Une vie. Chris se débarbouille en vitesse, enfile sa courte robe rose pâle et ses adorables escarpins rouges qui lui font des chevilles irrésistibles.

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2 Une vie Il ouvre les yeux. Le lit chaud et moite est encore empli de leur odeur. Il effleure du doigt la douce peau de sa fiancée, l épaule d abord, puis le bras, puis le creux de la hanche. Il est à chaque fois émerveillé par les courbes fermes et délicates qui dessinent le corps de cette femme. Ce léger effleurement déclenche chez elle une vague de frissons. Elle murmure un petit grognement inintelligible, toute alanguie encore par leur première nuit d amour. Il se lève, et prend une douche fraîche qui le ragaillardit. Puis il se prépare pour ramener sa fiancée vers le lit chaste qui l attend dans la maison de ses parents. Chris la belle traine encore au lit. Elle exige qu il lui ramène la boîte de chocolats qu il lui a achetée la veille, et nue et toujours allongée, elle en picore deux trois tout en regardant son amoureux d'un air coquin. Il contient le puissant désir que cette vue fait monter en lui. Il est déjà 5 heures du matin, s ils tardent trop, ils se feront remarquer par ses futurs beaux-parents en rentrant Plus que quelques jours à attendre et ils se marieraient. Par un goût du paradoxe et d anticonformisme qu ils partageaient tous deux, ils avaient voulu cette nuit de noce avant l heure et avait pu goûter ce plaisir de l interdit qu ils ne retrouveraient peut-être plus ensuite. Chris se débarbouille en vitesse, enfile sa courte robe rose pâle et ses adorables escarpins rouges qui lui font des chevilles irrésistibles. Ils montent en voiture. La nuit est belle, la voie libre, il roule vite. L esprit encore embrumé, il se repasse les images de la nuit : le délicieux dîner au restaurant, la boîte de chocolat qu il lui offrit en même temps qu un petit verre de cognac alors qu ils étaient tous deux affalés sur son lit d étudiant, les baisers de plus en plus brûlants, la main de Chris se promenant sur sa poitrine, et descendant doucement «ATTENTION!» hurle Chris à côté de lui, d une voix angoissée qu il ne lui connaissait pas. Il tourne la tête vers elle, puis vers la route. Il n a même pas le temps de voir le camion devant lui qui s écrase sur eux en un 2 / 5

3 éclair. Il ouvre les yeux. Tout est sombre et confus. Une puissante odeur de produit antiseptique le prend à la gorge. Il commence à s éveiller. Et de seconde en seconde, il prend conscience de sa douleur. Comme des aiguilles qui s enfoncent un peu partout dans son corps, quelques aiguilles, puis de plus en plus, des centaines d aiguilles, des milliers d aiguilles, des millions d aiguilles Un lit. Le plafond, blanc. Une femme. Et puis plus rien. Le temps. Rien ne se passe l espace d un instant, et en un instant, plus d espace. Il ouvre les yeux. Il est dans une chambre d hôpital. Cela il le sait immédiatement à l odeur, cette odeur aseptisée et légèrement écœurante qui lui est étonnamment familière. Il tourne doucement la tête. Une dame à l air calme et triste est assise à son chevet. Elle lit et ne le regarde pas. Elle a une jupe de laine qui lui arrivé légèrement au-dessus des genoux, un chemisier de soie beige, et des mocassins sans talons noirs. Ses cheveux d un blanc d ivoire sont remontés en un élégant chignon. Il ne la connait pas. Puis il prend conscience de son corps. Il lui semble terriblement lourd, mais il ne souffre pas. Il tente de soulever ses bras, mais peut à peine bouger un petit peu ses doigts. Il tente de plier ses jambes, mais ses pieds n amorcent pas le commencement d un mouvement. Il tourne à nouveau son visage vers la personne qui se tient à son chevet, et tente de l appeler. Il ne sort de sa bouche qu un minable gargouillement. La dame lève les yeux. Son visage, jusqu alors calme et serein se décompose alors littéralement en un instant. Ses yeux s écarquillent, sa bouche s ouvre, et une sorte de terreur semble la prendre tout à coup. Puis son expression d effroi se mue en une moue douloureuse, comme si on lui avait envoyé un terrible coup en pleine poitrine. Il l entend tout à coup commencer à suffoquer, elle met sa main sur sa poitrine et ferme ses yeux un instant. Puis, tout aussi soudainement, elle se calme. Elle s approche de lui, s assoit sur son lit, et toujours sans un mot, lui caresse très tendrement la joue puis, rabattant légèrement les draps, lui prend la main. Cette main, qu elle avait prise dans la sienne, est d un blanc presque transparent. La peau fine et fripée laisse apparaître tout un entrelacement de veines bleues. 3 / 5

4 «Mes mains!» parvient-t-il à articuler d une voix chevrotante qui sonne faux à ses propres oreilles. Ils se regardent un instant hébétés. Il connait cette nuque que dévoile le chignon épais et blanc de la femme assise sur son lit. Il connait ces mollets fins et ces toutes petites chevilles. Il connait ces yeux, il connait cette bouche. Il avait du plus profond de lui -même aimé ce corps. Ce corps qui avait été jadis celui d une belle jeune femme tout en courbes délicates. «Chris c est toi?» Et la vieille dame fondit en larme. 4 / 5

5 Powered by TCPDF ( Publication certifiée par De Plume en Plume le : En savoir plus sur l'auteur : Myriam Jurman Vous pouvez lui laisser un commentaire sur cette page : Une vie sur DPP