DE NOUVEAUX DISPOSITIFS ACCOMPAGNANT LA CRÉATION D ENTREPRISE : LES ESPACES DE TRAVAIL COLLABORATIF

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DE NOUVEAUX DISPOSITIFS ACCOMPAGNANT LA CRÉATION D ENTREPRISE : LES ESPACES DE TRAVAIL COLLABORATIF PIERRE, Xavier (ISEOR, Université Jean Moulin, Lyon) BURRET, Antoine (MODYS, Université Lumière, Lyon) Xavier PIERRE Chemin de la Tourelle 06, 1209 Genève Suisse contact@xavier-pierre.com INTRODUCTION L entrepreneuriat, ou plutôt les manières d entreprendre sont en voie de se transformer. Plutôt «traditionnellement», on pense qu entreprendre est une action solitaire et que «l on nait entrepreneur ou on ne l est pas». De plus l action d entreprendre est généralement perçue sur un modèle classique linéaire : le créateur a une idée, il fait son business plan, se tourne vers une banque ou des investisseurs, dépose ses statuts, recrute une équipe et se lance sur le marché. La théorie de l effectuation (Sarasvathy, 2001, 2008) présente un modèle différent basé sur l observation des entrepreneurs. L expérience montre en effet que l action d entreprendre s inscrit dans la mobilisation d un réseau, que l on devient entrepreneur, et qu être entrepreneur n est pas quelque chose de «naturel» réservé à des personnes ayant des prédispositions particulières. Les dispositifs d aide à la création d entreprise doivent donc être repensés, ou du moins complétés, en intégrant ces logiques : entreprendre en réseau, transformer les porteurs de projet en entrepreneurs. Si on trouve un grand nombre de travaux sur les incubateurs et les pépinières, sur les clusters, les pôles de compétitivité, les technopôles ou bien sur la levée de fond et le capital risque, il existe peut de recherche sur les nouvelles formes d accompagnement. Nous en identifions une : les espaces de travail collaboratif. Notre recherche vise à répondre à un ensemble de questions liées à l émergence sur les territoires de ces nouveaux dispositifs d accompagnement. Concernant ces nouveaux supports de la création d entreprise, des problèmes de sémantique se posent. Ceux qui gèrent ces espaces, notamment, sont en attente d une terminologie plus précise caractérisant leur outil de travail. Les avantages pour les utilisateurs de disposer de ce type de dispositif sont insuffisamment définis. Les espaces de travail collaboratif se développent généralement sur l intuition de leurs fondateurs. Le besoin est ressenti de «tangibiliser» ces intuitions, et d avoir des éléments issus «du terrain» pour mieux définir les effets réels produits par ces dispositifs. De nombreux organismes existent pour accompagner les entrepreneurs. Notamment dans l optique d apporter de la clarté aux décideurs publics qui contribuent au financement de la plupart de ces dispositifs, il existe une volonté grandissante d identifier les opérations réalisées par chacun d eux et leur complémentarité. Leur particularité et leur complémentarité se définissent aussi en termes de publics visés et de compétences des équipes de la structure. Enfin, les acteurs sont nombreux à s interroger sur l intérêt des espaces de travail collaboratif pour les territoires sur lesquels ils sont implantés. Il s agit au final d analyser leurs impacts, directs ou indirects, sur l emploi et le développement économique de leur région d appartenance. 1. PROBLEMATIQUE De manière classique, l entrepreneuriat est souvent décrit comme un processus prédictif, suivant un modèle linéaire, marqué par de grandes étapes. La création d entreprise suit un axe prédéfini,

démarrant lorsque le créateur à une idée «lumineuse», et allant jusqu au moment où le produit arrive sur le marché (cf. figure 1). L entrepreneur «suit» des étapes successives et bien marquées qui devraient aboutir à une entreprise à succès : déposer un brevet, réaliser une étude de marché, trouver le statut juridique adéquat notamment dans une perspective fiscale, etc. Figure 1 : Le parcours «classique» de l entrepreneur DÉPÔT DE BREVET BUSINESS PLAN DÉPÔT DES STATUTS RECRUTEMENT IDÉE MARCHÉ ÉTUDE DE MARCHÉ RECHERCHE DE FONDS LOCAUX PUBLICITÉ / VENTE Dans cette approche, la planification est ainsi un préalable à toute action et le business plan est l outil central de l action d entreprendre. Honig (2004) souligne que ce document est considéré comme incontournable. Il permet de construire une projection précise du projet sur plusieurs années. Les entrepreneurs suivent un plan envisagé lorsque leur projet n est qu à l état d idée. Ils se «contentent» d appliquer et d optimiser les éléments présentés dans leur business plan (Bureau et Fendt, 2011). L observation des entrepreneurs en situation de création montre qu en réalité l action d entreprendre n est pas si linéaire. Reposant sur de nombreuses itérations, les projets se transforment au fur et à mesure, par tâtonnement. De nombreuses recherches visent à repenser le modèle de création classique. Verstraete et Fayolle (2005) considèrent ainsi qu il s agit d un objet complexe et protéiforme Au début des années 2000, Saras Sarasvathy, propose un mécanisme quasiment opposé au processus classique, nommé l effectuation. En avançant que le travail mécanique et planifié se base sur des prévisions incertaines, Sarasvathy proposent de considérer l entrepreneuriat comme un processus avec plusieurs fins possibles. Il s agit de passer d une logique où l action suit un trajet planifié à une logique où les opportunités se suivent sur une ligne incertaine (Fayolle, 2009), Aujourd hui, de nombreux auteurs, comme Chia (1996), montrent que l entrepreneuriat est une action ambigüe, confuse, voire chaotique. Ils avancent que le processus entrepreneurial se caractérise par la capacité à découvrir des opportunités inédites en explorant de nombreuses pistes (Binks, Starkey et Mahon, 2006). L activité entrepreneuriale se fonde ainsi sur les aléas et les situations fortuites. Il s agit pour l entrepreneur de développer sa capacité à rester ouvert à l imprévu et à procéder par opportunité. On constate que l entrepreneur va avant tout chercher à s entourer et à constituer un réseau autour de son projet. Ce réseau suggère l apparition de système d entraide et de débrouille qui favorise la «gratuité», la réciprocité et l échange de compétences.

Il est ainsi important de compléter l approche technico-économique du business plan, par une approche créative et sociale. Toutain et Fayolle (2009), en s appuyant notamment sur la théorie de l effectuation, en appellent à une transformation de l enseignement de l entrepreneuriat. Dans le même ordre d idée, les dispositifs d aide à la création d entreprise doivent être repensés, ou du moins complétés, en intégrant ces logiques : entreprendre en réseau, transformer les porteurs de projet en entrepreneurs. Dans ce mouvement s inscrivent les espaces de travail collaboratif que nous présentons ici. 2. CADRE THEORIQUE : L ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRENEURS Actuellement, le courant de recherche sur l accompagnement à la création d entreprise se développe. Tandis qu en 2006, Leger-Jarniou et Saporta (2006) observaient que les recherches sur le thème de l accompagnement à l entrepreneuriat étaient relativement pauvres et rarement choisies comme unique objet d attention de la part des chercheurs, en 2010, Chabaud, Messeghem et Sammut (2010), notaient que la question de l accompagnement des entrepreneurs devenait un véritable champ de recherche. En s appuyant sur les travaux réalisés sur les dispositifs d accompagnement à la création d entreprise, notre recherche soulève la question des dispositifs émergeant comme les espaces de travail collaboratif. L enjeu est de recenser succinctement certains des dispositifs «traditionnels» et de s intéresser à l émergence de nouveaux dispositifs en analysant : leurs apports pour les utilisateurs, leurs complémentarité par rapport aux dispositifs existants d aide à la création d entreprise ainsi que leurs apports pour les territoires et les institutions. 2.1. LES DISPOSITIFS D ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRENEURS Il existe une grande diversité de dispositifs d aide à la création d entreprise (Duplat, 2005). Dans un premier temps, nous identifions parmi ceux-ci les structures d hébergement de type incubateurs ou pépinières d entreprises (Albert et Gaynor, 2001 ; Hackett et Dilts, 2004 ; Iselin et Bruhat, 2003 ; Léger-Jarniou, 2005 ; Bakkali, Messeghem et Sammut, 2012). Redis (2006) observe que la mission des incubateurs est de détecter, accueillir et accompagner les projets de création d entreprises innovantes en proposant des locaux, des conseils et du financement pour les entrepreneurs. Cette étape dans la création d entreprise est appelée «phase d incubation» car elle intervient lorsque le porteur de projet n a pas encore créé son entreprise et que par conséquent, il n est pas encore identifié comme chef d entreprise. Les incubateurs doivent ainsi permettre d accompagner des entrepreneurs choisis par un jury en leurs fournissant des moyens humains, matériels et financiers. Créés à l origine par des institutions universitaires pour développer des produits issus de laboratoire de recherche universitaire (Lebret, 2007), la nature des incubateurs a aujourd hui évolué notamment par l apparition d incubateur privée, visant la rentabilité en prenant des parts dans les entreprises qu elles soutiennent. Il en résulte une grande diversité d incubateurs (Bakkali, Messeghem et Sammut, 2012). Dans la même lignée, les pépinières d entreprises sont elles-aussi créées en général par des établissements d enseignement et de recherche avec le support des collectivités territoriales. Elles offrent des locaux, des services mutualisés (standard, réception, salle de réunion, etc.) et des services d accompagnement (conseil, formation, intégration dans des réseaux, etc.). Redis (2006), observe que les pépinières hébergent de jeunes entreprises, fournissent des services matériels et assurent le suivi effectif des entreprises. Existent également des réseaux territoriaux, supports des entreprises notamment pour renforcer la compétitivité territoriale, comme les clusters, les pôles de compétitivité ou encore les technopôles (Porter, 1998, 2000 ; Carluer, 2006 ; Berthinier-Poncet, 2012 ; Hussler et Hamza- Sfaxi, 2012). Ils permettent aux entreprises en création d intégrer et de coopérer avec le tissu économique et institutionnel local. Les clusters par exemple, favorisent la création et la survie de start-up sur leur territoire et dans leur secteur d application (Delgado, Porter et Stern, 2010).

Des dispositifs permettant l accès à des fonds d investissements sont aussi disponibles pour les entrepreneurs : les banques, le capital-risque, les business angels (Hellmann et Puri, 2002 ; Redis, 2006; Gerasymenko, 2008). Selon Hellmann et Puri (2002), les capital-risqueurs sont des partenaires incontournables du financement et de la professionnalisation des start-ups. Dans leurs portefeuilles d investissement de nombreux projets échouent mais sont compensés par la réussite de certains autres. Les fonds de capital-risque ont ainsi pour objectif de générer une rentabilité élevée et un retour sur investissement attractif par la revente des sociétés ou leur introduction en bourse. Le processus de sélection est donc capital. Celui-ci passe généralement par l analyse directe du business plan sans rencontre directe entre investisseurs et entrepreneurs. En conséquence, le taux de candidats sélectionnés est très faible. Redis (2006) montre que le pourcentage d entreprises ou de projets qui réussissent à être financés par le capital-risque n est que de 1 à 10 %. Tous ces outils d aide à la création d entreprise ont été largement décrits et étudiés dans la littérature ce que constatent Chabaud, Messeghem et Sammut (2010) qui suggèrent l importance de s intéresser davantage à de nouveaux supports de la création d entreprise. Cette recommandation justifie le choix de s intéresser aux espaces de travail collaboratif, dispositifs émergents que nous étudions dans cette communication. 2.2. UN DISPOSITIF EMERGEANT : LES ESPACES DE TRAVAIL COLLABORATIF Bien qu encore peu connus, les espaces de travail collaboratif sont des dispositifs issus de la société civile qui tendent aujourd hui à s institutionnaliser. Provenant de la terminologie anglaise «coworking space», nous préférons utiliser la terminologie française, plus spécifique. En anglais, le coworker est le collègue, celui qui travaille dans le même lieu. Nous estimons que le terme travail collaboratif fait ressortir d avantage l idée de travail en synergie que l on observe dans ces dispositifs. L origine du «mouvement» des espaces de travail collaboratif se situe dans les années 80 au Danemark et aux États-Unis. En 1989, Oldenburg commente la naissance de ces nouveaux espaces sous la notion de «tiers lieux» : des lieux à la tangente entre sphère privée et professionnelle, adaptés à un style de vie plus mobile. Leur succès est cependant limité à cette époque par le développement insuffisant des TIC. Depuis 2006, le mouvement des espaces de travail collaboratif s est largement développé. En 2008, des lieux symboliques sont créés. Parmi ceux-ci nous pouvons cités : la Cantine à Paris, The Hub à Londres. Bénéficiant d un succès certain, ces lieux se sont ensuite démultipliés. En 2009, est créée la Muse à Genève sur laquelle repose largement cette étude. Afin de conceptualiser de manières prospectives les attentes vis-à-vis de ces espaces, de nombreux écrits ont été réalisés. Le cas de la Muse à Genève a notamment été l objet de travaux publiés par Comtesse (2010) ou Genoud et Moeckli (2010). Plusieurs études se développent à partir de 2011 mais cette fois-ci sous un angle plus descriptif et statistique. Il s agit, par exemple, de l étude de l école de management de Grenoble en partenariat avec le cluster Green and Connected Cities (2011) ou de la revue Deskmag, une revue en ligne spécialisée sur les espaces de travail collaboratif (2011). Plus Récemment des publications scientifiques dans le domaine de l entrepreneuriat se consacrent à l analyse des espaces de travail collaboratif. On peut citer l étude de Fabbri et Charue-Duboc (2012) qui s appuient sur le cas de la Ruche, un espace de travail collaboratif parisien. Le nombre d espaces de travail collaboratif se développe très rapidement à travers le monde. Aux États-Unis, plus de 75 villes proposent aujourd hui de tels lieux. Selon le sondage réalisé par Deskmag, il y en avait en 2011 plus de 1100 dans le monde, dont environ 530 en Amérique du nord (+76% d augmentation depuis 2010) et 460 en Europe (+98%). Cette croissance rapide de leur nombre justifie la nécessité d un intérêt grandissant de la communauté scientifique pour ces nouveaux dispositifs. Si les dispositifs d aide à la création d entreprise «traditionnels» se concentrent sur les besoins techniques des entrepreneurs et sur l apport d expertise, les espaces de travail collaboratif ont

une toute autre approche. Ils se concentrent en effet sur l émulation entre entrepreneurs, le réseau et l apprentissage collectif. Ils favorisent l apparition de dynamiques sociales entre entrepreneurs qui ont pour effet de dynamiser leurs démarches, de développer la créativité et l innovation, et au final d améliorer la robustesse de leurs projets. Nous constatons ainsi que les espaces de travail collaboratif présentent des caractéristiques nouvelles. Cette communication vise à les analyser en envisageant les apports pour leurs usagers, leurs complémentarités par rapport aux dispositifs d accompagnement plus classiques, ainsi que leurs apports pour les territoires. 3. METHODE DE RECHERCHE Nos résultats de recherche repose sur l analyse approfondie d un espace de travail collaboratif à Genève, dans lequel les deux auteurs ont réalisé deux recherches distinctes et ont abouti aux résultats conjoints présentés dans cette communication. L objectif est de répondre aux questions suivantes : Comment définir et décrire les espaces de travail collaboratif? Qu apportent-ils à leurs utilisateurs? Comment les positionner par rapport aux dispositifs existants d aide à la création d entreprise? Quels sont leurs intérêts pour les territoires et leurs institutions? 3.1. UN ESPACE DE TRAVAIL COLLABORATIF : LA MUSE Crée en 2009 en collaboration avec Rezonance, un réseau professionnel actif en Suisse Romande de 40.000 chefs d entreprises et indépendants, la Muse est le premier espace de travail collaboratif à Genève. Sur une surface de 300 m² au centre de Genève, cet espace peut compter jusqu à 60 utilisateurs en simultanée. Près de 150 entrepreneurs ont déjà développé leurs activités depuis la création du lieu. Les projets sont issus d un nombre remarquable de secteurs d activité : la communication, le conseil, l architecture, la comptabilité, l illustration, le graphisme, le marketing, la traduction, la cartographie numérique, la programmation d application sur Smartphone, le développement organisationnel, la promotion sportive, les jeux vidéos en ligne, la finance, l art thérapie, l immobilier, etc. Les projets sont à différents niveaux d avancement des projets. Certains sont encore à l état d idée tandis que d autres comptent jusqu à dix collaborateurs salariés. Les utilisateurs du lieu sont à 30% des permanent, tandis que 70% d entres eux ne sont présents qu un ou deux jours par semaine. Pour avoir le statut de permanent et bénéficier du lieu à tout moment, les utilisateurs payent un abonnement mensuel à hauteur de 250 CHF (environ 200 ). Ces prix sont très attractifs étant donnés les tarifs de location pratiqués à Genève. Dans le même quartier que la Muse, le prix pour une location de bureau dans un centre d affaires dépasse largement les 1000 CHF. La Muse se permet de pratiquer des loyers aussi bas grâce au principe de «collocation» d espace de bureau, plusieurs entrepreneurs se partageant les mêmes pièces, et par le soutien financier public. La Muse est soutenue pour près de moitié par des financements de l État. La direction de la Muse est assurée par la fondatrice. Un conseil d administration comprenant deux entrepreneurs a notamment une vocation consultative. Un comité scientifique mis en place dès la création du lieu a pour mission d observer et de théoriser le fonctionnement de la structure, de comprendre son apport, et de déterminer des pistes d amélioration. Au quotidien, le lieu est géré par un coordinateur, et de un à deux stagiaires. Cette équipe opérationnelle assure le fonctionnement matériel du lieu, l administration, la communication commerciale et favorise l interaction entre les entrepreneurs. Pour ce faire, elle s assure de leur bonne intégration à leur arrivée et animent des réunions entre «coworkers» sur une base bimensuelle. Des évènements viennent compléter le fonctionnement de l espace de travail collaboratif. Une réunion hebdomadaire réunit des utilisateurs, mais aussi des personnes extérieures dans laquelle les personnes échangent sur leurs projets et se donnent mutuellement des contacts, des conseils et se font des suggestions. Des conférences et des groupes de discussion sont également organisés régulièrement autour du thème de l entrepreneuriat et de l innovation.

3.2. METHODOLOGIE DE RECHERCHE Deux recherches ont été menées simultanément par chacun des auteurs sur ce terrain ce qui les a conduit à s associer dans la rédaction de cette étude. Le premier auteur, sur sollicitation de la direction de l espace de travail collaboratif souhaitant améliorer le pilotage opérationnel de la structure, mène une recherche-intervention (Savall, Zardet, 2004) depuis janvier 2012 pour une durée totale de 24 mois. Il a réalisé 10 entretiens et animé une douzaine de groupes de travail avec la direction, les gestionnaires du lieu, les membres du conseil d administration. Le second auteur a mené une recherche-action, participante et longitudinale, sur une période de 18 mois au sein de l espace de travail collaboratif qui lui a permis d observer le fonctionnement du lieu et l action des entrepreneurs. Il a par ailleurs traité une vingtaine d entretiens avec des entrepreneurs utilisateurs du lieu. 12 de ces entretiens ont été réalisés par lui-même, et 8 ont été délégués à des gestionnaires du lieu dans un esprit de faire perdurer la démarche de recherche. Nous avons pu de cette manière observer et analyser le fonctionnement de l espace et la manière dont se réalisait l accompagnement des entrepreneurs. Nous avons collectés et sélectionnés des phrases témoins que nous avons structurées en thèmes, sous thèmes et idées clés pour analyser les effets du travail au sein d un espace de travail collaboratif sur les entrepreneurs. Nous avons élaboré ainsi nos modèles théoriques et nos résultats de recherche. Dans le cadre de groupes de travail avec les gestionnaires et les utilisateurs, nous avons restitués à plusieurs reprises nos résultats pour tester leur validité, bénéficier de retours, les compléter et les affiner. Nos résultats reposent ainsi sur les observations croisées entre les chercheurs et les informations collectées à travers trente entretiens et des séances de travail avec les gestionnaires de l espace et les entrepreneurs utilisateurs. 5. DESCRIPTION DES ESPACES DE TRAVAIL COLLABORATIF Face au besoin de présenter une typologie précise de ce genre de dispositif, nous identifions quatre «ingrédients essentiels» qui font, d après nos observations, les espaces de travail collaboratif : un espace de travail dédié, des entrepreneurs, l animation et l effet réseau (cf. figure 2). Figure 2 : Description des espaces de travail collaboratif DES ENTREPRENEURS «L EFFET RÉSEAU» UN ESPACE PHYSIQUE DE TRAVAIL L ANIMATION DU LIEU Les espaces de travail collaboratif se caractérisent premièrement par un espace physique dédié au travail et équipé : mobilier (bureau, chaise, table, rangement), connexion Internet, salles de réunion, lieux de détente et de socialisation, etc. Aussi, nous observons que les utilisateurs de

ces dispositifs sont des entrepreneurs dont les démarches sont généralement hétérogènes et à des niveaux de maturité différents. La concentration d entrepreneurs aux compétences diverses et à différents stades de réalisation induit un «effet réseau». L interaction entre entrepreneurs agit comme un accompagnant. Selon Sammut (2003), une communauté peut agir comme un accompagnant si elle permet de développer les compétences, les expertises et les connaissances de l entrepreneur. Nous constatons à la suite de Fabbri et Charue-Duboc (2012) ce phénomène à l intérieur des espaces de travail collaboratif. Enfin, les espaces de travail collaboratif intègrent une équipe d animation qui a notamment pour objectif de stimuler les échanges et les «frictions» entre entrepreneurs. Hussler, Hamza-Sfaxi, (2012) remarquent que l animation est un point stratégique car elle stimule des effets de coopération qui ne sont pas spontanés. Si les dispositifs d aide à la création d entreprise «traditionnels» se concentrent sur les besoins techniques des entrepreneurs et sur l apport d expertise, les espaces de travail collaboratif ont une toute autre approche. Ils se concentrent en effet sur l émulation entre entrepreneurs, le réseau et l apprentissage collectif. 5.1 UN ESPACE DE TRAVAIL DEDIE A la manière des incubateurs et des pépinières, les espaces de travail collaboratif sont des structures d hébergement : des espaces dédiés au travail, mettant à la disposition des entrepreneurs des locaux équipés. Disposant de l ensemble des équipements classiques de bureaux, ils se distinguent cependant par des prix très attractifs et par une position géographique généralement au centre-ville ou à proximité, notamment pour des commodités d accès. L agencement de l espace est organisé de manière à créer un environnement propice aux interactions tout en préservant une ambiance de travail. L espace se compose d espaces ouverts permettant le travail de groupe et d espaces plus confinés favorisant la concentration des entrepreneurs. Il reflète une ambiance où le travail en équipe et les échanges côtois une atmosphère studieuse. Cette ambivalence constitue un aspect essentiel des espaces de travail collaboratif. L atmosphère convivial renvoi aux enjeux primaux de ce type d espace, à savoir faire cohabiter le travail et la socialisation des entrepreneurs dans une optique d entraide et de collaboration. 5.2 DES ENTREPRENEURS Les utilisateurs des espaces de travail collaboratif sont des personnes développant des projets dans des domaines d activités variés. Plusieurs manières de bénéficier de l espace sont à leurs dispositions. Certains entrepreneurs qualifiés de «permanents» respectent globalement les horaires de travail classiques. D autres, «les nomades», font un usage plus sporadique de l espace. Ils viennent avec leurs ordinateurs portables quelques heures par jour et quelques jours par semaine. Les espaces de travail collaboratif sont accessibles pour des projets encore «immatures». Si certains développent déjà leur activité depuis quelques années, d autres n en sont encore qu à l idée de projet. Selon Reynolds (2005), le processus entrepreneurial est enclenché à partir du moment où un individu fait le choix de s engager dans ce type de démarche. Ainsi, les espaces de travail collaboratif interviennent aussi au moment de l intention de projet, à l amont du processus entrepreneurial. Ils sont ouverts aussi aux personnes ne disposant pas de moyen suffisant pour acquérir un espace de travail «classique». En intégrant des entrepreneurs «novices» (St-Jean, 2010) et des entrepreneurs «contraints» (Couteret, 2010), ils participent à la démocratisation de l action d entreprendre. Dans l espace de travail collaboratif observé, on dénote une grande hétérogénéité des projets et des entrepreneurs. D autres espaces se spécialisent dans un secteur et ont une population d utilisateurs plus spécialisées (Cluster green & connected cities, 2011 ; Deskmag, 2011). Cependant, dans l espace observé (La Muse, Genève), la diversité des projets, la représentation intergénérationnelle et les niveaux d expériences hétérogènes sont un atout considérable dans la

richesse des échanges et l apprentissage du métier d entrepreneur. En outre, le fait que les entrepreneurs soient dans des industries différentes réduit les tensions concurrentielles potentielles et facilite en cela les coopérations. 5.3 L ANIMATION L animation des espaces de travail collaboratif est essentielle par sa capacité à stimuler la collaboration entre entrepreneurs. Elle est en ce sens une composante stratégique (Hussler et Hamza-Sfaxi, 2012). Si le travail collaboratif peut apparaitre spontanément entre entrepreneurs, il est cependant démultiplié lorsque qu une équipe est vigilante à son fonctionnement. Cette équipe peut ainsi s appuyer sur des méthodes et des formats d animations dont les objectifs sont de favoriser les interactions. Les entrepreneurs expriment le rôle joué par l équipe d animation dans leur intégration auprès des autres utilisateurs de l espace de travail collaboratif (cf. encadré 1). L action de partager son projet, d exprimer en public ses difficultés et ses besoins n est pas forcément aisée. Les entrepreneurs peuvent avoir peur de déranger, peur de présenter leurs projets ou peur de se faire «voler» leurs idées. Les gestionnaires, qui jouent le rôle d animateurs de l espace, son très rapidement identifiés comme les «référents» de l espace. Ils sont en ce sens bien placés pour aider les entrepreneurs à se présenter et à échanger entre eux. Encadré 1 : Extrait de phrases témoins : Le rôle de l animation «Les liens ne se font pas naturellement. Chacun est concentré dans son projet et c est au travers des animateurs du lieu que j ai commencé à faire la connaissance des autres personnes.» «Le déclencheur a été d avoir une relation plus personnelle avec les gestionnaires du lieu. Comme les animateurs connaissent tout le monde, cela passe par eux.» «Si les gestionnaires du lieu nous mettent en contact avec les autres, cela avance.» «J ai commencé à m ouvrir à la communauté lorsque j ai eu plus de relation personnelle avec les animateurs du lieu.» Selon Rice (2002) le responsable d incubateur et l incubé sont co-acteurs de l incubation. On retrouve ce même mécanisme dans le cas des espaces de travail collaboratif. C est dans notamment par l interaction entre les entrepreneurs et les animateurs que va se jouer la réussite du travail collaboratif. L équipe opérationnelle de l espace a pour objectif de stimuler les échanges entre entrepreneurs. Si les coopérations entre entrepreneurs peuvent être spontanées, elles sont cependant plus efficaces et durables lorsqu elles sont «pilotées». L enjeu n est pas d avoir une animation directive mais d intégrer les nouveaux et éventuellement d alimenter en information le réseau d entrepreneurs. Il convient donc que les équipes des espaces de travail collaboratif disposent d une méthode d animation efficace et que les compétences nécessaires soient bien identifiées et accompagnées notamment par de la formation. Par exemple, en leur faisant faire le tour de l espace lorsqu ils s abonnent, et en leur présentant les personnes et leur projet, les animateurs du lieu accélèrent le processus d intégration. Une bonne connaissance des compétences et des projets de chacun est aussi essentielle pour favoriser la mise en lien entre les différents utilisateurs. Il s agit d optimiser les échanges en intervenant subtilement pour accroitre le niveau et la qualité des échanges et la perception des coopérations possibles. Ainsi, les entrepreneurs, occupés à leurs projets peuvent bénéficier d une dynamique de groupe grâce à l intervention des animateurs.

Par ailleurs, les animateurs peuvent aussi amener des informations pertinentes pour les utilisateurs : d autres initiatives existantes, la tenue d un évènement professionnel connexe, le nom d un contact à solliciter. L équipe d animation a ainsi plusieurs fonctions. Outre son rôle dans les interactions entre entrepreneurs, elle est en charge de l administration mais également l intendance du lieu, de l administratif et de la communication commerciale. Il convient que le rôle d animation soit bien affecté dans leur emploi du temps, ce qui suppose une certaine rigueur. 5.4 L EFFET RESEAU La concentration d entrepreneurs dans un espace de travail induit une dynamique de réseau. C est le mélange entre un cadre favorable aux échanges, une communauté d acteurs hétérogènes et une équipe d animation attentive aux «frictions positives» entre entrepreneurs. Afin d obtenir ce que nous qualifions d «effet réseau», il convient de réunir un nombre suffisant d entrepreneurs. Une «masse critique» occupant les lieux dans une dynamique similaire favorise les effets d entraide, d échange et d émulation. En réunissant des individus dont l objectif commun est l envie de construire quelque-chose, un équilibre dans les relations apparaît : tous les utilisateurs s apportent mutuellement des idées en constituant un «réseau de pairs» bénéfique pour les projets. Nous concevons ce collectif d entrepreneurs en interaction comme un réseau de pairs où le réseau agit comme un accompagnant. En confrontant leurs points de vue, les entrepreneurs construisent ensemble des connaissances et développe un potentiel d innovation remarquable. Par effets d imitation, de compétition, de collaboration, de «frictions», ils s activent, améliorent leur productivité et s engagent davantage dans leur projet. Ils mutualisent et partagent des informations, des compétences, des ressources et des contacts. 6. APPORTS DES ESPACES DE TRAVAIL COLLABORATIF POUR LES UTILISATEURS Tous les dispositifs d accompagnement semblent plus ou moins avoir la même finalité, à savoir le succès des projets accompagnés. Un succès qui se mesure premièrement pas la capacité des entrepreneurs à passer à l action, l intégration dans un tissu social et territorial, et la pérennité du projet. C est dans la manière de préparer la mise en œuvre du projet et de s assurer de sa «santé durable» que les dispositifs ont des approches différentes. Dans les années 80, le succès d un projet reposait sur le suivi et la réussite de certaines étapes: la réalisation d une étude de marché, le choix du statut juridique, la création d un business plan cohérent et la capacité à levée des fonds. Les dispositifs d accompagnement traditionnels vont ainsi concentrer leurs actions pour soutenir en expertise l entrepreneur pour chacune de ces opérations à caractère technique. Les espaces de travail collaboratif supposent un accompagnement des entrepreneurs reposant sur des facteurs différents. L enjeu est d abord d ordre social dans le sens où ces espaces favorisent l intégration des entrepreneurs dans un environnement composé notamment d autres entrepreneurs : un réseau de pairs. L immersion des créateurs d entreprises dans un réseau de pairs va leur permettre de tester et de faire évoluer leur projet tout en développant progressivement leurs compétences et leurs connaissances du métier d entrepreneur. Ce réseau de pairs constitue un écosystème favorable au développement des projets (Hackett, Dilts, 2004). Les entrepreneurs vont ainsi pouvoir mûrir leurs projets avant de se confronter au marché. Le point de départ est ainsi la mobilisation d un réseau. Selon Saleille (2007), l entrepreneuriat est essentiellement une activité de mise en réseau. Dans ce sens, on constat que les utilisateurs des espaces de travail collaboratif vont, grâce au réseau de pairs : apprendre à entreprendre, affirmer et dynamiser leur démarche, et progressivement intégrer un marché en lançant leur projet sans lever de fonds à priori (cf. figure 3).

Figure 3 : Les apports des espaces de travail collaboratif pour les utilisateurs Appréhender une vision pluridisciplinaire Favoriser l innovation et la créativité Partager les difficultés et les étapes Couver et professionnaliser son projet Favoriser la prise de risque Développer des compétences de réseautage Apprendre à entreprendre Mobiliser un réseau de pairs Affirmer et professionnaliser sa démarche Développer son rythme, sa motivation et son engagement Obtenir des ressources par le réseau Lancer son projet sans lever de fonds à priori Intégrer un marché Exposer son projet face à un Marché-test Disposer d un accompagnement à moindre coût Comprendre son marché et adapter son projet Disposer d un espace de travail à moindre coût Trouver des premiers clients Co-créer le projet avec le réseau 6.1 MOBILISER UN RESEAU DE PAIRS Verstraete (2003) observe que l entrepreneuriat est un phénomène impulsé par un ou plusieurs individus s étant associés afin de créer une organisation. Cependant, comme le montre une étude réalisée par la banque du développement des PME (2000), la majorité des créateurs d entreprise (55%) crée son entreprise, seule. Cette solitude de l entrepreneur peut avoir des conséquences néfastes sur les projets. L action d entreprendre peut être épuisante et aboutir à un renoncement devant les obstacles. L intégration de l entrepreneur dans un espace de travail collaboratif permet de rompre cet isolement. Un des premiers apports pour leurs utilisateurs est la mobilisation d un réseau de pairs autour de leurs projets (cf. encadré 2). Les espaces de travail collaboratif leur permettent d obtenir un contact régulier avec des acteurs étant dans la même dynamique. Cet environnement favorise finalement l apparition de mécanismes d entraide entre entrepreneurs. Encadré 2 - Extrait de phrases témoins Mobiliser le réseau de pairs «Ici, j ai pu rencontrer des personnes expérimentées et avec un grand vécu de l entrepreneuriat.» «C est l interaction avec des personnes partageant les mêmes objectifs qui est le plus important.» «Je rencontre des gens que je ne rencontrais pas dans mes activités antérieures.» «L avantage ici, c est qu entre passionnés, on se soutient, on s entraide.» «Les utilisateurs du lieu sont suffisamment proches pour être solidaires, et suffisamment éloignés pour que chacun puisse se concentrer sur ses tâches sans être dérangé.»

Si peu de travaux ont porté exclusivement sur la formation d un réseau, ceci peut s expliquer selon Minguet et Moreau (2006) par le fait que le réseau personnel est souvent considéré comme indépendant de l entrepreneur. Son réseau est celui de son «milieu social naturel». Les espaces de travail collaboratif permettent ainsi à une plus large population d accéder à un réseau de qualité et de bénéficier de sa dynamique. En intégrant un réseau, les entrepreneurs ont l occasion d apprendre par l échange et la pratique le métier d entrepreneur. Ils vont s exposer et dynamiser leur démarche. Le réseau va aussi leur permettre d intégrer progressivement un marché et de faire avancer leurs projets sans nécessairement avoir besoin de lever de fonds. 6.2. APPRENDRE À ENTREPRENDRE Selon Cuzin et Fayolle (2004), la démarche d accompagnement entrepreneuriale implique une amélioration des compétences entrepreneuriales. S ils disposent généralement des compétences spécifiques liées à leur projet (technologie, connaissance produit, etc.), une large palette de compétences liées à la gestion de projet et au management d une organisation reste souvent en suspend. C est par la mobilisation d un réseau de pairs autour de leurs projet que les entrepreneurs vont apprendre le métier d entrepreneur (cf. encadré 3). ENCADRÉ 3 - Extrait de phrases témoins Apprendre le métier d entrepreneur «J ai appris ce qu était une start-up, comment la financer, ainsi que les démarches nécessaires pour sa création.» «Tu viens avec une question, des intérêts et compétences différents et repars avec les propositions des autres en utilisant tout ce qui est à portée de main et d esprit.» «C est drôle de trouver des points de convergence parmi tant de différences. Il y a un point commun : développer un projet.» «Je travaille sur mon propre projet et découvre en même temps les projets de chacun. Cela permet de mettre en commun nos idées et nos compétences.» «Avant je courrais après la montre. Et puis je me suis rendu compte que beaucoup de projets ne démarraient pas tout de suite. Fréquenter le réseau m a ôté beaucoup de pression.» Lave et Wenger (1991) et Brown et Duguid (1991) expliquent que des échanges réguliers entre des acteurs engagés dans la même dynamique favorisent la création de connaissances. En ce sens, les espaces de travail collaboratif sont un cadre favorisant le transfert et la construction de connaissances. Les utilisateurs que nous avons interrogés soulignent bien le rôle essentiel de l entraide et du partage d expérience dans leurs projet. C est «l interactivité cognitive» selon la formule de Savall et Zardet (1996) qui va permettre le développement de connaissances et la capacité à mettre en œuvre les projets entrepreneuriaux. Sammut (2003) souligne que l accompagnement de l entrepreneur est une démarche de transmission de connaissances d un accompagnateur vers un accompagné. Dans le cas des espaces de travail collaboratif, c est l interaction entre porteurs de projet qui va générer le développement de connaissances opérationnelles. Cette démarche diffère de la démarche enseignant-enseigné en reposant sur l entraide entre utilisateurs et l échange d expérience.

DEVELOPPER DES COMPETENCES DE RESEAUTAGE La capacité de travailler en réseau est une composante essentielle dans l action d entreprendre. Selon Chell et Chaines (2000), les entrepreneurs les plus «réseauteurs» ont des niveaux de performance supérieurs à ceux qui le sont moins. Verstraete et Saporta (2006) notent que «le carnet d adresses du dirigeant et la qualité de son réseau relationnel comptent parmi les plus cités dans la liste des conditions de réussite en création d entreprise». Selon Vissa et Anand (2006) et Baron et Markman (2000, 2003), les compétences et savoir-faire sous-jacents au réseautage sont notamment : l importance de savoir gérer la première impression, être capable de mémoriser des informations personnelles et contextuelles au sujet de leurs interlocuteurs, ou encore être expressif. Grâce au réseau de pairs, les espaces de travail collaboratif vont permettre aux entrepreneurs de pratiquer le réseautage et d améliorer cette compétence. Ils vont s exposer, échanger leurs cartes de visite, tisser des liens, afin de développer des relations potentiellement bénéfiques pour leur projet. On observe que le réseautage au sein des espaces de travail collaboratif ne se limite pas à rencontrer des personnes qui sont directement utiles à l entrepreneur. Bon nombres d obtention de contacts se font indirectement par l échange des carnets d adresse de chacun afin de développer un réseau étendu. On peut concevoir cela comme du «réseautage par percolation». Ainsi, au sein des espaces de travail collaboratif, les utilisateurs développent leur capacité à réseauter aussi bien avec les autres utilisateurs qu avec les personnes gravitant autour du lieu, et au final avec un réseau étendu atteint «par percolation». Le réseau de pairs est ainsi un moyen pour les entrepreneurs de mettre en pratique et développer leurs compétences «sociales». APPREHENDER UNE VISION PLURIDISCIPLINAIRE Au sein des espaces de travail collaboratif, la création de liens entre acteurs provenant de secteurs différents, avec une trajectoire professionnelle et une expérience hétérogènes, permet d une part aux entrepreneurs d aller à la rencontre d autres projets et d autres disciplines. Cette rencontre offre aussi une certaine forme d inspiration et permet d identifier le processus commun sous-jacent à l élaboration et à la mise en œuvre de projets entrepreneuriaux. Les témoignages des entrepreneurs collectés dans nos recherches révèlent que la diversité des projets et des acteurs à l intérieur des espaces de travail collaboratif offre la possibilité de s ouvrir sur d autres connaissances et d enrichir sa propre dynamique. Selon Fabbri et Charue- Duboc (2012), le partage d objectifs similaires est favorable à la démarche de création. Les entrepreneurs développent ainsi une vision pluridisciplinaire et réalisent les défis communs à tous : réussir des partenariats, savoir s entourer, disposer d outils de management, trouver les bonnes technologies, trouver des clients, des modèles de financement de leur projet, etc. Cela rejoint le constat de Dougherty et Dune (2011) pour qui la coopération entre acteurs et structures hétérogènes favorisent l apparition d innovation. FAVORISER L INNOVATION ET LA CREATIVITE Afin de pénétrer un marché, les entrepreneurs sont plutôt amener à se différencier des produits, des services ou des manières de faires existants. Ils sont, dans ce contexte, en position de devoir innover. Selon Alter (2000), l innovation est un processus éminemment social qui permet «de transformer une découverte, qu'elle concerne une technique, un produit ou une conception des rapports sociaux, en de nouvelles pratiques». Pour cet auteur, l innovation est le résultat d un processus où se mêlent l'incertitude, la transgression, les interactions et les croyances. En misant sur les interactions entre pairs, les espaces de travail collaboratif favorisent l apparition d innovation et le développement de la créativité de ses utilisateurs. Le processus itératif entre la réflexion, la mise en commun et la mise en œuvre du projet engendre une objectivisation de l action. L échange, la mise en commun de perspectives différentes et les

«frictions» entre entrepreneurs, les stimulent généralement à expérimenter d autres voies que celles qu ils s étaient préalablement fixés. Selon Birkinshaw et al. (2008), la mise en commun et le partage d idées induisent des pratiques managériales nouvelles qui promeuvent la créativité et l innovation en offrant, un regard renouvelé sur une pratique. On constate que dans les espaces de travail collaboratif, les innovations sont majoritairement managériales ou de process. C est dans la manière dont est pratiqué l entrepreneuriat que se trouve la nouveauté. Pour Hamel (2006), la démarche d innovation-produit passe avant tout par une démarche d innovation managériale. Damanpour et Evan (1984) avancent quant à eux que l innovation de produit est déclenchée par l innovation managériale. Ce phénomène de transformation du produit entre le moment où l entrepreneur est arrivé dans l espace de travail collaboratif et le moment où il a lancé son projet a pu être observé dans les projets de certains utilisateurs de la Muse. En ce sens, nous avançons à la suite de Ackrich, Callon et Latour (1988) que cette dynamique en réseau est un facteur d innovation. Par l observation et l échange avec ses pairs que l entrepreneur va imaginer et réaliser de manière itérative des ajustements dans leur projet et la manière de le porter. PARTAGER LES DIFFICULTES ET LES ETAPES L action d entreprendre est souvent perçue comme une action solitaire. Cependant, les entrepreneurs que nous avons interrogés ont mis en avant l importance d appréhender de manière collective cette démarche. Dans la représentation des entrepreneurs émerge par la dynamique de groupe une vision de l entrepreneuriat, de ses difficultés, de ses étapes, de sa temporalité, des méthodes, techniques, des outils utiles et de la «bonne attitude» à adopter. Dans un espace de travail collaboratif, les entrepreneurs vont sortir de l isolement et partager leurs parcours. Ils vont en outre mettre en commun les différents obstacles auxquels ils ont été ou sont confrontés. Ils vont prendre conscience des efforts à fournir et saisir les mécanismes de création. A travers le récit d entrepreneurs plus «aguerris» ou en écoutant les problèmes rencontrer par des pairs, ils vont pouvoir identifier les différentes contraintes de l action d entreprendre. Dans le réseau de pairs, les entrepreneurs se donnent des conseils, se font des retours d expérience. Les entrepreneurs comprennent que chaque projet à une temporalité propre et qu il faut parfois savoir être patients et parfois savoir être réactifs. Dans le réseau de pairs, les entrepreneurs entre dans une démarche d apprentissage collectif. 6.3 AFFIRMER ET PROFESSIONNALISER SON PROJET Un certain nombre d utilisateurs des espaces de travail collaboratif entreprennent pour la première fois. Leur projet n est qu à l état d idée et présenter celle-ci est un véritable «cassetête». Certains développaient jusqu alors leur activité à domicile, ce qui impliquait une force de travail limitée par de nombreuses interruptions et distractions. L espace de travail collaboratif, offre aux entrepreneurs un espace pour couver leur projet jusqu à l entrée sur un marché. L espace leur offre également la possibilité d observer un rythme de travail qui va développer leur engagement et leur motivation. Les entrepreneurs vont s affirmer et professionnaliser leurs projets. Ils vont dynamiser leur démarche et consentir à prendre des risques. Dans les espaces de travail collaboratif, les entrepreneurs ne passent pas directement de la conception du business plan à la mise sur le marché. Les entrepreneurs observent une phase de maturation ou le projet va se professionnaliser par la confrontation au réseau de pairs et devenir ainsi plus robuste.

Encadré 4 - Extrait de phrases témoins Affirmer et dynamiser sa démarche «Notre projet est de mieux en mieux. Il s est défini au fur et à mesure. Jusqu à maintenant ce projet était clair dans ma tête mais pas dans mes paroles.» «J ai des retours sur ce que je fais, comment je le fais, ce que je dis et comment je le dis.» «J ai pris conscience de l importance de la communication pour les startups, et c est à ce moment que j ai décidé d engager une première personne même si cela pesait sur mes finances.» «Il faut montrer aux autres que l on a envie de réussir, qu on a les capacités. Il faut se forcer à s exposer et dire clairement ses intentions.» «En venant travailler ici, le rythme du projet s est accéléré parce que nous avions des horaires. Le projet est devenu plus réel. Nous sommes plus engagés.» «Je viens travailler ici pour plusieurs raisons : la concentration, l effet «je vais au bureau». Je n ai pas de distraction et l ambiance de travail motive.» COUVER ET PROFESSIONNALISER SON PROJET Les entrepreneurs ont besoin de couver leur projet avant de passer à l acte. Selon une étude réalisée par la banque du développement des PME (2000), 36% des entrepreneurs interrogés disent avoir muri leur projet pendant plus d un an avant de passer en phase de réalisation, 25% déclarent avoir muri leur projet de 7 à 12 mois, 22% de 4 à 6 mois, et 16% moins de 3 mois. Les espaces de travail collaboratif leur offrent un cadre dans lequel ils peuvent prendre le temps de mûrir leurs idées. En avançant par tâtonnement, échangent avec les autres utilisateurs et les personnes gravitant autour de l espace, les entrepreneurs renforcent leurs projets et leurs compétences. Gilmore (1988) et Gerasymenko (2008) ont montré que les fondateurs de startup n avaient pas forcément les compétences managériales nécessaires à une jeune entreprise en croissance rapide. Les investisseurs ont tendance à s en inquiéter, à avoir des réserves vis-à-vis du projet et à envisager de remplacer le fondateur par un gestionnaire plus compétent. En intégrant un espace de travail collaboratif, les entrepreneurs prennent le temps de développer des compétences managériales avant de se confronter au marché. Comparer à des trajectoires entrepreneuriales plus classiques, où les entrepreneurs murissent leur projet de leur côté, vont le soumettre à une banque ou à un investisseur, puis se lancent directement sur le marché, les entrepreneurs intégrant un espace de travail collaboratif se donnent un temps pour couver leur projet jusqu à un niveau de maturité suffisant avant de s exposer face aux investisseurs et aux clients. Ils bénéficient de retours les aidant à améliorer leur projet et la manière de le présenter. Ils deviennent progressivement capables de se vendre et d acquérir la confiance des parties prenantes de leur projet. FAVORISER LA PRISE DE RISQUE Si la création d entreprise implique de prendre des risques notamment financiers, certains entrepreneurs n osent pas toujours faire le pas. Lorsqu il doute de la viabilité de son projet, tout investissement est perçu comme un risque de perte sèche. A l intérieur des espaces de travail collaboratif, l entrepreneur va affirmer sa volonté de mener à bien son projet, notamment par l observation des initiatives prises par les autres et leurs bénéfices. Grâce à la confrontation au réseau de pairs, l entrepreneur va développer une plus