Le syndrome de Diogène et les autres situations d incurie DIU gestion de cas Dr Philippe JAULIN
La dénomination vient d une étude portant sur des patients de plus de 65 ans, admis à l hôpital pour une affection somatique aiguë, et vivant dans un état d incurie extrême (1975). (Diogène de Sinope, philosophe cynique)
Le syndrome de Diogène aurait une incidence annuelle de 0,5 pour 1000 (personnes âgées de plus de 60 ans.) Bien que retrouvé à tous les âges, il concernerait, en l absence de psychose, essentiellement des personnes âgées. Sur le plan nosologique, le syndrome de Diogène peut être rangé dans les troubles de l adaptation atypique du sujet âgé
Historique 1963 Stevens Gériatre Anglais 8 cas S.A. 1963 Mac Millan et Shaw Psychiatres 72 cas 1966 «senile breakdown syndrome» 1975 Clark et Mankikar 30 cas S.A. 1993 Taurand Gériatre Français 21 cas. 1999 Grignon Psychiatre Français 5 cas 2000 Halliday 91 cas ( 50%sujets jeunes)
Épidémiologie Prévalence 0,5 pour 1000 habitants par an chez des sujets de 60 ans et plus ( Mac Milan et Shaw 1963) Sexe ratio variable selon les études Supériorité féminine (Mac Milan, Clark, Martin, Sikdar) 2,5 hommes pour 1 femme (Halliday, Cohorte +jeune) Mise en jeu du pronostic vital : Mortalité 46% (63% de femmes) (Clark 1975) Aucun décès à court terme (en soins de suite) (Taurand 90)
Modes de vie Seul 75 %, couple 10 % Toute classe sociale Peut être les plus favorisées (6) Revenu mensuel moyen : 1500 BEAUCHET O. Rev Med Int 2002 ; 23 (2) : 122-31.
Définition de Clark et Mankikar - isolement social ; -logement dans un état d extrême saleté et en complet désordre, dépassant le seuil de tolérance de la communauté avoisinante ; complète négligence de soi, tant au plan de l hygiène que vestimentaire ; accumulation de façon irrationnelle de toutes sortes d objets inutiles et de déchets ou syllogomanie* ; absence de honte relative aux conditions de vie ;
Définition de Clark et Mankikar personnalité prémorbide et traits de caractères particuliers (méfiance, mauvais contrôle des affects, perception réalité faussée) ; quotient intellectuel normal, voire élevé ; les troubles psychiatriques et l alcoolisme quand ils existent (chez plus de la moitié des sujets), n expliquent pas ce comportement à eux seuls ; refus des aides proposées.
Définition Halliday retrait social, isolement ; conditions de vie matérielles sordides ; négligence corporelle et vestimentaire; syllogomanie ; absence de sentiment de honte ; absence de troubles psychiatriques évolutifs. refus obstiné d aide ; HALLIDAY G. Lancet 2000 ; 355 : 882-6. REYES-ORTIZ CA. Compr Ther 2001 ; 27 (2) : 117-21
Un travail plus récent propose des critères diagnostiques simplifiés se rapportant essentiellement à la caractérisation du mode de vie : isolement conditions de vie sordides négligence marquée de soi tendance à l accumulation désintérêt de l environnement
Clinique Découverte fortuite: appel entourage, incendie, chute, malaise (Il n a jamais été rapporté de découverte sur appel du sujet lui-même) Une visite à domicile est toujours nécessaire pour affirmer le diagnostic MERCUEL A Nervure 1996 ; VIII (9) : 17-9.
Clinique Rideaux abaissés Jardin à l abandon, Capharnaüm d objets ramassés dans des poubelles Denrées périssables laissées malgré l odeur Amoncellement d ordure et journaux Animaux et insectes, cadavres, déjections Hygiène corporelle variable
Clinique Les patients ne se plaignent pas de l insalubrité des lieux Ils ne sortent qu exceptionnellement de chez eux. L enquête sociale révèle que cette dégradation s est opérée sur plusieurs années. MERCUEL A Nervure 1996 ; VIII (9) : 17-9.
2 types de Diogène Actif : ceux qui vont activement chercher les ordures du «dehors» pour les rapporter «dedans». Passif : ceux qui se laissent envahir passivement par les déchets.
Le Diogène à deux Couple dont chacun remplit les éléments d une diagnostic de Diogène MACMILLAN D Br Med J 1966 ; 2 : 1032-7. Couple de patients déments dont l un subit la volonté de l autre sans que les deux soient un syndrome de Diogène BEAUCHET O. Rev Med Int 2002 ; 23 (2) : 122-31. Folie à deux, partage de convictions délirantes COLE AJ. Int J Geriatr Psychiatry 1992 ; (7) : 839-41.
Le Diogène par procuration Fille qui vit dans l incurie Impose à sa mère plus âgée qui par la vie commune supporte le manque d hygiène, l entassement d objets. O MAHONY D Br J Psychiatry 1994 ; 164 : 705-6.
Evaluation cognitive Niveau intellectuel Conservé le plus souvent Fonctions cognitives 22 % d états démentiels sur une série de 91 cas HALLIDAY G, Lancet 2000 ; 355 : 882-6. 80 % ont un MMS inférieur à 23 / 30 TAURAND Ph Rev Gériatr 1993 ; 18 (3) : 139-46. Hypothèse de démence fronto-temporale ORREL MW PsycholMed 1991 ; 21 : 553-6.
Perturbation du cycle veille-sommeil Perturbation du rythme circadien en relation avec isolement par rapport au monde extérieur Des études EEG ont montré: Une baisse globale du sommeil paradoxal: (moins de 10 % du temps de sommeil total contre 30 % chez le sujet normal) Ces troubles répondent rapidement à un traitement hypnotique KUMMER J Fortschr Med 1995 ; 113 (10) : 149-56.
Etiopathogénie Diogène primaire ou secondaire (psychiatrique, organique)? Littérature Pas de distinction entre facteurs déclenchants, comorbidité et étiopathogénie Pas de distinction entre maladie et symptôme Certains exclus le diagnostic de Diogène lorsqu il y a des troubles psychiatriques Certains classent la démence parmi les troubles psychiatriques
Étiopathogénie «primaire» une décompensation d une personnalité prémorbide fragile ; un comportement réactionnel à un stress ou une situation de perte ; une évolution liée à la déchéance physique et sociale de la vieillesse ; un choix de vie à l image de celle menée par Diogène;
Troubles psychiatriques 50% des cas Troubles psychotiques Symptômes déficitaires ou traduisant une désorganisation de la pensée Stéréotypies gestuelles (collectionnisme) Efficacité parfois d une traitement neuroleptique (Diogène jeune : Schizophrénie le plus souvent) Troubles de l humeur Douleur morale Sentiment de dévalorisation Anhédonie Perte d intérêt pour la vie sociale ( fréquent décès récent d un proche)
Troubles psychiatriques Troubles obsessionnels compulsifs culpabilité et lutte anxieuse Alcoolisme Facteur aggravant (4 à 57 %)
Pathologies organiques Fréquence augmentée avec l âge Facteurs de découverte du syndrome plus que cause du syndrome Pathologies démentielles Dégénérescence fronto temporale Points communs négligence physique, incurie ; note caractérielle: irritabilité, agressivité ; syndrome amotivationnel ; conduites stéréotypées, persévérations indifférence aux troubles.
Prise en charge Ne rien faire (non assistance) Intervenir en urgence ( risque de glissement) Intervenir en amont
Prise en charge Difficile par le manque de collaboration des patients (Faut-il prodiguer des soins à quelqu un qui ne demande rien?) Hospitalisation Doit être évitée Recherche d une pathologie somatique Consultation ou hospitalisation psychiatrique Évaluation neuropsychologique
Prise en charge Suivi à domicile (+++) 25 % retournent chez eux à l issue d une hospitalisation Coordination des services Médicaments? Tout peut-être essayé Protection juridique
Evolution et pronostic Évolution de 1 à 5 ans 46 % de mortalité dans les 5 ans 50 % décèdent au cours de l hospitalisation
Quelques hypothèses (Diogène primaire) -Équivalence addictive: écho traumatisme ancien, chaos externe/chaos interne -Psychose «blanche» (Bion) angoisse de morcellement et d annéantissement, traits paranoïdes -Trouble narcissique
Le Moi Peau (Anzieu) Toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental ANZIEU D. Le Moi-peau, 2e édition. Paris : Dunod, 1995, 291 p.
Comportement de survie? Lorsqu une blessure narcissique intervient, le Moi-peau s altère et perd sa fonction de contenant. Les objets accumulés se chargent de signification, ils viennent «suturer» ce Moipeau et le logement devient de nouveau «étanche». Mécanisme actif : Si le sujet retourne chez lui, il recommence Si il ne retourne pas chez lui, il meurt Aménagement pour la survie
Un moment-clef: la crise du milieu de vie Anticipation de pertes liées au vieillissement: «Tout ce qui m était proche s éloigne» GOETHE Processus d adaptation destructeur ou créateur
Premier cas clinique M. Claude G. 80 ans Vit en foyer logement, divorcé, deux enfants, ex artisan Traumatismes anciens: bombardements, suicide du père Antécédents d alcoolisme modéré, une dépression à 60 ans avec hospitalisation en milieu psychiatrique Conduites d incurie majeures à son domicile à caractère égosyntonique sans éléments dépressifs ni addictifs Pas d altérations cognitives (MMS: 25/ 30 avec rappel 3/3), TDM montre images vasculaires
Deuxième cas clinique M. Michel P. 60 ans Célibataire, sans enfants, ex enseignant Pas d antécédents psychiatriques Notion de traumatisme dans l enfance Pas de demande de soins, pas d éléménts dépressifs ni de tendance addictive notable Conduites d incurie majeures: accumulation de journaux, livres
Troisième cas clinique Madame K. 72 ans: célibataire sans enfants vivant seule depuis le décès de ses parents dans leur appartement = taudis mange dans les poubelles etc.. Hospitalisée contre son gré perd tous ses repères évolue vers un syndrome de glissement avec apparition déficits et dépendance totale en 3 mois
Quatrième cas clinique Madame G. âgée de 83 ans, célibataire sans enfants Quelques antécédents psy à l adolescence difficile à caractériser reproduit la symptomatologie type diogène dans l EHPAD où elle vit, demande à retourner chez elle (espère être mise à la porte!)
Il n y a pas de traitement connu du syndrome de Diogène. Le changement de cadre de vie et l entrée dans une institution est rarement acceptée par le patient
Conclusion Le syndrome de Diogène: Fragilité ou résistance?