111 e session Jugement n o 3039

Documents pareils
A Nancy 14 novembre 2012 n 12/00388, Ch. soc., M. c/ Sté Lorraine Environnement

Cour de cassation. Chambre sociale

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

conforme à l original

Droit du travail - Jurisprudence. Inaptitude médicale résultant de faits de harcèlement moral

comparante par Maître MILLIARD, avocat au barreau de NOUMÉA,

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ARBITRAGE DE GRIEF EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-27) CENTRE HOSPITALIER LE GARDEUR

CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux N RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE SANTÉ A DOMICILE et autre

DOCUMENT DE TRAVAIL. ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre) 9 septembre 2011 (*)

REPUBLIQUE FRANCAISE

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, premier décembre deux mille onze.

conforme à l original

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. b) a annulé ce jugement rendu le 7 avril 2006 par le tribunal administratif de Nice (article 1er) ;

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

1. Politiques en matières d appel. 2. Définitions. 3. Portée de l appel

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

Décision du 20 juin 2013 Cour des plaintes

X X. Demandeurs. Entreprise DÉCISION DEMANDE D EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D ACCÈS.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LA BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT. QUORUM: Professeur Yadh BEN ACHOUR Président

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

E n t r e : appelante aux termes d un exploit de l huissier de justice Jean-Lou THILL de Luxembourg du 14 août 2009,

PROTOCOLE. Entre le Barreau de Paris, le Tribunal de Commerce et le Greffe. Le Barreau de Paris, représenté par son Bâtonnier en exercice,

Cour de cassation de Belgique

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

AUDIENCE PUBLIQUE DU 30 OCTOBRE 2014

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf mai deux mille onze.

TROISIÈME SECTION. AFFAIRE MATTEONI c. ITALIE. (Requête n o 42053/02)

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE SNC du Centre Commercial de Valdoly contre SA Bolden Litige n D

Responsabilité pénale de l association

Décrets, arrêtés, circulaires

Règlement relatif aux sanctions et à la procédure de sanction

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T


L an deux mil quatorze ; Et le vingt-trois Juin ;

PROTOCOLE RELATIF À L ARRANGEMENT DE MADRID CONCERNANT L ENREGISTREMENT INTERNATIONAL DES MARQUES

M. Petit (conseiller doyen faisant fonction de président), président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Copie Certifiée Conforme à l original

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre) 11 juillet 2006 (*)

Composition Président: Roland Henninger Hubert Bugnon, Jérôme Delabays

Arrêt n CAISSE DE CREDIT MUNICIPAL DE LYON

Numéro du rôle : Arrêt n 62/2015 du 21 mai 2015 A R R E T

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS N , , , , M. Olivier Yeznikian Rapporteur

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l arrêt suivant :

Cour d appel de Lyon 8ème chambre. Arrêt du 11 février Euriware/ Haulotte Group

SENTENCE ARBITRALE DU COLLEGE ARBITRAL DE LA COMMISSION DE LITIGES VOYAGES

DÉCISION INTERLOCUTOIRE DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Vu l ordonnance n du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S 1. JUGEMENT rendu le 12 Mai ème chambre 2ème section N RG : 12/09334 N MINUTE : 1

I ) ENTRE : appelant aux termes d'un exploit de l'huissier de justice Georges NICKTS de Luxembourg en date du 30 octobre 2000,

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre) 25 novembre 2014 (*) contre

Décrets, arrêtés, circulaires

LE PROCUREUR CONTRE JEAN-PAUL AKAYESU. Affaire N ICTR-96-4-T

Quel cadre juridique pour les mesures d investigation informatique?

Manuel des directives - Indemnisation des dommages corporels 1. CHAMP D'APPLICATION

REGLEMENT INTERIEUR TITRE I : DISPOSITIONS GENERALES

Décision de la Chambre de Résolution des Litiges

Règle 63 DIVORCE ET DROIT DE LA FAMILLE

AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU 26 juillet 2013

DÉCISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS À L ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ CABINET DE CONSEIL HERIOS FINANCE ET DE M. STEPHANE BENHAMOU

CONDITIONS GÉNÉRALES DE VENTE

M. Lacabarats (président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REGLEMENT COMPLET Jeu «Gagnez un séjour Thalasso» Du 31 mars au 24 mai 2014

LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

Délibération n du 27 septembre 2010

OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE. DECISION en matière d OPPOSITION Nº du 04 avril 2013

FICHE N 12 ERREUR SUR LE PRIX DE LA LOCATION

Organisme d arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : Centre canadien d arbitrage commercial (CCAC)

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARIS

Le champ d application de l article 1415 du code civil

LETTRE CIRCULAIRE N

Fiche pratique n 10 : les droits des clients en matière bancaire (25/01/2010)

Conditions Générales de Vente

Docteur François KOMOIN, Président du Tribunal ;

Paris, le 10 octobre 2012 Dossier suivi par : XXXX Tél. : XX Courriel : recommandations@energie-mediateur.

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division d appel Décision d appel

Garantie locative et abus des propriétaires

BUREAU DE DÉCISION ET DE RÉVISION

CHARTE DU CORRESPONDANT MODELE TYPE

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

Décision de la Chambre de Résolution des Litiges (CRL)

ACCORD ENTRE LA COMMISSION BANCAIRE ET LA BANQUE NATIONALE DE ROUMANIE

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

TABLE DES MATIERES. Section 1 : Retrait Section 2 : Renonciation Section 3 : Nullité

la Banque Internationale pour l Afrique de l Ouest dite BIAO-CI, dont le siège social se trouve à Abidjan

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

RÈGLEMENT DE LA COUR

Comité permanent du droit des marques, des dessins et modèles industriels et des indications géographiques

Cour européenne des droits de l homme DEUXIÈME SECTION ARRÊT STRASBOURG. 18 Octobre 2011

CONVENTION DE GESTION DE COMPTE DE DEPOT

FAILLITE ET RESTRUCTURATION

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Transcription:

Organisation internationale du Travail Tribunal administratif International Labour Organization Administrative Tribunal 111 e session Jugement n o 3039 LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF, Vu la requête dirigée contre l Organisation internationale du Travail (OIT), formée par M. A. P. le 9 juin 2009, la réponse de l Organisation du 9 septembre, la réplique du requérant du 15 décembre 2009 et la duplique de l OIT du 12 février 2010; Vu l article II, paragraphe 1, du Statut du Tribunal; Après avoir examiné le dossier, la procédure orale n ayant été ni sollicitée par les parties ni ordonnée par le Tribunal; Vu les pièces du dossier, d où ressortent les faits et les allégations suivants : A. Le requérant est un ressortissant ukrainien né en 1957. Au moment des faits à l origine du présent litige, il exerçait les fonctions de chef de la Section des autorisations de paiement, de grade P.5. Le 4 décembre 2006, le directeur du Département des services financiers, qui était son chef responsable pendant la période allant du 1 er août 2003 au 31 juillet 2005, lui communiqua le projet d évaluation qu il avait établi pour cette période sur le formulaire d évaluation simplifié qu ils avaient décidé d utiliser. Le requérant s étant déclaré en désaccord avec certaines de ses appréciations, il lui demanda, lors d un entretien qui eut lieu le 13 décembre 2006, d utiliser le formulaire d évaluation «standard», ce qui fut accepté.

Le 15 octobre 2007, le chef responsable signa la version définitive du rapport d évaluation du requérant portant sur la période susmentionnée. Le 24 octobre, ce dernier, qui était toujours en désaccord avec certaines appréciations, annexa ses commentaires audit rapport. Le 26 octobre 2007, la directrice exécutive du Secteur de la gestion et de l administration, intervenant en tant que chef du niveau supérieur, fit part des préoccupations que ce litige lui inspiraient et indiqua qu à ses yeux la «réaction très négative» du requérant ne se justifiait pas dans la mesure où son évaluation était globalement positive. Le Comité des rapports ayant proposé que l intéressé et son chef responsable aient une «discussion détaillée» sur les points d achoppement, un entretien eut lieu le 28 janvier 2008. Le rapport d évaluation fut ensuite consigné dans le dossier personnel de l intéressé. Le 14 avril, le requérant introduisit une réclamation, alléguant que son rapport d évaluation présentait «une image incorrecte» de son travail et n était «pas conforme aux normes requises en la matière et à [s]es conditions d emploi». Il demandait à titre principal que ce document soit retiré de son dossier personnel. Ayant été informé que, pour le Département du développement des ressources humaines, sa réclamation était dénuée de fondement, il saisit la Commission consultative paritaire de recours le 12 août 2008. Celle-ci rendit son rapport au Directeur général le 8 janvier 2009, recommandant le rejet de la demande du requérant. Par lettre du 9 mars 2009, la directrice exécutive du Secteur de la gestion et de l administration fit savoir à l intéressé que le Directeur général avait décidé de faire sienne cette recommandation. Telle est la décision attaquée. B. Le requérant soutient que les directives pour l établissement de l évaluation du travail ont été enfreintes à plusieurs égards et que les violations sont si graves «qu elles nient l essence même du processus d évaluation et constituent un vice de procédure». Il affirme en effet que, bien que ces directives prévoient que «[l] évaluation écrite ne devrait pas constituer une surprise du dernier moment», les critiques contenues dans son rapport d évaluation ont constitué «une surprise totale» pour lui puisqu elles n avaient fait l objet d aucune discussion 2

préalable. Relevant qu aux termes desdites directives «[l] évaluation du travail doit être complétée et retournée au Département du personnel dans un délai de deux mois suivant sa date d émission», il rappelle que le projet d évaluation lui a été soumis en décembre 2006 et la version définitive du rapport en octobre 2007, soit, respectivement, seize et vingt-six mois après la fin de la période de référence. Le requérant signale en outre qu en méconnaissance des directives certaines cases du rapport n ont pas été remplies. Son chef responsable a, en revanche, rempli des cases qui pouvaient être laissées en blanc sans que les conditions prévues pour ce faire aient été réunies, ce qui l a conduit à donner des «indications non justifiées, non documentées, inexactes et contrastant avec les rapports d évaluation précédents». Soulignant que, d après les directives, il est «important» que les parties «soient d accord sur les informations fournies» au point 12 du rapport d évaluation lequel a trait aux tâches assignées au fonctionnaire, l intéressé conteste le résumé qui a été préparé par son chef responsable au motif qu il n énumère pas ses tâches principales. Il fait grief à ce dernier de ne pas avoir respecté les directives concernant le point 13 du rapport qui est intitulé «Évaluation du travail effectué» en lui communiquant la version définitive du rapport sans lui avoir laissé la possibilité de discuter des éléments qui ne figuraient pas dans le projet initial. Il ajoute que son chef responsable ne l a pas davantage consulté avant de compléter le point 15 (b) du rapport, qui porte sur les changements souhaitables dans l exécution du travail accompli par le fonctionnaire, et que les objectifs qui lui ont ainsi été fixés, et qu il devait normalement atteindre «pendant la prochaine période examinée», ont de fait été portés à sa connaissance deux mois et demi après que celle-ci eut pris fin. Il constate que son chef responsable n a par ailleurs pas mentionné les insuffisances qui auraient été révélées dans son travail ou dans son attitude vis-à-vis de celui-ci. Enfin, il observe que, conformément aux directives, il devait lui-même répondre au point 21 du rapport. Or c est son chef responsable qui l a complété en fournissant des données imprécises sur le nombre de personnes qui étaient placées sous sa responsabilité. 3

Se fondant encore sur les directives susmentionnées, le requérant reproche à son chef responsable un manque de communication et de dialogue qui serait à l origine d «une représentation incorrecte» de ses tâches, son apport personnel à la mise en place du nouveau système informatique de gestion dénommé IRIS ayant été minimisé. Selon lui, la «discussion détaillée» qui avait été suggérée par le Comité des rapports n a pas eu lieu lors de l entretien du 28 janvier 2008. Enfin, le requérant soutient que son chef responsable a rétroactivement formulé des critiques «non justifiées et non documentées» au sujet de son travail, ce qui l a privé de la possibilité de «préparer des réponses concrètes». À ses yeux, ces critiques sont trop nombreuses par rapport aux appréciations positives. Il affirme que la circonstance qu il a été le seul fonctionnaire de sa section à faire l objet d un rapport d évaluation contenant des remarques négatives, et qu il a donc été «plus affecté que [s]es collègues», constitue une preuve de harcèlement. Le requérant demande l annulation de la décision attaquée, la réparation du préjudice subi, ainsi que 2 000 francs suisses à titre de dépens. C. Dans sa réponse, l OIT indique qu elle a suivi les directives invoquées par le requérant, ainsi que la procédure prévue par l article 6.7 du Statut du personnel du BIT et par la circulaire n o 392 (corr.1), série 6, relative à l évaluation du travail, sauf en ce qui a trait au délai dans lequel le rapport devait être soumis. Elle reconnaît en effet que celui-ci a été établi tardivement en raison d «une série d éléments relatifs à l organisation du département», mais elle rappelle que, conformément à la jurisprudence, le retard pris dans l établissement d un rapport d évaluation n entache pas celui-ci d irrégularité, surtout lorsqu il n a causé aucun préjudice à l intéressé, ce qui est le cas en l espèce. Elle déclare que les critiques figurant dans ledit rapport avaient déjà été portées à la connaissance du requérant, notamment par l envoi de courriels en 2005 et 2007, et que la question des changements souhaitables dans l exécution de son travail avait aussi été abordée à l époque. En outre, elle prétend que les directives susmentionnées permettaient de ne pas remplir les cases qui, aux dires de l intéressé, 4

devaient l être. En réponse à l argument selon lequel les informations relatives aux tâches assignées au requérant n auraient pas fait l objet d un accord, elle allègue que l intéressé a eu à plusieurs reprises la possibilité d examiner lesdites informations et qu il a bénéficié d une procédure contradictoire. Elle relève en particulier qu une demande qu il avait présentée dans ses commentaires du 24 octobre 2007 et qui tendait à ce que sa description de tâches soit jointe à son rapport a été accueillie. Par ailleurs, elle affirme que l évaluation reproduite au point 13 du rapport a été précédée d un entretien celui du 13 décembre 2006 et que, dans la mesure où les directives ne prévoient pas de nouvel entretien en cas de révision du projet initial d évaluation, elle a donc suivi la procédure applicable. Elle souligne que les remarques formulées par l intéressé lors dudit entretien ont été prises en compte puisque l une des critiques figurant dans le projet initial a été supprimée dans la version définitive du rapport. La défenderesse soutient, exemples à l appui, que le chef responsable avait établi une communication régulière avec le requérant et a bien invité ce dernier à venir discuter avec lui de son rapport d évaluation : l entretien a eu lieu le 28 janvier 2008. D après l Organisation, ce rapport est globalement positif, même s il est assorti de quelques critiques constructives qui ont été formulées en toute objectivité et dans l intérêt du service et qui ne sauraient constituer un acte de harcèlement. Elle rappelle qu en matière d appréciation des services le Tribunal n exerce qu un contrôle restreint et elle déclare que le requérant n a fourni aucun élément démontrant que ledit rapport est entaché d un des vices susceptibles d entraîner la censure du Tribunal. D. Dans sa réplique, le requérant réitère une partie de ses moyens. L Organisation n ayant, à ses yeux, pas apporté la preuve que son chef responsable avait établi avec lui un dialogue sur la question de la qualité de son travail, il estime que les dispositions de la circulaire n o 392 (corr.1), série 6, ont été enfreintes. De même, il est d avis que l OIT n a pas prouvé que les critiques contenues dans son rapport d évaluation étaient justifiées. Il s attache à démontrer que l établissement tardif de ce rapport lui a fait grief, que les courriels de 2005 et 2007 5

auxquels l Organisation se réfère ont été envoyés après que la période sur laquelle portait l évaluation eut pris fin et qu ils n étayent en rien lesdites critiques. E. Dans sa duplique, la défenderesse maintient intégralement sa position. Elle produit une série de courriels démontrant, selon elle, qu au cours de la période en cause le requérant s est régulièrement entretenu avec son chef responsable des tâches qu il exerçait et qu à cet égard les dispositions de la circulaire susmentionnée ont donc été respectées. Elle prétend que l intéressé confond le préjudice qui découlerait de la circonstance que son rapport d évaluation a été établi avec retard et celui résultant de la teneur même de ce rapport. D après elle, il n a pas prouvé que les critiques dont il a fait l objet ont été formulées de mauvaise foi ou dans l intention de lui nuire. CONSIDÈRE : 1. Le requérant est un fonctionnaire du BIT de grade P.5 qui, au moment des faits, exerçait les fonctions de chef de la Section des autorisations de paiement. 2. En vue de l établissement du rapport d évaluation de son travail portant sur la période allant du 1 er août 2003 au 31 juillet 2005, il s était entendu avec le directeur du Département des services financiers, qui était son chef responsable pendant la période en cause, pour que le formulaire d évaluation simplifié soit utilisé à la place du formulaire «standard». Cependant, lorsque le requérant reçut, le 4 décembre 2006, le projet de rapport d évaluation, il marqua son désaccord avec les appréciations que son chef responsable avait formulées. Il demanda alors, et obtint, que le formulaire «standard» plus détaillé fût utilisé. Le 15 octobre 2007, le chef responsable signa la version définitive du rapport d évaluation qui faisait état, notamment, de certaines insuffisances dans le travail de l intéressé lors de la mise en place d IRIS. Le 24 octobre, celui-ci marqua de nouveau son désaccord avec 6

les appréciations portées sur son travail et annexa ses commentaires au rapport en cause. Le 12 décembre 2007, le Comité des rapports suggéra au chef responsable du requérant d avoir avec celui-ci une «discussion détaillée» sur certains points du rapport. Un entretien eut ainsi lieu entre eux le 28 janvier 2008. Le rapport d évaluation fut ensuite classé au dossier personnel de l intéressé. 3. La réclamation que ce dernier déposa le 14 avril 2008 aux fins d obtenir le retrait de ce rapport de son dossier personnel ayant été rejetée comme étant dénuée de fondement, il saisit la Commission consultative paritaire de recours. Celle-ci, bien qu ayant constaté des «irrégularités regrettables», recommanda au Directeur général de rejeter la demande du requérant. Par une lettre du 9 mars 2009, qui constitue la décision attaquée, l intéressé fut informé que le Directeur général avait décidé de suivre cette recommandation. 4. Le requérant demande au Tribunal l annulation de cette décision, la réparation du préjudice qu il aurait subi et l allocation de la somme de 2 000 francs suisses à titre de dépens. À l appui de ses prétentions, il soutient que les directives pour l établissement de l évaluation du travail ont été violées, qu il n y a eu ni communication ni dialogue entre lui-même et son chef responsable et que ce dernier a formulé des critiques «non justifiées et non documentées» au sujet de son travail. 5. La défenderesse conclut au rejet de l ensemble de la requête, aucune des demandes du requérant n étant fondée selon elle. 6. Les dispositions pertinentes en l espèce et en vigueur à l époque des faits se lisent ainsi qu il suit : Article 6.7 du Statut du personnel «Evaluation du travail 7

1. Le travail de chaque fonctionnaire est évalué sur un formulaire établi par le Directeur général, après consultation du Comité de négociation paritaire. Le chef responsable du fonctionnaire est chargé de procéder à cette évaluation [ ]. 2. L évaluation est communiquée au fonctionnaire intéressé, qui y appose ses initiales et la renvoie, dans un délai de huit jours après réception, en y joignant telles observations qu il peut désirer formuler. Sauf décision contraire du Directeur général, ces observations sont classées dans le dossier de l intéressé, avec l évaluation. Celle-ci ainsi que toutes les observations qui ont pu être formulées par le fonctionnaire intéressé sont alors transmises au fonctionnaire dont le chef responsable relève, qui peut y ajouter ses observations; dans ce cas, l évaluation est renvoyée au chef responsable et au fonctionnaire intéressé pour qu ils apposent leurs initiales. Elle est ensuite transmise au secrétaire du Comité des rapports pour toute action appropriée. 3. Il est procédé à une évaluation du travail de chaque fonctionnaire neuf mois après son entrée en service, dix-huit mois après, trente-trois mois après, quarante-cinq mois après et par la suite tous les deux ans. [ ]» Circulaire n o 392 (corr.1), série 6 [ ] «Evaluation du travail 5. Afin de disposer de suffisamment de temps pour formuler les objectifs à atteindre et une évaluation approfondie du travail courant du fonctionnaire au fur et à mesure de ses différentes phases, il est demandé aux chefs responsables d établir un rapport d évaluation pour chacun de leurs subordonnés selon le calendrier suivant : après les premiers neuf mois de service du fonctionnaire, après 18 mois (rapport de stage), après 33 mois, après 45 mois, et par la suite tous les deux ans. [ ]» Directives pour l établissement de l évaluation du travail «1. La préparation de l évaluation du travail devrait donner au chef responsable et au fonctionnaire l occasion d un entretien portant sur les tâches qui seront assignées à celui-ci, ou sur les objectifs qu il se propose d atteindre, ainsi que sur les propositions qu il pourrait souhaiter présenter en ce qui concerne son travail ou celui de l unité. Toutefois, le rapport d évaluation n est qu une des étapes d un dialogue permanent avec l intéressé. L évaluation écrite ne devrait pas constituer une surprise du dernier moment pour le fonctionnaire. Afin que cette procédure soit efficace les points forts et les points faibles devraient être déterminés et signalés au fonctionnaire le plus tôt possible. 8

2. L évaluation du travail doit être complétée et retournée au Département du personnel dans un délai de deux mois suivant sa date d émission. [ ]» 7. Selon la jurisprudence constante du Tribunal de céans, les rapports de notation relèvent essentiellement de l appréciation de l organisation et ceux-ci ne peuvent être annulés ou modifiés que pour des motifs limités, soit un vice de forme ou de procédure, une erreur de fait ou de droit, l omission de tenir compte de faits essentiels, un détournement de pouvoir ou des déductions inexactes tirées du dossier (voir le jugement 2064, au considérant 4, et la jurisprudence citée). Il appartient dès lors à l intéressé de fournir les éléments permettant de prouver que la décision qu il attaque serait contestable pour l un des motifs susmentionnés. 8. En l espèce, le requérant soutient, par son premier moyen, que l ampleur et l importance des violations des directives pour l établissement de l évaluation du travail sont telles «qu elles nient l essence même du processus d évaluation et constituent un vice de procédure». Il fait notamment valoir que les éléments critiques contenus dans son rapport d évaluation ont constitué «une surprise totale» pour lui, alors que, selon les directives susvisées, l évaluation écrite ne devrait pas constituer «une surprise du dernier moment» pour le fonctionnaire et qu afin que la procédure d évaluation soit efficace, les points forts et les points faibles devraient être déterminés et signalés au fonctionnaire le plus tôt possible. Or, affirme-t-il, son chef responsable ne lui a fait parvenir le projet de rapport d évaluation pour la période allant du 1 er août 2003 au 31 juillet 2005 qu en décembre 2006, soit seize mois après la fin de ladite période, et a signé la version définitive du rapport le 15 octobre 2007 seulement, soit vingt-six mois après la fin de la période considérée, donc en violation des prescriptions en vigueur. Il relève en outre que le formulaire d évaluation n avait pas été entièrement et correctement rempli et qu il avait indiqué qu il n était pas d accord avec certaines informations fournies par son chef responsable concernant notamment les «tâches assignées». 9

Il souligne que la version définitive du rapport contient des éléments qui n avaient pas fait l objet de discussions préalables entre son chef responsable et lui-même, et que son attention n a pas été attirée sur les insuffisances révélées dans son travail ou dans son attitude vis-à-vis de celui-ci. 9. Le Tribunal constate, à l examen du dossier, que les délais prévus par la circulaire n o 392 (corr.1), série 6, et les directives pour l établissement de l évaluation du travail n ont pas été respectés et qu il en est résulté un retard considérable dans l établissement du rapport litigieux. Certes, comme l a indiqué le Tribunal dans le jugement 2064, au considérant 5, l utilité des rapports de notation subsiste, même lorsque les délais n ont pas été respectés, et ils ne sauraient donc être déclarés nuls de ce seul fait. Cependant, l influence du retard sur le contenu du rapport devra être prise en compte selon les circonstances. En l espèce, la défenderesse n a donné aucune justification valable du retard considérable qui a été constaté. Elle se contente d invoquer «une série d éléments relatifs à l organisation du département», sans autres précisions. 10. Le Tribunal relève en outre que certaines des prescriptions concernant le dialogue entre le fonctionnaire et son chef responsable, en particulier le paragraphe 3 de ladite circulaire qui prévoit au moins un entretien annuel, n ont pas été strictement observées. Or la circulaire précitée visait notamment à «encourager [ ] un dialogue constructif entre les fonctionnaires et leurs chefs responsables». Ce dialogue s imposait d autant plus que la période sur laquelle portait l évaluation comprenait, dans sa seconde moitié, la phase initiale de la mise en œuvre d IRIS impliquant, d après la défenderesse elle-même, «un dialogue intense sur les rôles et responsabilités du personnel» au sein du Département des services financiers. 11. Contrairement à ce qu a estimé la Commission consultative paritaire de recours, le Tribunal est d avis que ces irrégularités ont pu 10

avoir pour effet d infléchir l évaluation dans un sens défavorable au requérant. Le processus d évaluation ayant ainsi été vicié, l intéressé est fondé à demander le retrait du rapport d évaluation litigieux de son dossier personnel. La décision attaquée doit en conséquence être annulée. 12. Le requérant ayant subi un préjudice moral du fait des irrégularités qui ont entaché le processus d évaluation, il a droit à l allocation d une indemnité fixée à la somme de 2 000 francs suisses. 13. Obtenant satisfaction, l intéressé a également droit à la somme de 2 000 francs à titre de dépens. Par ces motifs, DÉCIDE : 1. La décision du Directeur général en date du 9 mars 2009 est annulée. 2. Le rapport d évaluation litigieux sera retiré du dossier personnel du requérant. 3. L OIT versera au requérant la somme de 2 000 francs suisses en réparation du préjudice moral subi. 4. Elle lui versera également la somme de 2 000 francs à titre de dépens. Ainsi jugé, le 12 mai 2011, par M. Seydou Ba, Vice-Président du Tribunal, M. Claude Rouiller, Juge, et M. Patrick Frydman, Juge, lesquels ont apposé leur signature au bas des présentes, ainsi que nous, Catherine Comtet, Greffière. 11

Prononcé à Genève, en audience publique, le 6 juillet 2011. SEYDOU BA CLAUDE ROUILLER PATRICK FRYDMAN CATHERINE COMTET 12