La naissance du sapin. Conte savoyard

Transcription

1 La naissance du sapin Conte savoyard Classe de neige 2014

2 Le diable est une personnage auquel on attribue toujours tous les défauts, tous les vices, toutes les ruses et que l on ne voit jamais accomplir une bonne action. Eh bien, dans les Alpes et le Jura, il est encore quelques personnes pour lui attribuer la création du sapin, ce que l on ne peut tout de même pas tenir pour un méfait. C est une aventure qui remonte fort loin, à l'époque où la Terre venait d'émerger encore de l'eau du déluge qui avait fait monter les océans. Comme vous pouvez l'imaginer, il n y avait alors aucune végétation, et les êtres vivants étaient là, bien embêtés sous le gros soleil qui séchait la glaise et les rochers. Ce n était pas amusant du tout, de vivre ainsi, sans rien qui permit de se mettre à l ombre.

3 Or, parmi les premiers habitants des montagnes, alors que l eau se retirait lentement des vallées et des plaines, il y avait une multitude de diablotins que le diable avait amenés là et qu il venait voir de temps en temps pour les surveiller un peu. Durant des semaines, les basfonds fumèrent au soleil. Il en montait d'épaisses nappes de brouillard qui rampaient au flanc des montagnes. Les diablotins trouvaient cela très amusant. Ils se poursuivaient, se perdaient, se retrouvaient pour se reperdre encore. Puis, lorsque la chaleur eut repoussé les mers à peu près aux limites où elles sont aujourd hui, lorsque l'humidité eut disparu, tout devint clair et plus monotone sous la lumière crue. Un jour que le diable était venu leur rendre visite, les diablotins lui dirent : << Tu sais, tu nous a amenés sur une planète qui n est pas drôle du tout. Regarde-moi ça! La nudité totale. Qu est-ce que tu veux faire, dans un monde pareil? Sans compter qu il y fait une chaleur terrible. Rien pour se mettre à l'ombre, rien pour s amuser...»

4 Le diable reconnut qu ils avaient raison, et, comme ils se mettaient à crier tous en même temps, il leur imposa le silence et dit : << Laissezmoi réfléchir cinq minutes. Je vais vous trouver quelque chose. >> Les diablotins s assirent en rond autour du diable qui se mit à méditer, la tête dans ses mains et la sueur au front. De temps en temps, il levait les yeux vers le ciel et grognait : << Ils ont raison, les bougres, il fait rudement chaud par ici. Ce qu il faudrait, c est quelque chose qui soit assez haut, qui ne prenne pas trop de place sur le sol, et qui s élargisse un peu au-dessus des têtes. >> Il se leva, fit quelques pas, revint à son point de départ puis frappant le sol du talon, il en fit jaillir un arbre. Je ne suis pas en mesure de vous dire s il s agissait d un chêne, d un hêtre, d un bouleau ou d un orme, mais je sais que cet arbre était un feuillu. Aussitôt, toute la tribu des diablotins vint se réfugier à l'ombre et se mit à danser une ronde autour du diable adossé an tronc de son arbre. Personne n a retenu ni l air ni les paroles de ce qu ils chantaient, mais on sait qu ils remerciaient ainsi leur bon maître en lui réclamant d autres arbres.

5 Le diable ne se fit pas prier, et, en quelques minutes, il créa d immenses forêts où ses petits protégés purent enfin vivre la belle vie. Des mois passèrent, puis arriva l'automne qui fit rouiller et tomber les feuilles. Le grand vent qui s en mêla dépouilla la forêt en quelques semaines. Comme personne n avait encore inventé la rentrée des classes, les diablotins trouvèrent l'automne très amusant, mais, lorsque la première neige arriva, ils commencèrent à déchanter. Et le jour où le diable revint les voir, ils se mirent à crier : << Dis donc, tu t es moqué de nous, avec tes arbres! Qu est-ce que c'est que cette invention qui perd ses feuilles avant que la neige se mette à tomber? Où veux-tu que nous trouvions de quoi nous abriter, nous? >>

6 Le diable dut bien reconnaître qu ils avaient raison et qu il n était pas drôle du tout de vivre ainsi sous des tempêtes de neige. Comme il l'avait fait avant de créer les feuillus, il se mit à ré fléchir et, après un moment, il dit : << Si j ai bonne mémoire, je n ai rien fait pousser tout en haut des montagnes! - Non, tu n as rien mis là-haut. - Alors, suivez-moi, c est là-haut que nous trouverons la solution. - Ah! non, crièrent les diablotins. Il y a encore davantage de neige sur les cimes. Et le vent y souffle terriblement. Tu ne penses tout de même pas que nous allons te suivre, nous préférons descendre dans la plaine. - Dans les bas-fonds, fit observer le diable, vous aurez les pieds dans la boue et la tête sous la pluie. Que ceux qui veulent y aller partent sans moi. Et que ceux qui me font confiance me suivent vers les sommets. >> Personne ne partit vers les plaines. Certains suivirent en ronchonnant, mais ils suivirent tout de même. Dès qu ils eurent atteint les limites supérieures de la forêt de feuillus, le diable, qui avait réfléchi en marchant, fit pousser un énorme sapin. Un sapin tellement large que tous les diablotins pouvaient se réunir sous ses branches basses, dans une espèce de pénombre tiède qui contrastait avec la blancheur glacée de l hiver. Lorsque le diable eut planté tous les sommets, il s en alla, très fier de son oeuvre, laissant les diablotins passer d une forêt à l autre au fil des saisons, toujours protégés par les arbres qui sont les plus merveilleux amis des diablotins et des humains. Fin