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Urgences vasculaires Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ; 18, n 2 : 93-7 Conduite à tenir devant une thrombopénie survenant chez un patient sous héparine Dominique Lasne 1,2, Martine Alhenc Gelas 2, Christine Le Beller 2, Agnès Lillo-Le Louët 2 1 Service hématologie biologique, hôpital Necker 149 rue de Sèvres, 75015 Paris 2 Service hématologie, hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris <dom.lasne@nck.aphp.fr> Les accidents thrombotiques artériels ou veineux constituent la principale complication des thrombopénies induites par l héparine (TIH) et leur gravité potentielle impose une prise en charge rapide et adéquate. La TIH est liée à l apparition d anticorps dépendant de l héparine qui s associent à des chémokines, le plus souvent le facteur 4 plaquettaire (FP4) (anti-h/fp4) et qui induisent une activation plaquettaire et une hypercoagulabilité [1]. La prise en charge des patients présentant une thrombopénie durant un traitement par l héparine peut être difficile, en particulier dans certaines situations où de multiples causes de thrombopénie existent et où l héparine apparaît comme l anticoagulant «irremplaçable». Il est donc important de savoir estimer la probabilité de la TIH en analysant un certain nombre de critères décrits ci-dessous et résumés dans la figure 1. Correspondance et tirés à part : D. Lasne Quand évoquer le diagnostic de TIH? Signes évocateurs : thrombopénie et thrombose Le diagnostic de TIH doit être évoqué chez tout patient traité par l héparine ou un héparinoïde, présentant une thrombopénie absolue (numération <150x10 9 /L) ou relative (diminution > 40 % par rapport à la numération avant le traitement). La thrombopénie doit être confirmée après vérification de la numération sur un autre anticoagulant que l éthylènediaminetetracétrique (EDTA). La chute des plaquettes survient typiquement entre le 5 e et le 20 e jour après le début de l héparinothérapie. Cependant, s il y a eu un traitement par l héparine (héparine non fractionnée (HNF) ou de bas poids moléculaire (HBPM)) dans les 3 mois précédents, la chute plaquettaire peut être plus précoce [2]. L interrogatoire du patient et la consultation du dossier médical à la recherche d une exposition récente à l héparine sont donc des éléments essentiels du diagnostic. La thrombopénie est souvent modérée (nadir d environ 55x10 9 /L) sauf dans de rares exceptions, notamment lorsque la TIH est associée à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). La surveillance de la numération plaquettaire avant et pendant toute la durée du traitement par l héparine est obligatoire en France à la fréquence de deux fois par semaine, y compris pour les HBPM. Toutefois, dans des situations où le risque de TIH est élevé comme les chirurgies cardiaque et orthopédique, ou lorsque le patient a reçu antérieurement de l héparine, une surveillance plus rapprochée est recommandée [3]. 93

1. Vérification de la thrombopénie Confirmation de la numération plaquettaire sur un autre anticoagulant que l EDTA Confirmation Pas de confirmation : poursuite de l héparine 2. Estimation de la probabilité du diagnostic de TIH Interrogatoire : patient, entourage, médecins ; analyse du dossier médical ; examen clinique ; examens complémentaires a) Critères chronologiques : délai compatible si début du traitement par héparine - entre le 5 e et le 20 e jour précédent - ou < 5 jours si exposition à l héparine dans les 3 mois précédents b) Critères sémiologiques - thrombose récente ou extension de thrombose - absence de contexte clinique récent tel que chirurgie, hémorragie massive avec transfusion, néoplasie évolutive, sepsis non contrôlée, dispositif médical c) Critères biologiques - chute des plaquettes isolée sans leucopénie et/ou anémie - nadir plaquettaire > 20 10 9 /L sauf si CIVD associée - prélèvements bactériologiques négatifs, CRP normale ou stable Majorité de OUI = TIH PROBABLE 3. Arrêt de l héparine 4. Contact du laboratoire Prélèvement sanguin pour les tests biologiques de confirmation de la TIH Organisation pour la surveillance du traitement anticoagulant alternatif 5. Choix du traitement anticoagulant alternatif Traitement nécessaire en raison du risque de thrombose ; discuter le choix de la molécule et le niveau d anticoagulation selon le contexte ; mettre en place les modalités de surveillance du traitement (médicaments peu utilisés donc moins bien connus) 6. Confirmation de la TIH - si remontée des plaquettes dans les 5 jours suivant l arrêt de l héparine - et/ou si les autres causes de thrombopénies sont exclues - et/ou selon les résultats des tests biologiques *Si les 2 types de tests (ELISA et activation plaquettaire) sont positifs : TIH confirmée *Si les 2 tests sont négatifs : TIH en général exclue. *Si test d activation positif et test ELISA négatif : rare sauf si anticorps anti-il8 ou anti- NAP2. La conclusion repose essentiellement sur les 2 premiers critères. *Si test d activation négatif et test ELISA positif : fréquent notamment après une CEC. La conclusion repose essentiellement sur les 2 premiers critères 7. Déclaration de pharmacovigilance et délivrance d une attestation au patient Courrier de conclusion versé au dossier médical y compris si le diagnostic de TIH est exclu. Figure 1. Prise en charge d un patient thrombopénique (plaquettes < 150 x 10 9 /L et/ou chute relative > 40%) au cours d un traitement par héparine. Des complications thrombotiques artérielles ou veineuses surviennent chez environ 50 % des patients présentant une TIH. Il s agit le plus souvent de thrombose veineuse extensive ou bilatérale, de thrombose au niveau d un cathéter veineux central et de thromboses de l aorte distale ou d artères des membres inférieurs. Des lésions cutanées (érythème ou nécrose) au site d injection de l héparine sont également observées. Une CIVD peut également accompagner une TIH. L apparition de thrombose n est pas prévisible et peut être observée durant la chute plaquettaire, au moment du nadir ou lorsque les plaquettes remontent, voire même plusieurs jours après l arrêt de l héparine. En raison 94

du risque thrombotique élevé, une recherche méticuleuse de nouvelle thrombose ou de l extension d une thrombose existante est recommandée chez les patients suspects de TIH [4]. Le diagnostic différentiel Toutes les autres causes de thrombopénie doivent être scrupuleusement recherchées. Cette étape doit faire l objet d une démarche rigoureuse pluridisciplinaire (cliniciens, biologistes, pharmacovigilants) car la décision finale d arrêter ou non l héparine dépend de cette analyse. Les événements cliniques intercurrents seront analysés afin de déterminer leur rôle dans la survenue de la thrombopénie (hémorragies, transfusions, sepsis, atteinte hépatique, cancer...). Parallèlement, le rôle possible de chaque médicament sera évalué, ainsi que celui des dispositifs médicaux (ballons de contre-pulsion, hémofiltration...). En contexte chirurgical, une thrombopénie sous héparine peut être difficile à interpréter, notamment après une chirurgie orthopédique ou cardiaque avec circulation extracorporelle (CEC), car une baisse de 30 % des plaquettes est fréquente. Une thrombopénie dans les 4 premiers jours postopératoires est rarement attribuable à une TIH, mais dans ce cas, la découverte d une exposition à l héparine dans les 3 mois précédents impose de poursuivre la démarche diagnostique. Le plus souvent, la TIH après une CEC, est caractérisée par un profil biphasique du compte plaquettaire avec une baisse initiale des plaquettes après la CEC, suivie d une remontée dans les 5 jours puis d une nouvelle chute [5, 6]. Les scores cliniques Afin de faciliter l estimation de la probabilité d une TIH et d aider dans la décision d arrêter l héparine, des scores ont été proposés comme le «prétest de probabilité» basé sur 4 critères (thrombopénie, délai de survenue, thromboses ou autres séquelles, autres causes de thrombopénie) [7]. Récemment, nous avons proposé un score de probabilité de TIH après CEC tenant compte des particularités de la cinétique plaquettaire dans ce contexte [5]. Que faire devant une TIH probable? L arrêt de l héparine Lorsque le profil plaquettaire est compatible avec une TIH, et/ou lorsque des thromboses surviennent sous héparine à dose efficace et que l analyse du dossier ne permet pas d identifier clairement la cause de la thrombopénie, la TIH est probable. L héparine doit être arrêtée immédiatement et remplacée par un autre anticoagulant. Toute source d héparine doit être supprimée y compris au niveau des cathéters. Les examens biologiques Le prélèvement sanguin pour la recherche des anticorps doit être réalisé 4 ou 12 heures après l arrêt de l héparine (suivant qu il s agit d HNF ou d HBPM) pour permettre l interprétation des tests d activation plaquettaire. Les anticorps sont détectables dans les 4 à 6 semaines suivant l arrêt de l héparine, mais le plasma doit être recueilli le plus tôt possible car leur concentration diminue rapidement. Les tests antigéniques par méthode ELISA ont une très bonne sensibilité (> 90 %) avec une excellente valeur prédictive négative. Des tests unitaires permettant une recherche rapide d anti-h/fp4 sont en cours d évaluation et pourraient être utiles pour décider de poursuivre l héparine s ils sont négatifs et que la probabilité clinique de TIH est faible [8]. L inconvénient des tests antigéniques est leur sensibilité pour la détection d anti-h/fp4 qui ne sont pas toujours associés à une TIH clinique, en particulier après une CEC. Parmi les tests d activation, l agrégation est la méthode la plus utilisée. Mais elle est difficile à standardiser et sa sensibilité varie d un laboratoire à l autre [9]. Les tests utilisant des plaquettes lavées, comme la libération de sérotonine radiomarquée, permettent d obtenir une meilleure sensibilité et spécificité, et doivent être privilégiés. La sensibilité variable des donneurs aux anti-h/fp4 impose de multiplier le nombre de donneurs avant de conclure. Une combinaison des 2 catégories de tests (activation et ELISA) doit être utilisée pour optimiser le diagnostic biologique [10]. Le traitement alternatif Le traitement anticoagulant alternatif doit être initié dès la suspicion de TIH sans attendre la confirmation biologique [11], y compris en l absence de thrombose constituée et ce quelle que soit l indication initiale de l héparine. En France, deux antithrombotiques, le danaparoïde sodique (Orgaran ) et la lépirudine (Refludan ), sont indiqués dans le traitement curatif des thromboses lors de TIH. Seul le danaparoïde possède une indication en prophylaxie. Les posologies et les précautions d utilisation sont détaillées dans la dernière conférence de consensus nordaméricain [12] et résumées dans le tableau 1. Le danaparoïde est un héparinoïde ayant un risque rare de réaction croisée avec l héparine imposant le suivi des plaquettes pendant tout le traitement. La surveillance biologique, recommandée dans le cas de traitement curatif et/ou d insuffisance rénale, est simple puisqu elle repose sur la mesure d une activité antixa. Le danaparoïde a une demi-vie d élimination de l antixa d environ 24 heures, plus longue en 95

Tableau 1. Principales caractéristiques des antithrombotiques indiqués dans la TIH Danaparoïde sodique (Orgaran ) Lépirudine (Refludan ) Origine Glycosaminoglycanes extraits de la muqueuse Recombinante intestinale de porc Réaction croisée avec l héparine Risque rare mais réel Non Indication dans la TIH Traitement prophylactique ou curatif des thromboses Traitement curatif des thromboses Action antithrombotique Via l antithrombine AntiXa/anti-IIa > 20 Anti-IIa spécifique, directe et irréversible Posologie en préventif TIH aiguë sans thrombose : voie SC : 750U x 3 (si < 90 kg) ou 1250U x3 (si > 90 kg) ATCD de TIH : voie SC 750U x2 (si < 90 kg) ou 1 250 Ux2(si>90kg) Pas d indication en curatif Bolus de 2 250 U (ou 1 250 U si < 55 kg ou 3 750 U si>90kg)puis: perfusion IV 400 U/h x 4 heures, puis 300 U/h x 3 heures puis 150-200 U/h à ajuster en fonction de l antixa En sous-cutanée 2000 U x 2/jour ou 1500 U x 2 si<55kg,1750x3si>90kg Bolus 0,4 mg/kg puis perfusion de 0,15 mg/kg/h à ajuster pour atteindre une concentration plasmatique de lépirudine de 0,15 à 1,5 lg/ml. Compte tenu du risque hémorragique, des réductions de posologie sont en cours de discussion [12] Surveillance biologique Anti-Xa si traitement curatif et/ou insuffisance rénale. Obligatoire : théoriquement par le temps de céphaline + activateur. En pratique, souvent Curatif anti-xa : 0,5 à 0,8 U/ml temps d écarine ou activité anti-iia Préventif : 0,2 à 0,4 U/ml Demi-vie d élimination AntiXa : environ 25 h <2h Génération de thrombine : 7 h Elimination Par voie rénale Par voie rénale Attitude en cas de surdosage Pas d antidote Pas d antidote Hémofiltration avec filtres appropriés (polysulfone haut flux) Effets indésirables -Risque de réaction croisée -Réaction anaphylactique -Accumulation en cas d IR -Anticorps chez 40 % des patients (diminution de l élimination) Précaution particulière Surveillance plaquettaire pendant toute la durée du traitement Information des patients (administration de lépirudine) cas d insuffisance rénale avec donc un risque hémorragique accru. La lépirudine est une hirudine recombinante ayant une activité antithrombine directe. Il n y a pas de réaction croisée avec l héparine mais il existe un risque de réaction anaphylactique fatale [12], ce qui implique d informer les patients du traitement reçu. Sa demi-vie d élimination est courte (< 2 heures). En raison d une fenêtre thérapeutique étroite et du risque hémorragique, la surveillance biologique est essentielle mais difficile. Le test recommandé est le temps de céphaline + activateur, mais selon les réactifs, la réponse n est pas linéaire dans la zone thérapeutique et les surdosages sont difficiles à dépister. D autres tests sont donc utilisés comme le temps d écarine ou la mesure de l activité antithrombine. La lépirudine s éliminant par le rein, l évaluation de la fonction rénale est essentielle pour ajuster le traitement (risque d accumulation et de surdosage). Il n existe pas d étude randomisée comparant ces 2 traitements. Le choix doit se faire principalement selon le patient et les moyens de surveillance biologique à disposition. Ainsi, il ne faut pas hésiter à transférer les patients dans un centre ayant une plus grande expérience notamment dans des situations particulières comme la chirurgie cardiaque. Des expériences pour les CEC ont été publiées avec les deux médicaments. Certaines équipes proposent d associer l héparine à des antiplaquettaires (l iloprost, l époprosténol, anti-iibiiia). Si cela est possible, la CEC sera différée au-delà de 3 mois après la phase aiguë de la TIH, et réalisée sous héparine si les anti-h/fp4 sont négatifs. Bien sûr, l héparine sera proscrite en postopératoire. Les AVK ne doivent pas être utilisés seuls à la phase aiguë d une TIH. Ils seront introduits lorsque la remontée plaquettaire est confirmée, en association avec le danaparoïde 96

sodique ou la lépirudine. Ces relais nécessitent des précautions particulières explicitées dans les RCP. Comment conclure à un diagnostic de TIH? La confirmation du diagnostic de TIH repose essentiellement sur la mise en évidence d une remontée des plaquettes dans les jours suivant l arrêt de l héparine. Toutefois, cette condition essentielle n est pas suffisante pour confirmer la TIH car d autres médicaments peuvent avoir été arrêtés ou d autres étiologies peuvent aussi avoir disparu. Ainsi, il est essentiel d analyser les autres étiologies de thrombopénie par rapport à la normalisation de la numération plaquettaire. La mise en évidence d anticorps dépendant de l héparine par des tests biologiques adaptés est un élément essentiel du diagnostic, sous réserve qu ils aient été réalisés dans de bonnes conditions, avec tous les contrôles nécessaires et interprétés correctement. Des scores clinicobiologiques peuvent aider à conclure au diagnostic de TIH [13, 14]. La confirmation d une TIH a des conséquences importantes pour le patient car elle contre-indique définitivement l administration d héparine. Seule une administration d héparine de courte durée (quelques heures) est possible si la TIH est antérieure à 3 mois et que les tests biologiques sont négatifs [2]. Conclusion La gravité potentielle des TIH impose un dépistage précoce qui repose sur la surveillance régulière de la numération plaquettaire. Si la TIH est jugée probable, il faut arrêter immédiatement l héparine et recourir à un traitement anticoagulant alternatif. Compte tenu des éléments nécessaires au diagnostic, la TIH est rarement confirmée en phase aiguë. Il faut donc réévaluer systématiquement le diagnostic lorsqu on dispose des éléments suivants : évolution des plaquettes après arrêt de l héparine, résultat des tests biologiques, autres causes de thrombopénies. Afin de faciliter une anticoagulation éventuelle ultérieure d un patient qui a été suspect de TIH, une conclusion claire confirmant ou infirmant le diagnostic doit être transmise aux cliniciens en charge du patient et versée au dossier médical. Le cas échéant, un certificat de TIH doit être délivré au patient. Références 1. Warkentin TE. Heparin-induced thrombocytopenia : pathogenesis and management. Br J Haematol 2003 ; 121 : 535-55. 2. Warkentin TE, Kelton JG. Temporal aspects of heparin-induced thrombocytopenia. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1286-92. 3. Warkentin TE. Platelet count monitoring and laboratory testing for heparin-induced thrombocytopenia. Arch Pathol Lab Med 2002 ; 126 : 1415-23. 4. Tardy B, Tardy-Poncet B, Fournel P, Venet C, Jospe R, Dacosta A. Lower limb veins should be systematically explored in patients with isolated heparin-induced thrombocytopenia. Thromb Haemost 1999 ; 82 : 1199-200. 5. Lillo-Le Louet A, Boutouyrie P, Alhenc-Gelas M, et al. Diagnostic score for heparin-induced thrombocytopenia after cardiopulmonary bypass. J Thromb Haemost 2004 ; 2 : 1882-8. 6. Pouplard C, May MA, Regina S, Marchand M, Fusciardi J, Gruel Y. Changes in platelet count after cardiac surgery can effectively predict the development of pathogenic heparin-dependent antibodies. Br J Haematol 2005 ; 128 : 837-41. 7. Warkentin TE, Heddle NM. Laboratory diagnosis of immune heparininduced thrombocytopenia. Curr Hematol Rep 2003 ; 2 : 148-57. 8. Eichler P, Raschke R, Lubenow N, Meyer O, Schwind P, Greinacher A. The new ID-heparin/PF4 antibody test for rapid detection of heparininduced antibodies in comparison with functional and antigenic assays. Br J Haematol 2002 ; 116 : 887-91. 9. Greinacher A, Amiral J, Dummel V, Vissac A, Kiefel V, Mueller- Eckhardt C. Laboratory diagnosis of heparin-associated thrombocytopenia and comparison of platelet aggregation test, heparin-induced platelet activation test, and platelet factor 4/heparin enzyme-linked immunosorbent assay. Transfusion 1994 ; 34 : 381-5. 10. Pouplard C, Amiral J, Borg JY, Laporte-Simitsidis S, Delahousse B, Gruel Y. Decision analysis for use of platelet aggregation test, carbon 14-serotonin release assay, and heparin-platelet factor 4 enzyme-linked immunosorbent assay for diagnosis of heparin-induced thrombocytopenia. Am J Clin Pathol 1999 ; 111 : 700-6. 11. [Heparin induced thrombocytopenia]. Ann Fr Anesth Reanim 2003 ; 22 : 150-9. 12. Warkentin TE, Greinacher A. Heparin-induced thrombocytopenia : recognition, treatment, and prevention : the Seventh ACCP Conference on Antithrombotic and Thrombolytic Therapy. Chest 2004 ; 126 : 311S- 337S. 13. Pouplard C, Amiral J, Borg JY, Vissac AM, Delahousse B, Gruel Y. Differences in specificity of heparin-dependent antibodies developed in heparin-induced thrombocytopenia and consequences on cross-reactivity with danaparoid sodium. Br J Haematol 1997 ; 99 : 273-80. 14. Lecompte T, Stieltjes N, Shao-Kai L, Morel MC, Kaplan C, Samama MM. Heparin- and streptokinase-dependent platelet-activating immunoglobulin G : mechanism and diagnosis. Semin Thromb Hemost 1995 ; 21 : 95-105. 97