Prix des actifs et politique monétaire : enjeux et perspectives

Documents pareils
Les mécanismes de transmission de la politique monétaire

Faut-il encourager les ménages à épargner?

La politique monétaire après la crise financière mondiale : Nouveaux enjeux

Chapitre 4 Comment s opère le financement de l économie mondiale?

La crise de Lionel Artige. Introduction à la Macroéconomie HEC Université de Liège

Economie Générale Initiation Ecole des Ponts - ParisTech

Dans quelle mesure la baisse des taux d intérêt permet-elle de relancer la croissance?

la Banque de France, mars. C. Bordes, «La politique monétaire» chapitre II de «Politique économique» ellipse.

L Equilibre Macroéconomique en Economie Ouverte

La politique monétaire. Lionel Artige HEC Université de Liège

Ligne directrice sur les simulations de crise à l intention des régimes de retraite assortis de dispositions à prestations déterminées

Corefris RAPPORT ANNUEL Annexe 3 : La hausse des prix de l immobilier est-elle associée à une «bulle» de crédit en France?

Banque nationale suisse

1. Une petite économie ouverte dans un monde de capitaux parfaitement mobiles

LE ROLE DES INCITATIONS MONETAIRES DANS LA DEMANDE DE SOINS : UNE EVALUATION EMPIRIQUE.

Thème 2 : la monnaie et les banques : le carburant de notre économie

Eco-Fiche BILAN DE L ANNEE 2012 QUELLES PERSPECTIVES POUR 2013? 1

ECONOMIE GENERALE G. Carminatti-Marchand SEANCE III ENTREPRISE ET INTERNATIONALISATION

Options en matière de réforme des systèmes financiers

Les Marchés boursiers émergents

TD de Macroéconomie Université d Aix-Marseille 2 Licence 2 EM Enseignant: Benjamin KEDDAD

Le rôle du secteur bancaire suisse dans la transformation de l épargne en investissements réels

Le WACC est-il le coût du capital?

Crises financières et de la dette

Chapitre 2/ La fonction de consommation et la fonction d épargne

Quepeut-ondiredelavolatilitédel euro?

B - La lecture du bilan

La mise en œuvre de la politique monétaire suisse

1. Les fluctuations économiques : une dynamique heurtée de développement économique

TD n 1 groupe 1 : Vendredi 30 novembre 2007 Bertrand Lapouge Stéphane Perot Joël Maynard

ANNEXE VII EFFETS MACROECONOMIQUES DE LA REFORME PIECE JOINTE N 2 SIMULATIONS REALISEES A PARTIR DU MODELE MACROECONOMETRIQUE MESANGE

[ les éco_fiches ] Situation en France :

Chapitre 3. La répartition

Fonds de placement Le modèle adapté à chaque type d investisseur.

CHAPITRE 2 : L'INVESTISSEMENT ET SES DETERMINANTS

INDICATIONS COMPLÉMENTAIRES

Remarques d Ouverture par M. Mohammed Laksaci, Gouverneur de la Banque d Algérie, Président de l Association des Banques Centrales Africaines

Nature et risques des instruments financiers

QU EST-CE QU UNE BANQUE? 2 E PARTIE Les banques et la crise financière

La valeur présente (ou actuelle) d une annuité, si elle est constante, est donc aussi calculable par cette fonction : VA = A [(1-1/(1+k) T )/k]

Avertissement sur les risques liés aux instruments financiers Clients professionnels

Consultations prébudgétaires

Macroéconomie. Catherine Fuss Banque Nationale de Belgique

Boussole. Divergence des indicateurs avancés. Actions - bon marché ou trop chères? Marchés boursiers - tout dépend du point de vue!

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

La BNS capitule: Fin du taux plancher. Alain Freymond (BBGI Group SA)

CYCLE FINANCIER, POLITIQUE MONÉTAIRE, DETTE PUBLIQUE. Michel Aglietta Université Paris Nanterre et Cepii

Les pratiques de simulation de crise: enquête auprès de quarante-trois grands établissements financiers

LA GESTION DU RISQUE DE CHANGE. Finance internationale, 9 ème édition Y. Simon et D. Lautier

Les dépenses et la dette des ménages

Commentaires. Michael Narayan. Les taux de change à terme

L activité financière des sociétes d assurances

Le FMI conclut les consultations de 2008 au titre de l article IV avec le Maroc

Aux chapitres 14 et 15, nous avons vu

Note d orientation : La simulation de crise Établissements de catégorie 2. Novembre This document is also available in English.

Epargne et investissement

Les ménages et le crédit

INTRODUCTION EN BOURSE EVALUATION D ENTREPRISE

Préambule Autodiagnostic 1) QRU - La Banque centrale est : 2) QRU - L encadrement du crédit était une technique :

Bulle ou pas bulle? 1. Qu'est ce qu'une bulle immobilière? 2. Comment se forme une bulle? 3. Comment détermine t on si il y a une bulle?

Établissement des taux d actualisation fondés sur la meilleure estimation aux fins des évaluations de provisionnement sur base de continuité

ATELIER : Comment expliquer l instabilité de la croissance économique?

EXPERTISES. Marchés boursiers américains : cycles réels, cycles monétaires

b ) La Banque Centrale Bilan de BC banques commerciales)

Epargne : définitions, formes et finalités.

LIGNE DIRECTRICE SUR LA GESTION DU RISQUE DE TAUX D INTÉRÊT

ESSEC Cours Wealth management

Méthodes de la gestion indicielle

Épargne et investissement. L épargne...

Info-assurance Séance d information de l IASB du 19 mars 2015

Les perspectives mondiales, les déséquilibres internationaux et le Canada : un point de vue du FMI

Chapitre 9 : Les étapes de la construction de l Europe monétaire

Les crédits nouveaux à l habitat des ménages : les tendances à mi 2014

Lorsqu une entreprise a besoin de capitaux pour financer des projets à long terme, elle doit décider

Principes de Finance

Monnaie, banques, assurances

Hausse du crédit bancaire aux entreprises au Canada

ING Turbos. Faible impact de la volatilité. Evolution simple du prix

Incidence du bas niveau des taux d intérêt sur le comportement financier des ménages

Ressources pour le lycée général et technologique

Dans la plupart des économies avancées, les prix immobiliers ont fortement

LES LIENS ENTRE DEMANDE DE CRÉDIT ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE LE CAS DES CRÉDITS AUX SOCIÉTÉS EN FRANCE SUR LA PÉRIODE RÉCENTE

GENWORTH FINANCIAL CANADA PROPOSITION PRÉBUDGETAIRE OCTOBRE 2006

Politiques monétaire et fiscale Cours de M2R Printemps 2006

Zugerberg Asset Management ZAM. Gestion de fortune exclusive principalement basée sur des titres individuels. ZAM Z.

Les Notes de l Institut d émission

L OBSERVATOIRE DES CRÉDITS AUX MÉNAGES. Tableau de bord. 25 ème rapport annuel. Michel Mouillart Université Paris Ouest 29 Janvier 2013

Fiscalité de l épargne et financement des entreprises. Eléments de constat et propositions

Études. Des effets de la réglementation des produits d épargne sur le comportement de placement des ménages

Floored Floater sur le taux d intérêt LIBOR CHF à trois mois avec emprunt de référence «General Electric Capital Corporation»

I) L ouverture des économies à l international

3e question : Qui crée la monnaie?

et Financier International

Annexe - Balance des paiements et équilibre macro-économique

Hedge funds: des faiblesses dans la gestion des risques

L activité financière des sociétes d assurances

RISQUES ASSOCIÉS AUX INSTRUMENTS FINANCIERS (GLOSSAIRE)

Formules et Approches Utilisées dans le Calcul du Coût Réel

Les principaux crédits et les pièges à éviter

La dette extérieure nette du Canada à la valeur marchande

Transcription:

Prix des actifs et politique monétaire : enjeux et perspectives Entela MYFTARI et Sergio ROSSI Université de Fribourg (Suisse) Working Paper N 399 août 2007 Ce papier fera l objet d une communication au Onzième congrès international du «Réseau de Recherche en Politiques Macroéconomiques», consacré au thème: Finance-Led Capitalism? Macroeconomic Effects of Changes in the Financial Sector, Berlin, 26 27 octobre 2007.

2 Résumé Depuis une dizaine d années, bien des économistes s interrogent sur le comportement que doit adopter la banque centrale afin de limiter les fluctuations des prix des actifs, qui exercent des effets tant sur l activité réelle que sur l économie dans son ensemble. Malgré la multitude des analyses, aucun consensus n a encore été dégagé à l heure actuelle sur l attitude que doit avoir l autorité monétaire afin de contrôler ce phénomène et assurer la stabilité macroéconomique. L une des raisons de cet état des choses se trouve dans la complexité du sujet traité ainsi que dans l importance des anticipations et des interactions des acteurs sur les marchés financiers en ce qui concerne l évolution des prix des actifs qui y sont achetés et vendus. L analyse menée dans ce papier traite de l impact du secteur financier sur l activité réelle. Ce papier considère différents postulats théoriques sur les instruments et la politique monétaire que la banque centrale doit appliquer afin d atteindre ses objectifs. Notre analyse montre le caractère déstabilisateur du cycle financier sur l activité économique. Afin de limiter les effets néfastes d une augmentation marquée des prix des actifs réels ou financiers, et eu égard à leur caractère inflationniste, nous appuyons l idée d une intervention de l autorité monétaire sur la sphère financière. À cet effet, ce papier discute deux propositions en considérant les avantages et les inconvénients de chacune d entre elles. La première proposition préconise l usage d une politique monétaire préventive et restrictive face aux évolutions boursières (Cecchetti et al. 2000). Cette proposition se démarque par sa facilité de mise en application et représente un avantage majeur en ce qu elle contribue à limiter l optimisme des intervenants sur les marchés financiers. Néanmoins, cette politique peut être désapprouvée au vu de ses répercussions sur l ensemble de l économie réelle, en particulier sur la production et l emploi. À cet égard, une deuxième proposition, qui revient à exiger que l ensemble des intermédiaires financiers garde auprès de la banque centrale des réserves obligatoires basées sur leurs actifs, permet d évincer cette critique (Palley 2000). Indépendamment de ses avantages théoriques, cette proposition se confronte, toutefois, à de grandes difficultés pratiques, notamment par la nécessité de mise en œuvre d un système de contrôle juridique et administratif considérable. Mots-clés: banques centrales, bulles financières, politique monétaire, prix des actifs Codes de classification du JEL: E31, E44, E58, G18

3 Introduction Le consensus actuel en analyse macroéconomique repose sur l affirmation selon laquelle la politique monétaire n a d influence que sur le taux d inflation qui frappe un pays. De là, le premier objectif visé par les autorités monétaires est la préservation de la valeur interne de la monnaie nationale, condition nécessaire à la stabilité du niveau des prix. Ainsi, le ciblage d un taux d inflation très bas et stable est devenu la préoccupation majeure des banques centrales. Au vu de l importance de l objectif considéré et de ses enjeux, il convient de se demander si l objectif de stabilité des prix visé par les autorités monétaires tient compte correctement des grandeurs pertinentes. En particulier, il s agit de savoir dans quelle mesure les prix des actifs et leurs évolutions temporelles sont incorporées dans la formulation des objectifs des autorités monétaires. Le comportement des autorités monétaires à l égard des prix des actifs a, en réalité, une importance primordiale dans un environnement au sein duquel les conséquences sur l activité économique des variations injustifiées des prix des actifs ont été reconnues par bien des économistes. Une attention particulière envers l évolution des prix des actifs se justifie tant du point de vue de la définition même que nous attribuons au phénomène de l inflation, que des effets néfastes qu engendrent des fluctuations marquées des prix des actifs sur les grandeurs réelles et sur les grandeurs financières. La première section de ce papier expose les arguments qui justifieraient une intervention de la banque centrale dans le but de contribuer à freiner les déséquilibres sur les marchés financiers. La deuxième section présente un survol de la théorie économique de ces dernières années, en ce qui concerne la réaction de la banque centrale par rapport aux variations des prix des actifs et les avantages et inconvénients de chacune des propositions formulées à cet égard. Au vu de cette littérature, force est de reconnaître que les difficultés auxquelles les autorités monétaires sont confrontées sont grandes. Cela tient principalement aux interactions, tant objectives que subjectives, entre les différents marchés des actifs, ainsi qu aux difficultés engendrées lors de l évaluation de la situation financière. À ce sujet, nous étudions deux propositions alternatives pour lutter contre l augmentation (injustifiée) des prix des actifs sans pour cela ralentir le taux de croissance économique, voire engendrer des coûts et sacrifices pour la population (à savoir, des pertes d emploi et d output). La conclusion qui se dégage de cette étude est que, à ce jour, aucun consensus n a été trouvé sur le comportement adéquat que la banque centrale devrait adopter par rapport à l évolution du prix des actifs. Or, la difficulté du sujet ne justifie pas son abandon par les chercheurs et les banquiers centraux. Ainsi est-il que la recherche scientifique doit continuer en la matière car il en va de l essor économique de notre planète. Par ailleurs, le temps permettra aux tests empiriques d évaluer concrètement la portée de chaque proposition et d en retenir la meilleure. 1. Quels enjeux comportent les prix des actifs? Les postulats théoriques énoncés par Milton Friedman depuis le milieu des années 1970 ont dominé les comportements politiques de ces vingt dernières années. Depuis les années 1990 la plupart des banques centrales sont devenues des institutions indépendantes du gouvernement et leur principal objectif (quand il n en est pas le seul) consiste à cibler un taux d inflation très faible et stable. En effet, jamais les pays industrialisés n avaient atteint des taux d inflation si bas depuis une cinquantaine d années.

4 La lutte contre l inflation semble ainsi avoir connu plein de succès. Néanmoins, la question se pose de savoir quelle inflation les autorités monétaires sont-elles en train de combattre. L inflation, en réalité, est la perte du pouvoir d achat interne de la monnaie, qui se mesure par le rapport entre la masse monétaire et le volume des biens et services produits au sein du pays considéré. Or, par simplicité, elle est mesurée à l aide de l indice des prix à la consommation. Autrement dit, selon cette approche, tout agent économique dépense son revenu seulement pour l achat de biens de consommation courante. Cela signifie que l achat des actifs réels et des actifs financiers n est pas pris en considération dans le calcul du taux d inflation servant de référence aux banques centrales pour la conduite de leur politique monétaire. Toutefois, la masse monétaire en circulation dans une économie, qui est liée à la valeur totale des crédits octroyés, permet aux agents économiques d acheter des biens réels et des services, mais aussi des actifs réels et des actifs financiers. De surcroît, si le niveau des crédits octroyés durant une période donnée dépasse le niveau de production durant cette même période, il en résulte une masse monétaire excédentaire, qui provoquera l augmentation des prix des biens et services ou donnera lieu à la création d une bulle sur les actifs immobiliers et/ou financiers. En effet, après l effondrement du régime monétaire international de Bretton Woods, l on a assisté à la libéralisation des marchés internationaux des capitaux et des activités financières. Les conséquences d un tel changement dans la structure réglementaire du système financier ont été une forte exposition des ménages aux activités financières et une importante variation des prix des actifs depuis les années 1980. 1 Les marchés financiers sont frappés davantage par l instabilité à cause d une augmentation des comportements spéculatifs, largement favorisés par l abolition des contrôles des flux de capitaux et par la diminution des coûts de transaction. Or, cette instabilité financière, se traduisant par un enchaînement de formation et d éclatement de bulles spéculatives, a des conséquences inévitables sur l activité réelle car elle influe sur celle-ci à travers différents canaux de transmission. Le caractère dommageable de l instabilité financière sur les grandeurs réelles a été illustré par les nombreuses crises financières qui ont frappé l économie mondiale depuis la fin des années 1980. Ces crises ont déployé des effets néfastes non seulement sur les marchés financiers, mais aussi sur les marchés du crédit et sur les marchés des produits. La littérature met l accent sur quatre canaux de transmission par lesquels les variations des prix des actifs affectent la demande globale et l inflation, à savoir, l accélérateur financier, le ratio Q de Tobin, les effets de richesse, et le capital bancaire. Considérons-les à tour de rôle et de manière succincte. Le mécanisme de l accélérateur financier entre en jeu lorsqu on met en exergue les imperfections du marché du crédit. Dans un marché du crédit imparfait, la présence de coûts de transaction et l asymétrie de l information tant ex ante que ex post 2 induisent l exigence de collatéraux de la part des intermédiaires financiers. L existence d imperfections sur le marché du crédit conduit à deux évidences. Premièrement, les prêteurs obligent les firmes à financer une partie de leurs projets d investissement par des fonds propres, afin d éviter si possible le risque de crédit. Deuxièmement, la partie des projets d investissement financée par emprunt est caractérisée par un coût de financement plus élevé 1 À ce sujet, voir Boone et al. (2001, p. 22), Boone et Girouard (2002, pp. 197 204), Pansard et al. (2005, pp. 14 19). 2 Le prêteur ne peut pas connaître avec exactitude la rentabilité future de l investissement, ni la probabilité de remboursement de l emprunteur.

5 que le coût de l autofinancement. De ce fait, le taux d intérêt de l emprunt sera d autant plus élevé que le risque spécifique associé à l entreprise et son niveau d endettement est important. La variation des cours boursiers, qui peut être due parmi d autres possibilités à un changement de politique monétaire, aura des répercussions directes sur la valeur actualisée de la richesse nette des firmes. Le montant du crédit qui dépend proportionnellement de la richesse nette des entreprises évoluera dans le même sens que celle-ci. Lorsque le crédit est facilement octroyé, les entreprises s engagent dans des projets d investissement dont le niveau de risque et de rendement sont peu élevés. Au contraire, en période de restriction du crédit, les entreprises seront incitées à s engager dans des projets d investissement plus risqués, afin d obtenir des profits plus élevés. Cela accroît leur risque d insolvabilité, augmente l impossibilité à obtenir de nouveaux crédits et induit une diminution des projets d investissement censés se réaliser, 3 autant d enchaînements qui aggravent la situation économique d un pays. Le ratio Q de Tobin met en exergue une relation entre les dépenses d investissement et la valeur boursière d une entreprise. Selon cette approche, l entrepreneur a avantage à investir une unité additionnelle de capital si la valeur boursière des actions de son entreprise augmente plus que le coût d acquisition de cette unité de capital. Une politique d aisance monétaire contribue à rendre les obligations à rendement fixe moins attractives que les actions, dont la demande et, par conséquent, les prix évoluent à la hausse. L augmentation des prix des actions augmente la valeur boursière de l entreprise et induit cette dernière à investir davantage (Mishkin, 2001, p. 2). De telle manière, les fluctuations des prix des actifs ont des conséquences directes sur les dépenses d investissement de la part des firmes. La présence d une bulle persistante comporte dès lors des effets déséquilibrants pour l activité économique car elle donne le signal aux entreprises de s engager dans des dépenses d investissement, sachant que celles-ci sont susceptibles de rapporter des rendements futurs positifs. Or, au moment de la diminution des cours boursiers (entendez lors de l éclatement de la bulle), les entreprises enregistrent un excès de stock de capital par rapport au niveau jugé optimal. Le surplus du stock de capital fixe qui en découle conduit les entreprises à resserrer les futures dépenses d investissement. Cela induit un ralentissement du taux de croissance du revenu national. Le principe des effets de richesse se base sur le modèle du cycle de vie de Franco Modigliani et sur l hypothèse du revenu permanent émise par Milton Friedman. Selon leurs postulats, une augmentation des prix des actifs financiers et/ou des actifs réels engendre une variation haussière de la valeur du patrimoine des agents, ce qui devrait amener les ménages à accroître leurs dépenses de consommation et à diminuer leur propension moyenne à épargner. Les ménages vont s engager dans des dépenses de consommation d autant plus importantes que leur capacité à emprunter a augmenté, en raison d une augmentation de leur richesse nette servant de garantie à l institution financière qui octroie le prêt. Alors que le cours des actions donne une approximation de la richesse nette des entreprises cotées à la bourse, il semble que, pour les ménages, les actifs immobiliers soient les collatéraux portant le plus de garanties dans l obtention d emprunts. Par conséquent, les prix dans le secteur immobilier peuvent être d utiles indicateurs des pressions de la demande globale dans l économie, sachant qu il existe une forte corrélation entre le cycle immobilier et le cycle économique pour la plupart des pays de l OCDE (Boone et al., 2001, pp. 4 21; Goodhart et Hofmann, 2001, pp. 2 3). 3 Pour une explication plus détaillée du mécanisme de l accélérateur financier, voir Bernanke et al. (1999).

6 Les travaux de recherche récents ont mis l accent sur un quatrième canal, qui est constitué par le crédit bancaire, par lequel les banques les acteurs dominants parmi les intermédiaires financiers contribuent à intensifier les chocs financiers. Chaque banque est tenue de posséder une quantité suffisante de fonds propres, afin de faire face à l ensemble de ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Les gestionnaires des banques peuvent être tentés de faire des choix de portefeuille risqués, afin d obtenir des rendements élevés. Or, une prise de risque importante est susceptible d engendrer un plus grand nombre de faillites des établissements bancaires. Face à ce problème d asymétrie de l information, les créanciers demandent un taux d intérêt plus élevé. Pour éviter ce danger de faillites des banques et diminuer le risque systémique, le législateur a fixé un seuil de capitaux propres que chaque banque est tenue de posséder. Les banques préfèrent alors augmenter le ratio de fonds propres, pour donner un signal de sécurité à leurs créanciers et obtenir ainsi des prêts à taux d intérêt moins élevé. L asymétrie de l information existe également entre la banque et les investisseurs. À défaut de connaître avec certitude le rendement des actifs servant de nantissement, les banques imposent à leurs clients des taux d intérêt supérieurs à ceux qui seraient appliqués en situation d information parfaite. Ces taux d intérêt seront évidemment supérieurs à ceux que les banques elles-mêmes doivent verser à leurs créanciers (Mésonnier, 2005, pp. 4 10; Naouar, 2006, pp. 4 7). De telle manière, lorsque les prix des actifs augmentent ou lorsqu une politique monétaire plus expansive contribue à leur augmentation, la valeur du capital des banques augmente, de façon à ce que celles-ci puissent emprunter et prêter davantage. À l inverse, un effondrement des prix des actifs diminue les fonds propres des banques. Le refinancement leur est ainsi plus difficile et plus coûteux, ce qui les oblige à prêter à un taux d intérêt plus élevé. Lorsque la chute de leurs fonds propres est drastique un événement appelé capital crunch, qui a été observé aux États-Unis et au Japon dans les années 1990 (Bordo et Jeanne, 2002a, pp. 4 7) les banques refusent de prêter, ou alors elles octroient du crédit mais à des conditions extrêmes. Cette synérèse du crédit suite à une restriction des conditions monétaires amplifie la détresse économique. L amplification du choc sera d autant plus forte que les banques détiennent peu de capitaux propres et que le bilan des entreprises et des ménages est fragilisé. D ailleurs, dans un tel contexte d asphyxie économique, les investisseurs ne sont pas tentés d investir, ce qui empire davantage la situation économique (Mishkin, 2001, p. 6; Levieuge, 2005, pp. 319 20; Mésonnier, 2005, pp. 4 10). À partir de l analyse de ces quatre canaux de transmission, on comprend quelle est l influence d une variation des prix des actifs sur les grandeurs telles que les dépenses de consommation et d investissement. Le dernier canal revêt une importance particulière car il met en exergue le rôle déstabilisateur des fluctuations boursières sur les grandeurs réelles, ainsi que le caractère amplificateur des chocs financiers. Ce canal constitue l un des facteurs les plus importants dans l enchaînement des crises économiques et financières. Par ailleurs, il convient de noter que les marchés financiers évoluent de manière pro-cyclique, exerçant par conséquent des effets amplificateurs en périodes d expansion ou de récession économique. Dès lors, de fortes fluctuations des prix des actifs engendrent un degré élevé d incertitude quant à l évolution future de l activité économique et financière, tant de la part des firmes que de la part des ménages. Une autre conséquence de cela est l augmentation de la probabilité de faillite des institutions financières, surtout des banques privées. L instabilité financière induit

7 une instabilité macroéconomique du seul fait qu elle provoque une crise de confiance à long terme. Cette crise de confiance frappera tous les agents économiques indépendamment de leur implication dans les marchés financiers et, par conséquent, les effets néfastes sur la croissance réelle seront de taille. Ces effets seront d autant plus dommageables que les ménages estiment que le climat dans les marchés financiers peut être interprété comme étant un bon indicateur de la santé future de l activité économique (Durré, 2001, pp. 2 12). 2. Politique monétaire et prix des actifs Deux constatations nous conduisent à nous questionner si l autorité monétaire doit réagir aux variations des prix des actifs au même titre qu elle réagit aux variations des prix d une partie des biens et services (à savoir, les prix des produits utilisés pour l établissement de l indice des prix à la consommation retenu par la banque centrale pour prendre ses propres décisions de politique monétaire). Premièrement, l impact de la variation des prix des actifs sur l output et sur les conditions futures de la demande globale a été reconnu par un très grand nombre d économistes et de banquiers centraux. 4 Deuxièmement, les variations intervenues dans la demande globale induisent des pressions à la hausse du niveau des prix. De surcroît, les prix des actifs semblent être des indicateurs avancés de l inflation. La logique de ce point de vue réside dans le fait que la valorisation des actifs est calculée de manière prospective et que les prix des actifs intègrent, par conséquent, les anticipations relatives à la croissance économique et aux tensions inflationnistes à venir (Trichet, 2002, p. 40). Lorsqu on appuie l idée d une réaction directe des autorités monétaires à la variation des prix des actifs, force est de reconnaître le grand nombre de difficultés auxquelles les autorités monétaires seront confrontées dans ce cas de figure. La première difficulté est de savoir de quelle manière les autorités monétaires doivent réagir aux prix des actifs. Faut-il établir un indice de prix intégrant les actifs financiers? Faut-il introduire les prix des actifs dans la règle de Taylor en fixant ainsi, à côté des objectifs traditionnels, une cible pour la variation des prix des actifs? Le cas échéant, la réaction de l autorité monétaire doit-elle être symétrique ou asymétrique? Quel sera le coefficient de réaction aux variations des prix des actifs? De plus, il faut également déterminer la valeur de référence à partir de laquelle toute déviation des prix des actifs fera l objet d une intervention des autorités monétaires. Une question encore plus importante consiste à savoir adapter la réaction de l autorité monétaire à la nature des chocs qui sont la cause d une fluctuation des prix des actifs. Voici tant de questions qu il conviendra de considérer simultanément et auxquelles il faudra donner la réponse la plus appropriée. La création d un indice des prix incorporant les prix des actifs En se basant sur l argument selon lequel les prix des actifs sont des indicateurs avancés de l évolution future des prix des biens et services et que leur variation peut induire une perte du pouvoir d achat de la monnaie au même titre qu une variation des prix des biens et services, l on peut concevoir la construction d un nouvel indice des prix servant à mesurer le taux d inflation utilisé comme indicateur par les banques centrales. Deux problèmes se posent à cet égard. Le premier problème est de déterminer le poids qu il faudrait attribuer aux prix des actifs dans le nouvel indice des prix. Le deuxième problème, qui se base sur l idée que toute augmentation des prix des actifs n est pas toujours synonyme d un phénomène inflationniste, 4 Voir à cet égard Bernanke et al. (1999, pp. 1341 75), Cecchetti et al. (2000, p. 2), Goodhart (2001, pp. 346 52), Goodhart et Hofmann (2001, pp. 4 9), Filardo (2001, p. 2), Bordo et Jeanne (2002b, pp. 5 7), Ahearne et al. (2005, pp. 8 10).

8 découle des difficultés à évaluer le moment à partir duquel une intervention de la banque centrale afin de contrecarrer les fluctuations jugées excessives des prix des actifs pourrait être justifiable. Certains auteurs, tels que Shiratsuka (1999, pp. 107 23) et Filardo (2001, p. 15), mettent l accent sur l impact néfaste et sensible d une forte variation du taux d intérêt qui sera nécessaire afin de contrecarrer les fluctuations intervenues dans les prix des actifs. De fortes fluctuations des taux d intérêt peuvent avoir des effets bien plus dommageables sur l activité économique que leurs prétendus effets positifs sur la stabilité des prix et la stabilité financière. La réaction des autorités monétaires en fonction de la nature des chocs Étant donné que l idée de la construction d un nouvel indice des prix incorporant les prix des actifs financiers et des actifs réels a été rapidement abandonnée, certains auteurs suggèrent, à l instar de Goodhart et Hofmann (2001, pp. 10 15), d introduire les prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales. Néanmoins, ces auteurs refusent le principe que la banque centrale devrait réagir de manière automatique aux variations des prix des actifs. Les autorités monétaires doivent, par contre, analyser les causes de ces variations, suivant qu elles soient imputables à des facteurs de l offre ou à des facteurs de la demande. Ce point a été exposé de manière plus constructive dans le travail de Durré (2001, pp. 12 24). L auteur montre que les autorités monétaires ne doivent pas réagir de la même manière à toutes les variations des prix des actifs. L analyse de la nature des chocs afférant à la variation des prix des actifs est primordiale, d autant plus que certaines évolutions financières peuvent être déstabilisantes ou, au contraire, stabilisantes. A fortiori, la réaction des autorités monétaires en cas de cible d inflation et de production ne sera pas identique aux réactions que les autorités monétaires vont avoir lorsqu elles visent également la stabilité financière. La fonction de réaction de la banque centrale dans le dernier cas de figure prend la forme d une règle de Taylor augmentée des prix des actifs, dont la fonction de perte s établit comme suit: = E t ((y t y* ε t s ) 2 + χ(π t π*) 2 + γ(l t l*) 2 ) où y représente l output, π est le taux d inflation, l représente les prix des actifs, ε t s représente les différents types de chocs qui frappent l activité économique et E t représente l espérance au temps t de la perte. Les objectifs poursuivis par la banque centrale s avèrent être les suivants: minimisation de la déviation du niveau de production par rapport au niveau de production potentiel (ou de plein-emploi, y*), minimisation de la déviation du taux d inflation par rapport à la cible fixée (π*) et, enfin, stabilisation du prix des actifs par rapport à leur cible (l*). Cela signifie que la politique monétaire s intéresse seulement aux déviations des prix des actifs par rapport aux valeurs fondamentales de ces mêmes actifs. Il est supposé que la banque centrale est toujours en mesure de connaître ces valeurs fondamentales. Étudions le comportement de la banque centrale face à chaque type de choc. En cas de chocs de demande positifs, la demande globale augmente, induisant par là des pressions à la hausse du niveau des prix. La banque centrale intervient par l augmentation du taux d intérêt nominal, afin de minimiser l écart du taux d inflation par rapport à sa cible. L augmentation du taux d intérêt conduit à une diminution des prix des actifs qui, à son tour, induit une diminution de la demande globale par l intermédiaire des effets de richesse. Or, cette augmentation du taux d intérêt renchérit le coût du capital et déprime les dépenses d investissement. Ainsi, la réaction de la banque centrale aux chocs positifs de demande devra être plus faible lorsque celle-ci vise la stabilité financière que dans le cas de l objectif traditionnel de la stabilité des prix mesurée à l aide de l indice des prix à la consommation,

9 grâce au rôle rééquilibrant joué par les prix des actifs. Il convient de préciser que la variation du taux d intérêt directeur sera d autant plus faible que la sensibilité de la demande globale à la variation des prix des actifs est forte (donc lorsque les effets de richesse sont importants). En cas de chocs d offre, les autorités monétaires sont tenues de détecter la nature de ce choc. Lors d un choc technologique, les banques centrales ne devraient généralement pas intervenir. Un choc technologique contribue à augmenter les capacités de production. Or, les prix des actifs connaîtront de fortes tendances haussières grâce à une augmentation permanente des dividendes futurs anticipés. D un côté, la demande globale augmente comme réponse à l augmentation des prix des actifs via un effet de richesse. De l autre côté, le niveau de production de long terme augmente grâce aux progrès technologiques. Lorsque la banque centrale vise son objectif traditionnel, elle peut réagir aux chocs positifs de l offre par une baisse des taux d intérêt dans le but de relancer la demande globale. Or, dans un modèle de ciblage de l inflation avec des effets de richesse (règle de Taylor augmentée d une cible pour la variation des prix des actifs), la banque centrale ne doit pas toujours intervenir en situation de choc technologique car, cette fois-ci, la demande globale arrive à égaliser l offre globale grâce à l impact positif de l augmentation des prix des actifs sur le niveau de la demande globale. En effet, le degré d intervention de la banque centrale dépendra de la sensibilité de la demande globale à la variation des prix des actifs. En situation de choc technologique, la variation du taux d intérêt sera d autant plus faible que les effets de richesse sont forts et viceversa. Selon les calculs de Durré (2001), à partir d une élasticité de la demande globale par rapport aux prix des actifs de 0,7 (ce qui signifie qu une augmentation de 10 pour cent des prix des actifs induit une augmentation de 7 pour cent de la demande globale), l intervention de la banque centrale n est plus nécessaire. Cet exemple met en exergue le rôle rééquilibrant des prix des actifs. Il convient toutefois d ajouter une précision dans le cas où la banque centrale est confrontée à un choc d offre. Lorsque l élasticité de la demande globale par rapport aux prix des actifs est faible, la banque centrale doit faire un arbitrage entre la stabilisation de l activité économique et celle des prix des actifs. La diminution des taux d intérêt, outre la relance de la demande globale, induit une volatilité plus forte des prix des actifs. Dans ce cas de figure, la banque centrale sera confrontée au respect d objectifs contradictoires. Est-ce qu elle va accepter un taux d inflation plus élevé afin de contrecarrer les fluctuations des prix des actifs, ou va-t-elle préférer maîtriser l inflation au prix d une variabilité des prix des actifs? Cela dépendra des préférences de la banque centrale et, par conséquent, des coefficients attribués à chacun de ses objectifs (Levieuge, 2005, p. 323). Si l on considère maintenant le cas où le marché des actifs est affecté par un choc financier positif, l augmentation de la prime de risque va diminuer les prix des actifs conformément au modèle des dividendes escomptés. La diminution des prix des actifs va, pour sa part, influencer négativement la demande globale. À perspective de production inchangée, toute pression à la baisse de la demande globale peut affecter négativement les prix des biens et services. Afin d éviter la baisse des prix, la banque centrale réagit par une diminution du taux d intérêt directeur, ce qui aura pour corollaire une augmentation de la demande globale. Plus la sensibilité de la demande globale à la variation des prix des actifs est forte, plus forte sera la variation du taux d intérêt par la banque centrale suite à un choc financier. En effet, les autorités monétaires devront non seulement contrecarrer les fluctuations de l activité économique, mais aussi celles des prix des actifs. La réponse de la banque centrale à un choc financier sera plus forte lorsque celle-ci aura pour objectif la stabilité financière que dans le cas contraire. Cela s explique par le fait qu un choc financier (tout comme un choc

10 technologique) affecte directement les prix des actifs. Avec un objectif de stabilité financière, les autorités monétaires doivent réagir à la diminution des prix des actifs d un côté et à la diminution de la demande globale de l autre côté. La réaction des autorités monétaires à la variation des prix des actifs ne sera pas systématique. Elles doivent répondre avec force aux chocs financiers, qui déstabilisent l économie, mais elles doivent se montrer beaucoup plus rigoureuses en cas de choc d offre, laissant ainsi les prix des actifs jouer leur rôle rééquilibrant. La force avec laquelle le taux d intérêt doit répondre aux différents chocs qui touchent une économie dépend du poids relatif accordé à chaque objectif dans la fonction de réaction de la banque centrale. Plus le poids attribué à l objectif de stabilité financière est élevé, plus la variation du taux d intérêt suite à un choc financier ou à un choc d offre sera élevée. Dans le cas d un choc de demande, la variation du taux d intérêt sera plus faible. L intégration des prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales Bernanke et al. (1999, pp. 1341 93) 5 sont parmi les premiers économistes à avoir reconnu l impact de la variation des prix des actifs sur les grandeurs réelles et à s être intéressés à la pertinence de l introduction des prix des actifs dans la fonction de réaction de la banque centrale lorsqu on considère les deux principaux canaux de transmission de l activité financière à la sphère réelle, à savoir, les effets de richesse et le mécanisme de l accélérateur financier. Tout en considérant une économie fermée, les auteurs intègrent la possibilité d un choc exogène, ce qui signifie que leur modèle accepte l hypothèse de la création d une bulle spéculative. La bulle apparaît à l improviste (étant donné qu elle est exogène), elle se développe de manière à ce qu elle double à chaque période et éclate au bout de cinq périodes. Lorsque la bulle éclate, les prix des actifs retournent à leurs valeurs fondamentales, entendez à la valeur actualisée des dividendes qu ils sont supposés apporter. Cette hypothèse d exogénéité a des implications importantes pour la politique monétaire. Tout d abord, elle sous-tend que la naissance, la vie et la mort d une bulle d actifs, de même que la façon dont celle-ci réagira à un changement de politique monétaire, comportent un élément d imprévisibilité du fait que les sources de déséquilibre ne sont pas explicitées dans le modèle économique. En conséquence, il est difficile pour les autorités monétaires de savoir comment réagir à un déséquilibre des prix des actifs: faut-il resserrer la politique monétaire et aller à contre-courant du marché ou au contraire s assouplir pour amortir l onde de choc que la bulle provoquera? (Selody et Wilkins, 2004, p. 6). Bernanke et Gertler (1999, pp. 17 51) tentent de répondre à cette question. Ils s intéressent à déterminer si les autorités monétaires doivent adopter un comportement accommodant ou agressif envers l inflation anticipée et s il faut réagir à une variation des prix des actifs. Une règle accommodante consiste à varier le taux d intérêt nominal dans le même sens et avec la même ampleur que les variations anticipées du taux d inflation futur, de manière à maintenir inchangé le taux d intérêt réel. Il s agit donc d une règle qui respecte la fameuse relation d Irving Fisher. Cette règle a l avantage de ne pas peser sur l activité économique. Au contraire, une règle sera agressive lorsque le banquier central a une forte aversion à l inflation. Ainsi, le taux d intérêt nominal réagira fortement à une anticipation inflationniste. 5 Voir aussi Bernanke et Gertler (1999, pp. 22 42).

11 Cela signifie que le taux d intérêt réel sera affecté et la politique monétaire aura un impact sur l activité économique. Ces deux règles monétaires seront appliquées à la relation suivante (nous simplifions): i t = αi t 1 + βe t π t+1 + δy t + γ(s S*) t où i t est le taux d intérêt nominal fixé par les autorités monétaires au temps t, E t π t+1 exprime l anticipation en t de l écart inflationniste qui sera créé en t+1, Y t représente l output gap en t et (S S*) t représente l écart au temps t entre la valeur boursière des actifs, ou prix de marché des actifs (S), et leur valeur jugée fondamentale (S*). Il convient de préciser que les auteurs émettent l hypothèse que la banque centrale ne va pas répondre à l output gap (δ = 0). La considération des prix des actifs parmi les objectifs de la banque centrale se traduit par la valeur γ 0, et par la valeur γ = 0 dans le cas contraire. Lorsque les autorités monétaires appliquent une règle accommodante, β vaut 1,01. Dans le cas où elles appliquent une règle agressive, β est égal à 2,0. Bernanke et Gertler (1999) ont fait les quatre simulations suivantes: règle accommodante avec objectif de stabilité des prix (i t = 1,01 E t π t+1 ); règle agressive avec objectif de stabilité des prix (i t = 2,0 E t π t+1 ); règle accommodante avec objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière (i t = 1,01 E t π t+1 + 0,01 (S S*) t ), et, enfin, règle agressive avec objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière (i t = 2,0 E t π t+1 + 0,01 (S S*) t ). On note que le coefficient de réaction des autorités monétaires à la variation des prix des actifs est extrêmement faible, à tel point que l on peut dire que la stabilité financière ne constitue pas un objectif en tant que tel. Néanmoins, ce coefficient étant tout de même positif et non nul, il a le mérite d intégrer les comportements des agents dès lors que cet objectif fait partie des préoccupations de la banque centrale. Les résultats des tests économétriques des auteurs concluent au choix d une règle de politique monétaire agressive avec pour seul objectif la stabilité des prix des biens et des services. Ce résultat peut s expliquer de la façon suivante: sachant que le banquier central est très avers à l inflation et qu il va répondre par une augmentation très forte du taux d intérêt nominal à toute anticipation inflationniste, les agents économiques vont intégrer cette donnée dans leur comportement de consommation. En effet, si les agents anticipent une période de contraction économique, ils vont de suite réduire leurs dépenses de consommation et d investissement. De même, le fait d escompter une diminution future des cours boursiers (à cause de l augmentation du taux d intérêt) comporte une diminution future de la richesse nette des agents et, par conséquent, une diminution du niveau des dépenses de consommation, si l on se situe dans l hypothèse du cycle de vie avec objectif de lissage des dépenses de consommation. L application d une règle rigoureuse de politique monétaire avec un objectif supplémentaire de stabilité financière n apporte pas de résultats très différents de ce que nous venons de présenter. Pour cette raison, l introduction des prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales n est, selon Bernanke et Gertler (1999), ni nécessaire ni souhaitable. De là, les banques centrales n ont pas besoin de se préoccuper de détecter la nature des chocs qui frappent le marché financier et ne sont pas confrontées à un arbitrage d objectifs lors de chocs de demande.

12 L application d une règle accommodante (β = 1,01), qui permet de maintenir le taux d intérêt réel constant, conduit à des résultats pervers et insatisfaisants dans les deux cas de figure. L application d une règle accommodante lorsque la banque centrale vise le seul objectif de la stabilité des prix n est pas optimale. La création d une bulle spéculative stimule la demande globale par le canal de l accélérateur financier et des effets de richesse. La consommation et l investissement augmentent, tout comme le taux d inflation et l output. Lorsque la bulle éclate, la richesse nette des firmes diminue et la prime de financement externe augmente, ce qui conduit à une diminution rapide de l output. La diminution de la production en phase descendante du cycle est plus forte que l augmentation de la production en phase ascendante du cycle. De l autre côté, l application d une règle accommodante dans le cas où les autorités monétaires souhaitent atteindre les deux objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière conduit à des résultats pervers. La raison en est que the expectation by the public that rates will rise in the wake of the bubble pushes down the fundamental component of stock prices, even though overall stock prices (inclusive of the bubble component) rise. Somewhat counterintuitively, the rise in rates and the decline in fundamental values actually more than offset the stimulative effects of the bubble, leading output and inflation to decline an example of the possible collateral damage to the economy that may occur when the central bank responds to stock prices. However, the general point here is that a monetary policy regime that focuses on asset prices rather than macroeconomic fundamentals may well be actively destabilizing. The problem is that the central bank is targeting the wrong indicator (Bernanke et Gertler, 1999, p. 28). Une précision importante reste à faire dans le cadre de l analyse de Bernanke et Gertler (1999). Les auteurs supposent que la banque centrale est en mesure d identifier la présence d une bulle. Cela signifie qu elle peut distinguer ce qui, dans le prix d un actif, relève de sa valeur fondamentale et ce qui résulte de composantes non fondamentales. Cette hypothèse est forte car elle suppose que les banques centrales sont plus informées que le marché et qu elles ont un degré de rationalité plus élevé que les autres agents (Bordo et Jeanne, 2002b, p. 3). Or, il convient de préciser que, même dans un cadre de rationalité et d informations parfaites à disposition des banques centrales, la définition d une bulle, sa création, son ampleur et sa durée reposent sur des appréhensions fortement subjectives et qu il n existe aucun moyen qui puisse évaluer de manière totalement objective la valeur fondamentale du prix d un actif financier ou d un actif réel. Bordo et Jeanne (2002b, pp. 8 12) proposent un argument supplémentaire, qui semble renforcer les conclusions de Bernanke et Gertler (1999). Selon Bordo et Jeanne, les bulles financières ne vont pas toutes éclater. D après leurs calculs, il ressort que la probabilité qu une bulle termine par un éclatement sur le marché des actions n est que de 16,7 pour cent, qui est somme toute un chiffre très faible. Par contre, cette même probabilité monte à 55 pour cent pour les bulles concernant les actifs immobiliers. Qui plus est, certaines bulles n entraînent pas de répercussions douloureuses pour l activité économique lorsqu elles éclatent. Cela signifie que la détection d une bulle n est pas une raison suffisante pour justifier l intervention des autorités monétaires. Cecchetti et al. (2000, pp. 22 36) 6 contredisent les résultats de Bernanke et Gertler (1999). Ils considèrent une fonction de réaction de la banque centrale comme celle utilisée par Bernanke et Gertler (1999), tout en attribuant à l écart de production un poids positif et égal à l unité (contrairement au choix de Bernanke et Gertler, qui attribuent un coefficient de réaction nul à 6 Voir aussi Cecchetti et al. (2002, pp. 3 9).

13 l écart de production), et essaient d élaborer une fonction de perte pour chaque règle de politique monétaire (une règle de politique monétaire qui vise seulement la stabilité des prix et une règle de politique monétaire qui vise la stabilité des prix et la stabilité financière), leur objectif étant de choisir la règle de politique monétaire qui minimise la (fonction de) perte. Il ressort des calculs de Cecchetti et al. (2000, pp. 22 36) que la règle optimale est celle qui intègre les prix des actifs. Cecchetti et al. (2000) proposent ainsi une réaction systématique des autorités monétaires aux variations des prix des actifs qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales, contrairement au scepticisme de Bernanke et Gertler (1999). Cecchetti et al. (2000) précisent que la banque centrale doit être en mesure de bien estimer les mésalignements des prix des actifs et de réagir différemment en fonction des chocs qui sont à l origine de ces mésalignements. La réaction des autorités monétaires doit être préventive, de manière à limiter l ampleur des conséquences de la bulle. Or, la difficulté de bien déceler la présence d une bulle a éveillé l inquiétude de plusieurs économistes. 7 Une réponse erronée de la banque centrale a d autant plus de probabilité de se réaliser que la banque centrale réagit rapidement aux fluctuations boursières. Une mauvaise réaction de la banque centrale serait, dans ce cas, fortement déstabilisante (Levieuge, 2005, p. 324) et lourde de conséquence en matière de perte de richesse pour le système économique, ce qui pèserait lourd en termes de perte de crédibilité de la banque centrale et de sa politique. Plusieurs auteurs rejettent, par conséquent, le point de vue de Cecchetti et al. (2000) sous le prétexte que la détection de ces mésalignements n est pas un manège facile, d autant plus que la détermination de la valeur fondamentale des actifs relève de critères subjectifs (Selody et Wilkins, 2004, p. 10). Qui plus est, l utilisation de l instrument dont disposent les banques centrales à l heure actuelle n a pas d effets certains: l influence d une variation du taux d intérêt sur les prix boursiers n est pas toujours univoque. L interprétation que le marché financier donne à cette réaction des autorités monétaires est primordiale. Cela signifie que la banque centrale n a pas le contrôle absolu sur le prix des actifs, ce qui ajoute une difficulté supplémentaire au problème considéré ici. Pour éviter le problème d une mauvaise appréciation des déviations des prix des actifs de leur valeur fondamentale, ainsi que celui d une intervention trop rapide des autorités monétaires, Cecchetti et al. (2002) proposent une réaction de la politique monétaire, via la manipulation du taux d intérêt directeur, seulement aux déviations marquées des prix des actifs par rapport à leurs valeurs fondamentales à long terme, afin d être sûr qu elles auront des répercussions importantes sur les grandeurs réelles. À leur avis, les petites déviations ne semblent pas avoir d effets déstabilisateurs inquiétants. Détecter des déviations très marquées des prix des actifs sur le long terme telles que celles qu a connu le Japon en 1989 et les États-Unis en 2000 est, de l avis des auteurs, facilement possible. On peut conclure à partir de ces développements que moins les banques centrales sont en mesure d estimer avec précision les retentissements de la variation des prix des actifs sur les grandeurs réelles et plus elles sont tenues de réagir rapidement en réajustant les taux d intérêt, moins il convient de classer la stabilité financière parmi les objectifs de la banque centrale car les chances que celle-ci commette des erreurs dans ce cas sont assez élevées. L introduction d une cible portant sur les prix des actifs financiers et des actifs réels dans la règle de Taylor comporte une difficulté énorme pour les autorités monétaires en raison des retentissements d une variation des taux d intérêt directeurs sur l économie toute entière. 7 Voir Trichet (2002, p. 39).

14 Doit-on proposer une réaction asymétrique par les banques centrales? Eu égard aux difficultés que peuvent rencontrer les banques centrales lorsqu elles doivent intervenir au moment de la naissance d une bulle pour amortir son impact, nous pourrions nous demander si une réaction asymétrique, mais systématique, de la part de la banque centrale serait justifiable. Un tel comportement des autorités monétaires a été qualifié de benign neglect dans la littérature économique. La banque centrale adopte alors le rôle de prêteur en dernier ressort. Il s agit de réduire le taux d intérêt directeur à la suite d une baisse des cours boursiers, afin de limiter les pertes des agents et d éviter que l économie entre dans une phase de récession. L argument qui justifie un tel comportement réside dans l affirmation selon laquelle une éventuelle injection de liquidités, qui est nécessaire lors d une instabilité financière, sera de très courte durée et par conséquent ne risque pas de se heurter aux objectifs macroéconomiques de la politique monétaire, qui portent sur le moyen long terme. L idée selon laquelle la stabilité financière peut être assurée en cas de récession financière sans qu elle engendre des sacrifices en termes d objectifs de politique monétaire (inflation et output) grâce à un comportement de benign neglect de la part des autorités monétaires est correcte seulement lorsque les agents anticipent une crise économique future et, dès lors, sont peu optimistes quant à l évolution future de l activité économique. De telle manière, les cours boursiers ne vont pas augmenter beaucoup dans la phase ascendante du cycle. Ainsi, durant la phase descendante du cycle, la diminution des cours boursiers ne sera pas très forte et, par conséquent, son impact sur l activité économique ne sera pas d une grande ampleur (Bordo et Jeanne, 2002b, p. 4). Or, une intervention systématique et asymétrique de la banque centrale risque de provoquer des comportements déstabilisateurs chez les investisseurs, à cause de l aléa moral qu elle fait naître. Sachant que la banque centrale adoptera des politiques monétaires accommodantes systématiquement après tout effondrement des cours boursiers, les investisseurs seront tentés de s engager dans des projets encore plus risqués et à rendement élevé. Ainsi, nous pourrions reprocher aux autorités monétaires d avoir contribué à la création d une bulle spéculative (Illing, 2001, p. 1; Trichet, 2002, pp. 39 40). D autre part, si la banque centrale manque d intervenir face à l émergence d une bulle pour une raison aussi simple que celle d une mauvaise appréciation de la situation, elle peut donner au marché un signal trompeur, qui n aurait pour conséquence que d alimenter la bulle. Les agents pensent que la situation économique et financière est saine, alors qu elle ne l est pas, et s engagent dans des projets encore plus risqués. En résumé, le manque de clairvoyance de la part des autorités monétaires aggrave le problème d aléa moral. Vers une nouvelle perspective d action Jusqu à présent, nous avons relevé que les variations des prix des actifs ébranlent à la fois la stabilité financière, économique et monétaire de l économie nationale. La politique monétaire est directement concernée par ces évolutions, et elle doit assurer un certain degré de stabilité des prix des actifs. Un relèvement des taux d intérêt directeurs dans la phase ascendante du cycle économique permet de freiner l euphorie des intervenants sur les marchés financiers. Certes, l application de cette politique n aboutit pas nécessairement à un résultat optimal au vu du rôle primordial que jouent les anticipations dans ce domaine. Néanmoins, à long terme, une telle politique, si elle est clairement définie et mise en application de manière adéquate,