KEDGE BUSINESS SCHOOL / Le Monde Diplomatique 27 Mai 2015 Finance Islamique : Définitions, contexte et développement? Kader Merbouh Directeur de l Executive Master Principes et Pratiques de la Finance Islamique Université (Université Paris-Dauphine) Conseiller Spécial Finance Islamique (Paris-Europlace) Co-Lead task Force Islamic Finance (OCDE-MENA-ISMED Program) 1
La finance islamique: un compartiment de l économie éthique Morale: les 5 piliers de l islam financier Les cinq piliers de l islam financier contiennent 3 principes négatifs (-) et 2 principes positifs (+) : Principe n 1 (-): pas de riba (intérêt, usure); Principe n 2 (-): pas de gharar ni de maysir (incertitude, spéculation, opacité contractuelle, déséquilibre des partis); Principe n 3 (-): pas de haram (secteurs illicites); --------------------------------------------------------------------- Principe n 4 (+): obligation de partage des profits et des pertes ; Principe n 5 (+): principe d adossement à un actif tangible. Un Conseil de Conformité composé de Jurisconsulte spécialisé en droit musulman des Affaires valide le caractère islamique d un produit financier ou d une transaction financière. Les investisseurs et/ou consommateurs de produits financiers sanctionnent in fine leur caractère (suffisamment) islamique. 2
La finance islamique: un compartiment de l économie éthique Éthique: les axiomes de la finance islamique Valeur Sujet Maximes Réalité La monnaie La monnaie est une mesure de la valeur, pas une valeur en soi. C est l économie réelle qui prime; Responsabilité La dette La dette est sacrée; elle constitue une responsabilité et fait pas l objet d un échange. L endettement excessif est découragé. Copropriété Équité Séquentialité La régence sur le monde La justice sociale La production et l échange Les Hommes ne sont pas maîtres et possesseurs de la Nature; ils en sont seulement les dépositaires. La finance participative, de type actionnarial et mutualiste, est encouragée; ni la spéculation, ni la thésaurisation ne sont souhaitables. La production précède l échange marchand: on ne peut pas vendre ce qu on ne possède pas. 3
D une position de niche à la masse critique Une industrie qui a à peine une trentaine d années Mitghamr Savings Associations (1963) Tabung Hajji Malaysia (1967) Islamic Development Bank (1974) & Dubai Islamic Bank (1975) Bahreïn Development Bank (1975) Une industrie aujourd hui nourrie par une demande soutenue Les particuliers ont été historiquement le fer de lance de l industrie Point d inflexion atteint dans le marché retail de ces pays: Arabie, EAU, Bahreïn, Qatar, Malaisie et Koweït Institutionnalisation croissante de l industrie financière islamique Taille du marché estimée à $3000 milliards dans le monde, fin 2020 Taux de croissance = 15-20% par an Dans 8-10 ans, la finance islamique devrait capturer 50% de l épargne des 1,6 milliards de Musulmans du monde L industrie a atteint une échelle internationale Plus de 350 banques islamiques dans le monde, présentes dans 75 pays Le GCC contrôle les deux tiers du marché bancaire La Malaisie est leader en matière de sophistication et de maturité, notamment en terme de sukuk et de takaful BID: la plus influente des institutions financières islamiques L industrie est fragmentée mais évolue et s internationalise 4
Mise en perspective historique: les raisons d un succès fulgurant Pétrole cher Sur-liquidité dans le golfe Persique 9/11 Nouvelles classes d émetteurs régionaux Nouvelles classes d actifs islamiques Diversification de l investissement Investissements arabes locaux et régionaux Prosélytisme étatique depuis 2002 Les émetteurs globaux lèvent des fonds dans le Golfe La finance islamique atteint la taille critique 5
* Y compris: Iran, Pakistan, Soudan et Turquie Mise en perspective géographique: taille relative des sous-marchés Amérique du nord: <$10 mds Europe: $40 mds Afrique: $20 mds Moyen-Orient*: $1,300 mds Asie du Sud-Est: $410 mds 6
Malgré son jeune âge, l offre financière islamique est devenue relativement vaste Développement de l industrie Enrichissement de la gamme des produits 1950s Développement du cadre théorique Indépendance des pays musulmans produits structurés banque commerciale 60s 70s 80s Égypte et Malaisie pionnières L OCI voit le jour (1969) Banque Islamique de développement (1974)/DIB Un pays-une banque: modèle d origine Les produits financiers islamiques se développent Islamisation de l Iran, du Soudan, du Pakistan émission de dettes private equity 2000s 1990s 1970s 1980s assurance syndications 90s 00s Les institutions globales font leur entrée; par ex. HSBC Amanah Point d inflexion atteint dans certains marchés Développement d institutions phares financement de projets actions financement du comex L industrie a répliqué presque toute l offre conventionnelle 7
La finance islamique au confluent de facteurs multiples Forte croissance des économies de l OCI Capital institutionnel Libéralisation des marchés de capitaux CROISSANCE DE LA FINANCE ISLAMIQUE Développement produit Innovation Résurgence des valeurs culturelles musulmanes Enracinement dans le marché retail L industrie est animée par des facteurs structurels 8
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Forte de ces principes, l industrie financière a gagné ses lettres de noblesse L industrie connaît une croissance soutenue et de plus en plus internationale: quelques faits et chiffres. L industrie a bien résisté face à la crise: sagesse ou coup de chance? 10
Forte de ces principes, l industrie financière a gagné ses lettres de noblesse Parce que l industrie financière islamique vit en ce moment une étape critique dans son cycle de développement Élevée Mesure du succès rentabilité Croissance rapide Maturité Déclin Moyenne Innovation Décollage Basse 1960 1970 2000 20xx Cycle de développement du secteur de la finance islamique 11
Forte de ces principes, l industrie financière a gagné ses lettres de noblesse Islamic Financial Assets by Region and Asset Class, USD billion 2012 Assets by region Banking assets Sukuk outstanding Islamic Funds Assets Takaful Contribution TOTAL % of total Asia 171,8 160,3 22,6 2,7 357,4 22,6 GCC 434,5 66,3 28,9 7,2 536,9 33,9 MENA (excl. GCC) 590,6 1,7 0,2 6,9 599,4 37,8 Sub-Saharan Africa 16,9 0,1 1,6 0,4 19,0 1,2 Others 59,8 1,0 10,8 0,0 71,6 4,5 TOTAL USD 1273,6 229,4 64,1 17,2 1584,3 % of total 80,4 14,5 4,0 1,1 Source: KFH Research, IFSB 2013 Assets by region Banking assets Sukuk outstanding Islamic Funds Assets Takaful Contribution TOTAL % of total Asia 213,5 172,8 23,6 3,3 413,2 23,0 GCC 514,3 83,8 27,8 8,4 634,3 35,3 MENA (excl. GCC) 636,4 10,9 0,3 7,4 655,0 36,4 Sub-Saharan Africa 18,2 0,5 1,4 0,7 20,8 1,2 Others 64,3 1,4 10,1 0,1 75,9 4,2 TOTAL USD 1446,7 269,4 63,2 19,9 1799,2 % of total 80,4 15,0 3,5 1,1 Sources: E&Y, Reuters, Lipper, MIFC, Zawya 12
Level of government pull Forte de ces principes, l industrie financière a gagné ses lettres de noblesse Market push Vs. Government pull Iran Sudan Pakistan Bahrain Brunei Kuwait Qatar Malaysia La croissance des banques islamiques du Golfe est essentiellement nourrie par une demande explicite de la clientèle La Malaisie représente un quasiidéal: une demande forte de la clientèle, doublée d un régime réglementaire très favorable Singapore US Japan China UK Indonesia Bangladesh Sri Lanka United Arab Emirates Saudi Arabia Dynamique de la demande ET cadre réglementaire favorable Egypt Turkey Level of consumer push 13
Forte de ces principes, l industrie financière a gagné ses lettres de noblesse Une résilience inhérente aux principes Techniquement, les banques islamiques ne peuvent pas porter d actifs «toxiques» sur leurs bilans parce que les CDO, CDO², SIV et autres produits structurés complexes sont des instruments de taux (riba) et très hautement spéculatifs (gharar). De surcroît, les banques islamiques ne peuvent pas prendre de positions (de dette ou de fonds propres) sur les banques d investissement conventionnelles qui ont tout à la fois catalysé la crise et en ont subi les conséquences les plus funestes. En effet, les banques islamiques «screenent» leurs actifs au regard de deux critères: l endettement excessif et les secteurs illicites. 14
Les institutions de la finance islamique 15
Les Conseils de Conformité En matière financière et bancaire, ce sont les Conseils de Conformité (Sharia Supervisory Boards, ou Sharia Boards) qui sont les gardiens de l «islamicité» des pratiques, i.e. des produits et des process. Les Conseils sont formés de docteurs en religion islamique (Sharia scholars) qui ont tous une compétence avancée en matière bancaire et financière. Les Conseils sont obligatoires dès qu une institution financière prétend distribuer des produits financiers islamiques. Les Conseils ne sont pas permanents, mais se réunissent périodiquement, afin d examiner la conformité: Des produits: ces derniers doivent tous être en phase avec les 5 piliers de l islam financier; Des process: l enchevêtrement (commingling) des fonds investis est interdit. En d autres termes, la distinction des sources de financement de l activité économique doit être clairement établie. 16
La supervision des conseils de conformité Objectif ultime: crédibilité et authenticité Fonction: surveillance exhaustive en adhésion aux standards de conformité internationalement reconnus Composition: jurisconsultes islamiques spécialisés Au moins 3 jurisconsultes Critères de sélection Représentativité locale, régionale ou internationale Exemple: les jurisconsultes de Wall Street» Réseau, compétences, enracinement Les sociétés de conseil en conformité «chariatique» Deux modèle: opportuniste vs. relation de longue durée 17
Les sources juridiques de la finance islamique Coran (le Livre sacré) Sunna (propos et agissements du Prophète) Ijma (consensus des juristes islamiques) Qiyas (analogie et nécessaire mesure ) Ijtihad (l effort intellectuel rationnel) Besoins en matière d intermédiation bancaire et financière Fiqh Al-Mu amalaat = Jurisprudence commerciale Banque et finance islamiques: définition d idéaux-types contractuels 18
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats de Murabaha ou cost-plus Paiement du prix d achat P Paiement du prix d achat P+X (généralement sous forme de versements périodiques) Vendeur du sous-jacent Banque islamique Consommateur final Transfert du droit de propriété Transfert du droit de propriété 19
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats de Mudharaba ou rendements partagés Capital humain, savoir-faire ou expertise Projet (investissement, société) Rendement X Entrepreneur Paiement du capital Banque islamique Rendement X(1-z%); sauf si pertes, auquel cas z=0 20
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats de Wakala ou d agence Capital humain, savoir-faire ou expertise Projet (investissement, société) Rendement X Entrepreneur Paiement du capital Banque islamique Rendement fixe Y f(x) 21
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Contrats de Musharaka ou participation (JV) Banque islamique Partenaire Parts respectives des profits X% de participation Joint venture (1-X)% de participation 22
2. La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats d Ijara ou leasing Paiement du prix d achat Vendeur du sous-jacent Transfert du droit de propriété Loyers de leasing Banque islamique Consommateur final Transfert de l usufruit: les actifs sont loués par le consommateur final, avec ou sans option d achat Important: dans un sukuk (oblig. islamique), les contrats d Ijara sont utilisés, et le vendeur ainsi que l utilisateur final du sous-jacent sont la même entité économique (lease-back); les loyers périodiques servent comme source de paiements périodiques aux détenteurs des sukuk, via un SPV. 23
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats d Istisna ou financement de projet Finance les coûts du projet: capex, fonds de roulement en particulier Projet (souvent industriel) Entrepreneur Banque islamique Rendement X sur vente du projet Rendement fonction de X + commissions fixes 24
Focus sur les contrats : La dynamique concurrentielle des banques islamiques Les contrats de Salam ou livraison à terme/différée Ressources Finance une acquisition de facteurs de production Entrepreneur Banque islamique Production et vente différée Coût d acquisition + rendement prédéfini 25
La finance islamique ne constitue en rien la panacée Les défis de l industrie financière islamique Transparence Comptabilité Taille Diversification Valeur ajoutée Gouvernance Gestion des risques Réputation Crédibilité Capital humain Innovation Gestion de la liquidité 26
L industrie financière islamique connaîtra des défis importants, à la mesure de son évolution rapide Les régulateurs devront s adapter Construire une réglementation/législation parallèle pour la finance islamique Favoriser l émergence d un cadre concurrentiel équitable Améliorer l impact sur l économie réelle et sur la société La période initiale était focalisée sur les instruments de dette dans une perspective de réplication Les instruments de haut de bilan (equity) sont aujourd hui à l honneur avec l internationalisation Attirer davantage de capital humain L industrie a besoin de nouveaux talents pour s engager dans une nouvelle vague de créativité L industrie a besoin, de manière proactive, d institutionnaliser sa formation Engagement et sponsorisation Renforcer la recherche académique pour se donner les moyens de définir sa direction prospective Les régulateurs, les praticiens et les jurisconsultes doivent se coordonner davantage Favoriser l expansion des institutions financières islamiques Les acteurs actuels ont un horizons limité, mais commencent à découvrir de nouveaux horizons Les liens transfrontaliers et le décloisonnement des métiers sont une force L industrialisation du modèle passera par davantage de coordination 27
Et la France dans tout ca? Retour sur quelques dates 2007 Paris Europlace establishes the Islamic Finance Commission December : First international Islamic Finance Forum in Paris 2011 June : Chaabi Bank launched the first Islamic retail window in France (mortgage and Bank Account) Dauphine organized the first Annual conference on Islamic retail banking 2008 May : Roundtable on Islamic Finance hosted by the French Senate October : Paris Europlace releases special report Jouini on Islamic finance 2012 April : MoU between IDB and French Development Agency (FDA) signed in Jeddah August : Swiss Life launches the First Takaful Life product SALAM PAX 2009 February : Changes to tax regime applicable to Sukuk and Murabaha products June : Dauphine launched Executive Master in Islamic Finance 2013 May : MEDIALINK issues first Sukuk Istisna November : Vitis Life launches Takaful Life product Amane 2010 August Tax Changes to tax regime applicable to Istina and Ijara products 2014 January : OECD-MENA ISMED Program Launching of the first task Force dedicated to Islamic Finance. November :Atlantic Lux launched Takaful Life product 2015? 28
Les résultats et les attentes Plus de 500 contrats vendus par SwissLife Collecte environnant 15 Millions d Euros Chaabi Bank rencontre un succès sur les produits Immobiliers et Compte Courant Premiers Succès relatifs? Pédagogie des clients sous estimée. Dynamisation et formation des réseaux de vente. 29
2015 et après? Lancement du premier ouvrage TAKAFUL dédié aux professionnels lancement en Septembre 2015. Remise des conclusions et propositions du groupe de travail OCDE MENA ISMED Program. Lancement du premier rapport mondial sur la finance islamique et l infrastructure par l OCDE. Annonce d intention d une banque anglaise de venir s installer à Paris courant 2016. 30