant la décennie 1990 et 9,3 % durant la décennie 1980) a été d'autant plus spectaculaire que le processus de rattrapage avait commencé vingt ans avant le début de cette décennie. C'est un faisceau de circonstances qui avait favorisé cette exceptionnelle expansion : entrée de la Chine dans l'organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, sous-évaluation de sa monnaie (baisse du taux de change effectif réel jusqu'en 2005), modération de la hausse des coûts salariaux unitaires jusqu'en 2007 grâce à l'afflux de jeunes travailleurs ruraux, surinvestissement - avec un taux d'investissement supérieur à 40 % du produit intérieur brut (PIB) depuis dix ans -, maintien d'une demande intérieure soutenue dans les pays occidentaux grâce aux bulles immobilières et au surendettement. Auxquelles s'ajoutent une accélération de la hausse de la population en âge 1 sur 5 03/07/13 1606
de travailler (15-64 ans) jusqu'au milieu des années 2000 et une hausse du taux d'emploi (72 % à l'automne 2010). Après le choc de la faillite de la banque américaine Lehman à l'automne 2008, un plan de relance budgétaire sans équivalent dans l'après-guerre et un relâchement quasi-total des contraintes de crédit qui ont maintenu un temps l'illusion d'une très forte croissance (10,4 % en 2010 et 9,3 % en 2011) et ont fait exploser la dette. L'année 2012 a déjà constitué une rupture avec une croissance de "seulement" 7,8 %, la plus faible depuis une décennie. LE MODÈLE MERCANTILE MIS À MAL Tous les facteurs mentionnés plus haut sont désormais derrière nous. Chute de la demande intérieure des pays riches, valeur effective réelle du renminbi en hausse depuis 2005 il est aujourd'hui proche de son taux d'équilibre, baisse de la compétitivité-coût du fait de la hausse des salaires et du ralentissement de la productivité par tête... Tout cela a mis à mal le modèle mercantile des années 2000. Le ratio de dette publique et privée sur PIB est aujourd'hui proche de 200 % contre 140 % avant la crise, soit l'un des ratios les plus élevés du monde émergent. Certes, il n'atteint pas les 280 % du monde riche, mais limitera néanmoins les capacités d'expansion futures. L'expérience montre que les pays ayant connu un tel pic de taux d'investissement ont subi ensuite une sensible baisse de la rentabilité du capital et de leur croissance. En particulier le Japon en 1973 et la Corée du Sud en 1991, qui avaient pourtant connu un pic de taux d'investissement plus faible qu'en Chine. Les facteurs démographiques limiteront aussi le potentiel chinois. Le taux de dépendance (part des plus de 64 ans et des moins de 15 ans par rapport à la population en âge de travailler) va progresser dès la seconde partie de la décennie. L'âge médian (36 ans) est quasi-équivalent à celui des Etats-Unis. La population en âge de travailler va commencer à décliner durant la seconde partie de la décennie : c'est déjà le cas en 2012 pour les 15-59 ans. Et ne négligeons pas, enfin, les contraintes environnementales qui pèseront sur le modèle manufacturier chinois. Bref, la Chine est un pays déjà vieux, déjà endetté, déjà pollué et déjà surcapacitaire dans certains secteurs. Les projections du Fonds monétaire international (FMI) à dix ans (croissance de 8,4 % en moyenne) paraissent 2 sur 5 03/07/13 1606
donc sensiblement trop optimistes. D'une manière générale, la Chine a multiplié son niveau de vie moyen par dix en un peu plus de trente ans et est devenue un pays à revenu intermédiaire. Avec aujourd'hui un PIB par habitant de près de 9 200 dollars (en parité de pouvoir d'achat), elle ne peut plus espérer une tendance de croissance aussi forte que sur les trente dernières années. La menace de moyen et long terme la plus forte est sans doute de ne pas pouvoir accéder au statut de pays à revenu élevé, comme ce fut le cas de l'écrasante majorité des pays émergents d'après-guerre, à quelques exceptions notables telles que la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, Hongkong, le Japon ou le Chili. L'INNOVATION EN RETARD L'histoire montre que les chances de succès sont liées dans ce domaine à des choix stratégiques plus précis, plus qualitatifs et plus complexes à mettre en oeuvre : éducation, recherche et développement (R & D), flexibilité du marché des biens et du travail, développement du secteur privé, respect du droit... Le débat sur le passage à une croissance plus soutenue par la consommation privée reflète ces difficultés. Développer la protection sociale et un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés en évitant une crise systémique et une brusque chute de la croissance nécessite de remplir certaines conditions : libéralisation du système financier, montée en gamme de l'industrie, développement des services... En matière d'innovation, la Chine est notamment en retard concernant l'intensité de la R & D, le nombre de chercheurs dans l'emploi total ou la qualité du contenu des brevets. La recherche reste sous emprise publique, et la protection de la propriété intellectuelle, le financement des sociétés innovantes et l'autonomie des universités sont quasi-inexistants. Le ralentissement de la croissance chinoise est un phénomène logique et inévitable. L'absence de chute brutale et/ou de crise de système ne sera envisageable que sous réserve d'une bonne gestion publique de la transition vers un nouveau modèle de croissance. Jean-Pierre Petit (économiste et président des Cahiers verts de l'économie) 3 sur 5 03/07/13 1606
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