GESTION PÉRI-OPÉRATOIRE DES NOUVEAUX ANTICOAGULANTS EN CHIRURGIE RÉGLÉE ET EN URGENCE

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Transcription:

GESTION PÉRI-OPÉRATOIRE DES NOUVEAUX ANTICOAGULANTS EN CHIRURGIE RÉGLÉE ET EN URGENCE Charles-Marc Samama, Gilles Pernod, Pierre Albaladejo, Pierre Sie et le Groupe d Intérêt en Hémostase Péri-opératoire Service d anesthésie-réanimation, Groupe Hospitalier Cochin-Broca- Hôtel-Dieu, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris. E-mail : marc.samama@cch.aphp.fr RÉSUMÉ Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) représentent un progrès indiscutable comparativement aux anticoagulants injectables et aux anti-vitamines K (AVK). Toutefois un certain nombre d éléments en complique la gestion quotidienne péri-opératoire. Outre la diversité des molécules déjà ou bientôt disponibles et la variabilité intra- et interindividuelle importante de la réponse, on tiendra compte des nombreuses interactions médicamenteuses, des variations dans le temps de la fonction rénale, et de nombreux autres paramètres. La biologie est disponible avec le temps de thrombine dilué pour le dabigatran et l anti-xa spécifique pour le rivaroxaban. Aucun antidote n est autorisé en 2014. Pour la chirurgie réglée, une prise en charge calquée sur la gestion péri-opératoire des AVK a été proposée. Elle repose sur une conduite globalisée quel que soit le produit. Pour l urgence ou la survenue d une hémorragie réglée, des suggestions du Groupe d Intérêt en Hémostase Péri-opératoire sont proposées ici. INTRODUCTION L arrivée de nouveaux anticoagulants oraux (NACO) bouleverse une pratique médicale qui s appuyait depuis plus de 50 ans sur les anti-vitamines K (AVK), et depuis au moins 25 ans sur les héparines de bas poids moléculaire (HBPM). En 2013, trois de ces nouveaux agents oraux ont terminé leur phase de développement, et ils commencent à être utilisés à large, voire très large échelle. L arrivée sur le marché du dabigatran (Pradaxa ), du rivaroxaban (Xarelto ) et de l apixaban (Eliquis ) est sans aucun doute un véritable progrès pour les patients, mais elle représente également une difficulté sous-estimée pour la pratique

424 MAPAR 2014 quotidienne. Beaucoup d enthousiasme émerge de la part des utilisateurs, et on les comprend bien, car ils envisagent le remplacement progressif des AVK et de leur cortège d effets indésirables Toutefois des complications pourraient survenir rapidement si l on ne définit pas mieux la gestion péri-procédurale de ces nouveaux agents. Déjà, des accidents hémorragiques ont été rapportés [1-3]. 1. PROPOSITIONS POUR UNE PROCÉDURE RÉGLÉE L analyse par Healey et al. des données de l étude RE-LY (dabigatran versus warfarine chez des patients porteurs d une arythmie complète par fibrillation atriale) montre que durant les deux ans de suivi, environ 25 % d entre eux ont bénéficié d une procédure invasive, allant de la pose de pace-maker à la chirurgie majeure en passant par l endoscopie digestive [4]. C est une proportion importante de patients traités par des doses thérapeutiques de NACO qui est concernée. Il est donc essentiel de prévoir cet afflux de patients (d ores et déjà environ 25 000 par an en France) et de définir une conduite à tenir. Que faire devant une dose thérapeutique de ces médicaments chez un patient traité pour une fibrillation atriale ou une thrombose veineuse profonde? Que faire quand on a prévu une anesthésie neuraxiale ou un bloc anesthésique profond? 1.1. FIBRILLATION ATRIALE ET TRAITEMENT DE LA MALADIE THROMBO- EMBOLIQUE VEINEUSE Les excellents résultats présentés par le dabigatran (étude RELY) [5], le rivaroxaban (étude ROCKET-AF) [6] et l apixaban (étude ARISTOTLE) [7] comparés aux AVK dans l arythmie complète par fibrillation atriale, et ceux du rivaroxaban pour le traitement des thromboses veineuses et de l embolie pulmonaire (études EINSTEIN-DVT et EINSTEIN-PE) [8, 9], suivis de l obtention d autorisations de mise sur le marché, vont très certainement conduire à une augmentation très conséquente du volume de prescription des NACO. Une réflexion s est établie au sein du Groupe d Intérêt en Hémostase Péri-opératoire (GIHP), à l initiative de Pierre Sie et Pierre Albaladejo [10, 11]. Un certain nombre d idées peuvent être résumées de la manière suivante : Il est très difficile de prévoir la demi-vie des NACO car il existe une énorme variabilité inter- et intra-individuelle dans l effet pharmacodynamique mesurable de ces médicaments. Par ailleurs leur métabolisme passe par une protéine, la PgP et le cytochrome 3A4. De nombreux médicaments, notamment à visée cardio-vasculaire, interfèrent avec cette protéine et ce cytochrome, induisant ainsi des modifications d absorption, de métabolisme et de demi-vie. L âge, la fonction rénale, le poids, sont aussi des facteurs confondants. Il est, dès lors, extrêmement compliqué d essayer de construire un modèle prédictif. En conséquence, décider d appliquer la même règle pour tout le monde, avec une interruption d une durée de deux demi-vies, n est pas réaliste pour les doses thérapeutiques. Aujourd hui, il n existe par d antagonistes disponibles permettant de réverser l effet de ces médicaments. Si les concentrés de complexe prothrombinique et les concentrés activés du même complexe (Factor Eight Inhibitor Bypassing Activity - FEIBA ) ont déjà été utilisés chez l animal [12] et le volontaire sain [13-15] avec une efficacité sur les tests biologiques, notamment pour les anti-xa,

Hémostase 425 les données sont contradictoires sur le saignement chez l animal [16, 17] et les données cliniques chez le patient traité sont absentes. Un anticorps spécifique du dabigatran est en cours de développement [18], mais il lui faudra passer par toutes les étapes obligatoires pour obtenir l AMM. On ne connaît pas son efficacité chez un patient qui saigne, même si les premiers résultats pré-cliniques sont prometteurs. De plus son coût risque d être très élevé. Pour les anti-xa, un facteur Xa modifié est également en cours d étude avec une vraie efficacité sur la réversion [19], mais, là aussi, plusieurs années d attente vont être nécessaires avant de disposer de toutes les autorisations. La dialyse est possible et partiellement efficace, mais seulement pour le dabigatran [20, 21]. Elle ne fonctionne pas avec les anti-xa, très liés aux protéines. En ce qui concerne le monitorage, le temps de thrombine dilué (Haemoclot ) pour le dabigatran [22] et l activité anti-xa pour le rivaroxaban [23] et l apixaban sont ou vont être réalisables à présent dans la majorité des laboratoires, mais l interprétation des résultats n est pas facile. En d autres termes, les valeurs rendues par le laboratoire ne permettent pas toujours au clinicien de gérer ces médicaments en péri-opératoire. Par ailleurs, si les tests classiques d hémostase peuvent être modifiés par ces nouveaux produits, ils ne doivent être proposés qu en l absence de disponibilité du temps de thrombine dilué pour le dabigatran et de l activité anti-xa spécifique pour le rivaroxaban. En février 2014, l anti-xa spécifique n est pas encore disponible pour l apixaban, ce qui pose d ailleurs un problème majeur en vue de l extension d AMM de ce produit dans la FA, car le TP et le TCA sont très peu sensibles à l apixaban Il semble donc qu il faille globaliser l ensemble des nouveaux anticoagulants oraux : dabigatran, rivaroxaban, apixaban, et bientôt édoxaban, pour simplifier leur gestion péri-opératoire, et adopter une seule politique commune. En chirurgie réglée, une interruption des traitements 5 jours avant la procédure semble suffisante au vu de la pharmacocinétique de ces produits. Le dabigatran, dont l élimination est essentiellement rénale et la demi-vie atteint 17 heures, n est (le plus souvent ) plus présent dans la circulation plasmatique au-delà des 4 jours. Pour le rivaroxaban dont la demi-vie varie entre 7 et 13 heures selon l âge et le statut clinique, le délai est un peu plus court. L apixaban a, quant à lui, une demi-vie de 10 à 15 h [24]. Cinq jours d interruption paraissent donc un délai de sécurité suffisant, sauf peut-être chez les patients insuffisants rénaux modérés (clairance de la créatinine entre 30 et 50 ml.min -1 ) traités par dabigatran. Les patients pourraient être gérés en adoptant une stratégie mimant les recommandations de la Haute Autorité de Santé française sur les AVK. La même stratification pourrait être proposée mettant d un côté des patients à risque thrombotique élevé qui vont bénéficier d un relais par HBPM, deux injections sous cutanées par jour et tous les autres, beaucoup plus nombreux. Il s agit des patients en arythmie complète avec un score de CHADS 2 ou des patients traités récemment pour un événement thrombo-embolique veineux. Les patients porteurs d une valve mécanique sont exclus de cette approche car les NACO ne sont pas autorisés ici. Pour les autres patients, traités pour un risque thrombotique moins important, l arrêt simple du traitement anticoagulant oral 5 jours semble suffisant, sans relais HBPM (Figure 1).

426 MAPAR 2014 Enfin, un certain nombre de procédures actuellement réalisées sans interruption des AVK comme la chirurgie bucco-dentaire ou la plupart des endoscopies digestives, doivent très probablement pouvoir également être réalisées sous traitement NACO, ou après une interruption de 24 h. Figure 1 : conduite à tenir NACO en curatif et chirurgie/geste invasif programmé (d après [11]). AOD : Anticoagulant Oral Direct En ce qui concerne la reprise postopératoire des NACO, le GIHP propose la reprise à dose prophylactique le soir suivant l intervention uniquement pour la PTH et la PTG (AMM). Dans les autres cas, une HBPM sera utilisée à dose préventive, jusqu à ce que l hémostase chirurgicale soit stabilisée et/où que le cathéter d ALR soit enlevé. Puis, le traitement par NACO à dose curative est ensuite repris, le plus souvent à la 72 ème heure, quand l hémostase chirurgicale est sécurisée. 1.2. DOSES PRÉVENTIVES EN ORTHOPÉDIE ET ANESTHÉSIE LOCORÉGIO- NALE AXIALE (RACHIANESTHÉSIE, PÉRIDURALE) Les recommandations 2010 de la Société Européenne d Anesthésiologie (ESA) [25] proposent des attitudes simples qui reposent sur une hypothèse pharmacocinétique [26] : avant de réaliser une anesthésie axiale, il est proposé d attendre deux demi-vies du médicament si celui-ci est prescrit uniquement à dose préventive (par exemple, demi-vie du rivaroxaban 9-13 h, délai de 18-26 h). Puis l on recommence le traitement au minimum après un délai de 8 heures après la fin de l intervention (temps nécessaire pour une hémostase, consensus d experts), délai auquel on retranche le temps pour arriver au pic de concentration ou Tmax (par exemple Tmax du dabigatran 2 h, délai 8 h-2 h = 6 h).

Hémostase 427 Toutefois, ces recommandations ne concernent que les doses préventives et elles restent théoriques en ne mettant pas complètement à l abri d une complication hémorragique (Tableau I). En effet, plusieurs paramètres, déjà détaillés plus haut, compliquent la gestion de ces produits. La variabilité intra- et interindividuelle Les nombreuses interactions médicamenteuses Les variations dans le temps de la fonction rénale Enfin la dose préventive élevée du dabigatran en chirurgie orthopédique (220 mg en une prise) qui n est pas différente de la dose curative basse pour la fibrillation atrial (220 mg en deux prises de 110 mg). Il convient donc de gérer au cas par cas en pesant le bénéfice risque de l anesthésie locorégionale axiale vis-à-vis d une anesthésie générale éventuellement associée à des blocs nerveux périphériques. Dans un certain nombre de cas, les héparines de bas poids moléculaire pourront également être préférées. La prudence doit rester la règle eut égard à la gravité des conséquences en cas de survenue d un hématome. Au maximum, puisque la procédure est réglée, on préférera une interruption de 5 jours avec ou sans relais. Tableau I Intervalles NACO préventif et anesthésie axiale Rivaroxaban (Xarelto ) (prophylaxie, 10 mg/j) Apixaban (Eliquis ) (prophylaxie, 2,5 mg X 2) Délai avant la ponction ou l ablation du cathéter Délai après la ponction ou l ablation du cathéter Tests biologiques 18-26 h 4-6 h Anti-Xa spécifique 20-30 h 4-6 h Anti-Xa spécifique Dabigatran (Pradaxa ) (prophylaxie, 150-220 mg) 34 h 6 h Temps de thrombine diluée (Haemoclot ) 2. PROPOSITIONS POUR UNE PROCÉDURE EN URGENCE, OU POUR LA GESTION D UNE HÉMORRAGIE De nombreuses questions demeurent, dont celle de l arrivée en urgence d un patient traité à dose efficace (dose thérapeutique) avec un nouvel anticoagulant oral : le charbon actif a montré une efficacité jusqu à 6 heures après la prise d apixaban. Est-ce généralisable aux autres produits? [27]. Le dabigatran est dialysable ; ce n est pas le cas du rivaroxaban et pour l instant aucun antidote n est disponible. Les concentrés de complexe prothrombinique pourraient avoir une utilité, surtout pour les anti-xa (rivaroxaban, apixaban), mais sans preuve formelle. Les concentrés activés du même complexe (FEIBA) ont également été testés chez l animal et chez le volontaire sain avec des résultats variables [15]. Le facteur VII activé recombinant ne semble pas efficace dans ce cadre. Le GIHP a fait des propositions fin novembre 2012 pour la prise en charge des hémorragies graves et de la chirurgie urgente pour des patients bénéficiant d un traitement par dabigatran ou rivaroxaban dans un schéma curatif (hors prévention en chirurgie orthopédique majeure) [28].

428 MAPAR 2014 L absence de données dans ces situations ne permet pas d émettre des recommandations, mais seulement des propositions pour la meilleure gestion possible. Une validation de ces protocoles sera nécessaire. Il est suggéré de doser la concentration plasmatique des médicaments. En l absence de dosage spécifique, il est proposé de définir les conduites à tenir sur la base de tests classiques (TP/TCA). Il s agit d une solution dégradée, les tests classiques ne permettant pas d évaluer réellement les concentrations précises d anticoagulant. La détermination des seuils hémostatiques est empirique. Ces propositions ne s appliquent pas à l apixaban car le dosage n était pas disponible. En fonction de nouvelles données cliniques, ces propositions sont susceptibles d évoluer. Elles seront mises à jour sur le site du GIHP : http://eurekapro. fr/accueil L ensemble de la démarche apparaît dans les tableaux de 2 à 8. Tableaux II à VIII

Hémostase 429

430 MAPAR 2014

Hémostase 431 CONCLUSION Seule l approche multidisciplinaire peut permettre d avancer dans ce domaine compliqué. Le progrès indiscutable apporté par les NACO ne doit pas être terni par une mauvaise utilisation au quotidien. Des solutions raisonnables sont proposées ici pour les procédures réglées. Pour l urgence, les propositions sont

432 MAPAR 2014 beaucoup plus empiriques et peu validées jusqu à présent. Elles seront révisables en fonction des progrès des connaissances. Du temps va être nécessaire. Un registre national (GIHP-NACO) répertorie les situations à risque et aider à la réflexion et à la rationalisation des conduites pratiques (contact : Palbaladejo@ chu-grenoble.fr). L effort pédagogique est urgent et immense. Il doit maintenant être délivré par les académiques car, jusqu à présent, et on peut le regretter, les industriels se sont contentés de mettre sur le marché des produits sans en assurer le service après-vente. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Legrand M, Mateo J, Aribaud A, Ginisty S, Eftekhari P, Huy PTB, et al. The use of dabigatran in elderly patients. Archives of Internal Medicine 2011;171(14):1285-86. [2] Lillo-Le Louët A, Wolf M, Soufir L, Galbois A, Dumenil A-S, Offenstadt G, et al. Life-threatening bleeding in four patients with an unusual excessive response to dabigatran: implications for emergency surgery and resuscitation. Thromb Haemost 2012;108(3):583-85. [3] Warkentin TE, Margetts P, Connolly SJ, Lamy A, Ricci C, Eikelboom JW. Recombinant factor VIIa (rfviia) and hemodialysis to manage massive dabigatran-associated postcardiac surgery bleeding. Blood 2012;119(9):2172-74. [4] Healey JS, Eikelboom J, Douketis J, Wallentin L, Oldgren J, Yang S, et al. Periprocedural Bleeding and Thromboembolic Events With Dabigatran Compared With Warfarin: Results From the Randomized Evaluation of Long-Term Anticoagulation Therapy (RE-LY) Randomized Trial. Circulation 2012;126(3):343-48. [5] Connolly S, Ezekowitz M, Yusuf S, Eikelboom J, Oldgren J, Parekh A, et al. Dabigatran versus Warfarin in Patients with Atrial Fibrillation. N Engl J Med 2009;361(12):1139-51. [6] Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, Pan G, Singer DE, Hacke W, et al. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365(10):883-91. [7] Granger CB, Alexander JH, McMurray JJV, Lopes RD, Hylek EM, Hanna M, et al. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365(11):981-92. [8] Einstein Investigators. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363(26):2499-510. [9] EINSTEIN PE Investigators, Büller HR, Prins MH, Lensin AWA, Decousus H, Jacobson BF, et al. Oral rivaroxaban for the treatment of symptomatic pulmonary embolism. N Eng J Med 2012;366(14):1287-97. [10] Sié P, Samama CM, Godier A, Rosencher N, Steib A, Llau JV, et al. Surgery and invasive procedures in patients on long-term treatment with direct oral anticoagulants: Thrombin or factor-xa inhibitors. Recommendations of the Working Group on perioperative haemostasis and the French Study Group on thrombosis and haemostasis. Arch Cardiovascular Dis 2011;104(12):669-76. [11] Sié P, Samama CM, Godier A, Rosencher N, Steib A, Llau J, et al. Chirurgies et actes invasifs chez les patients traités au long cours par un anticoagulant oral anti-iia ou anti-xadirect. Actualisation 2012. STV 2012;24(6):269-78. [12] Godier A, Miclot A, Le Bonniec B, Durand M, Fischer A-M, Emmerich J, et al. Evaluation of Prothrombin Complex Concentrate and Recombinant Activated Factor VII to Reverse Rivaroxaban in a Rabbit Model. Anesthesiology 2012;116(1):94-102. [13] Eerenberg ES, Kamphuisen PW, Sijpkens MK, Meijers JC, Büller HR, Levi M. Reversal of rivaroxaban and dabigatran by prothrombin complex concentrate: a randomized, placebo-controlled, crossover study in healthy subjects. Circulation 2011;124(14):1573-79. [14] Kaatz S, Kouides PA, Garcia DA, Spyropolous AC, Crowther M, Douketis JD, et al. Guidance on the emergent reversal of oral thrombin and factor Xa inhibitors. Am J Hematol 2012;87 Suppl 1:S141-5.

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