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Mémorandum À : Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec De : Réseau national d étudiants pro bono (PBSC) Date : Juin 2013 Objet : Le droit des conjoints de fait à une pension alimentaire en droit québécois Vous avez demandé une note de recherche générale sur la question de savoir si les conjoints de fait ont droit à une pension alimentaire en droit québécois. Pour répondre à cette question, nous devons, en premier lieu, cerner les notions de «conjoints de fait» et de «pension alimentaire» telles que définies en droit québécois. Ensuite, nous examinons la situation des groupes de personnes auxquelles les législateurs québécois et fédéral ont reconnu le droit à une pension alimentaire. Puis, nous exposons la position jurisprudentielle quant à ces choix législatifs et leur conformité à la Charte canadienne des droits et libertés 1. Afin de bien saisir le contexte dans lequel s inscrit votre question, nous exposons sommairement la situation juridique des conjoints de fait, l un à l égard de l autre, d une part, et à l égard des tiers, d autre part. Sommaire des recommandations : Le droit québécois ne reconnaît pas actuellement le droit à une pension alimentaire aux conjoints de fait. Cette situation juridique a été récemment confirmée par le plus haut tribunal du pays, mettant un terme à l incertitude juridique des dernières années. 1. La définition des notions applicables Avant d aborder la question du droit des conjoints de fait québécois à une pension alimentaire, il importe de cerner davantage les notions de «conjoint de fait» et de «pension alimentaire». 1.1 Les conjoints de fait Les éléments constitutifs de la définition de conjoint de fait sont avant tout issus de la jurisprudence et de la doctrine. En effet, le Code civil du Québec 2 ne définit pas le 1 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)] 2 LRQ, c. C-1991 (ci-après CcQ).

conjoint de fait. Seule la Loi d interprétation 3 comme suit : en fournit une définition, qui se lit Sont assimilés à des conjoints, à moins que le contexte ne s'y oppose, les conjoints de fait. Sont des conjoints de fait deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui font vie commune et se présentent publiquement comme un couple, sans égard, sauf disposition contraire, à la durée de leur vie commune. Si, en l'absence de critère légal de reconnaissance de l'union de fait, une controverse survient relativement à l'existence de la communauté de vie, celle-ci est présumée dès lors que les personnes cohabitent depuis au moins un an ou dès le moment où elles deviennent parents d'un même enfant. [nos soulignés] 4 La notion de «vie commune» demeurant large, il est pertinent d exposer succinctement les critères retenus par les tribunaux pour conclure à une union de fait ; parmi ceux-ci, mentionnons notamment : le fait d habiter sous le même toit, le fait d être liés sur le plan affectif, le partage de certaines tâches et responsabilités ou de certains biens, l appui financier, la présence d une relation stable et durable ainsi qu une vie commune notoire 5. Ces critères sont généralement insuffisants pris isolément, mais une combinaison d un certain nombre d entre eux peut amener à conclure que deux personnes peuvent être considérées comme des conjoints de fait. Mentionnons que certaines lois particulières (en matière fiscale par exemple) font également allusion à la notion de conjoint de fait et contiennent leur définition propre, où différents autres critères peuvent être considérés pour déterminer si deux personnes doivent être qualifiées de conjoints de fait. 6. 1.2 La pension alimentaire L expression «pension alimentaire», d usage commun et fréquent, renvoie à la notion d «aliments» prévue au CcQ 7. La «pension alimentaire» correspond au versement d une somme d argent, par un débiteur alimentaire, au profit de son conjoint, ex-conjoint, parent ou enfant. Pour qu il y ait une obligation de versement de pension alimentaire, il doit exister un droit aux aliments, c est-à-dire qu il faut que ce droit soit prévu dans la loi ou qu il ait été ordonné par un tribunal. 2. Les personnes visées par une pension alimentaire La Loi sur le divorce, législation fédérale, prévoit que le tribunal, lors du divorce, peut ordonner le versement d une pension alimentaire à l ex-époux 8, à l enfant 9 ou aux deux. L article 585 CcQ énonce le droit à une pension alimentaire en droit civil 3 LRQ., c. I-16 4 LRQ, c. I-16, art 61.1 al.2. 5 Michel Tétrault, Droit de la famille, 3 e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005 (LA REFERENCE) 6 Voir notamment la Loi sur le régime de rentes du Québec, LRQ, c. R-9, art. 158.6 ; Loi de l impôt sur le revenu, LRC (1985), ch. 1, art. 248 (1). 7 CcQ, art. 585. 8 Loi sur le divorce (LRC (1985), ch. 3, art. 15.2 (ci après Loi sur le divorce). 9 Id., art. 15.1.

québécois : 585. Les époux et conjoints unis civilement de même que les parents en ligne directe au premier degré se doivent des aliments. Voyons plus précisément quelles catégories de personnes sont visées par cette disposition du CcQ. 2.1 Le «Parent» L article 585 indique que «les parents en ligne directe» ont l obligation de se fournir des aliments. La parentalité s établit tant en fonction des liens du sang (biologique) que de l adoption 10. Le critère de la ligne directe 11 a pour effet de viser certains membres de la famille entre eux: les parents envers les enfants, les enfants envers les parents ainsi que les frères et sœurs entre eux. Bien que les formules de calcul de la pension alimentaire dépassent le propos de la présente note, mentionnons qu en pratique, il est rare qu un enfant ait à payer des aliments à son parent. En effet, le droit à une pension alimentaire dépend des revenus de chacune des personnes visées 12, de sorte que chaque situation dépend des circonstances qui lui sont propres. Il n existe pas de moment précis où l obligation alimentaire du parent envers son enfant cesse. Ce moment surviendra lors de l atteinte d une certaine autonomie financière de l enfant 13. Il importe de noter que l état civil des parents, qu ils soient ou aient été mariés, unis civilement, ou en union de fait, ne modifie en rien leur obligation alimentaire envers leur enfant. On appliquera la même grille de calcul pour la détermination de la pension alimentaire due à l enfant de deux parents qui vivaient préalablement en union civile qu à ceux qui étaient conjoints de fait. Les droits de l enfant sont donc, du moins en apparence, assurés d égale façon quelqu ait été l état civil de ses parents, tel que l énonce l article 522 CcQ. Toutefois, puisque la situation économique du parent affecte directement celle de ses enfants, quelques auteurs sont d avis que la non-reconnaissance de certains droits économiques aux conjoints de fait devrait être également analysée du point de vue de l effet de cette non-reconnaissance sur la situation économique des enfants 14. 2.2 Les époux et conjoints unis civilement Pour les époux, puisque le mariage est de compétence fédérale, l obligation alimentaire des époux doit être analysée à la lumière des règles du Code civil du Québec et de celles de la Loi sur le divorce. Tel qu énoncé précédemment, c est l article 585 CcQ qui prévoit l obligation alimentaire entre conjoints mariés. Cette obligation alimentaire des époux prend racine dans l article 392 CcQ. Elle s inscrit dans leur devoir réciproque de secours et d assistance et se poursuit jusqu à la séparation de corps 15 ou jusqu au moment du divorce, qui met fin au mariage 16. 10 CcQ, art. 655. 11 CcQ, art. 656 et ss. 12 Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, RRQ, c. C-25, r. 6. 13 CcQ, art. 587. 14 Michel Tétrault, préc. note 5. 15 CcQ, art. 507 et 511.

Quant aux conjoints unis civilement, les règles les régissant sont entrées en vigueur en 2002, alors que le législateur québécois souhaitait offrir une alternative au mariage aux couples québécois. À l instar des époux, les conjoints unis civilement bénéficient du droit aux aliments, en vertu de l article 585 CcQ. Ce droit découle de leur obligation de «respect, fidélité, secours et assistance» 17. Le droit d un conjoint uni civilement à des aliments survit lors de la dissolution de l union civile 18. 2.3 Les conjoints de fait Contrairement à la situation qui prévaut pour les époux et les conjoints unis civilement, le Code civil du Québec ne reconnaît pas, à l heure actuelle, le droit à des aliments aux conjoints de fait. Cette absence de reconnaissance a été contestée devant les tribunaux au cours des dernières années. La Cour suprême du Canada a finalement rendu une décision fortement attendue sur cette question le 25 janvier 2013 19. Le plus haut tribunal du pays a alors renversé la décision de la Cour d appel du Québec, validant la constitutionalité de l article 585 CcQ en regard de la Charte canadienne des droits et libertés 20. La Cour suprême a ainsi maintenu l état du droit qui prévalait avant l arrêt de la Cour d appel et confirmé le principe de la liberté de choix en matière d union de fait. 3. Mise en perspective : sommaire de la situation juridique des conjoints de fait en droit québécois 3.1 Les droits et obligations des conjoints de fait entre eux Le droit québécois comporte très peu de règles définissant les rapports des conjoints de fait en eux. Certains affirment que cela traduit l intention du législateur de laisser à ces conjoints le libre choix des effets de leur union ; ils sont considérés comme étant en «union libre». Ils ne sont par conséquent pas assujettis aux règles relatives au patrimoine familial 21, à la société d acquêts 22, à la prestation compensatoire 23, au droit d usage de la résidence familiale 24 et aux règles successorales 25 ; ils en sont même implicitement écartés, contrairement aux conjoints mariés ou unis civilement qui y sont expressément assujettis. 3.2 Les cas de reconnaissance légale des conjoints de fait Dans quelques cas précis, la loi considère les conjoints de fait comme s ils étaient un couple marié ou uni civilement, par exemple dans certaines relations qu ils entretiennent avec l État, que ce soit en matière de soutien social ou de perception fiscale 26. Cette reconnaissance s accompagne parfois du droit à des bénéfices pour les conjoints de fait ou les en prive, au motif qu ils sont présumés, en tant que 16 Loi sur le divorce, art. 14. 17 CcQ, art. 521.6. 18 CcQ, art. 511 et 521.17 al.3. 19 Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5 20 Charte canadienne des droits et libertés, préc, note 3. 21 CcQ, art. 414 et ss et art. 521, a contrario. 22 CcQ, art. 432 et 521.6, a contrario. 23 CcQ, art. 427 et ss et 521.6, a contrario. 24 CcQ, art. 410 et ss et 521.6, a contrario. 25 CcQ, art. 653, a contrario. 26 Michel Tétrault, préc. note 5.

conjoints, se soutenir économiquement. Les lois fiscales considèrent, à certaines conditions, que les conjoints de fait ont le même statut que les conjoints mariés ou unis civilement 27 et leur appliquent le même régime. Certaines dispositions législatives éparses reconnaissent également des droits aux conjoints de fait face aux tiers, tel que le droit au maintien dans les lieux en matière de logement 28. 3.3 Le régime contractuel comme alternative à la protection légale Même s ils ne bénéficient pas de la protection légale accordée aux époux et conjoints unis civilement, les conjoints de fait ne sont pas dépourvus d outils légaux pour régir leurs droits et obligations en cas de rupture. Ils peuvent en effet devenir parties à un contrat que l on nomme «convention d union libre». Cette convention pourra notamment prévoir le versement d une pension alimentaire d un certain montant et pour une période déterminée dans l hypothèse où leur union se terminait. Ce contrat pourrait également traiter de la répartition des dettes contractées pour l usage du ménage pendant l union et du partage des biens entre les ex-conjoints. Comme tout autre contrat, la convention sera exécutoire entre les parties 29. L achat de biens en copropriété 30 constitue un autre mécanisme permettant aux conjoints de s assurer d un partage de droits en cas de rupture. Conclusion Maintenant que la Cour suprême du Canada a confirmé la légalité de l absence de droit à une pension alimentaire au Québec pour les conjoints de fait, ces derniers pourront prévoir de façon plus certaine l impact d une éventuelle rupture. La décision renforce l importance pour ces derniers de prévoir contractuellement les conséquences financières d un possible échec de leur union, qui ne fait l objet d aucune protection légale. Pour les organismes tels que la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, ce développement jurisprudentiel leur permettra d offrir une réponse plus claire à leurs membres. Par ailleurs, il sera intéressant de suivre l actualité législative des prochains mois, le gouvernement du Québec n ayant pas fermé la porte à une réflexion sur l état général du droit familial au Québec. 27 Loi de l impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl), par. 248 (1). 28 CcQ, art. 1938 al.1. 29 CcQ, art. 1434 et 1590. 30 CcQ, art. 1012 et ss.

Article de presse Éric contre Lola: la Cour suprême maintient le régime des conjoints de fait Publié le 25 janvier 2013 à 07h38 Mis à jour le 25 janvier 2013 à 15h44 Joël-Denis Bellavance, La Presse (Ottawa, Ontario) La Cour suprême du Canada maintient les dispositions du Code civil qui s'appliquent aux couples mariés au Québec et juge que l'exclusion des conjoints de fait des obligations concernant les pensions alimentaires et le partage du patrimoine familial respecte la Charte des droits et libertés. Dans un jugement fort attendu, le plus haut tribunal du pays rejette ainsi la cause d'une plaignante, Lola, qui s'est adressée aux tribunaux pour contraindre son conjoint de fait, Éric, un homme d'affaires multimillionnaire dont elle est séparée, à lui verser une pension alimentaire pour elle-même et à lui remettre une part du patrimoine familial. Ils ont eu trois enfants ensemble durant leur relation. Pour une majorité des juges, le Code civil accorde aux couples la liberté de choisir les mesures qu'ils jugent appropriées pour se protéger en cas de séparation et il n'est pas nécessaire de modifier le régime en vigueur. «Ceux qui choisissent de se marier ou de s'unir civilement choisissent les mesures protectrices - mais aussi les obligations - qui découlent de leur statut. Ceux qui font plutôt le choix de l'union de fait se soustraient aux mesures de protection ainsi qu'aux obligations prescrites par l'état et sont libres de structurer leur relation de couple sans être confinés aux règles du régime obligatoire applicable aux conjoints mariés ou unis civilement», peut-on lire dans le jugement majoritaire. Le plus haut tribunal a ajouté que le législateur québécois a adopté ce régime en réponse «aux changements rapides survenus dans les attitudes au Québec à l'égard du mariage, soit en réponse au rejet du modèle d'inégalité des sexes associée à l'institution du mariage, à la perte d'influence de l'église et à l'affirmation de valeurs associées à l'individualisme». «Le législateur a voulu respecter le rejet exprimé par la société à l'égard du contrôle traditionnellement exercé par l'état et l'église sur les relations intimes», peut-on également lire dans le jugement. La Cour note aussi que des outils s'offrent déjà aux conjoints de fait pour encadrer leur union libre, notamment des ententes de vie commune. «La conclusion de contrats de vie commune permet aux conjoints de fait de créer entre eux les rapports juridiques qu'ils estiment nécessaires sans devoir modifier la forme de conjugalité dans laquelle ils ont situé leur vie commune.» Au Québec, environ 31,5 % des couples vivent en union de fait contre seulement 12,1 % dans le reste du Canada, selon les données de Statistique Canada de septembre 2012. Le tribunal note d'ailleurs que les unions libres ne font pas l'objet de discrimination législative aujourd'hui.

«Bien que durant une période de l'histoire du Québec, les conjoints de fait aient été victimes d'une hostilité législative accompagnée d'ostracisme social, rien dans la preuve ne permet de conclure que l'union de fait fait aujourd'hui l'objet de l'opprobre populaire», est-il aussi écrit. Même si le statu quo est maintenu, les juges étaient assez divisés sur cette question. Quatre juges ont conclu que le régime québécois respecte la Charte des droits et libertés. Cinq juges ont soutenu au contraire qu'il y avait une forme de discrimination envers les conjoints de fait. Mais l'une des magistrats, la juge en chef Beverley McLachlin, a soutenu que cette discrimination était raisonnable dans une société libre et démocratique, faisant ainsi pencher la balance en faveur du statu quo. Cette décision de quelque 300 pages met donc fin à une longue saga judiciaire. Lola - un prénom fictif afin de protéger l'identité de ses trois enfants mineurs - avait également perdu sa cause devant la Cour supérieure du Québec. Le gouvernement du Québec est intervenu pour protéger le régime actuel. Mais en 2010, la Cour d'appel du Québec lui avait donné partiellement raison en statuant qu'il est discriminatoire de priver les conjoints de fait des mêmes droits que les couples mariés. Les juges de ce tribunal avaient ainsi soutenu que Lola avait droit à une pension alimentaire pour elle-même, mais ils avaient refusé de lui accorder le partage du patrimoine financier de son ex-conjoint de fait. L'avocat de Lola, Guy Pratte, s'est dit déçu de la décision de la Cour suprême. Il a noté que la décision était tout de même partagée à 5 juges contre quatre. Selon lui, la Cour suprême renvoie la balle dans la cour du législateur en rendant un tel jugement. «J'espère que les législateurs au Québec tiendront compte de ce jugement. Peutêtre que des voix s'élèveront pour faire modifier et accorder au moins certaines protections aux conjoints et conjointes de fait. Derrière Lola, il y avait quand même des centaines de milliers de conjoints et de conjointes de fait qui avaient droit à certaines mesures de protection selon nous», a dit Me Pratte. «Quand on est rendu à la Cour suprême et qu'on perd, la seule autre arène est celle du législatif. Il y a beaucoup de choses dans le jugement auxquelles les législateurs devraient réfléchir», a ajouté l'avocat de Lola. Pour sa part, l'avocat d'éric, Pierre Bienvenu, s'est dit satisfait du jugement. Il a soutenu que son client a été attiré dans une bataille qui opposait essentiellement Lola au gouvernement du Québec qui souhaitait maintenir la validité constitutionnelle du régime québécois touchant les conjoints de fait. «En ce qui concerne notre client, il a été attiré dans ce débat contre son gré. Cela a été une longue route et nous sommes très heureux d'être rendus au terme de cette route», a-t-il dit. Il a toutefois ajouté que cette cause «a été l'occasion d'un débat de société». «On peut dire que le résultat du jugement d'aujourd'hui, c'est de retourner le débat dans la sphère politique», a-t-il dit. La directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, Sylvie Lévesque, s'est aussi dite déçue de cette décision. «C'est décevant de voir que c'est le statu quo. Par contre, il reste que les juges étaient très divisés. Cela reflète les débats que nous avons eus au Québec et je pense que notre point de vue a été entendu.», a-t-elle dit.